Aime pour ton frère ce que tu n’aimes pas pour toi : le conflit parents – enfants

Vous avez 10 ans, et vous et votre soeur attendez affamés le retour de votre mère partie faire des courses pour le goûter. Elle revient avec deux chocos BN (seulement !). La distribution peut commencer. Pas difficile, deux chocos BN, deux enfants, un choco BN par enfant. Mmmh, mais est-ce vraiment si simple ?

Voici ce qu’en pense l’évolution : puisque votre mère a légué à vous et votre soeur 50 % de ses gènes, elle a autant d’intérêt à favoriser l’un ou l’autre de ses enfants (en supposant qu’ils auront plus tard les mêmes capacités reproductives). Si l’utilité d’un choco BN augmentait de façon linéaire, elle pourrait cependant donner les deux chocos BN à un seul enfant : cela reviendrait à quadrupler les chances de reproduction d’un enfant au lieu de doubler celles des deux. Mais nous supposerons que l’utilité du choco BN n’est pas linéaire : l’utilité du deuxième choco mangé est moins grande que l’utilité du premier : vous devenez rassasié après le premier.

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De façon plus écologique, vous pouvez vous dire que le premier choco BN mangé peut vous sauver de la famine, tandis que le deuxième n’a pas cette propriété, pour la bonne raison que le premier vous a déjà sauvé. Le deuxième choco a donc moins d’utilité,  il ne vous apporte qu’un peu de sucre supplémentaire. Chiffrons cette utilité pour que ce soit plus simple : le premier choco vous donne quatre points de survie supplémentaires, tandis que le deuxième vous en donne uniquement trois. Pour maximiser les points de survie de ses enfants et donc la propagation de ses gènes, votre môman a donc intérêt à vous donner un choco à chacun.

Mais vous, qu’en pensez-vous ? La similarité génétique entre vous et votre soeur est également de 50 % en moyenne (25 % de chances d’avoir les mêmes gènes par l’intermédiaire de votre mère + 25 % de chances d’avoir les mêmes gènes par l’intermédiaire de votre père). Par contre, la similarité génétique avec vous-même est de… 100 %. Et prendre votre point de vue change la distribution optimale des chocos qui devrait être faite. Comparons les deux cas.

Si votre mère vous donne les deux chocos BN, vos gènes gagnent :

  • 4 points de survie pour le premier choco
  • 3 points de survie pour le deuxième choco (comme vu plus haut, le deuxième choco a moins d’utilité)
  • vous partagez tous vos gènes avec vous-même, vous gagnez donc 100 % de (4+3) points, soient 7 points de survie en tout.

Si votre mère ne vous donne qu’un choco et l’autre à votre soeur, vos gènes gagnent :

  • 4 points de survie à travers votre choco
  • 2 points de survie à travers le choco que mange votre soeur (ses propres gènes en gagnent 4, mais comme votre similarité génétique n’est que de 50 % vos gènes ne bénéficient que de 50 % de ces points)
  • soient 6 points en tout.
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Les fous nazcas, espèce au conflit parents-enfant réglé par les enfants.

6 < 7, et vous avez donc tout intérêt à manger les deux chocos. Ce qui nous amène au conflit parents-descendants, ou conflit parents-enfant : les intérêts de vos parents dans l’allocation de leurs ressources sont différents de vos propres intérêts. On s’attend donc à trouver chez différentes espèces des adaptations qui font que chaque enfant cherchera à accaparer un maximum de ressources provenant de ses parents au détriments de ses frères et soeurs, tandis que les parents devraient au contraire chercher à ne pas donner trop de ressources aux mêmes enfants, pour ne pas limiter leurs propres capacités de reproduction par ailleurs (ceci est bien sûr vrai uniquement à partir du moment où la survie du premier enfant est assurée).

Ce conflit parents-enfants est assez bien documenté dans le monde vivant. Par exemple, les ovules de chêne fraîchement fertilisés empêchent la fertilisation de nouveaux ovules en empêchant la progression du tube pollinique jusqu’au sac embryonnaire. Le conflit peut aussi se traduire par le meurtre de frères et soeurs entre eux. Chez certaines espèces d’oiseaux qui font des couvées de deux oeufs, comme les fous Nazca, il arrive que le jeune né le premier tue le deuxième jeune. Dans ce cas, le jeune n’est pas forcément en conflit avec ses parents (mieux vaut concentrer ses ressources sur un seul jeune lorque les ressources sont limitées), mais il est certainement en conflit avec sa fratrie. Une vidéo d’illustration commentée par Dawkins illustre ce phénomène (en anglais) :

Et chez les zhumains alors ? La théorie du conflit parent-enfant fait plusieurs prédictions sur les comportements des deux partis. Par exemple, les parents devraient vouloir sevrer leurs enfants le plus tôt possible dès que ceux-ci n’en ont plus réellement besoin, tandis que les enfants devraient vouloir continuer à bénéficier le plus longtemps possible des ressources de leurs parents. Par “sevrer”, vous pouvez comprendre allaitement maternel, ou départ de la maison à l’adolescence, ou toute autre séparation qui intervient à un moment ou un autre. Les parents devraient aussi encourager la coopération entre frères et soeurs et les encourager à partager et mieux se considérer les uns les autres. A ma connaissance, ces hypothèses n’ont pas encore été testées scientifiquement mais elles pourront vous évoquer certains souvenirs d’enfance… L’argument le plus fort en faveur de l’occurrence du conflit parents-enfants chez l’être humain reste le conflit intra-utérin, mais nous garderons cela pour le prochain billet.

NB: cet article n’est (malheureusement) pas sponsorisé par Choco BN®.

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À emporter

  • Un parent possède la même similarité génétique avec chacun de ses enfants (biologiques) : par conséquent, son intérêt est de s’occuper de chacun d’eux de la même façon.
  • Un enfant possède une similarité génétique de 50 % avec ses frères et soeurs, mais 100 % avec lui-même ; par conséquent, son intérêt est de recevoir le plus de ressources possible au détriments de sa fratrie.
  • A cause de cette asymétrie, un conflit parents / enfants émerge : chaque enfant désire de ses parents une part de ressources plus grande que ses parents ne veulent lui donner.

Pour approfondir

Commentaires

2 réponses à “Aime pour ton frère ce que tu n’aimes pas pour toi : le conflit parents – enfants”

  1. Avatar de Ethaniel
    Ethaniel

    Autre exemple de meurtre au sein d’une fratrie : l’oophagie chez certaines espèces de requin ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Ovoviviparit%C3%A9#Oophagie ).

    1. Avatar de Stéphane
      Stéphane

      Merci c’est intéressant.

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