Pourquoi les psychopathes existent ? – Psychiatrie évolutionnaire 4/4

Qui sont les psychopathes ? Pourquoi ce trouble mental avec ses caractéristiques si marquées ? Dernier épisode de ma série sur la psychiatrie évolutionnaire !

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ou lire tranquillement la version texte (simple transcription de la vidéo) :

Sommaire

Dernier épisode de ma série consacrée à la psychiatrie évolutionnaire, dans laquelle on se demande si certains troubles mentaux ne pourraient pas être en fait des produits de la sélection naturelle. Aujourd’hui, on parle psychopathie, troubles sexuels, schizophrénie, autisme et troubles bipolaires.

1. Schizophrénie, autisme et troubles bipolaires

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Comme beaucoup d’autres troubles mentaux, la schizophrénie, l’autisme et les troubles bipolaires peuvent être intrigants à première vue pour un biologiste de l’évolution. Pourquoi ? Parce que malgré leurs origines génétiques et leurs effets souvent handicapants, leur prévalence reste relativement stable dans le temps. Par exemple, pour la schizophrénie, c’est un pourcent de la population qui est concernée, et ce taux ne semble pas varier beaucoup en fonction des lieux ou des époques11. Jablensky, A. et al. Schizophrenia: Manifestations, Incidence and Course in Different Cultures. A World Health Organization Ten-Country Study. Psychological Medicine. Monograph Supplement (1992).

Du coup, la question, c’est toujours la même : pourquoi ces troubles perdurent ? Pourquoi la sélection naturelle ne les a pas déjà éliminés depuis longtemps ?

Cette question a tenu en haleine des biologistes pendant un petit moment, mais on pense finalement y avoir trouvé la réponse. Qui est beaucoup plus simple en fait qu’on ne le pensait. Parce qu’on s’est rendu compte que ces troubles ne sont pas contrôlés par un ou quelques gènes mais par des centaines voire des milliers22. Smoller, Jordan W. et al. Psychiatric Genetics and the Structure of Psychopathology. Molecular Psychiatry (2019). Des centaines ou des milliers de gènes qui ont chacun un tout petit effet – certains allèles peuvent parfois avoir un effet important, mais la plupart du temps, la possession d’un allèle n’augmente que très légèrement la probabilité de développer un trouble33. Gratten, Jacob et al. Large-Scale Genomics Unveils the Genetic Architecture of Psychiatric Disorders. Nature Neuroscience (2014), 44. Singh, Tarjinder et al. Rare Coding Variants in Ten Genes Confer Substantial Risk for Schizophrenia. Nature (2022).

Et ça c’est une découverte importante de la science de ces dernières années, parce que si le nombre d’allèles impliqués dans un trouble est grand, ça veut forcément dire que la sélection naturelle aura du mal à les éliminer tous en même temps. Le temps d’éliminer un allèle délétère, de nouvelles mutations seront apparues ailleurs. Et c’est encore plus vrai pour les allèles qui n’ont que de petits effets, la sélection naturelle élimine moins vite les allèles qui ont de petits effets.

Schéma d’illustration du texte précédant.

Donc, en gros, l’explication évolutionnaire privilégiée à l’heure actuelle pour la schizophrénie, l’autisme, les troubles bipolaires et un certain nombre d’autres troubles, c’est qu’ils sont la conséquence d’une accumulation malheureuse de mutations. Ces troubles apparaîtraient chez des personnes qui ont en quelque sorte perdu des centaines voire des milliers de fois d’affilée au loto génétique, qui ont tiré les mauvais nucléotides aux mauvais endroits de leur ADN des centaines de fois – ya aussi de l’environnement qui rentre parfois en jeu, mais je laisse cette question de côté. D’un point de vue purement génétique, la plupart des humains n’accusent généralement que quelques tirages malchanceux, et dans ce cas aucun trouble ne se développe. Mais statistiquement il y aura toujours quelques humains qui cumuleront les mauvais tirages et finiront par se retrouver à un extrême de la courbe en cloche, à un extrême du spectre, et qui développeront des symptômes suffisamment importants.

C’est d’ailleurs bien pour ça qu’on parle souvent de spectre pour ces troubles, vous avez sûrement déjà entendu l’expression « spectre autistique » par exemple. On observe un spectre au niveau phénotypique, au niveau des comportements, mais également au niveau des allèles. Beaucoup de troubles mentaux ne sont pas du tout ou rien, on l’a ou on l’a pas, comme un interrupteur qui basculerait en position on ou off. On peut même dire que nous sommes tous dans une certaine mesure autistes ou schizophrènes, que nous avons tous un certain degré d’autisme, de schizophrénie, et même de psychopathie. Mais seuls les plus malchanceux d’entre nous, ceux qui ont le plus perdu à la loterie génétique, et parfois aussi à la loterie environnementale, développeront un trouble suffisamment visible pour entrer dans les catégories des médecins.

Voilà, donc la schizophrénie, l’autisme ou les troubles bipolaires sont un excellent rappel de ce que je vous disais dans la première vidéo de cette série (), que c’est pas parce qu’on essaie d’analyser les troubles mentaux à la lumière de la théorie de l’évolution qu’il faut voir de la sélection naturelle partout. Pour les troubles qui ne présentent pas de design évident, l’explication la plus probable est celle qui ne fait pas appel à la sélection naturelle, mais à des mutations qui frappent sans cesse les génomes qui produisent des adaptations, et à des environnements qui empêchent les adaptations de bien fonctionner.

Pour être tout à fait complet, je dois quand même vous dire que certains chercheurs étudient des hypothèses adaptatives. Par exemple, les capacités cognitives hors du commun de certains autistes de haut niveau pourraient constituer des bénéfices cachés, qui feraient rentrer la sélection naturelle par la fenêtre, mais je ne veux pas donner une importance démesurée à ces explications.

2. Troubles sexuels

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Passons aux troubles sexuels, sur lesquels je ne vais pas m’éterniser, même si ça vous aurait bien plu j’en suis sûr. Les troubles sexuels sont souvent considérés comme des troubles anatomiques, mais ils sont en réalité plus psychologiques qu’anatomiques, et la plupart des gens qui en souffrent vont d’ailleurs consulter un psy et pas un spécialiste de l’appareil reproducteur. Petite parenthèse, c’est d’ailleurs un bon exemple de pourquoi les gens qui pensent que la sélection naturelle s’applique au corps mais pas à l’esprit se trompent. Un corps fonctionnel sans esprit fonctionnel n’est rien. Un corps fonctionnel sans le logiciel associé pour le faire fonctionner ne peut rien faire, exactement comme un robot sophistiqué mais dans lequel vous n’auriez chargé aucun code pour le contrôler ne saura rien faire. Au cours de l’évolution, la sélection naturelle, en même tant qu’elle a façonné les corps, a donc forcément façonné en même temps les esprits, et c’est tout le but de cette magnifique discipline qu’est la psychologie évolutionnaire que d’étudier ce façonnement.

Parenthèse refermée, revenons aux troubles sexuels, et à notre traditionnelle question : pourquoi n’ont-ils pas déjà été éliminés par la sélection naturelle ? C’est d’autant plus surprenant qu’ils ne l’aient pas déjà été, vu à quel point la capacité de copuler correctement influe directement sur nos chances de reproduction. On pourrait s’attendre à ce que la sélection naturelle ait minutieusement scruté et optimisé tout ce qui a trait au sexe, et qu’elle ait éliminé depuis longtemps tout ce qui ressemble de près ou de loin à un dysfonctionnement sexuel. Sauf si bien sûr… les troubles sexuels n’en sont pas vraiment. Peut-être que, dans une perspective évolutionnaire, ce ne sont pas des dysfonctionnements.

Prenez l’éjaculation précoce par exemple, un motif de consultation courant chez les hommes, mais dont les femmes se plaignent aussi évidemment. Les hommes s’en plaignent, les femmes s’en plaignent, tout le monde s’en plaint. Mais réfléchissons-y deux secondes. Quand on dit qu’une éjaculation est précoce, sur quels critères se base-t-on ? Comment établit-on la durée « normale » d’un rapport ? La plupart du temps, on se base sur des critères psychologiques, et des critères de plaisir en particulier. Un rapport sexuel satisfaisant est un rapport sexuel qui apporte suffisamment de plaisir à toutes les parties impliquées. Mais rappelez-vous que la sélection naturelle ne cherche pas à maximiser notre plaisir, en tout cas, pas directement. Elle cherche avant tout à maximiser nos chances de survie et de reproduction, et le plaisir et la douleur ne sont que des artifices visant à nous mener vers cet objectif. Donc, mettez votre casquette de biologiste de l’évolution, et demandez-vous : d’un point de vue évolutif, à partir de quel moment on peut réellement considérer qu’une éjaculation est précoce ? Dit encore autrement, en-dessous de combien de secondes de rapport sexuel on peut considérer que celui-ci va conduire à une diminution de la probabilité de propager ses gènes ?

Je vous donne pas la réponse bien sûr, je vous laisse discuter de tout ça entre amis, vous verrez que c’est un très bon sujet de discussion pour animer vos fins de soirées. Et surtout, quand vous aurez fini de discuter d’éjaculation précoce, n’oubliez pas de discuter des troubles sexuels féminins, toujours dans une perspective évolutionnaire.

3. Psychopathie

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Et on va terminer avec la psychopathie, aussi parfois appelée sociopathie, enfin ya certains auteurs qui font une distinction entre les deux mais la distinction n’est pas toujours la même, donc moi je vais faire comme si c’était la même chose. La psychopathie touche à peu près 3 à 4% des hommes et 1% des femmes, la différence est intéressante, gardez ça dans un coin de votre tête on en reparlera. Quand on pense psychopathie, on pense souvent aux tueurs en série, mais les comportements psychopathes sont bien plus larges que ça. Certains chercheurs pensent même que la psychopathie pourrait être impliquée dans 50% de tous les crimes et délits commis aux États-Unis55. Hare, Robert D.. Without Conscience: The Disturbing World of the Psychopaths Among Us. (1999). Autrement dit, c’est possible qu’un très faible pourcentage de la population, à tendance psychopathe, commette un très grand pourcentage de délits.

Et même si ces actes sont néfastes pour la société, ça n’empêche pas que la psychopathie pourrait être quand même un produit de la sélection naturelle. Ça n’est pas paradoxal. Si vous trouvez ça paradoxal, c’est probablement que vous adhérez encore à cette vision répandue mais néanmoins fausse que la sélection naturelle vise à la survie de l’espèce. La théorie de l’évolution ne dit pas que les comportements qui se répandent sont ceux qui maximisent la survie de l’espèce. Elle dit que les comportements qui se répandent sont ceux qui maximisent la survie de l’individu, et même en réalité plus que ça, la survie des gènes qui codent pour ces comportements66. Dawkins, Richard. The Selfish Gene. (1976).

Schéma d’illustration du texte précédant.

Et c’est pour ça que la sélection naturelle a pu sélectionner des comportements psychopathes, parce que même s’ils sont coûteux pour la société, ils sont souvent bénéfiques pour l’individu. Les vols, les viols et les meurtres sont évidemment souvent des sources de bénéfices, c’est bien pour ça qu’ils sont commis, mais même sans parler de comportement pénalement répréhensibles, les traits associés à la psychopathie, comme la manipulation ou l’impulsivité, sont des traits qui servent les intérêts personnels. Vous avez peut-être déjà croisé, au boulot par exemple, des personnes ultra manipulatrices et compétitives, qui sont des horreurs comme collègues, et qui seraient peut-être diagnostiquées psychopathes si elles allaient consulter. Bien que ces personnes ne feront probablement jamais de séjour en prison, tous leurs comportements auront quand même été des comportements servant leurs intérêts personnels, comme vous pouvez en témoigner.

Dans ce contexte, la psychopathie est vue par certains biologistes comme une stratégie visant à prospérer dans un environnement coopératif en abusant de la confiance des autres, en les manipulant et en les trompant77. Mealey, Linda. The Sociobiology of Sociopathy: An Integrated Evolutionary Model. Behavioral and Brain Sciences (1995). Pour ceux qui ont fait un peu d’écologie, on peut reformuler ça en disant que dans un monde où la coopération est omniprésente, comme nos sociétés humaines, il existe une niche écologique à occuper, qui consiste à prendre les bénéfices de la coopération sans en payer les coûts, en manipulant les autres. Comme d’habitude, je ne suis pas en train de dire que les psychopathes font ça consciemment, qu’ils se lèvent le matin en se disant « tiens, comment je vais pouvoir entuber la société aujourd’hui », je dis simplement que la sélection naturelle, par son exploration aveugle et aléatoire de l’espace des comportements possibles depuis des centaines de milliers d’années, a pu conduire à l’évolution de comportements de tricheurs, de manipulateurs, d’exploiteurs. Comportements que les médecins d’aujourd’hui appellent des comportements de psychopathes. Si vous savez coder, vous pouvez coder une petite simulation de l’évolution, créer un environnement de coopération et vous verrez que dans cet environnement des stratégies d’exploitation peuvent prospérer.

Avec une petite subtilité tout de même, c’est que la psychopathie ne serait bénéfique que tant que les psychopathes restent minoritaires dans la population. Parce que si tout le monde était psychopathe, il n’y aurait plus aucune coopération, et donc plus de bénéfices de coopération à exploiter. Et donc, tout à l’heure je vous disais que le taux de psychopathie est à peu près stable à 3-4%, et bien peut-être que c’est la sélection naturelle elle-même qui stabilise ce taux à 3-4%, en contre-sélectionnant les psychopathes dès qu’ils deviennent trop nombreux.

En parlant de psychopathes, je tiens à remercier tous ceux qui me soutiennent financièrement… car cela prouve que vous n’en êtes pas ! ha ha vous avez eu peur. Je vous ai tous réunis là, sur cet écran, j’espère n’avoir oublié personne, et je vous dis à tous et toutes un gros merci. Mon nouveau slogan à l’avenir sera « pour prouver que vous n’êtes pas psychopathes, faites un don à Homo Fabulus », voyons voir combien de personnes vont tomber dans le panneau. rdv sur homofabulus.com/soutien pour tomber dans le panneau.

Retour aux psychopathes, on peut peut-être prendre un petit exemple pour illustrer ces histoires d’exploitation de la coopération. Imaginez partir en vacances avec des amis, vous louez un gîte, et sur place, pour que le séjour se passe bien, chacun file un coup de main, pour cuisiner, pour faire la vaisselle, pour occuper les gosses pendant que je fais la sieste, etc. Ce sont des règles qui n’ont pas été explicitées bien sûr, ya eu aucun contrat signé, la plupart des humains trouve ça normal d’agir ainsi. Mais évidemment, comme vous le savez sûrement si vous avez déjà vécu cette situation, ou juste vécu en colloc, ya toujours dans le groupe une ou deux personnes qui ne sont pas frappées par l’évidence de cette règle, qui trainent les pieds pour mettre la table, qui la débarrassent quand il ne reste plus qu’une bouteille dessus, et dont la seule contribution en cuisine consistera à ouvrir les paquets de cacahuètes. Ces personnes, je vais pas aller jusqu’à dire que ce sont des psychopathes, on va juste les appeler des tire-au-flanc, mais elles illustrent bien ce mécanisme de « je prends les bénéfices de la coopération sans en payer les coûts ». Si ces personnes vous énervent, c’est exactement pour cette raison, c’est parce qu’elles ne font pas leur part dans l’entreprise de coopération que vous avez mise en place au gîte de La tramontane.

Et ces tire-au-flanc illustrent aussi le mécanisme de sélection fréquence dépendante. Ces personnes n’arrivent à retirer des bénéfices de leur comportement que parce que la majorité des gens autour d’eux coopère. Si le nombre de tire au flanc augmentait pendant les vacances, ça aurait deux conséquences : d’une part les coopérateurs commenceraient à en avoir ras le bol et à plus surveiller les contributions des uns et des autres, autrement dit à faire du flicage. D’autre part l’augmentation du nombre de tire-au-flanc conduirait à une diminution globale de la coopération, et donc des bénéfices à exploiter. Voilà ce qu’on appelle la sélection fréquence-dépendante : c’est quand les bénéfices d’un comportement dans un groupe dépendent du pourcentage de personnes qui ont adopté ce comportement.

Hé bien maintenant, imaginez ce même mécanisme non pas à l’échelle d’une location de vacances ou d’une coloc, mais à l’échelle de la société. Nous humains sommes tous engagés dans une énorme entreprise de coopération régie par un certain nombre de règles, comme ne pas voler, ne pas tuer, et ne pas nuire aux autres en général. Et si la plupart de ces règles ont été écrites quelque part dans un livre, que ce soit un livre de loi ou un livre religieux, j’insiste pour dire qu’elles sont aussi très probablement écrites dans nos cerveaux, voir ma série de vidéos() et mon livre sur la morale88. Debove, Stephane. Pourquoi notre cerveau a inventé le bien et le mal. (2021). On coopère et on respecte les autres pas seulement parce qu’on a peur de finir en prison ou en enfer mais avant tout parce qu’on est motivés intrinsèquement à le faire, motivés par un sens moral produit de l’évolution. Dans tous les cas, peu importe pourquoi on coopère, ce qu’il faut remarquer c’est que l’omniprésence de la coopération dans nos sociétés ouvre la porte à des stratégies d’exploitation. Et l’hypothèse, ce serait donc que les psychopathes seraient des personnes expertes en stratégies d’exploitation. Ce serait les personnes optimisées par la sélection naturelle pour prospérer dans les environnements coopératifs par des moyens peu recommandables, la tromperie, la manipulation, le vol, etc.

Voilà le bébé

Voilà le bébé

Je vous dis deux mots des origines de la psychopathie, parce que c’est aussi intéressant dans une perspective évolutionnaire, il pourrait exister deux types de psychopathie77. Mealey, Linda. The Sociobiology of Sociopathy: An Integrated Evolutionary Model. Behavioral and Brain Sciences (1995). Une qui survient suite à une accumulation de malchance à la loterie génétique, exactement comme dans le cas de la schizophrénie. Cette psychopathie se développerait donc plus ou moins indépendamment des expériences de vie et commencerait assez tôt dans la vie, dès l’âge de huit ans.

Schéma d’illustration du texte précédant.

Et une autre qui se développerait chez des personnes qui non seulement ont un terrain génétique particulier mais qui ont en plus rencontré un environnement particulier. Quels environnements vous allez me dire ? De façon générale ceux qui désavantagent dans la course aux ressources et aux partenaires sexuels. L’idée c’est que les comportements égoïstes et antisociaux associés à la psychopathie seraient des moyens d’essayer de compenser un retard accumulé dans les étapes précédentes de la vie. Ce qui expliquerait pourquoi les psychopathes ont souvent grandi dans des environnements difficiles, des foyers très pauvres, des familles nombreuses, ou tout simplement des milieux très urbanisés. Ce sont des environnements où la compétition sociale est intense et où il est facile de perdre du terrain sur les autres dans la course aux ressources99. Ellis, Lee. Criminal Behavior and r/K Selection: An Extension of Gene-Based Evolutionary Theory. Personality and Individual Differences (1988). Bien sûr, toutes les personnes qui grandissent dans des environnements durs ne deviennent pas psychopathes, je reprécise qu’il faut aussi un terrain génétique particulier, mais l’idée c’est ça, qu’il existerait un type de psychopathie facultative qui ne se déclencherait qu’en cas de développement dans un environnement particulièrement difficile.

Je vous avais dit aussi de vous rappeler du fait qu’il y a plus d’hommes psychopathes que de femmes. C’est une donnée intéressante pour le biologiste de l’évolution, parce que la variance reproductive des mâles est connue pour être plus grande que celle des femelles dans beaucoup d’espèces. Faudra que je vous fasse un jour une vidéo sur les différences hommes-femmes, mais en gros, ce que ça veut dire, c’est que dans beaucoup d’espèces, les femelles ont toutes plus ou moins le même nombre de descendants, tandis que les mâles, eux, soit en ont beaucoup soit en ont très peu. Et ça, le fait que certains mâles puissent n’avoir aucune descendance du tout, ça conduit souvent, par sélection naturelle, à adopter des stratégies risquées mais à fort bénéfice potentiel, comme… les stratégies d’exploitation qu’adoptent les psychopathes.

4. Conclusion

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Quelques points sur lesquels j’aimerais attirer votre attention au crépuscule de cette série sur les troubles mentaux. D’abord, j’espère qu’elle aura été l’occasion de montrer que le mariage de la psychiatrie et de l’évolution ne débouche pas forcément sur le réductionnisme le plus total. Les psychiatres se reprochent parfois les uns aux autres d’être trop obsédés par la recherche de gènes de tel ou tel trouble, de zones cérébrales de tel ou tel trouble. Certains psychiatres reprochent aussi à d’autres de ne pas prendre suffisamment en compte le contexte d’apparition des troubles pour établir un diagnostic, de seulement prendre en compte l’intensité des symptômes, leur durée, et à quel point ils empêchent de bien vivre. En gros, il existe en psychiatrie le même débat qu’entre les sciences sociales et les sciences cognitives, avec les premières qui accusent les secondes de réductionnisme, et les secondes qui accusent les premières de biophobie ou bio-négationnisme.

Je suis bien sûr incompétent personnellement pour décider de la meilleure façon d’établir un diagnostic médical, mais ce que je veux faire remarquer, c’est que je viens de faire plus d’une heure de vidéo sur la biologie des troubles mentaux sans vous parler à aucun moment de zones cérébrales, et sans vous parler à aucun moment de gènes si ce n’est pour vous dire qu’il en existe des milliers impliqués. Au contraire, je vous ai beaucoup parlé des conditions de déclenchement des troubles, et de leur contexte social en particulier, que ce soit la perte d’un proche, la perte de statut, ou les enfances difficiles. Autrement dit, j’espère vous avoir montré qu’il est possible d’adopter une approche biologique ou évolutionnaire des troubles mentaux sans pour autant tomber dans un réductionnisme béat.

Bien sûr, les approches évolutionnaires ne nient pas que des gènes ou des zones cérébrales soient impliquées dans ces troubles. Mais elles considèrent qu’il ne s’agit que d’une facette du problème, et que le contexte de déclenchement de ces troubles reste primordial pour les comprendre. Le biologiste de l’évolution est en fait obligé de donner une place importante au contexte, puisque ces troubles sont souvent vus comme des réactions à un certain contexte, contexte difficile dont il faut se sortir. La biologie de l’évolution agit donc une nouvelle fois comme un liant entre les approches de bas niveau, comme la génétique et les neurosciences, qui peuvent parfois être un peu réductionnistes, et les approches de plus haut niveau, comme la psychologie et la sociologie, qui souffrent souvent de socio-réductionnisme. Cette capacité à intégrer les disciplines, à les faire travailler ensemble, c’était une des grandes forces de la psychologie évolutionnaire(), et c’est de nouveau une grande force de la psychiatrie évolutionnaire.

D’ailleurs, si vous me demandiez si la psychiatrie évolutionnaire est une révolution ou pas, je vous répondrais la même chose que pour la psycho évo. Oui et non.

Oui c’est une révolution, parce que considérer que certains troubles puissent avoir été sélectionnés et être utiles, c’est un vrai retournement de pensée. Exactement comme se rendre compte que la toux ou la fièvre ne sont pas des maladies mais des réactions de défense de notre corps. Il y a un petit côté révolutionnaire dans cette idée.

Schéma d’illustration du texte précédant.

Schéma 1

Oui encore, parce que les approches évolutionnaire peuvent apporter un certain cadre à la psychiatrie, qui en manque parfois cruellement. C’est pas moi qui le dis, mais les psychiatres eux-mêmes, qui se plaignent souvent que leur champ soit tiraillé entre de nombreuses églises, de nombreux concepts et théories parfois incompatibles, comme c’est aussi le cas en psychologie d’ailleurs. En faisant entrer dans le game la théorie de l’évolution, la psychiatrie réussirait à importer la théorie des sciences naturelles la plus puissante dont on dispose.

Oui enfin, parce que les approches évolutionnaires peuvent aider à répondre à une question que se posent les psychiatres depuis longtemps : qu’est-ce que la normalité ? En matière de comportement ou de vie mentale, comment distinguer le normal du dysfonctionnement ? La réponse à cette question n’est pas simple, mais étant donné que toutes les fonctions dans notre cerveau ont été créées par la sélection naturelle en réponse à des environnements rencontrés pendant des centaines de milliers d’années, des environnements qu’on peut donc considérer comme « de référence », une approche évolutionnaire doit pouvoir nous aider à éclairer cette question de la normalité, pas en nous disant comment se comporter, dans un sens normatif, mais en nous disant pour quel type d’environnement nos psychologies ont été créées. Je vous parle un peu de ça dans mon deuxième livre1010. Debove, Stéphane. À qui profite (vraiment) la génétique ?. (2024).

Voilà le bébé !

Voilà le bébé !

Mais par contre non, la psychiatrie évolutionnaire n’est pas une révolution dans le sens où elle changerait radicalement la façon dont on soigne les patients. Il faut rester modeste en ce qui concerne les progrès thérapeutiques concrets que vont nous permettre les approches évolutionnaires. Le but premier de ces approches n’est pas de mieux soigner, mais de mieux comprendre.

Il arrive tout de même parfois qu’une meilleure compréhension permette un meilleur soin, par l’intermédiaire d’une meilleure acceptation. Mieux comprendre d’où viennent leurs troubles peut permettre à certains patients de diminuer leur honte et leur culpabilité. Comprendre que leur souffrance est souvent le produit de systèmes fonctionnels en moyenne, comme dans le cas de l’anxiété, peut les aider à accepter qu’elle est dans un sens « normale », pas une anomalie. Comprendre que leur souffrance peut être due à un environnement moderne trop différent des environnements de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs peut aussi aider à s’accepter. Enfin, le principe du détecteur de fumée par exemple permet de comprendre pourquoi même si la douleur est naturelle et souvent utile, elle est aussi souvent superflue et trop intense inutilement. Ce qui peut aider à convaincre les patients refusant les médicaments anti-douleur(). Tout ça, ça me semble être des intérêts thérapeutiques assez concrets, à défaut d’être révolutionnaires.

Schéma d’illustration du texte précédant.

Schéma 2

Si on a parfois peur que les approches biologiques des troubles mentaux conduisent à enfermer les gens dans des cases trop rigides, à leur coller une étiquette d’ « anormal » simplement parce qu’il possèderaient un certain gène, les approches que je vous ai décrites font tout le contraire. Elles rassemblent plutôt que de tenir à l’écart, elles déculpabilisent plutôt que de pointer du doigt. Elles rappellent aux gens qui souffrent qu’ils ne font qu’éprouver ce que des centaines de milliers d’humains ont éprouvé avant eux et continueront d’éprouver après. C’est-à-dire, l’expérience de la vie mentale humaine… dans toute sa diversité, pour le meilleur et parfois aussi pour le pire.

Je laisserai le dernier mot au psychiatre Randolph Nesse sur ce sujet :

Image d’illustration de la citation : « Les troubles mentaux vus dans une perspective évolutionnaire [...] conduisent à une compassion plus grande pour la détresse humaine ».. Citation de 11. Nesse, Randolph M.. Evolutionary Psychology and Mental Health.  (2016).

« Les troubles mentaux vus dans une perspective évolutionnaire […] conduisent à une compassion plus grande pour la détresse humaine1111. Nesse, Randolph M.. Evolutionary Psychology and Mental Health. (2016) ».

Merci d’avoir regardé cette vidéo, deux mots sur Randolph Nesse justement, puisqu’il s’agit d’un pionnier de la psychiatrie évolutionnaire, qui est toujours en activité, et dont je me suis fortement inspiré pour écrire ces vidéos, on peut même dire que je vous ai présenté sa façon à lui de présenter la psychiatrie évolutionnaire. Nesse a la particularité d’être à la fois psychiatre et chercheur, et de vulgariser ce champ depuis des dizaines d’années. Il a notamment écrit ce livre, *L’origine des troubles mentaux*, qui est parfois un peu verbeux mais récapitule très bien ce qu’est le champ et a le mérite d’exister en français, donc n’hésitez pas à l’acheter si le sujet vous intéresse. J’en fais gagner un exemplaire par tirage au sort à une personne inscrite à ma newsletter, lien en description.

Merci de m’avoir écouté, et à bientôt.

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