L’argent de Curiosity, et de la mission d’exploration de la planète Mars, n’aurait-il pas été mieux dépensé sur Terre, à combattre le réchauffement climatique, le travail forcé des enfants, l’exploitation des femmes, l’analphabétisme ou la faim dans le monde ?
C’est une question que l’on peut légitimement se poser quand on apprend d’un côté que la mission sur Mars aura coûté environ 2 milliards d’euros (pas si coûteux que ça en comparaison d’autres programmes il est vrai), et d’un autre côté que cette même somme pourrait soigner l’intégralité des enfants atteints de malnutrition aigüe sévère dans le monde, c’est à dire 19 millions d’enfants pour qui le prochain stade d’aggravation de leur condition est la mort.
Aller sur Mars est-il incompatible avec avoir les pieds sur Terre ? C’est ce qu’ont l’air de penser beaucoup de gens à la lecture des commentaires sur certains articles parus récemment.
Sur Le Nouvel Obs :
sur Le Monde :
ou encore Le Figaro :
En fait, il est même très difficile de trouver des commentaires qui ne parlent pas de ça, si l’on compte les commentaires qui prennent le parti opposé, expliquant pourquoi ces missions sont utiles après tout (le 2e sujet chaud des commentaires, d’après mes rapides observations, consiste à savoir si la découverte de vie sur Mars serait à même de déstabiliser les religions dans le monde). Ce serait d’ailleurs intéressant de savoir pourquoi ces commentaires ressortent toujours à propos de budgets scientifiques mais rarement à propos du budget des JO, ou de la Défense par exemple, pourtant bien plus faramineux (et inutiles ?).
En tout cas pour ma part, je n’ai pas envie de faire le tour des arguments en faveur de l’une ou l’autre position (mais lâchez-vous dans les commentaires si ça vous fait plaisir). Je voudrais juste publier quelques arguments en faveur de telles missions spatiales, par l’intermédiaire de la lettre d’Ernst Stuhlinger.
Ernst Stuhlinger est né en Allemagne en 1913. Pendant la seconde guerre mondiale, il travaille au centre de développement des fusées de Peenemunde, en Allemagne. Son statut de scientifique émérite lui vaut de faire partie à la fin de la guerre de ce que l’on appelle l’opération Paperclip : le « rachat » de scientifiques allemands par les Etats-Unis d’Amerique, afin d’éviter que leur savoir ne soit transmis à l’URSS, le Royaume-Uni, et l’Allemagne (divisée).
Au cours de sa carrière aux Etats-Unis, Stuhlinger travaillera pour le compte de la NASA. Devenu directeur du Marshall Space Flight Center, il jouera un rôle très important dans des projets tels que l’exploration lunaire, le télescope Apollo, et travailla sur les phases initiales du développement de ce qui deviendra le télescope Hubble.
En 1970, peu après le premier homme sur la Lune donc, Stuhlinger reçoit une lettre de Soeur Mary Jucunda, officiant en Zambie, et demandant comment des milliards de dollars pouvaient être dépensés dans un programme spatial quand tant d’enfants sur Terre mouraient de faim tous les jours. On voit donc que la question se posait déjà il y a 40 ans… Dans une lettre qui est aujourd’hui encore souvent citée en exemple, Ernst Stuhlinger donne quelques arguments permettant de justifier ces dépenses. C’est cette lettre que je vous propose aujourd’hui.
Note : à propos du contenu de cet article, qui s’éloigne quelque peu des thématiques habituelles du blog :
- C’est les vacances.
- L’actualité le justifie. Nous n’avons pas le recul suffisant pour le dire mais la mission de Curiosity sera peut-être à l’origine de découvertes scientifiques majeures. Il ne sera pas dit que ce blog aura raté l’événement.
- Je n’ai pas trouvé, dans mes rapides recherches sur le Web, de version française de cette lettre. Si vous en connaissez une vous pouvez l’indiquer dans les commentaires et je ferai un lien. Je ne prétends pas avoir fait une traduction parfaite de l’original et vous pouvez indiquer ce qui vous semblent être des erreurs de traduction (graves). Lettre originale.
- Ca fait du bien de réfléchir sur la science de temps en temps, plutôt que de parler de nouvelles découvertes scientifiques.
Pour une fois, cet article ne sera pas beaucoup illustré, mais uniquement pour respecter la structure originale de la lettre.
Lettre d’Ernst Stuhlinger :
comment justifier la dépense de milliards de dollars pour aller dans l’espace, compte tenu de la misère sur Terre ?
comment justifier la dépense de milliards de dollars pour aller dans l’espace, compte tenu de la misère sur Terre ?
« Votre lettre fut une lettre parmi tant d’autres que je reçois chaque jour, mais elle m’a touché plus profondément que toutes les autres car venant de toute évidence des profondeurs d’un esprit pénétrant et d’un coeur compatissant. J’essaierai de répondre à votre question du mieux que je peux.
Premièrement cependant, j’aimerais exprimer ma grande admiration pour vous, et pour toutes vos soeurs courageuses, pour le dévouement de vos vies à la plus noble cause qui soit pour l’humain : l’aide à ceux qui sont dans le besoin.
Vous demandez dans votre lettre comment je peux suggérer la dépense de milliards de dollars pour un voyage sur mars, à une époque où beaucoup d’enfants meurent de faim sur Terre. Je sais que vous ne vous attendez pas à une réponse dans le genre de « Oh, je ne savais pas qu’il y avait des enfants mourant de faim, mais à partir de maintenant j’abandonnerai toute sorte de recherche sur l’espace jusqu’à ce que l’humanité ait résolu ce problème ! ». Au contraire, j’étais au courant de l’existence d’enfants mourant de faim bien avant de savoir qu’un voyage sur la planète Mars serait techniquement possible. Cependant je crois, comme beaucoup de mes amis, que voyager sur la lune et au final sur Mars et d’autres planètes est un projet que nous devrions entreprendre maintenant, et je crois même que ce projet, à long terme, contribuera plus aux solutions aux graves problème que nous rencontrons ici sur Terre que beaucoup d’autres projets potentiels d’aide qui sont débattus et discutés année après année, et tellement lents à amener des résultats tangibles.
Avant d’essayer de décrire dans de plus amples détails comment notre programme spatial contribue à apporter des solutions à nos problèmes terrestres, j’aimerais relater brièvement une histoire que l’on dit vraie, et qui soutiendra mon argument. Il y a environ 400 ans, vivait un comte dans une petite ville d’Allemagne. Il était un des comtes les plus bienveillants qu’il existe, et donna une grande partie de sa fortune aux pauvres de sa ville. Ceci était très apprécié, tant la pauvreté était courante au Moyen-Âge, et tant les épidémies de peste avaient souvent ravagé le pays. Un jour, le comte rencontra un homme étrange. Il possédait un établi et un petit laboratoire dans sa maison, et travaillait dur le jour pour pouvoir s’offrir quelques heures de travail le soir dans son laboratoire. Il assemblait des petites lentilles à partir de morceaux de verre, montait ces lentilles dans des tubes, et utilisait ces gadgets pour regarder de très petits objets. Le comte était particulièrement impressionné par les minuscules créatures qui pouvaient être observé avec un tel agrandissement, et qu’il n’avait jamais vues auparavant. Il invita l’homme à déménager son laboratoire au château, à devenir membre de sa cour, et à consacrer tout son temps au développement et au perfectionnement de ses gadgets optiques en tant qu’employé spécial du comte.
Les gens du village, cependant, se mirent en colère quand ils réalisèrent que le comte gaspillait son argent sur, comme ils le pensaient, un exploit sans intérêt. « Nous souffrons de la peste », disaient-il, « pendant qu’il paye cet homme pour ses passions inutiles ! ». Mais le comte restait ferme. « Je vous donne autant que je peux, » dit-il, « mais je supporterai également cet homme et son travail, parce que je sais qu’un jour quelque chose de bien en sortira ! ».
Et en effet, quelque chose de très bien résulta de ce travail, ainsi que de travaux similaires faits par d’autres dans d’autres endroits : le microscope. Il est bien connu que le microscope a contribué plus que n’importe quelle autre invention aux progrès de la médecine, et que l’élimination de la peste et de bien d’autres maladies contagieuses de la plupart des parties du monde est largement dûe à des études que le microscope seul a rendu possible.
Le comte, en gardant une partie de son argent pour la recherche et la découverte, contribua bien plus à la diminution des souffrances humaines qu’il aurait pu contribuer en donnant tout ce qu’il pouvait à la communauté souffrante.
La situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui est similaire à bien des égards. Le président des États-Unis dépense environ 200 milliards de dollars de budget annuel. Cet argent va à la santé, l’éducation, le bien-être, la rénovation urbaine, les autoroutes, le transport, l’aide étrangère, la défense, la conservation, la science, l’agriculture et beaucoup d’installations intérieures et extérieures au pays. Environ 1,6 % de ce budget national est alloué à l’exploration spatiale cette année. Le programme spatial inclut le projet Apollo, et beaucoup d’autres projets plus petits en physique de l’espace, astronomie de l’espace, biologie de l’espace, projets planétaires, projets de ressources de la terre, et ingénierie de l’espace. Pour rendre ces dépenses pour le programme spatial possibles, l’Américain moyen au salaire de 10 000 $ par an devra payer environ 30 $ de taxes pour l’espace. Le reste de son salaire, 9970 $, sera pour sa subsistance, ses loisirs, ses économies, ses autres impôts, et toutes ses autres dépenses. Vous demanderez probablement : « pourquoi ne prenez-vous pas cinq ou trois ou un dollar de ces 30 $ pour l’espace que l’Américain moyen paie, et ne les envoyez-vous pas aux enfants qui meurent de faim ? ». Pour répondre à cette question, je dois expliquer brièvement comment fonctionne l’économie de ce pays. La situation est très similaire dans d’autres pays. Le gouvernement consiste en un certain nombre de départements (intérieur, justice, santé, éducation et bien-être, transport, défense, et d’autres) et de bureaux (National Science Foundation, National Aeronautics and Space Administration, et d’autres). Tous préparent leurs budgets annuellement en fonction de missions qui leur ont été assignées, et tous doivent défendre leurs budgets face à l’examen très sévère des représentants du Congrès, et face à des gros encouragements aux économies venant du bureau du budget et du Président. Quand les fonds ont enfin été accordés par le Congrès, ils peuvent seulement être dépensés pour les projets spécifiés et approuvés dans le budget.
Le budget de la National Aeronautics and Space Administration, naturellement, peut seulement couvrir des projets directement liés à l’aéronautique et à l’espace. Si ce budget n’était pas approuvé par le congrès, les fonds proposés ne seraient pas disponibles pour quelque chose d’autre ; ils ne seraient simplement pas prélevés aux payeurs d’impôts, sauf si un des autres budgets avait obtenu l’accord pour une augmentation spécifique qui absorberait alors les fonds non dépensés pour l’espace. Vous réalisez après ce bref discours que l’aide aux enfants mourant de faim, ou plus exactement l’aide supplémentaire, en plus de ce que les États-Unis d’Amérique contribuent déjà à cette très noble cause sous la forme d’aide à l’étranger, peut être obtenue seulement si le département approprié soumet une demande de budget dans ce but, et si cette demande est ensuite approuvée par le Congrès.
Vous pourriez maintenant demander si je serais personnellement en faveur d’une telle décision venant du gouvernement. La réponse est un oui inconditionnel. Cela ne me dérangerait pas du tout si mes impôts annuels étaient augmentés d’un certain montant dans le but de nourrir des enfants mourant de faim, quel que soit l’endroit où ils vivent.
Je sais que beaucoup de mes amis pensent la même chose. Cependant, nous ne pourrions pas réaliser un tel programme en arrêtant simplement de faire des projets pour des voyages sur Mars. Au contraire, je crois même qu’en travaillant pour le programme spatial je peux faire des contributions au soulagement et à la résolution de graves problèmes tels que la pauvreté et la faim sur Terre. À la racine du problème de la faim sur Terre se trouvent deux processus : la production de nourriture et la distribution de nourriture. La production de nourriture par l’agriculture, l’élevage de bétail, la pêche en océan et d’autres opérations à grande échelle est efficace dans certaines parties du monde, mais extrêmement défaillante dans beaucoup d’autres. Par exemple, de grandes aires de terrain pourraient être bien mieux utilisées si des méthodes efficaces de contrôle de l’irrigation, d’utilisation de fertilisants, de prévisions météorologiques, de détermination de la fertilité, de programmation des plans d’action, de sélection de champs, d’habitude de semis, d’époque de culture, d’échantillonnage de production et de planification des récoltes étaient appliquées.
Le meilleur outil pour l’amélioration de toutes ces fonctions est, sans aucun doute, le satellite terrestre artificiel. En orbite autour du globe à une très haute altitude, il peut parcourir de grandes aires de terrain dans un temps très court ; il peut observer et mesurer une grande variété de facteurs indiquant l’état et la condition des cultures, du sol, des sécheresses, des précipitations, de la couverture de neige, etc., et peut communiquer cette information aux stations au sol pour un usage approprié. Il a été estimé que même un modeste réseau de satellites terrestres équipés de senseurs et travaillant pour un programme sur l’amélioration de l’agriculture dans le monde augmenterait les récoltes annuelles par un équivalent de plusieurs milliards de dollars.
La distribution de nourriture à ceux qui en ont besoin est un problème complètement différent. Le problème n’est pas tellement un problème de volume à manipuler, mais un problème de coopération internationale. Les dirigeants d’une petite nation peuvent se sentir très mal à l’aise devant la perspective d’avoir des grandes quantités de nourriture envoyées dans leur pays par une grande nation, simplement parce qu’ils ont peur qu’avec la nourriture sera également importée une influence et un pouvoir étranger. Une action efficace contre la faim, j’ai bien peur, ne sera pas possible avant que les frontières entre nations ne soient moins séparatrices qu’elles ne le sont aujourd’hui. Je ne crois pas que les vols dans l’espace accompliront ce miracle en 24 heures. Cependant, le programme spatial est certainement l’un des agents les plus prometteurs travaillant dans cette direction.
Laissez-moi simplement vous rappeler la récente tragédie évitée de justesse par Apollo 13. Au moment de la rentrée cruciale des astronautes dans l’atmosphère, l’Union Soviétique arrêta toutes ses transmissions radio dans la bande de fréquences utilisées par le projet Apollo afin d’éviter toute interférence, et les navires russes se stationnèrent dans le Pacifique et l’Atlantique au cas où un sauvetage d’urgence serait nécessaire. Si la capsule des astronautes avait atterri près d’un navire russe, les Russes auraient sans aucun doute consacré autant de soins et d’efforts dans leur sauvetage que si des cosmonautes russes étaient rentrés d’un voyage dans l’espace. Si des voyageurs russes devaient jamais se trouver dans une situation d’urgence similaire, les Américains feraient sans aucun doute la même chose.
Une production de nourriture plus importante par évaluation et mesures depuis l’espace, ainsi qu’une meilleure distribution de la nourriture par des relations internationales améliorées, sont seulement deux exemples de la façon dont le programme spatial pourrait avoir une influence sur la vie sur terre. J’aimerais citer deux autres exemples : la stimulation du développement technologique, et la génération de savoir scientifique.
La nécessité d’une grande précision et d’une confiance absolue dans les composants d’un vaisseau spatial sont sans précédent dans l’histoire de l’ingénierie. Le développement de systèmes obéissant à ce cahier des charges nous a fourni une opportunité unique pour trouver de nouveaux matériaux et de nouvelles méthodes, pour inventer de meilleures techniques, améliorer les procédures de construction, augmenter le temps de vie des instruments, et même pour découvrir de nouvelles lois de la nature.
Toute cette connaissance technique nouvellement acquise est également disponible pour des applications dans des technologies terrestres. Chaque année, environ un millier d’innovations techniques générées par le programme spatial sont recyclées dans nos technologies terrestres où elles améliorent l’électroménager de cuisine et l’équipement agricole, les machines à coudre et les radios, les bateaux et les avions, les prévisions météorologique et la détection des ouragans, les communications, les instruments médicaux, les ustensiles et outils de la vie de tous les jours. Il est possible que vous vous demandiez pourquoi nous devons en premier développer un système de survie pour astronautes voyageant sur la lune avant de pouvoir construire des senseurs pour des patients atteints de maladies du coeur.
La réponse est simple : des progrès significatifs dans la résolution de problèmes techniques sont souvent faits non pas par une approche directe, mais en se fixant en premier lieu un objectif très ambitieux offrant une forte motivation pour un travail innovateur, excitant les imaginations et encourageant les hommes à donner le meilleur d’eux-mêmes, agissant comme un catalyseur permettant des réactions en chaîne.
Le vol dans l’espace joue sans aucun doute ce rôle. Le voyage sur Mars ne sera certainement pas une source directe de nourriture pour les personnes mourant de faim. Cependant, il apportera tellement de nouvelles technologies et de possibilités que les retombées de ce projet seul dépasseront de plusieurs fois le coût de son implémentation.
En plus du besoin pour de nouvelles technologies, il existe un besoin continuel important pour de nouvelles connaissances scientifiques basiques si nous souhaitons améliorer les conditions de la vie humaine sur Terre.
Nous avons besoin de plus de connaissances en physique et en chimie, en biologie et en physiologie, et particulièrement en médecine, pour apporter des solutions à ces problèmes qui menacent la vie de l’humain : la faim, les maladies, la contamination de la nourriture et de l’eau, la pollution de l’environnement.
Nous avons besoin de plus de jeunes hommes et jeunes femmes qui choisissent la science comme carrière et nous avons besoin d’un meilleur soutien à ces scientifiques qui ont le talent et la détermination pour s’engager dans un travail de recherche fructueux. Des objectifs de recherche excitants doivent être disponibles et un soutien suffisant à ces projets de recherche doit être proposé. À nouveau, le programme spatial, avec ses formidables opportunités pour l’étude extraordinaire de la lune et des planètes, de la physique et de l’astronomie, de la biologie et de la médecine, est un catalyseur presque parfait induisant la réaction entre motivation pour le travail scientifique, opportunités d’observer des phénomènes incroyables dans la nature, et soutien matériel nécessaire pour mener cet effort de recherche.
Parmi toutes les activités dirigées, contrôlées, et financées par le gouvernement américain, le programme spatial est certainement le plus visible et probablement l’activité la plus débattue, bien qu’elle ne consomme qu’ 1,6 % du budget total national, et trois pour 1000 (moins qu’un tiers de 1 %) du produit national brut. Comme stimulant et catalyseur du développement de nouvelles technologies, et de la recherche en sciences, il n’a pas son pareil. Pour ces raisons, nous pouvons même dire que le programme spatial remplit aujourd’hui une fonction qui au cours des trois ou quatre derniers milliers d’années a été le triste apanage de la guerre.
Combien de souffrances humaines pourraient être évitées si les nations, au lieu de se battre avec des flottes de bombardiers et de fusées, se battaient avec leurs vaisseaux spatiaux voyageant vers la lune ! Cette compétition est pleine de promesses de brillantes victoires, et ne permet pas le goût amer de la défaite pour le vaincu, qui ne rêve de rien d’autre que de revanche et de nouvelles guerres.
Bien que notre programme spatial semble nous mener toujours plus loin de la terre et toujours plus près de la lune, du soleil, des planètes et des étoiles, je crois qu’aucun de ces objets célestes ne recevra autant d’étude et d’attention par les scientifiques que notre Terre. Elle deviendra une Terre meilleure, pas seulement grâce à toutes les nouvelles connaissances scientifiques et technologiques que nous apporterons à l’amélioration de la vie, mais également parce que nous développons une reconnaissance beaucoup plus poussée de notre Terre, de la Vie, et de l’humain.
La photographie que je joins à cette lettre montre une vue de notre Terre comme elle est apparue depuis Apollo 8, en orbite autour de la lune au Noël 1968. De tous les résultats formidables du programme spatial obtenus jusqu’à présent, cette photo pourrait être le plus important. Elle ouvrit nos yeux sur le fait que la Terre est une île magnifique et la plus précieuse qu’on ait, dans un vide illimité, et qu’il n’existe pas d’autres lieux à habiter pour nous que la fine surface de notre planète, bordée par le néant austère de l’espace. Jamais auparavant autant de gens n’avaient remarqué à quel point notre Terre était réellement limitée, et à quel point il serait périlleux de jouer avec sa balance écologique. Depuis que cette photographie a été publiée pour la première fois, des voix se sont élevées contre les graves problèmes auxquels est confronté l’humain de notre temps : la pollution, la faim, la pauvreté, la vie urbaine, la production de nourriture, le contrôle de l’eau, la surpopulation. Ce n’est probablement pas une coïncidence si nous commençons à voir les enjeux énormes qui nous attendent à la même époque où l’Age de l’espace nous a donné le premier vrai regard sur notre planète.
Bien heureusement cependant, l’Age de l’espace ne nous donne pas seulement un miroir dans lequel nous pouvons nous regarder, il nous procure également les technologies, les challenges, la motivation, et même l’optimisme pour s’attaquer à ces enjeux avec confiance. Ce que nous apprenons par notre programme spatial, je crois, est bien résumé par ce qu’Albert Schweitzer avait à l’esprit quand il disait : « Je regarde le futur avec préoccupation, mais avec bon espoir. »
Tous mes voeux seront toujours avec vous, et avec vos enfants.
Très sincèrement,
Ernst Stuhlinger.
Associate Director for Science.«
La réponse supposée de la soeur :
« Merci. A partir de maintenant, je suis fermement convaincue de la valeur réelle du programme spatial. »
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