Les éditions Albin Michel m’ont envoyé un exemplaire du bouquin « Sapiens, une brève histoire de l’humanité », écrit par Yuval Noah Harari, pour que je dise ce que j’en pense – je leur ai demandé si ma revue pouvait être critique, ils m’ont dit pas de problème (si ça n’avait pas été possible, j’aurais quand même accepté, mais uniquement avec un gros chèque, vous connaissez mon éthique). Au passage, désolé Albin Michel, vous m’avez envoyé le bouquin il y a 18 mois et ma revue ne sort qu’aujourd’hui : l’année 2016 fut chargée mais chose promise chose due quand même ! C’est foutu pour le buzz Noël 2015 par contre.
Avertissement 1 : ya un truc à gagner, lis ce billet jusqu’au bout [edit: le jeu concours est maintenant terminé] !
Avertissement 2 : j’ai pris le parti de ne pas résumer le livre, vous trouverez des résumés un peu partout sur le web, vous pouvez commencer par celui de Wikipédia.
Avertissement 3 : désolé si cet avis vous paraît condescendant, je n’ai fait que dire ce que je pensais
Le positif
Le bouquin Sapiens est un gros succès de librairie, il a été traduit dans plus de 30 langues, ce qui est assez incroyable pour un bouquin de science. Il faut dire qu’il traite d’un sujet qui fait rêver, puisqu’il retrace l’histoire de l’espèce humaine, depuis ses terrains de chasse et de cueillette du Paléolithique jusqu’aux terrains de foot du XXIe siècle, s’autorisant même quelques paragraphes prédictifs sur notre avenir. Le livre passe en revue et fait la synthèse d’une masse énorme de données et d’idées dans des disciplines diverses comme la biologie, l’anthropologie, l’économie, l’histoire, …
Je ne peux qu’applaudir une telle entreprise de synthèse interdisciplinaire : la science du XXIe siècle fera je pense ses plus grandes avancées par l’interdisciplinarité, qui plus est sur un sujet aussi complexe que l’humain. Évidemment, le sujet du livre me passionne aussi, puisque c’est là-dessus que j’ai fait mes études, et que c’est pour en parler que j’ai ouvert ce blog. Pour l’idée du livre : super, donc. J’aurais aimé l’écrire moi-même (d’ailleurs, toutes les critiques qui vont suivre peuvent être mises sur le compte de ma jalousie et ma déception de n’avoir pas écrit ce livre le premier).
Le négatif
Je suis par contre beaucoup moins convaincu par la réalisation. Je trouve ce livre très peu scientifique dans son ensemble, pour différentes raisons :
1/ où sont les références ??? Le bouquin fait 500 pages et il doit y avoir en tout et pour tout une cinquantaine de références, alors même que des idées nouvelles sont introduites toutes les 2 lignes. Les références sont en plus très souvent des livres, qui ne sont donc pas passés par le système d’évaluation par les pairs, et dans lesquels les chercheurs prennent parfois plus de libertés dans leurs interprétations des faits. Si Harari parle de certaines choses, il les a forcément lues quelque part : pourquoi ne pas les citer dans ce cas ? Quand on est habitué aux publications scientifiques où chaque mot utilisé doit être justifié, ça choque (je ne dis pas qu’il faut aller jusque là dans un livre de vulgarisation, mais il y a un juste milieu à trouver). L’impression que ça donne ici, c’est que Harari a écrit son bouquin d’une traite et s’est dit à la fin « tiens si on rajoutait des références par-ci par-là pour que ça ait l’air sérieux ? »
2/ Yuval Harari mélange des idées qui sont assez bien acceptées par la communauté scientifique avec des idées beaucoup plus débattues, sans évidemment faire la distinction entre les deux. Par exemple, une des idées centrales de Sapiens c’est qu’on a créé les religions pour pouvoir coopérer à large échelle, c’est l’idée des Big Gods, mais c’est une idée loin d’être acceptée par tout le monde. Mais ça, si ce n’est pas dit, faut être chercheur dans le domaine pour le savoir. Ailleurs, on apprend qu’ »en période faste, les femelles arrivent à la puberté plus tôt », ah bon, il me semblait que c’était plutôt l’inverse, mais si ce n’est pas le cas partout je veux bien les références. Yen a pas ? Pas grave dans 2 minutes j’aurai oublié ce que j’ai lu de toute façon.
3/ Les explications sont assez souvent simplistes et très tranchées. Par exemple, p. 233, « L’évolution a fait de l’Homo sapiens, comme des autres mammifères sociaux, une créature xénophobe. Sapiens divise d’instinct l’humanité en deux : « Nous » et « Eux » ». Au risque de me répéter : références ?
4/ Le livre est bourré de références religieuses là où on ne les attend pas, ce qui est très surprenant pour un livre scientifique. Ça m’a sauté aux yeux à la première lecture. Par exemple, p31 :
Ce piètre bilan a conduit certains chercheurs à spéculer que la structure interne du cerveau de ces Sapiens était probablement différente de la nôtre. […] Apprendre l’anglais à un ancien Sapiens, le persuader de la vérité du dogme chrétien, ou l’amener à comprendre la théorie de l’évolution eût probablement été sans résultat.
p29 :
Lirait-on dans le livre de la Genèse que les Néandertal descendent d’Adam et Ève ? Jésus serait-il mort pour les péchés des Denisoviens ?
et ça continue, ça continue, ces extraits pris séparément n’ont pas l’air gênants mais je peux vous assurer que leur répétition tout au long du livre rend sa lecture embarrassante. Un petit dernier, mon préféré de tous d’ailleurs, p40 :
Deux catholiques qui ne se sont jamais rencontrés peuvent néanmoins partir en croisade ensemble ou réunir des fonds pour construir un hôpital.
(c’est peut-être de l’humour, si c’est le cas c’est très drôle)
Généralement un style d’écriture particulier comme celui-ci trouve son explication dans la biographie de l’auteur : Wikipedia me murmure à l’oreille que le livre a été publié en Israel une première fois en 2011, avant d’être repris à l’international : peut-être qu’Harari avait écrit son livre avec en tête un public particulier à la base.
5/ Sapiens sombre parfois dans l’ésotérisme, et il faut se gratter la tête plusieurs fois avec une branche de houx pour comprendre ce que l’auteur a bien voulu dire. Par exemple, p. 136, quand l’auteur essaie de « traduire en langage biologique » le passage de la Déclaration d’indépendance des États-Unis. La déclaration originale :
« Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. »
ce qui donnerait une fois traduite selon lui :
« Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes ont évolué différemment ; ils sont nés avec certaines caractéristiques muables ; parmi ces caractéristiques se trouvent la vie et la recherche du plaisir. »
???
6/ le livre se veut être une synthèse mais ressemble bien plus souvent à une collection d’anecdotes. Et vas-y que je saute du coq à l’âne, du saumon à la girafe, et du saucisson à l’ail. On se perd dans des digressions qui font oublier le sujet du chapitre (surtout dans la 4e partie). A-t-on besoin d’un paragraphe entier qui parle de femmes de ménage, d’éprouvettes, d’économistes et de fossiles pour illustrer simplement l’idée que « la science coûte de l’argent » (p.319) ? A-t-on besoin d’un paragraphe où on apprend que la masse de tous les animaux de ferme du monde est de 700 millions de tonne, qu’il existe 80 000 girafes et 200 000 loups gris dans le monde, pour illustrer l’idée que l’humain domine le monde (p.411) ? Je n’aime pas les gens qui parlent pour ne rien dire, et ces digressions incessantes m’ont rendu la lecture du livre très difficile en plus de me faire douter de l’objectif de l’auteur. Au lieu d’appeler son livre « Sapiens, une brève histoire de l’humanité », Harari aurait pu choisir « Sapiens, une longue collection d’anecdotes sur l’humanité ».
Voilà !
C’est mon avis général sur ce livre : un livre sur un sujet passionnant et dont l’entreprise de synthèse était louable, mais un livre au final assez peu sérieux sur le plan scientifique. J’ai l’impression d’avoir lu le livre de quelqu’un de très curieux et qui aurait lu tous les livres qu’il pouvait sur un sujet, en essayant ensuite de coucher sur le papier ses souvenirs, donnant du sens à différentes anecdotes sans se préoccuper de vérité scientifique. Au fond, je n’ai lu nul part qu’il s’agissait d’un livre de vulgarisation scientifique : peut-être est-ce ainsi qu’il faut le classer, comme une fiction basée sur une histoire vraie.
Je ne suis pas rancunier néanmoins, puisque je vous fais gagner ce livre [edit: en fait non, le jeu concours est maintenant terminé], pour que vous puissiez vous faire votre avis par vous-même : laissez simplement un commentaire ci-dessous (pas avec une adresse email bidon) ou sur Facebook et je tirerai au sort le gagnant dans 7 jours (le livre est un peu abîmé, mais c’est parce qu’il a beaucoup voyagé avec moi – et oui, en 18 mois on en fait de la route).
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