« La psychologie évolutionnaire a tort car ses résultats ne me plaisent pas. ». Grossière caricature de la pensée des opposants à ces recherches ? J’aimerais bien… Mais même des universitaires sérieux ont avoué piocher dans la science les résultats qui leur convenaient le mieux…
Transcription de la vidéo pour ceux qui préfèrent le texte :
Dans la dernière vidéo, nous avons vu que les deux plus grands et célèbres critiques de la biologie du comportement, Stephen Jay Gould et Richard Lewontin, avaient été régulièrement épinglés par les biologistes de l’évolution pour véhiculer une vision marginale de l’évolution, ne savaient pas critiquer ceux avec qui ils étaient en désaccord sans les caricaturer, et voyaient la science comme un instrument de domination des bourgeois sur le monde, les scientifiques des vendus à la solde des puissants. Ce qui se fait de mieux en terme de critique est donc selon moi de qualité assez faible, ou demande a minima d’adhérer à un corpus idéologique bien particulier et jamais justifié.
Mais vous allez me dire, « ça aurait pu être pire ! On aurait aussi pu tomber sur des universitaires qui reconnaissent ouvertement choisir les résultats et théories scientifiques qui leur plaisent en fonction des conséquences politiques qu’ils leur imaginent. Ça ça aurait été vraiment grave ! Ça au moins, ça n’existe pas !
N’est-ce pas ?
N’est-ce pas ??? »
2.6 Lucidité ou paranoïa ?
Je voudrais revenir un instant sur cette manie de voir de la politique partout. J’en ai déjà un peu parlé dans ma dernière vidéo (), j’en reparle dans mon livre8181. Debove, Stéphane. À qui profite (vraiment) la génétique ? (2024). , mais je voudrais réinsister un peu dessus ici parce que c’est un aspect crucial.
Prenons cette affirmation de Lewontin dans une interview de 1975 :
Normalement, quand vous entendez cette phrase « On devrait toujours se poser la question: à qui ça profite ? », votre première réaction devrait être de trouver ça bien. Ça doit vous rappeler l’aphorisme de Rabelais, « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Ça doit vous rappeler que dans les années 60, des scientifiques payés par l’industrie du tabac mentaient sur les dangers réels de la cigarette, et que si on s’était posé plus tôt la question d’ « à qui ça profite », on les aurait découvert plus tôt. Poser la question d’« à qui ça profite ? » semble témoigner de la possession d’une certaine conscience politique, que vous ne vous laissez pas berner par les experts, que vous avez de l’esprit critique.
Mais imaginez une autre situation maintenant. Imaginez qu’un expert explique à la télé qu’il est important de se vacciner pour sortir de la crise du Covid19. Mais puisqu’il faut se méfier des experts, posons-nous donc la question de savoir à qui profite cette affirmation. Et la réponse la plus évidente, c’est qu’elle profite à ceux qui vendent les vaccins, c’est-à-dire à Big Pharma. Ouf, heureusement qu’on a eu de l’esprit critique et qu’on ne s’est pas laissés berner par les experts, on était à deux doigts de se faire vacciner.
Ce que cet exemple montre, c’est que se poser la question « d’à qui ça profite » conduit tout autant à dénoncer l’industrie du tabac qu’à rejeter les vaccins. Se poser la question « d’à qui ça profite » n’est pas bénéfique en soi : tout dépend de la lucidité avec laquelle vous allez répondre à cette question. Et force est de constater qu’en ce qui concerne les sciences du comportement, il est extrêmement difficile de pouvoir y répondre.
Lewontin, lui, semble convaincu que la sociobiologie ne peut faire que le jeu des racistes et des sexistes. Mais c’est uniquement parce qu’il se focalise sur les recherches qui étudient les différences entre humains. S’il élargissait un peu sa lorgnette, il se rendrait compte que la sociobiologie a aussi fait de nombreuses recherches sur l’altruisme ou l’importance des femelles dans le monde animal, à tel point qu’on pourrait tout aussi bien l’accuser de faire le jeu du communisme et du féminisme. Comme le dit avec humour le biologiste David Queller :
Et c’est aussi bien sûr ce que voulaient dire les féministes darwiniennes que je vous ai présentées dans ma dernière vidéo (). Rappelez-vous, ces féministes disaient, « bah déjà nous on est féministes depuis plus longtemps que vous M. Lewontin, et pourtant nos recherches ont montré qu’il existait bien des différences comportementales hommes-femmes d’origine biologique, donc vos accusations d’avoir un agenda caché d’extrême-droite vous pouvez vous les garder. Et ensuite, nous on pense pas du tout que ces recherches auront comme conséquence le retour du nazisme et la fin du féminisme. Au contraire, on pense que ces recherches auront pour conséquence de construire un féminisme plus robuste et qui prend mieux en compte les aspirations de chacun. ».
Comme toutes ces recherches touchent à des sujets sociaux extrêmement complexes, leurs conséquences sont très difficiles à juger, et chacun fait des estimations au doigt mouillé, en sélectionnant les exemples qui vont dans son sens, et en arrosant le tout de la sauce idéologique à la mode du moment, qui pour Lewontin était l’idéologie marxiste.
Au final, s’il peut sembler positif de se poser la question d’à qui ça profite, la limite entre le politiquement conscient et le politiquement parano est extrêmement ténue. Etre un peu suspicieux, c’est bien, mais les esprits suspicieux ont tendance à voir des fantômes dans le noir. Et on est en droit de faire le parallèle entre Lewontin qui pense que le concept de stabilité ne sert que les intérêts de la bourgeoisie et le complotiste qui pense que les vaccins ne servent que les intérêts de Big Pharma. Les suspicions de Lewontin ne seraient-elles pas une forme de complotisme, simplement plus intellectuel ? Lewontin ressemble-t-il plus aux lanceurs d’alerte dénonçant l’industrie du tabac, ou aux complotistes dénonçant l’industrie pharmaceutique ?
Cette difficulté de calculer les conséquences sociales de ces recherches se remarque aussi au fait que les deux camps s’accusent mutuellement « d’oublier les leçons de l’histoire ». Les détracteurs de ces recherches aiment dire que faire de la génétique du comportement humain, c’est oublier les leçons du nazisme et de l’eugénisme. Mais en face, les défenseurs de ces recherches rappellent que vouloir les interdire, c’est oublier les leçons de Galilée et Vavilov – ce généticien condamné à mort parce que ses théories sur l’hérédité ne collaient pas avec l’idéologie de l’URSS. En fait, interdire la biologie du comportement serait aussi oublier les leçons du nazisme, puisque celui-ci a censuré certaines théories élaborées par des physiciens juifs [Schéma 1]. Donc en fait, tout le monde peut accuser l’autre d’oublier les leçons de l’histoire et d’être un nazi en puissance. Ce qui n’est pas très étonnant parce qu’on peut trouver de tout dans l’histoire, des exemples où il aurait été bienvenu de se préoccuper un peu plus de politique, et des exemples où ça a au contraire été une très mauvaise chose.
Ce que ça montre, c’est que ces débats n’ont pas lieu entre un camp politiquement conscient et un camp politiquement naïf, mais entre deux camps qui ne calculent pas les conséquences de la même façon. Vous avez d’un côté ceux pour qui les recherches en biologie du comportement signent la fin du progrès social, et ceux pour qui ces craintes sont exagérées et pensent que ces recherches peuvent même permettre de construire des sociétés plus équitables [Schéma 2]. Les premiers accusent les seconds de naïveté, les seconds accusent les premiers de paranoïa. Les premiers reprochent aux seconds de faire la danse de la pluie alors qu’on se trouve tous sur une pente sociale glissante, et les seconds rétorquent qu’on ne sait pas dans quelle direction va la pente.
Arrivera-t-on un jour à mieux calculer les conséquences sociales de ces recherches ? Je n’en sais rien. Mais ce qu’on fait en général quand on est confrontés à des problèmes très compliqués comme celui-ci, c’est qu’on décide collectivement quoi en faire. Autrement dit, on vote. Et personnellement, je suis tout à fait disposé à ce qu’on discute de tous ces sujets publiquement, et même qu’on instaure un moratoire sur ces recherches, si la société décidait qu’elles sont effectivement dangereuses. Ça poserait plein de problèmes en pratique et une grosse partie des sciences sociales serait concernée par ces interdictions, mais je suis prêt à accepter l’idée en théorie.
Par contre, ce que je ne suis pas prêt à accepter c’est qu’on laisse un petit groupe de chercheurs auto-proclamés représentants du peuple, comme Gould, Lewontin et un paquet de philosophes des sciences, décider de quelles recherches sont dangereuses et lesquelles ne le sont pas. Ces chercheurs sont peut-être plus compétents que le quidam moyen sur des aspects scientifiques, mais ils n’ont aucune compétence particulière lorsqu’il s’agit d’évaluer des conséquences sociales. Ils ne sont pas plus compétents que monsieur Moutardié que vous croiserez dans la rue ce soir en allant sortir le chien, et j’irais même jusqu’à dire qu’ils sont peut-être moins compétents car fortement imprégnés d’idéologies qu’on trouve surtout dans les universités. Et personnellement, je ne considère pas du tout ces chercheurs qui se préoccupent de politique de façon positive, comme des personnes à la conscience politique acérée. Pour moi ce sont au contraire des chercheurs qui outrepassent la mission qui leur a été confiée, qui est de comprendre le monde, et qui abusent de leur position d’experts pour s’exprimer sur des sujets sur lesquels ils n’ont aucune compétence particulière.
Ce n’est tout simplement pas leur boulot ! Les chercheurs sont payés, rappelons-le, avec nos impôts, pour faire des découvertes sur le monde, ils ne sont pas payés pour estimer au doigt mouillé les conséquences sociales de leurs recherches. Et s’il y a certains chercheurs qui ne sont pas capables de comprendre ça, je leur suggère d’envisager une reconversion en politique. Ce n’est pas parce que M. Lewontin est incapable de laisser son idéologie au vestiaire lorsqu’il fait de la science qu’il doit supposer que tous ses collègues en sont autant incapables. Alors qu’il laisse la place à d’autres. Et je suggèrerais aussi à tous ces chercheurs que l’engagement politique, c’est comme la confiture. Ceux qui en ont beaucoup ne ressentent généralement pas le besoin de l’étaler. C’est bon, les chercheurs, on le sait que vous êtes de gauche, est-ce que maintenant on peut retourner à notre boulot d’essayer de comprendre le monde ?
Bien sûr, pour certains de ces chercheurs, la solution démocratique ne paraîtra pas appropriée. Rappelez-vous que pour eux, la société est au service des puissants. Et donc dans une telle société, pas de réel débat démocratique possible. Ou plus exactement, un tel débat ne serait jamais à l’avantage du peuple. Le peuple a besoin de représentants pour le défendre, c’est pour ça que le groupe d’universitaires qui avait attaqué la sociobiologie dans les années 70 s’était auto-appelé le « groupe d’étude de la sociobiologie pour la science et pour le peuple ». Est-ce que cette appellation résulte d’une préoccupation sincère pour les intérêts du peuple ou d’un melon énorme, on est en droit de se poser la question. S’auto-proclamer « représentant du peuple » suggère en effet que le peuple n’est pas capable de se faire un avis par lui-même. Et je ne sais pas si vous vous rappelez, mais dans la dernière vidéo je vous avais parlé d’un détracteur de la sociobiologie qui avait avoué que si un jour on obtenait la preuve irréfutable qu’il existe des différences génétiques entre populations humaines, il « devrait évidemment devenir raciste, parce qu’il devrait croire les faits »8484. Segerstrale, Ullica. Defenders of the Truth: The Sociobiology Debate (2000).. C’est hallucinant d’entendre ça, mais ça montre bien à quel point ces personnes ont peu confiance en l’humanité. Elles sont convaincues qu’on deviendra tous racistes du jour au lendemain si un jour on apprend que des différences génétiques peuvent expliquer des différences de capacités mentales. Dans ces conditions de double méfiance envers les institutions et le peuple, il est très peu probable que la solution démocratique leur paraîtra une solution satisfaisante.
2.7 Libre ou chargée de valeurs ?
Puisqu’on a parlé de la difficulté d’estimer les conséquences de ces recherches, je voudrais mentionner le débat sur la place des valeurs et l’importance de l’objectivité en science. J’aurais sûrement déjà dû vous en parler dans la dernière vidéo mais c’est pas grave, je vais le faire ici.
En philosophie des sciences, il y a un gros débat sur à quel point la science est, ou devrait être, libre de toute valeur et objective. On sent bien intuitivement que l’objectivité en science est importante, et peut-être même la raison principale de son succès et de la confiance qu’on lui accorde. Pour résoudre des controverses par exemple, il est important que l’on puisse se mettre d’accord sur des faits objectifs qui ne dépendent pas des opinions personnelles de chacun. Et mettre le moins de valeurs possible dans la science semble être le meilleur moyen d’éviter les errements que l’on vient d’évoquer, la censure de la génétique par l’URSS et la censure de la physique juive par le 3e Reich.
Le problème, c’est qu’en pratique les valeurs sont partout en science. Tout simplement parce que la science est pratiquée par des humains qui possèdent de nombreux degrés de liberté dans leur travail quotidien. Ces degrés de libertés vont être comblés, consciemment ou inconsciemment, par des valeurs, des préférences personnelles, des idéologies. Par exemple, un chercheur doit décider quels sujets étudier, quelles hypothèses proposer, quelles données conserver, quels niveaux de preuve demander, et quels résultats communiquer8585. Weber, Max. Methodology of Social Sciences (1949)., 8686. Elliott, Kevin C.. A Tapestry of Values: An Introduction to Values in Science (2017).. Pour chacun de ces choix, il n’existe pas de règle pour décider quoi faire. Ces choix seront donc forcément influencés par des choses non objectives, comme des valeurs ou de l’idéologie. Ce qui n’est pas forcément mal, attention ! Si vous choisissez de faire une carrière en biologie médicale parce que vous avez à cœur de trouver un remède au cancer, vous êtes en train de laisser vos valeurs influencer la science en choisissant de repousser les limites de la connaissance dans une certaine direction. Mais personne ne vous en voudra. L’idée importante est en tout cas que la science est pétrie de valeurs, alors qu’on on a l’impression que son succès est précisément dû au fait qu’elle en est dénuée. D’où paradoxe, d’où beaucoup d’écrits de philosophes des sciences sur le sujet.
Cette tension est généralement présentée comme le débat entre une science « value-free » et une science « value-laden »8787. Reiss, Julian & Sprenger, Jan. Scientific Objectivity (2020). [Schéma 3]. Loin de moi l’idée de vouloir trancher ce débat. Ce que je veux faire remarquer, c’est que peu importe votre avis sur la question, peu importe à quel point vous pensez que la science est ou devrait être libre de valeurs, ça ne change rien aux réflexions sur la difficulté de calculer certaines conséquences. Même si vous pensez que la science est chargée de valeurs, et qu’il faut toujours se poser la question d’« à qui elle profite », ça ne vous aidera pas à répondre à la question « quelles sont ces valeurs transportées ? ». Ce sont deux choses différentes de se demander si la science est chargée de valeurs et de quelles valeurs elle est chargée.
Or, il me semble que souvent les philosophes des sciences ayant discuté de la biologie du comportement ont trop rapidement évacué cette question [Schéma 4]. Dès que la biologie du comportement a été récupérée par l’extrême-droite, ils en ont conclu que ces recherches étaient dangereuses. Pourtant, comme on l’a vu dans la dernière vidéo, s’arrêter à ces récupérations est extrêmement réducteur, et nie complétement la complexité du sujet et les multiples répercussions que ces recherches peuvent avoir dans nos sociétés.
Et donc, quand par exemple le philosophe des science Kevin Elliott affirme que :
il affirme que pour lui, l’égalité homme-femme est une valeur suffisamment importante pour qu’on la laisse guider la recherche scientifique. Mais même si on était d’accord avec lui sur ce point, ça ne nous avancerait en rien pour déterminer quelles théories anthropologiques font le jeu du féminisme et lesquelles ne le font pas. Le débat science libre de valeurs / science chargée de valeurs est orthogonal avec le débat sur l’identification de ces mêmes valeurs.
Je vais m’arrêter là pour cette petite digression de philosophie des sciences. Je terminerai juste en notant la connexion entre ces débats et ceux auxquels vous assistez sur les réseaux sociaux entre deux conceptions de l’esprit critique. Si vous traînez un peu sur les réseaux sociaux, vous avez dû remarquer qu’il existe deux traditions de l’esprit critique qui se bouffent la gueule. D’un côté celle pour qui faire preuve d’esprit critique veut dire ne pas se faire avoir sur la véracité des informations [Schéma 5]. Et de l’autre celle pour qui faire preuve d’esprit critique veut dire ne pas se faire avoir sur les intentions de celui qui diffuse des informations. La première tradition essaie généralement de tenir le plus possible la politique à l’écart de la science, tandis que la deuxième revendique explicitement ses affiliations politiques. La première accuse la seconde d’être idéologisée, la seconde accuse la première d’être politiquement naïve. Ce sont exactement les mêmes débats qu’avec Lewontin. Tous ces débats sur l’esprit critique aujourd’hui sont connectés à ces débats sur la sociobiologie des années 70. Et ils sont évidemment aussi connectés aux débats sur le post-modernisme, sur les théories critiques, sur les science wars des années 90, sur la critique de la science élitiste de Feyerabend, etc. Je ne développe pas plus ces sujets, mais si vous aimez la philo des sciences et les questions épistémologiques, vous pouvez considérer les débats sur la sociobiologie comme des précurseurs de ces débats ultérieurs.
[Je profite de cette petite pause pour vous rappeler que le contenu que vous êtes en train de regarder n’est possible que parce que des gens me soutiennent financièrement à longueur d’année. « le crime ne paie pas » dit le dicton, mais YouTube non plus, donc si vous avez les moyens de jeter quelques piécettes dans mon écuelle numérique, ne vous en privez pas. Vous pouvez aussi acheter un de mes livres pour me soutenir. Toutes les façons de me soutenir sont maintenant regroupées sur homofabulus.com /soutien. Merci d’avance à ceux qui pourront donner, et bonne suite de vidéo.]
2.8 Et la psycho évo dans tout ça ?
Revenons pour terminer cette grande partie à la psychologie évolutionnaire spécifiquement. Edward Wilson, le fondateur de la sociobiologie, a dit un jour qu’
Ce qui lui faisait dire ça, c’était les souvenirs récents de la seconde guerre mondiale, la guerre du Vietnam et les mouvements pour la justice sociale des années 70.
La psychologie évolutionnaire elle est née fin des années 80 début des années 90, donc les souvenirs de la seconde guerre mondiale et de la guerre du Vietnam commençaient à s’estomper. Par contre, les mouvements pour la justice sociale n’avaient pas disparus et certains se sont encore renforcés ces dernières années, puisque vous le savez, la décennie 2010 est déjà appelée par certains la 4e vague de féminisme. L’accueil très mitigé parfois réservé à la psycho évo sur les réseaux sociaux est en grande partie dû à cette nouvelle vague de féminisme, puisque comme nous l’avons vu dans la dernière vidéo (), beaucoup de féminismes se sont construits sur l’idée que les différences comportementales entre hommes et femmes avaient une origine uniquement culturelle [Schéma 5b]. La psycho évo, pas d’accord avec cette idée, est donc malheureusement vue comme l’ennemi à abattre dans beaucoup de milieux féministes.
Ce contexte accentue encore la difficulté de faire le tri entre les critiques de la psycho évo qui sont purement scientifiques et celles qui sont en réalité motivées politiquement. Un certain nombre de féministes universitaires ne se sont en effet pas cachées de vouloir faire passer leurs combats politiques en premier chaque fois que ce serait nécessaire. La biologiste et féministe Anne Fausto-Sterling a par exemple avoué avec une certaine honnêteté la difficulté qu’elle éprouvait, selon ses propres mots,
Elle a aussi affirmé que le niveau de preuve jugé acceptable par un scientifique devait être « dicté par ses croyances politiques », et qu’elle-même :
On retrouve là la marque du double standard dont je vous parlais dans cette vidéo (), quand je vous disais que « vous ne verrez jamais une personne qui critique la psycho évo accompagner sa critique d’une évaluation aussi sévère des niveaux de preuves en sciences sociales traditionnelles ». Ce double standard doit vous permettre d’éprouver encore un peu mieux l’injustice ressentie par par les psychologues évolutionnaires, qui voient leur discipline être taxée de méthodologiquement défectueuse uniquement parce qu’on lui a appliqué des niveaux d’exigence bien plus élevés.
Cette subordination du niveau de preuve aux conséquences politiques supposées d’une recherche se retrouve aussi chez certains philosophes des sciences. Le philosophe des sciences Philip Kitcher écrit en 1987 que :
Ça c’est une idée qui mérite qu’on s’arrête dessus deux secondes, parce qu’elle est à la fois très sensée et complètement absurde. Subordonner le niveau de preuve d’une affirmation à ses conséquences sociales est très sensé dans certains cas, par exemple pour décider si on doit retirer un médicament du marché alors qu’il permet déjà d’améliorer la qualité de vie de nombreux patients.
Mais d’un autre côté, vous imaginez le bordel que ça serait la science si chacun commençait à demander un niveau de preuve différent en fonction des dangers d’une recherche estimés au doigt mouillé ? Vous imaginez s’il fallait réévaluer la véracité d’une affirmation lorsqu’on apprend quelque chose de nouveau sur ses conséquences possibles ? Proposer de juger de la véracité d’une affirmation sur la base de ses conséquences, c’est un peu la même chose que de la juger sur la base de son origine. Dire « cette affirmation n’est pas prouvée parce qu’elle a des conséquences sociales indésirables », c’est un peu la même chose que de dire « cette affirmation n’est pas prouvée parce qu’elle a été prononcée par Hitler ».
Et regardez un peu ce que ça donne en pratique de demander un niveau de preuves plus important aux hypothèses qui nous semblent socialement dangereuses. Imaginons que vous pensiez que l’hypothèse que les cerveaux des hommes et des femmes sont différents est socialement dangereuse, que ça fait le jeu des masculinistes. Qu’est-ce que ça va vous conduire à faire ? Hé bien la première fois que vous allez lire une étude qui soutient l’existence de différences, vous allez la mettre de côté sous prétexte que le niveau de preuve atteint n’est pas suffisant pour vous faire changer d’avis. Mais à la 2e étude vous pourrez encore faire la même chose. Ainsi qu’à la 3e. Et à la 4e. En fait, comme il n’existe aucune façon objective de décider de ce qu’est un niveau de preuve suffisant et d’à quel point une hypothèse est réellement socialement dangereuse, vous pouvez indéfiniment rejeter toutes les données qui ne vont pas dans votre sens [Schéma 6]. Et donc, quand on met en pratique cette idée de conditionner le niveau de preuve à la dangerosité d’une hypothèse, on se retrouve à faire ce que l’écrasante majorité des philosophes des sciences s’accorde pour dire qu’il ne faut surtout pas faire, c’est-à-dire rejeter une proposition simplement parce qu’elle ne nous plait pas. On se met à faire ce qu’on appelle en anglais du « wishful thinking ». Subordonner le niveau de preuve à la dangerosité des hypothèses, c’est peut-être une idée jolie en théorie, mais c’est très difficile à implémenter de façon raisonnable, en particulier quand on parle de sciences théoriques comme la psycho évo et pas de cas appliqués comme l’interdiction d’un médicament.
Tout ça pour dire qu’on trouve des choses vraiment bizarres chez les philosophes des sciences. Une petite dernière pour la route, voilà ce que raconte la philosophe des sciences Helen Longino en 1990 :
Il s’agit d’une affirmation vraiment, vraiment pas anodine, je pense qu’on sera tous d’accord sur ce qualificatif, et vous êtes bien sûr en droit de la trouver un peu plus que pas anodine, c’est-à-dire grave. Je ne suggère pas qu’elle soit représentative de la position de tous les philosophes, mais en tout cas elle n’est pas rare chez les détracteurs de la psycho évo, et une fois de plus, il me paraît important que vous soyez informés de cette épistémologie particulière pour vous faire une idée de la qualité générale de leurs critiques.
Et puisqu’on en est revenus à évoquer les philosophes, nous allons pouvoir boucler la boucle en reparlant de notre article de l’encyclopédie de Stanford. Dans cet article, pas de traces de revendications politiques. On pourrait avoir l’impression que la psycho évo a pour une fois été évaluée objectivement, en laissant les considérations politiques de côté. Mais ce serait oublier qu’un grand nombre d’universitaires cités dans cet article n’ont pas hésité à reconnaître être préoccupés de politique par ailleurs. On retrouve M. Kitcher dont on vient de parler, qui aimerait bien que le niveau de preuves soit subordonné aux conséquences politiques.
On retrouve évidemment Gould et Lewontin, qui ne sont cités directement que deux fois, mais qui ont énormément inspiré tous les autres philosophes cités. Gould et Lewontin ont exercé une vraie fascination sur les philosophes des sciences du XXe siècle, probablement parce qu’ils avaient des opinions politiques proches des leurs tout en maîtrisant mieux les sujets dont ils traitaient de par leur formation en biologie. Les philosophes des sciences se sont donc énormément appuyés sur Gould et Lewontin dans leur travaux, ignorant – ou oubliant de mentionner – que les avis de ces deux énergumènes étaient loin d’être représentatifs de ceux des biologistes de l’évolution.
Et enfin, vous vous rappelez que j’avais contacté l’auteur de cet article, M. Downes, pour lui faire part de mon mécontentement. M. Downes m’avait répondu que son article servait avant tout à donner un aperçu historique des débats, sans vouloir trancher sur le fond. Mais bien qu’il semblait être surtout préoccupé par des questions épistémologiques, il ne put s’empêcher de mentionner, en terminant son email, « l’énorme quantité de propos misogynes, racistes et suprémacistes qui se basent sur la biologie de l’évolution ».
Pour moi, il ne fait donc aucun doute que cet article reprenant les avis de philosophes des sciences, que l’on aurait envie de considérer comme « apolitique » en premier abord, ne l’est en fait pas du tout.
Sans compter que la plupart de ces philosophes ont été formés dans des facs de sciences sociales, qui étaient les bastions de l’environnementalisme dans les années 60-70. Le psychologue et philosophe des sciences Paul Meehl qui a beaucoup côtoyés ces philosophes dans les années 60 écrit même que
« Brainwashing environnementaliste », c’est pas un petit mot, mais ça évoque bien cette hégémonie des explications environnementales dans les facs que fréquentaient les philosophes des sciences. Et si vous ajoutez à ça qu’il est également courant dans les cursus de sciences sociales de vouloir que les recherches « servent à quelque chose », un peu à la Bourdieu, avec son
vous comprenez pourquoi selon moi, il est très difficile de considérer qu’un texte écrit même par les philosophes des sciences les plus réputés soit réellement objectif.
Un truc « rigolo » entre guillemets que vous pouvez faire pour vous rendre compte de l’opposition avant tout politique des philosophes des sciences à toutes ces recherches, c’est d’aller consulter leurs avis sur des sujets connexes, qui ne sont pas de la psycho évo à proprement parler mais traitent toujours de génétique et de comportement au sens large. Par exemple, l’encyclopédie de Stanford a tout un article sur le concept d’héritabilité. L’héritabilité, c’est un concept très important et très utilisé en génétique du comportement. Ça désigne la part de variance phénotypique qui peut être expliquée par la variance génétique. Peu importe les détails, l’important c’est juste de savoir que c’est un concept central en génétique du comportement. Et devinez quelle est la position des philosophes sur ce concept central ? Elle est résumée en ces termes : « le consensus actuel parmi les philosophes de la biologie est que les analyses d’héritabilité sont trompeuses sur les causes génétiques des traits humains », et que « les mesures d’héritabilité générale sont peu ou pas informatives, même s’il y a quelques voix discordantes »9595. Downes, Stephen M. & Matthews, Lucas. Heritability (2020)..
Ça ne vous rappelle rien cet avis, ce « consensus » que ces mesures sont « non informatives » ? C’est évidemment très semblable à l’avis sur la psycho évo. Or, ce qui est fou, c’est que la psycho évo et la génétique comportementale n’ont absolument rien en commun d’un point de vue méthodologique [Schéma 7]. Ce sont deux traditions de recherche complètement différentes, qui n’ont pas du tout les mêmes origines, les mêmes objectifs et les mêmes méthodes. La psycho évo fait principalement des expériences de psychologie pour découvrir des choses sur le fonctionnement de notre psychologie, et la génétique comportementale fait des études de jumeaux et des études statistiques pour essayer de démêler les influences de la génétique et de l’environnement sur nos comportements. Ces deux traditions de recherche n’ont rien en commun, si ce n’est bien sûr… qu’elles suggèrent que l’origine de nos comportements puisse se trouver en partie dans nos gènes… Coincidence je ne crois pas, si je voulais être mauvaise langue, je dirais que si vous voulez savoir ce que les philosophes des sciences pensent de la scientificité d’une discipline, commencez par déterminer si cette discipline est récupérée par la droite, ça vous fournira une première bonne approximation.
Je ne vais pas m’étendre sur le sujet de la génétique comportementale, j’ai déjà suffisamment à faire avec la sociobiologie et la psychologie évolutionnaire, mais sachez que quasiment tout ce que je dis aujourd’hui s’applique de la même façon à ce champ. La génétique comportementale subit exactement les mêmes critiques injustes, et cette injustice s’explique en grande partie par des préoccupations politiques. Comme le dit le généticien du comportement Thomas Bouchard :
Personnellement, depuis que j’ai vu le traitement que les philosophes des sciences avaient réservé à la psychologie évolutionnaire et à la génétique comportementale, j’ai complètement perdu confiance dans leurs travaux sur ces sujets. Je pense que les philosophes des sciences du XXe siècle n’ont dans leur très grande majorité pas étés à la hauteur du débat, incapable de mettre deux secondes leurs idées politiques de côté pour évaluer justement le fond scientifique de ces disciplines. La situation peut changer dans le futur, et il y a clairement un biais de représentativité dans les philosophes qui s’expriment, je vais vous reparler de tout ça dans deux secondes, mais en tout cas, je vous le dis franchement, le traitement de ces sujets par la majorité des philosophes des sciences jusqu’ici a été tout bonnement calamiteux.
Avant de conclure cette partie, je vous mets deux derniers exemples un peu plus récents et issus du monde francophone pour vous montrer que la psycho évo continue aujourd’hui d’être critiquée principalement pour des raisons politiques. Le premier provient du livre de Pascal Picq « Et l’évolution créa la femme » publié en 20209797. Picq, Pascal. Et l’Évolution créa la femme (2020).. Dans ce livre, Pascal Picq écrit que, je cite,
Pour lui, elle s’assimile à un
Vous avez là une nouvelle fois l’exemple parfait de ce à quoi ressemblent les critiques de la psycho évo. Une critique qui commence par une accusation très forte, l’accusation de pseudoscience – dans l’encyclopédie de Stanford c’était l’accusation de défaillance profonde. Ensuite, cette accusation grave est justifiée par rien du tout, en l’ocurrence une histoire de machines à remonter le temps qui montre que Pascal Picq n’a rien compris à ce qu’était la psychologie évolutionnaire. Je le redis, la psycho évo n’a pas besoin de machines à remonter le temps pour tester ses hypothèses, parce que ses hypothèses concernent la psychologie des humains d’aujourd’hui, pas celle des humains du passé, voir toutes mes vidéos précédentes sur le sujet. Et enfin, on se rend compte que ce qui dérange vraiment M. Picq au fond, ce ne sont pas tant les aspects méthodologiques de la psycho évo, mais ses conséquences politiques, la possibilité qu’elle puisse « justifier des délires machistes » selon ses propres mots. M. Picq, comme les philosophes, est à la base surtout préoccupé politiquement, et cette préoccupation vient complètement contaminer la qualité de ses arguments fournis pour évaluer le champ.
C’est une nouvelle fois très désolant de lire ce genre de propos. C’est un nouveau rappel que ce n’est pas parce qu’un chercheur est spécialisé en biologie de l’évolution comme M Picq, M. Gould ou M. Lewontin que son avis a forcément plus de valeur. Non seulement l’expertise d’un chercheur peut se limiter à une seule branche de la biologie de l’évolution, mais en plus être diplômé en biologie de l’évolution ne signifie pas être capable de tenir la politique à l’écart de sa science. Et en plus, là on ne parle pas d’erreurs grossières qui auraient été faites en 1970 ! Le livre de M. Picq a été publié en 2020, donc si son auteur l’avait vraiment voulu, il aurait largement eu le temps de s’informer sur ce qu’est vraiment la psychologie évolutionnaire. Mesdames et messieurs les chercheurs, si vous avez la flemme de vous renseigner sur ce qu’est vraiment ce champ, envoyez-moi vos manuscrits, je me ferai un plaisir de les relire. Si ça peut éviter que de nouvelles générations d’étudiants soient malinformées, je le ferai de bon coeur.
Le deuxième exemple dont je voulais vous parler sera plus rapide, il nous est fourni par Priscille Touraille, anthropologue au CNRS. Elle était dernièrement interviewée sur France Culture, et pour appuyer une théorie qu’elle défendait, voilà ce qu’elle disait :
Mme Touraille aime donc bien la psychologie évolutionnaire, sauf quand elle produit des choses « atroces ». Le mot « atroce » n’est bien sûr pas anodin, vous aurez remarqué que c’est un mot à connotation morale et pas scientifique. Ce que reproche Mme Touraille à la psycho évo, ce n’est pas d’être méthodologiquement défectueuse, puisqu’elle se sert de certaines de ses études pour appuyer ses théories, c’est d’être parfois « atroce », c’est-à-dire de produire des études qui lui déplaisent politiquement. Donc en gros, la psychologie évolutionnaire, c’est très bien, sauf quand ses résultats vous déplaisent. Vous savez, il y a sur internet des mèmes qui circulent pour décrédibiliser les mouvements féministes, comme celui-ci par exemple :
J’aimerais pouvoir vous dire que ces mèmes sont des exagérations, mais quand on est confrontés à ce genre de déclarations, on se rend compte qu’ils sont très, très proches de la réalité. Et c’est ainsi que les mouvements progressistes se retrouvent discrédités, à cause de personnes qui ne savent pas faire la distinction entre le monde tel qu’il est et le monde tel qu’elles aimeraient qu’il soit.
[Et je recommande donc une nouvelle fois le visionnage de cette vidéo (), qui explique pourquoi la psychologie évolutionnaire est loin de faire le jeu des masculinistes, pourquoi il est urgent que les mouvements progressistes se réapproprient ces recherches plutôt que de les discréditer à longueur de journée, et comment des femmes courageuses que l’on pourrait qualifier de féministes darwinistes ont déjà commencé à le faire depuis de nombreuses années.]
Je voulais aussi signaler que j’ai publié un sommaire complet de ma série sur la psycho évo sur mon site web, pour ceux qui préfèrent le texte ou qui cherchent à retrouver une information rapidement ça peut vous être utile. Le lien est en description. D’ailleurs j’en profite pour rappeler que je publie chacune de mes vidéos en format texte sur mon site web, et que je m’embête à chaque fois à vous faire un petit sommaire cliquable, à ajouter les schémas, des références interactives, des liens vers les anciennes vidéos, etc, donc n’hésitez pas à vous en servir ! Homo Fabulus n’existe pas que sur Youtube.
Et tant que vous êtes sur mon site, vous pouvez vous abonner à ma newsletter sur laquelle je fais régulièrement gagner des livres. Ce mois-ci, je vous propose de gagner « Notre cerveau à tous les niveaux » de Bruno Dubuc. C’est une très bonne introduction aux sciences cognitives, inspirée du site web du même nom, sur lequel j’allais parfois m’informer quand j’étais étudiant. Ce qui est sympa avec ce livre, c’est que comme son nom l’indique, il aborde les explications du comportement à différents niveaux, du cellulaire au culturel, et qu’il adopte le format du dialogue entre deux personnes, l’une naïve et l’autre experte, pour vulgariser ce sujet. Ça le rend vivant et très facile à lire. Autre particularité mais qui ne plaira peut-être pas à tout le monde, il parle pas mal de politique. En fait, je pense qu’on peut même le résumer comme la discussion autour d’une bière de deux gauchistes fans d’Henri Laborit. Et même si je n’adhérerais pas à tout ce qui se dit sur ces aspects politiques, j’aime bien faire de la pub à cette gauche qui n’a pas peur de la biologie du comportement et qui, contrairement à celle qu’on vient de voir, pense qu’il est important de regarder l’humain dans les yeux, même si ce qu’on y voit ne nous plaît pas toujours. Je précise que je ne suis pas payé pour parler de ce livre, c’est juste que parfois des maisons d’édition me contactent pour m’envoyer un ouvrage, et je leur dis de plutôt m’envoyer un pdf, et d’envoyer plus tard un exemplaire papier à un de mes abonnés quand le livre me plaît. C’est le cas pour celui-ci, donc voilà, ca s’appelle « Notre cerveau à tous les niveaux », et c’est à gagner par tirage au sort en vous inscrivant à ma newsletter. Lien en description. Allez, retour à nos moutons, et concluons cette vidéo.
2.9 Conclusion de la partie
On en arrive à la fin de ma deuxième partie. Faisons un résumé de tout ce qu’on a vu jusqu’ici.
Le but de ma première partie était d’aller voir ce que raconte un article critiquant la psycho évo, article qu’on pourrait considérer au premier abord de bonne qualité. Nous avons vu qu’il contenait de nombreuses incompréhensions, des flous, des exagérations et un manque de connaissance général sur ce qu’est réellement le champ. Ces défauts expliquent le sentiment d’injustice que dénoncent les psychologues évolutionnaires depuis de nombreuses années. On s’est ensuite demandés d’où pouvaient venir ces défauts. La politique est l’explication la plus évidente. C’est la politique qui explique pourquoi on fait dire aux psychologues évolutionnaires des choses qu’ils n’ont jamais dites. C’est la politique qui explique pourquoi des problèmes méthodologiques présents dans toutes les sciences sont présentés comme spécifiques à la psycho évo. C’est la politique qui explique pourquoi on exige de ce champ des niveaux de preuve bien plus importants que pour n’importe quelle autre discipline. C’est la politique qui explique la mentalité « anything goes », le « tout est bon à prendre », c’est-à-dire pourquoi on reproche à ce champ tout et son contraire. C’est la politique qui explique pourquoi les corrections apportées par les psychologues évolutionnaires depuis de nombreuses années n’ont jamais été prises en compte, l’important n’étant pas de trouver la vérité mais de mener un combat. C’est la politique qui explique pourquoi les philosophes des sciences continuent à attaquer ce champ sur ses fondements théoriques sans jamais prendre en compte son succès empirique. C’est la politique qui explique pourquoi, selon les mots des psychologues Martin Daly et Margo Wilson,
Tout ça, de nombreux observateurs l’ont déjà dit avant moi, j’insiste que je ne suis pas en train de vous présenter mon avis isolé. Voilà ce que racontait déjà le philosophe des sciences Daniel Dennett dans les années 2000 :
Ces travers étaient aussi déjà dénoncés dans la tribune des chercheurs des années 70 :
L’anthropologue Dan Sperber, un des premiers à importer les approches évolutionnaires en France et à reconnaître leur pertinence pour les sciences sociales, témoigne dans une interview que :
Donc oui, après tout ce qu’on vient de voir, après tous ces témoignages, après toutes ces citations, je n’ai aucun problème à affirmer que la psychologie évolutionnaire est un champ qui se fait lyncher, et je n’emploie pas ce mot à la légère, lyncher, depuis trente ans, pour des raisons principalement politiques, parce qu’une poignée d’intellectuels et de militants l’a identifiée comme socialement dangereuse. Les critiques de la psycho évo sont dans leur écrasante majorité des critiques politiques déguisées en critiques scientifiques, et c’est ce qui explique que ces critiques soient si injustes.
Bien sûr, il est toujours possible de produire de bonnes critiques tout en étant politiquement motivé . C’est bien pour ça que dans cette vidéo et dans toutes celles qui ont précédé, j’ai commencé par évaluer le fond des critiques avant de vous parler des aspects politiques. Qu’on ne vienne donc pas me reprocher de balayer d’un revers de la main les critiques sous prétexte qu’elles seraient politiques. Le problème principal ce n’est pas qu’elles soient politiques, le problème c’est qu’elles soient de faible qualité. Et elles sont de faible qualité parce qu’elles sont en majorité politique, que ceux qui les ont émises ont une mentalité du « la fin justifie les moyens ». Comme on l’a vu, beaucoup de détracteurs n’hésitent pas à reconnaitre eux-mêmes leurs motivations politiques. Pour la plupart d’entre eux, ce n’est pas quelque chose de honteux de mélanger science et politique, mais au contraire quelque chose de désirable, dont on peut se vanter publiquement.
Merci d’avoir regardé cette vidéo, dans la prochaine de la série, on arrêtera un moment de parler de politique pour évoquer les autres raisons qui expliquent le faible succès de la psycho évo dans le monde universitaire, en particulier le manque d’éducation aux sciences cognitives et le manque d’éducation à la biologie de l’évolution, qui peuvent faire passer certaines des affirmations de la psycho évo de triviales à absurdes en un claquement de neurones. À très bientôt.
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