Et si la dépression était un petit peu plus qu’une maladie ? Troisième partie de ma série sur la psychiatrie évolutionnaire
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Sommaire
1. La dépression
La dépression, c’est le trouble mental typique que l’on prend pour une maladie. De la même façon que pendant toute mon enfance, j’ai cru que la fièvre et la toux étaient des maladies à combattre, pendant une grosse partie de ma vie d’adulte, j’ai cru que la dépression était une chose à combattre, quelque chose de néfaste. Et c’est dans un sens tout à fait normal, puisque toutes les manifestations de la dépression, comme la perte d’énergie, la faible estime de soi, le pessimisme, la rumination, ce sont des choses qu’on pourrait qualifier de, au minimum peu agréables à vivre, voire carrément douloureuses. Mais on a déjà vu dans les vidéos précédentes que que ce n’est pas parce que quelque chose entraîne de la douleur que c’est forcément une maladie. La douleur est avant tout, dans une perspective évolutionnaire, le moyen qu’a notre corps de nous informer qu’on se trouve dans une situation potentiellement préjudiciable pour nos chances de survie ou de reproduction.
Et donc, même si la dépression est douloureuse, on est en droit de se demander si elle ne pourrait pas être un produit de la sélection naturelle. Et pour essayer d’appuyer cette hypothèse, qu’est-ce qu’on fait, on fait de la rétro-ingéniérie, on fait ce que les biologistes appellent une analyse de correspondance design-fonction, c’est-à-dire qu’on regarde à quel point les caractéristiques de la dépression semblent toutes être taillées pour la réalisation d’une certaine fonction. Et on peut faire ça par exemple en analysant les situations dans lesquelles la dépression apparaît, en étudiant les personnes chez qui elle a plus tendance à apparaître, et en analysant les comportements qu’elle nous pousse à adopter.
Alors, revenons à notre analyse de correspondance design/fonction. Déjà, évidemment, on ne tombe pas en dépression de façon aléatoire. Les dépressions surviennent la plupart du temps après un événement douloureux, que ce soit un divorce, la perte d’un proche, un échec professionnel, etc. Les dépressions surviennent généralement après des événements pas faciles à vivre. C’est peut-être trivial, mais c’est une trivialité importante pour le biologiste de l’évolution, parce que si la dépression était due à un virus par exemple, ou à des mutations aléatoires de l’ADN, on n’observerait pas ce motif. On tomberait en dépression comme on attrape un rhume, du jour au lendemain, et sans réels signes avant-coureurs.
Deuxièmement, pour le biologiste de l’évolution, tous ces événements douloureux, ces événements pas faciles à vivre peuvent être redécrits à un plus bas niveau comme des événements qui diminuent les chances de survie ou de reproduction. Par exemple, se faire abandonner par son ou sa partenaire a évidemment un impact direct sur les chances de reproduction – et même si vous ne voulez pas d’enfants, ça n’a rien à voir. C’est pas parce que vous ne voulez pas d’enfants que votre cerveau ne contient pas quand même des logiciels qui vont vous faire déprimer quand vous vous faites larguer comme une chaussette. Je vous renvoie à ma toute petite série de vidéos de 10h sur la psycho évo pour bien comprendre ça, et je vous renvoie en particulier à deux concepts importants, la distinction entre explications proximales et explications ultimes, et le concept d’exécution d’adaptations.
Autre cause courante de dépression, la perte d’un proche. La perte d’un enfant est évidemment une perte directe de chances de propager ses gènes, et c’est peut-être pour ça que c’est la disparition la plus douloureuse de toutes. Mais perdre un père ou une mère, un frère ou une soeur est également mauvais pour ce que les biologistes appellent la fitness, c’est-à-dire grosso modo les chances de reproduction de nos gènes, étant donné qu’on partage beaucoup de gènes avec la famille et qu’on s’apporte beaucoup de soutien en famille.
Autre cause de dépression, les échecs professionnels, les licenciements, tout ce qui a rapport au boulot, ce à quoi on dédie la majorité de notre temps. Ces échecs professionnels sont eux directement liés à une perte de statut social. Or le statut social est hyper important dans une espèce comme la nôtre. En fait il est très important dans de nombreuses espèces, on sait qu’il peut profondément transformer les êtres vivants, que ce soit physiquement ou psychologiquement. Les lézards arc-en-ciel par exemple peuvent perdre leurs magnifiques couleurs quand ils perdent leur territoire, qui est équivalent à une perte de statut11. MacLean, P. D.. Brain Evolution Relating to Family, Play, and the Separation Call. Archives of General Psychiatry (1985). Chez le singe talapoin, c’est le cycle menstruel des femelles qui change quand elles tombent dans la hiérarchie, leur cycle se décale par rapport à celui des dominantes22. Bowman, Lesley A. et al. Suppression of Oestrogen-Induced LH Surges by Social Subordination in Talapoin Monkeys. Nature (1978). Bref, la perte de statut entraîne de profonds changements chez plein d’animaux, aucune raison qu’il n’en soit pas de même pour l’humain, et la dépression pourrait être une de ces manifestations.
Donc ça c’est le premier point à remarquer, le fait que la dépression ne survient pas de façon aléatoire mais semble quasiment toujours suivre des événements qui diminuent les chances de survie ou de reproduction, que ce soit de façon directe ou indirecte.
Ensuite, regardons de plus près ce que la dépression nous pousse à faire. Premier symptôme, le manque d’énergie, l’envie de rien faire, si ce n’est de rester prostré toute la journée au fond de son lit. Ce qui est, à première vue, quelque chose de pas vraiment utile. Sauf si… ce que vous faisiez jusqu’ici en-dehors du lit diminuait vos chances de reproduction. Imaginez que vous travaillez pendant des années pour obtenir une promotion dans votre boite, mais que quelqu’un d’autre vous passe devant au tout dernier moment. Ou imaginez bosser 70h par semaine pour monter votre boîte, ou votre chaîne Youtube, c’est dur, ça ne marche pas trop, mais vous insistez, on vous a appris à ne jamais abandonner, tomber deux fois, se relever trois, etc. Mais ça marche toujours pas et vous finissez par faire un burnout et une dépression. La dépression permettrait, dans ce cas, d’arrêter les frais en quelque sorte, d’arrêter d’engager toute votre énergie et vos ressources dans des activités qui n’en valent pas la peine33. Nesse, R. M.. Is Depression an Adaptation?. Archives of General Psychiatry (2000). Vu sous cet angle, la dépression et la perte d’énergie qui en découle seraient un artifice pour vous forcer à vous détacher des quêtes futiles. Et donc quelque chose d’au final utile d’un point de vue évolutionnaire.
C’est un raisonnement qui peut même être généralisé aux changements d’humeur. Vous êtes-vous déjà demandé quelles situations vous mettent de mauvaise humeur ? Très souvent, il s’agit de situations dans lesquelles vous avez fourni un effort qui n’a pas été récompensé. Par exemple, vous avez reçu un email indiquant que vous n’êtes pas retenu pour un poste. Ou vous organisez un événement en plein air depuis des mois et vous apprenez deux jours avant qu’il va pleuvoir toute la journée. Ou votre fille vous annonce qu’elle va se marier avec un géologue. Que des mauvaises nouvelles. Hé bien la mauvaise humeur serait un premier coup de semonce si vous voulez de votre psychologie pour vous informer que vous avez été engagé dans une activité avec un très faible, trop faible, retour sur investissement. Et si cet engagement se prolonge pendant des mois, là on tombe sur la dépression, avec ses effets profonds sur l’humeur, l’énergie, la confiance en soi44. Carver, Charles S. & Scheier, Michael F.. Origins and Functions of Positive and Negative Affect: A Control-Process View. Psychological Review (1990), 55. Wrosch, Carsten et al. Adaptive Self-Regulation of Unattainable Goals: Goal Disengagement, Goal Reengagement, and Subjective Well-Being. Personality & Social Psychology Bulletin (2003).
woman in wedding dress marrying a man dressed as a cliché geologist, wearing a hard hat and holding a rock hammer and with sausage and bottle of wine hanging on his jacket
Et de façon réciproque, la bonne humeur serait exprimée dans des situations où de gros gains de survie ou de reproduction sont à portée de main. Vous avez dû remarquer que quand on est de bonne humeur, souvent on pête l’énergie, on a envie de refaire le monde, on est prêts à sortir et rencontrer plein de gens nouveaux. Que des comportements bénéfiques dans un environnement où de gros retours sur investissement sont possibles. C’est ce qu’on appelle l’hypothèse de la « navigation sociale »66. Watson, Paul J. & Andrews, Paul W.. Toward a Revised Evolutionary Adaptationist Analysis of Depression: The Social Navigation Hypothesis. Journal of Affective Disorders (2002). L’humeur serait un artifice créé par la sélection naturelle pour nous aider à choisir dans quelles activités investir du temps et de l’énergie.
Autre symptôme de la dépression : la rumination et les pensées obsessionnelles. Une fois de plus, c’est un symptôme souvent vu comme négatif, à éliminer. Mais en fait, pas forcément, parce que ruminer permet aussi d’analyser des problèmes complexes, et en particulier les problèmes qui nous ont conduit à tomber en dépression. Si vous vous obstinez à bosser 70h par semaine pour lancer votre activité sans vous rendre compte que ça ne marchera jamais, mais ça j’aurais pu vous le dire dès le début, parce que faire des vidéos sur le comportement humain c’est pas l’idée de business du siècle, hé bien peut-être que ruminer votre échec pendant des jours va finir par vous faire prendre conscience du problème.
Et ce n’est peut-être donc pas un hasard si les médecins ont souvent du mal à sortir leurs patients de ces boucles de pensée, de ces ruminations. Peut-être que la dépression est précisément faite pour promouvoir cette rumination et éviter d’être distrait sans arrêt par d’autres pensées peu pertinentes pour résoudre la situation difficile à laquelle on est confronté77. Andrews, Paul W. & Thomson, J. Anderson. The Bright Side of Being Blue: Depression as an Adaptation for Analyzing Complex Problems. Psychological review (2009).
Juste avant on a vu qu’une dépression se déclenche souvent après une perte de statut social. Certains auteurs ont donc proposé qu’une autre fonction évolutionnaire de la dépression serait d’arriver à accepter ce nouveau statut, et d’adopter les comportements adaptés. Imaginez être un primate dominant, un peu comme moi, un mâle alpha hyper aggressif qui se bat avec tout le monde pour défendre son territoire, ses femelles, etc. Ces comportements sont adaptatifs en étant mâle dominant mais cessent de l’être le jour où un petit jeune vient vous mettre une rouste et vous faire dégringoler dans la hiérarchie. À partir de ce moment-là, si vous continuez à vous battre avec tout le monde, vous avez plus de chances de vous blesser qu’autre chose. Ça devient donc adaptatif de diminuer le niveau d’agressivité et de rester un peu plus dans son coin. Exactement le genre de comportements que la dépression nous fait adopter88. Price, J. et al. The Social Competition Hypothesis of Depression. The British Journal of Psychiatry: The Journal of Mental Science (1994), 99. Gilbert, Paul. Depression: The Evolution of Powerlessness. (2016). Vous vous êtes battus avec un collègue pendant des mois pour obtenir une promotion, vous avez perdu, peut-être que la meilleure chose à faire dans ce cas est de se mettre en retrait pendant quelques temps.
Enfin, la dépression pourrait aussi avoir une fonction de signal, une fonction communicative. Ça pourrait être un espèce d’SOS qu’on envoie à notre entourage, pour lui indiquer qu’on traverse une période difficile et qu’on a besoin d’aide. Alors évidemment on pourrait aussi ouvrir la bouche pour communiquer verbalement. Mais le problème avec cette communication verbale, c’est qu’on peut très facilement la falsifier, c’est-à-dire la rendre non honnête, tout simplement parce que ça ne coûte rien d’ouvrir la bouche. [chanson paroles] En clair, certaines personnes pourraient demander de l’aide alors qu’elles n’en ont pas vraiment besoin, et les personnes qui accepteraient d’apporter cette aide se feraient pigeonner, en terme de biologiste, elles se feraient contre-sélectionner. Donc d’un point de vue évolutionnaire un signal honnête, difficilement falsifiable, serait très utile, et la dépression serait exactement ça. Un appel à l’aide suffisamment coûteux, à cause de ses symptômes, pour qu’on soit certain qu’il est sincère.
Alors attention, une fois de plus, ne confondez pas les explications proximales et les explications ultimes. Je ne suis pas en train de dire qu’on entre en dépression consciemment afin d’extorquer de l’aide à son entourage. Je suis en train de dire que comme la dépression a des symptômes coûteux, d’un point de vue évolutionnaire elle constitue un signal auquel il est beaucoup plus sûr de faire confiance quand on doit choisir à qui apporter de l’aide1010. Levi, Lennart et al. Emotions, Their Parameters and Measurement. (1975).
En parlant d’apporter de l’aide, merci à toutes les personnes qui m’aident à faire ces vidéos, que ce soit en partageant, en likant, en commentant, ou en soutenant financièrement la chaîne sur mon site, tipeee, patreon ou kisskissbankbank. N’hésitez pas à les rejoindre !
Comme vous le voyez, il existe pas mal d’explications évolutionnaires de la dépression. Ça traduit deux choses : d’abord le fait que ces idées sont relativement nouvelles, pas plus d’une trentaine d’années, et par conséquent l’élagage scientifique n’a pas encore eu le temps de se faire. Mais ça traduit aussi le fait que la dépression est un phénomène complexe et probablement pas homogène, qu’il existe probablement plusieurs types de dépressions, chacune déclenchée par des événements distincts nous faisant adopter des comportements différents. Exactement comme il existe différents types de peurs nous faisant chacune adopter des comportements différents.
Je reprécise que la potentielle utilité évolutionnaire de la dépression ne veut pas dire qu’il ne faut pas lutter contre ou chercher à la soigner. Il peut y avoir plein de raisons pour lesquelles elle est trop intense inutilement, je vous renvoie notamment à la vidéo précédente et au principe du détecteur de fumée (). Mais que ce soit en analysant les moments de la vie où elle se déclenche ou les comportements qu’elle nous fait adopter, la dépression montre des traces de ce que les anglosaxons appellent du design, un design qui doit nous faire suspecter l’action de la sélection naturelle.
2. Les addictions
Passons aux addictions. En biologie de l’évolution, les addictions ne sont généralement pas vues comme des comportements utiles sélectionnés au cours de l’évolution. Elles sont plus généralement considérées comme le détournement d’un système cérébral ayant évolué pour d’autres raisons. Par exemple, beaucoup de drogues fonctionnent en s’attaquant à un système dans le cerveau qu’on appelle le circuit de la récompense. Or ce circuit n’a pas à la base été sélectionné pour sa capacité à nous faire aimer les drogues mais parce qu’il nous permet d’apprendre des choses, tout simplement. C’est un circuit impliqué dans beaucoup de mécanismes d’apprentissage. Et il se trouve qu’au niveau biologique, ce circuit repose sur des molécules qui se fixent sur des récepteurs, et il se trouve que dans la nature, d’autres molécules sont capables de se fixer sur ces mêmes récepteurs, sans même que l’on soit en train d’apprendre quelque chose, mais tout en nous faisant ressentir le même plaisir.
Vous ajoutez à ça la particularité que ces récepteurs deviennent moins sensibles dans le temps et qu’il faut toujours augmenter les doses, et paf, vous avez les addictions. Les addictions ne seraient pas un produit direct de la sélection naturelle, elles seraient juste dues au fait que certaines molécules dans la nature ont par hasard des propriétés qui leur permettent de pirater des systèmes cérébraux qui eux ont évolués par la sélection naturelle, mais pas pour répondre à ces molécules dans la nature. Les addictions n’ont donc pas d’utilité évolutionnaire, et il est possible qu’elles réduisent même la plupart du temps les chances de survie, mais elles n’ont pas été éliminées par la sélection naturelle parce qu’elles sont la conséquence de molécules rencontrées par l’humain dans son environnement depuis relativement peu longtemps à l’échelle des temps évolutifs.
On peut prendre une petite métaphore pour bien comprendre ça, imaginez que vous ayez créé un robot avec des panneaux solaires sur le dos pour qu’il se recharge tout seul au soleil. Si maintenant vous mettez votre robot dans un hangar et que vous braquez des projecteurs dix fois plus puissants que la lumière du soleil sur lui, il va se recharger encore plus vite, mais sans pour autant qu’il ait été construit à la base dans le but de fonctionner avec la lumière de projecteurs. C’est un peu la même chose avec les addictions. Les drogues activent les systèmes de récompense dans notre cerveau tout comme les projecteurs activent les panneaux solaires du robot, sans pour autant que les systèmes de récompense aient été créés pour réagir aux drogues ou que les panneaux solaires aient été créés pour réagir aux projecteurs.
Ça c’est l’explication évolutionnaire principale des addictions à l’heure actuelle, mais ce n’est pas non plus la seule. Certains chercheurs pensent, ou en tout cas étudient l’hypothèse, que les addictions pourraient être en partie adaptatives1111. Hagen, Edward H. & Tushingham, Shannon. The Prehistory of Psychoactive Drug Use. (2019). Qu’elles pourraient avoir une utilité, et que la sélection naturelle pourrait avoir façonné certains de nos systèmes cérébraux pour qu’ils soient particulièrement sensibles à ces molécules dans notre environnement. Pourquoi ils pensent ça ? Bah évidemment à cause des effets bénéfiques à court terme des drogues.
J’imagine que je n’ai pas besoin de vous rappeler les effets bénéfiques de la consommation de café par exemple, en terme de boost d’énergie ou de concentration. L’alcool est une autre drogue qui possède des effets bénéfiques, la raison principale pour laquelle on en consomme c’est qu’il désinhibe, qu’il sert de lubrifiant social1212. Dunbar, Robin I. M.. The Social Function of Alcohol from an Evolutionary Perspective. (2022). Ya même des chercheurs qui suggèrent que l’alcool a permis l’avènement des grandes civilisations humaines en renforçant le lien social1313. Slingerland, Edward. Drunk: How We Sipped, Danced, and Stumbled Our Way to Civilization. (2021). Et de façon générale, toutes les drogues, qu’elles soient légales ou pas, dures ou douces, possèdent certains effets bénéfiques à court terme, en termes d’énergie, ou au contraire de relaxation, et c’est bien pour ça que les humains en consomment. Et donc, en théorie, si les effets bénéfiques à court terme de ces drogues dépassent les effets négatifs à plus long terme, il devient possible, en théorie, que la sélection naturelle commence à s’en mêler, et que des mécanismes cérébraux faisant rechercher la consommation de ces molécules commencent à être sélectionnés.
Dans ce cadre là, une question importante c’est, depuis combien de temps les humains ont été exposés à des drogues ? Les drogues de synthèse sont évidemment relativement récentes, ce qui laisse penser qu’il n’y n’aurait pas eu assez de temps pour que des mécanismes cérébraux dédiés évoluent en réponse, mais pour certaines drogues come le tabac, l’alcool et la caféine, ça ferait bien au moins 5000 ans que les humains en consomment. Pour la coca et les opiacés, au moins 2000 ans… Des durées avec lesquelles la sélection naturelle peut commencer à travailler, si les effets bénéfiques des drogues sont suffisamment importants.
Dernier effet bénéfique des drogues que je trouve intéressant à partager avec vous, l’effet vermifuge. A priori, les fumeurs ne font pas leur pause clope pour se désinfecter les boyaux, mais c’est pourtant un des effets de la nicotine1414. Roulette, Casey J. et al. Tobacco Use vs. Helminths in Congo Basin Hunter-Gatherers: Self-Medication in Humans?. Evolution and Human Behavior (2014). En fait, l’effet vermifuge est même la raison d’être de nombreuses molécules qu’on consomme en tant que drogues. Est-ce que vous vous êtes déjà demandé pourquoi il existe dans la nature des molécules, comme la nicotine ou la caféine, qui sont hautement toxiques pour les animaux, ou capables de déglinguer leurs systèmes nerveux ? J’entends déjà les fans de Gould et Lewontin dire « c’est le hasard, arrête avec tes just-so stories ». Sauf que, les neurobiologistes savent bien que pour qu’une molécule puisse activer un récepteur dans notre cerveau, il lui faut une configuration 3D très particulière, et par conséquent très peu probable d’avoir été obtenue par hasard. On a besoin de la sélection naturelle pour expliquer l’existence d’improbabilité, pour expliquer pourquoi certaines plantes produisent des molécules qui bousillent les systèmes nerveux des animaux. Et l’explication la plus communément admise, c’est que beaucoup de drogues sont, à l’état naturel, des molécules qui servent aux plantes à repousser les parasites ou les herbivores. Si la consommation d’un verre de café vous excite, la consommation d’un seul grain de café est suffisante pour tuer une souris.
Tout ça pour dire qu’un des effets bénéfiques possible des drogues, outre les effets énergétiques ou relaxants déjà mentionnés, ça serait un effet vermifuge.
En schématisant :
– les plantes se font boulotter par des parasites
-> la sélection naturelle conduit à des plantes qui produisent des molécules qui tuent ces parasites
-> la sélection naturelle conduit à la production de systèmes cérébraux qui poussent les humains à consommer ces plantes pour tuer leurs propres parasites
Ya un peu de données sur cette hypothèse, on a par exemple trouvé une corrélation négative entre la consommation de tabac et le nombre de vers intestinaux chez les Aka, des chasseurs-cueuilleurs d’Afrique1414. Roulette, Casey J. et al. Tobacco Use vs. Helminths in Congo Basin Hunter-Gatherers: Self-Medication in Humans?. Evolution and Human Behavior (2014), mais je ne vais pas m’étendre là-dessus, car on arrive à la fin de cette vidéo. Merci de m’avoir écouté, je pensais à la base ne faire que trois vidéos de psychiatrie évolutionnaire mais en fait j’ai encore des trucs à vous dire et je voudrais faire une conclusion qui tienne la route, donc on se retrouvera une dernière fois pour parler de troubles sexuels, de schizophrénie, d’autisme et d’un ou deux autres trucs que j’ai pas encore décidé. Merci de votre confiance, et à la prochaine !
Mes soutiens
Références
- 1. MacLean, P. D.. Brain Evolution Relating to Family, Play, and the Separation Call. Archives of General Psychiatry (1985). https://doi.org/10.1001/archpsyc.1985.01790270095011 ↩
- 2. Bowman, Lesley A. et al. Suppression of Oestrogen-Induced LH Surges by Social Subordination in Talapoin Monkeys. Nature (1978). https://doi.org/10.1038/275056a0 ↩
- 3. Nesse, R. M.. Is Depression an Adaptation?. Archives of General Psychiatry (2000). https://doi.org/10.1001/archpsyc.57.1.14 ↩
- 4. Carver, Charles S. & Scheier, Michael F.. Origins and Functions of Positive and Negative Affect: A Control-Process View. Psychological Review (1990). https://doi.org/10.1037/0033-295X.97.1.19 ↩
- 5. Wrosch, Carsten et al. Adaptive Self-Regulation of Unattainable Goals: Goal Disengagement, Goal Reengagement, and Subjective Well-Being. Personality & Social Psychology Bulletin (2003). https://doi.org/10.1177/0146167203256921 ↩
- 6. Watson, Paul J. & Andrews, Paul W.. Toward a Revised Evolutionary Adaptationist Analysis of Depression: The Social Navigation Hypothesis. Journal of Affective Disorders (2002). https://doi.org/10.1016/s0165-0327(01)00459-1 ↩
- 7. Andrews, Paul W. & Thomson, J. Anderson. The Bright Side of Being Blue: Depression as an Adaptation for Analyzing Complex Problems. Psychological review (2009). https://doi.org/10.1037/a0016242 ↩
- 8. Price, J. et al. The Social Competition Hypothesis of Depression. The British Journal of Psychiatry: The Journal of Mental Science (1994). https://doi.org/10.1192/bjp.164.3.309 ↩
- 9. Gilbert, Paul. Depression: The Evolution of Powerlessness. (2016). ↩
- 10. Levi, Lennart et al. Emotions, Their Parameters and Measurement. (1975). ↩
- 11. Hagen, Edward H. & Tushingham, Shannon. The Prehistory of Psychoactive Drug Use. (2019). ↩
- 12. Dunbar, Robin I. M.. The Social Function of Alcohol from an Evolutionary Perspective. (2022). https://doi.org/10.1017/9781009030564.015 ↩
- 13. Slingerland, Edward. Drunk: How We Sipped, Danced, and Stumbled Our Way to Civilization. (2021). ↩
- 14. Roulette, Casey J. et al. Tobacco Use vs. Helminths in Congo Basin Hunter-Gatherers: Self-Medication in Humans?. Evolution and Human Behavior (2014). https://doi.org/10.1016/j.evolhumbehav.2014.05.005 ↩
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