Quel concept scientifique mérite d’être mieux connu ? 200 intellectuell·e·s répondent.

Quel concept scientifique mérite d’être mieux connu ? 200 intellectuell·e·s répondent à cette question. Je vous présente quelques réponses, pour vous faire (re)découvrir le site web https://www.edge.org/

Transcription de la vidéo pour ceux qui préfèrent le texte :

Cette vidéo est sponsorisée par… moi-même. Je suis actuellement en pleine campagne de financement participatif pour sortir un nouveau livre, le lien pour contribuer est et je vous en dis plus en fin de vidéo.

Imaginez que vous puissiez réunir dans une même pièce 100 de vos intellectuels contempo rains préférés. Ce que vous voulez, des scientifiques, des artistes, des philosophes, des entre preneurs… Vous les enfermez à clé, et vous leur donnez une consigne simple : qu’ils se posent les uns aux autres les questions qui tournent dans leur cerveau, qui les empêchent de dormir la nuit, sur lesquelles ils essaient de faire progresser la connaissance. Vous leur donnez cette consigne, vous ne les laissez pas sortir de la pièce tant qu’ils ne se sont pas tous exprimés, et vous enregistrez tous leurs débats.

C’est pour essayer de réaliser cette idée en pratique que le site Edge.org a été créé en 1996. Chaque année depuis 1996, un panel d’intellectuels est invité à donner son avis sur des questions profondes, comme « quelle idée scientifique devrait maintenant prendre sa retraite », « que croyez-vous être vrai sans pouvoir le prouver ? », ou « sur quoi avez-vous changé d’avis récemment ? ».

Pour vous faire découvrir un peu ce site web et surtout à quoi pensent ceux de vos contem porains qui ont choisi de dédier leurs vies à la connaissance, j’ai choisi de vous présenter la question « quel concept ou terme scientifique devrait être mieux connu ? », qui a été posée en 2017. Je ne vais pas vous présenter toutes les réponses, parce qu’il y en a plus de 200, vous pourrez aller les lire ensuite si ça vous intéresse, je vais simplement vous présenter quelques réponses qui sont dans mon domaine de compétences.

À la question « quel concept scientifique mériterait d’être plus connu ? », Richard Dawkins répond : « le livre génétique des morts ». C’est une idée que je vous ai déjà présentée dans une de mes vidéos, l’idée qu’on peut considérer nos corps, compris au sens large, anatomie, physiologie, mais aussi psychologie, comme des empreintes négatives des environnements qu’ont traversés nos ancêtres. Par exemple, si je vous donne un oiseau avec des pattes palmées, vous pouvez deviner que ses ancêtres ont vécu en milieu aquatique. Si je vous donne un être vivant avec une grosse fourrure, vous pouvez deviner que ses ancêtres ont vécu en milieu froid. Etc. Et ça c’est vrai pour les traits qu’on peut observer facilement, comme les pattes palmées et la fourrure, mais c’est vrai aussi quand on plonge au coeur de nos tissus et au coeur de nos cellules pour voir comment tout ça est organisé. À cause de la sélection naturelle, les phénotypes des êtres vivants nous renseignent sur les environnements qu’ont traversé leurs ancêtres. On porte tous en nous, à la surface de notre peau comme au plus profond de nos cellules, les traces des environnements que nos ancêtres ont traversés. Et donc, quand on lit notre génome, quand on lit l’information génétique qui code pour tous ces traits, dans un sens ce qu’on est en train de lire ce n’est pas notre génome, mais celui de nos ancêtres, celui qui était utile à nos ancêtres. C’est assez fascinant de se dire qu’on peut considérer notre génome comme, selon les mots de Dawkins, le livre génétique des morts. Aujourd’hui avec les progrès de la génétique c’est quelque chose qui devient de plus en plus connu du grand public, vous pouvez par exemple lire les bons bouquins d’Evelyne Heyer sur ce sujet [1, 2], mais ça fait longtemps que Richard Dawkins travaille pour faire de la pub à ces idées, et je crois même qu’il est en train d’écrire un livre là-dessus.

Linda Wilbrecht, professeure de psychologie, répond à la question « quel concept scientifique mériterait d’être plus connu ? », par les périodes sensibles dormantes. Alors vous avez certai nement déjà entendu dire qu’il existe des périodes sensibles dans le développement humain, des périodes pendant lesquelles il est très facile d’apprendre de nouvelles choses par exemple. L’exemple le plus célèbre c’est l’apprentissage d’une langue : c’est quelque chose de très fa cile pendant la petite enfance, et beaucoup plus dur ensuite. Au niveau neuronal, on observe d’ailleurs une plasticité synaptique plus forte pendant la petite enfance, puisqu’à chaque seconde ce sont non pas des dizaines ni des centaines ni des milliers de synapses qui se font et se défont, mais des millions [3]. À chaque seconde. Et ensuite en grandissant la plasticité du cerveau va normalement en diminuant, mais ce sur quoi Mme Wilbrecht insiste, c’est que sur certains as pects, il est possible que cette plasticité réaugmente par la suite. Comme elle le dit elle-même, « le cerveau peut garder en réserve des périodes de sensibilité et ne les dévoiler que quand c’est approprié. On pense que des années d’évolution ont façonné le développement du cerveau pour qu’il ne soit pas seulement dépendant de l’environnement, mais aussi programmé pour attendre certains environnements. C’est à dire que le cerveau pourrait être dormant jusqu’au moment voulu. »

L’exemple qu’elle donne d’une telle période sensible retardée c’est l’adolescence, qui est une période où, probablement, notre cerveau redevient beaucoup plus plastique sur certains aspects. Mme Wilbrecht fait correspondre ces périodes de forte plasticité à des « périodes où on quitte la protection de ses parents pour explorer le monde, et où on devient parent ». Elle donne aussi des exemples de plasticité dans d’autres espèces, comme chez les criquets qui, s’ils sont exposés à des araignées pendant leur développement, deviennent meilleurs pour survivre aux araignées une fois adultes ».

Y’a trois choses que je trouve très intéressantes dans ce qu’elle raconte, au-delà de cette idée de périodes sensibles qui ne démarrent pas forcément au tout début de la vie mais peuvent s’ouvrir et se fermer à différents moments de notre vie.

La première c’est que même si elle n’est pas psychologue évolutionnaire mais neuroscien tifique, ça ne l’empêche pas de faire ce que j’ai appelé dans une vidéo de la « psychologie évolutionnaire au sens large », c’est à dire qu’elle va faire appel à des explications évolution naires pour donner du sens à ses observations. Même si Mme Wilbrecht ne se sert pas de la théorie de l’évolution pour faire des prédictions a priori comme le font les psychologues évolu tionnaires, elle s’en sert pour donner du sens à ses résultats a posteriori. Elle dit, « des années d’évolution ont sculpté le cerveau pour qu’il soit dormant jusqu’au moment voulu », quand on quitte ses parents, quand on devient mature sexuellement, etc.

[extrait vidéo ancienne : Je dirais que la majorité des chercheurs en sciences cognitives et neuroscience aujourd’hui sont des psychologues évolutionnaires *au sens large*. Il n’est pas rare par exemple lorsqu’ils présentent leurs travaux de les voir démarrer ou terminer avec une diapositive évolutionnaire, par exemple dans cette conf de Stanislas Dehaene : « Notre cerveau humain s’appuie sur des compétences anciennes dans l’évolution. Nous héritons de compétences et de représentations intuitives dans des domaines qui étaient ou qui sont toujours très importants pour la survie ».]

La deuxième chose, c’est qu’elle illustre comment lorsqu’on étudie d’autres espèces que les humains, on n’est pas tout le temps en train d’opposer le biologique et le social. Quand on s’aperçoit que des criquets sont impactés par la présence d’araignées ou d’autres congénères dans leur environnement, on n’en conclut pas que leurs comportements sont un truc entièrement social et que la biologie n’a plus son mot à dire pour les expliquer. Non, on en conclut que
l’évolution a préparé les criquets à pouvoir prendre en compte la présence de certains stimuli sociaux dans leur environnement et à en tirer des leçons utiles pour survivre, on appelle ça de la plasticité phénotypique, et on en conclut que la biologie ET le social sont importants pour comprendre le comportement, que ce sont pas deux choses opposées. C’est ce qu’on devrait faire aussi pour l’humain, quand on se rend compte qu’un certain environnement social influence les comportements, ça ne devrait pas nous conduire à rejeter l’importance du biologique et de l’évolution.

Et enfin, Mme Wilbrecht conclut en disant que « quand de l’argent est disponible pour des interventions éducatives ou sanitaires, la connaissance des périodes sensibles devrait devenir un aspect central des interventions ». Et ça, ça fait bien sûr écho à ma dernière vidéo où je vous donne des exemples de comment la biologie peut se révéler utile pour les politiques publiques.

Passons maintenant à la réponse de Richard Thaler, prix nobel d’économie 2017, qui est connu pour être un des pères fondateurs de ce qu’on appelle l’économie comportementale, donc la branche de l’économie qui étudie la prise de décision mais à partir de données expérimentales plus que de modèles théoriques comme on peut le faire dans d’autres branches de l’économie. M. Thaler est aussi connu pour avoir contribué au développement du concept de nudge dont je vous ai déjà parlé dans une autre vidéo. Et il nous propose de mettre en valeur le concept de prémortem, qui consiste à imaginer comment un projet qui vous tient à coeur pourrait terminer en misérable échec. Vous connaissez peut-être déjà le concept de postmortem, qui est une analyse a posteriori d’un projet qui a échoué, hé bien là le prémortem c’est la même chose mais avant qu’un projet n’échoue. Mais attention, il ne s’agit pas seulement d’imaginer comment un projet pourrait échouer, mais de se dire, « ça y est, c’est sûr, ce projet vient d’échouer misérablement, comment est-ce possible ? ». Il faut vraiment arriver à se convaincre que le projet a échoué. Selon M. Thaler, faire ça c’est un exercice de pensée beaucoup plus puissant, et qui peut se révéler très utile dans le monde de l’entreprenariat mais aussi en science ou en politique.

Passons à Brian Eno, vous voyez, y’a pas que des scientifiques qui donnent leur avis sur ce site web, le musicien et compositeur propose de donner plus d’importance au concept de biais de confirmation, que j’imagine vous connaissez déjà assez bien si vous regardez des vidéos de vulgarisation. Le biais de confirmation, c’est la tendance à ne s’attarder que sur les informations qui confirment ce que l’on croit déjà. Brian Eno se contente d’un commentaire laconique : « La grande promesse d’internet était que plus d’information allait mener automatiquement à de meilleures décisions. La grande déception est que plus d’information mène en fait à plus de possibilités de confirmer ce que vous croyiez déjà. ».

Bon ya un peu de recherche là-dessus, c’est pas forcément vrai dans tous les cas, mais ya une autre version de cet argument qui est de je sais plus qui, et qui est assez pertinente selon moi, c’est qu’on pourrait croire que les personnes plus intelligentes seraient moins sujettes au biais de confirmation, alors qu’en fait elles se servent de leur intelligence avant tout pour produire plus d’arguments, ou des arguments plus sophistiqués, pour nourrir leur biais de confirmation. Mais l’intelligence n’immunise pas du tout contre le biais de confirmation, et personnellement je trouve que de façon générale c’est une qualité beaucoup trop surcôtée dans nos sociétés, pour cette raison mais aussi plein d’autres.

Passons maintenant à la réponse d’Héléna Cronin, philosophe et co-directrice du centre pour la philosophie des sciences naturelles et sociales. Héléna Cronin choisit de parler de l’impor tance de la prise en considération des spécificités de chaque sexe pour construire des sociétés plus justes – en fait, elle parle exactement de l’idée que j’ai évoquée dans ma dernière vidéo, que les différences de préférences pour des métiers ne sont peut-être pas seulement dues à la socialisation, et ne sont donc peut-être pas des discriminations à combattre absolument. Je ne développe pas plus que ça mais je le mentionne pour vous montrer que ya beaucoup de personnes bien intentionnées qui pensent la même chose, vous pourrez aller lire tranquillement ce qu’elle raconte si vous le voulez.

Terrence Sejnowski, chercheur en neurosciences computationnelles, nous propose comme concept qui devrait être plus connu les algorithmes. Il définit les algorithmes comme des recettes étape-par-étape qui nous permettent d’atteindre un but, et ces algorithmes sont partout, nous dit-il, dans nos ordinateurs évidemment mais aussi dans la façon dont notre ADN dirige la construction de notre corps ou dans la façon dont nos neurones changent leurs connexions avec leurs voisins. Et M. Sejnowski nous parle aussi des recherches sur les automates cellulaires, qui montrent que des comportements très complexes peuvent être obtenus à partir de règles très simples, à partir d’algorithmes très simples.

J’ai choisi de mettre ce concept d’algorithme en valeur non seulement parce que je pense comme l’auteur que la puissance explicative de ce concept n’a pas encore été complètement
explorée, mais aussi parce que le mot algorithme est un mot que j’emploie souvent moi-même pour désigner les programmes que l’on a dans la tête, et que ça me vaut encore parfois de recevoir des commentaires moqueurs, du type « est-ce que ces algorithmes sont codés en python ou C++ ? ». Mais vous devez savoir que c’est quelque chose de tout à fait banal en sciences cognitives de considérer que les opérations qu’effectuent nos neurones dans nos têtes puissent s’apparenter à des algorithmes. Si vous avez une définition abstraite d’un algorithme, comme celle de M Sejnowski de « recette étape par étape qui dit comment atteindre un but », ou celle que j’utilise souvent de « processus qui fait des calculs sur des informations reçues en entrée pour produire une sortie », c’est tout à fait adapté d’utiliser le mot « algorithme » ou « programme » pour parler de ce qui se passe dans notre cerveau. C’est pas quelque chose de spécifique à la psycho évo, ça se fait en sciences cognitives depuis des dizaines d’années [4].

D’ailleurs on retrouve cette idée un peu plus loin chez quelqu’un d’autre, avec un biologiste de l’évolution qui affirme tranquillou en passant que « notre cerveau n’est qu’une collection de molécules qui suivent les lois de la physique ; notre cerveau est simplement un ordinateur fait de viande. ». Donc, y’a aucun mal à parler d’algorithmes et de programmes pour désigner ce qui se passe dans notre cerveau ; ça ne veut pas dire qu’il n’y a aucune différence avec ce qui se passe dans un ordinateur, mais c’est pas erroné non plus si vous restez à un niveau abstrait de définition.

Daniel Lieberman, qui fait de la biologie de l’évolution humaine, veut nous parler du concept de mismatch, qu’on pourrait traduire par concept de « l’inadéquation », ou concept de « déca lage ». Inadéquation à quoi, inadéquation à notre environnement. C’est l’idée que sur certains aspects, l’environnement dans lequel on vit ne ressemble plus à l’environnement dans lequel on a évolué, et que par conséquent on est probablement maladaptés sur certains aspects. C’est un concept évidemment important en psychologie évolutionnaire, je vous en ai beaucoup parlé dans cette vidéo, mais c’est un concept aussi important en biologie de l’évolution en général, pour au moins deux raisons, pour M. Liberman.

D’abord, parce que le mismatch, l’inadéquation, c’est une force évolutionnaire puissante qui transforme rapidement les organismes. Par exemple, quand l’alimentation de nos ancêtres a changé il y a quelques milliers d’années pour passer d’une alimentation basée sur la chasse et la cueillette à une alimentation basée sur l’agri culture, le manque de vitamine D associé a fait que la couleur de peau des humains s’est éclaircie très rapidement. Ou en tout cas c’est ce vers quoi tendent les recherches actuelles, pendant long temps on avait pensé que l’éclaircissement de la peau des humains s’était fait progressivement il y a plusieurs dizaines de milliers d’années [5], mais ça pourrait en fait être quelque chose de beaucoup plus récent et abrupt dû à un changement d’alimentation, puisqu’on pense que les humains il y a quelques milliers d’années, ou tout du moins certains groupes d’humains, avaient encore la peau foncée en Europe [1, 6].

Et le concept d’inadéquation est aussi important pour M. Liberman parce qu’il est pro bable qu’il explique beaucoup de nos maladies. Il note que chez les chasseurs-cueilleurs, une fois qu’on a réussi à survivre jusqu’à l’âge adulte, on vit généralement vieux, jusqu’à 68-78 ans, et que les maladies comme l’hypertension, les maladies du coeur ou le diabète sont quasi ment inconnues dans ces populations. Ces maladies sont donc probablement en grande partie dues à nos environnements modernes, et elles peuvent être évitables si on arrive à changer ces environnements.

Vient ensuite Jared Diamond, professeur de géographie et auteur à succès, vous le connaissez peut-être, il a notamment écrit un best-seller « de l’inégalité parmi les sociétés », qui est un livre qui se trouve dans ma sélection de livres que je recommande à tout le monde. Et Jared Diamond propose de donner une place plus importante au concept de sens commun en science. Il raconte comment une fois, quand il était au lycée, sa prof de maths lui avait fait une démonstration en 49 étapes que… tous les triangles sont des triangles isocèles. Cette conclusion est évidemment fausse, mais personne dans sa classe n’avait réussi à trouver pourquoi, ni à quel moment, dans les 49 étapes de la démonstration, se cachait la faille de raisonnement. En suivant chacune des étapes scrupuleusement, on arrivait bien à démontrer que tous les triangles sont isocèles. Je vous passe le détail technique de comment ça se fait, mais Jared Diamond évoque cette anecdote parce qu’il dit que parfois, en science, c’est la même chose : on se retrouve tellement impliqué dans les détails d’un raisonnement qu’on oublie de se rendre compte que la conclusion n’a aucun sens. Il donne quelques exemples en archéologie et en physique, et finit sur un provocateur « Comme Mme Bridgess notre prof de maths nous l’avait dit, « Utilisez votre sens commun, et ne vous laissez pas séduire par les détails. Quelqu’un finira bien par trouver l’erreur dans les détails ». »

Alors c’est une opinion provocatrice parce qu’en science on a évidemment beaucoup tendance
à donner du poids à la démonstration face aux résultats, même si ces résultats sont contre intuitifs. Bien sûr dans certains domaines comme la mécanique quantique on est submergés de concepts contre-intuitifs, mais même sans aller jusque ces cas spéciaux, accepter que la Terre tourne autour du soleil et pas l’inverse est aussi un exemple de proposition scientifique contre intuitive, parce que ce qu’on observe tous les jours en se levant c’est que le soleil tourne autour de la Terre. Il y a beaucoup de théories en science qui vont à l’encontre de nos intuitions, de notre sens commun.

Mais, d’un autre côté, le sens commun est aussi parfois célébré en science. Par exemple, des expériences ont montré qu’un bon moyen de deviner si une expérience en psychologie va répliquer ou pas c’est de demander à un groupe de personnes si elles pensent que le résultat est vrai ou pas, si elles sont convaincues par l’étude ou pas [7, 8]. Donc ça c’est dans un sens une réhabilitation du concept de sens commun. Peut-être que le sens commun est utile dans certains domaines comme la psychologie et certaines sciences sociales où on a déjà une certaine connaissance intuitive du domaine, et qu’il devient moins utile en physique, chimie et biologie.

Mais dès qu’on a dit ça, on est aussi obligé de reconnaitre que notre psychologie se compose d’un certain nombre de biais qui déforment nos représentations du monde. Et puis ça fait longtemps aussi qu’on se méfie de l’introspection en psychologie, ou qu’on se méfie de certaines capacités comme la mémoire qui peuvent être influencées a posteriori. Donc, la psychologie n’est pas non plus un domaine où on peut entièrement faire confiance à son sens commun.

Enfin bref, la question de l’importance du sens commun en science est une question que je trouve assez intéressante, on trouve des chercheurs qui y sont assez attachés, comme Jared Diamond, et d’autres pas du tout.

Robert Plomin, un généticien du comportement, insiste sur l’importance du score polygé nique, dont je vous ai parlé dans ma dernière vidéo, ce score qui nous permet d’expliquer des pourcentages importants de variabilité dans les comportements en agrégeant des centaines ou des milliers de variations dans la séquence d’ADN.

Bruno Giussani, directeur européen des TED talks, veut donner de la visibilité au concept de croissance exponentielle. Et puisqu’il disait ça en 2017, on peut considérer qu’il avait été visionnaire puisque le concept d’exponentiel est devenu crucial pendant la crise du Covid. Je ne sais pas si vous vous rappelez mais au tout début du Covid beaucoup de gens avaient du mal
à saisir la gravité de la situation parce que le nombre de malades augmentait doucement : il augmentait doucement, mais quand même de manière exponentielle, parce qu’au début d’une croissance exponentielle il y a une phase qui est encore relativement calme. Mais ensuite après cette phase tranquille vient la phase où la croissance est hors de contrôle, et c’est cette phase qu’il est assez difficile d’appréhender psychologiquement parlant. Puisqu’on vient de parler de concepts contre-intuitifs, le concept d’exponentiel en fait certainement partie.

Mais si M. Giussani nous en parlait en 2017, ce n’est pas pour son importance en épidémio logie, mais parce que selon lui la science et la technologie ont aussi une croissance exponentielle, et que, toujours selon lui, on vient tout juste de quitter la phase où cette croissance est appré hendable pour entrer dans la phase où cette croissance devient démesurée. Pour le pire comme le meilleur, c’est pas non plus un texte catastrophique. M. Giussani fait simplement remarquer que nos sociétés, nos gouvernements, nos institutions ne sont pas préparées à cette croissance exponentielle.

Bon perso les angoisses sur notre capacité à gérer le progrès ne m’ont jamais trop convain cues personnellement, et puis dans un monde où l’énergie va devenir limitée le progrès ne va probablement pas continuer à croître de la même manière, mais il est certain que ce concept d’exponentiel est un concept important qui devrait être mieux connu, comme nous l’a montré la crise du Covid.

Et nous allons terminer avec Barnaby Marsh, qui souhaite insister sur le concept d’humilité, humilité face à ce que nous ne savons pas, et humilité face à la possibilité de se tromper, même sur des choses en lesquelles on a autrefois eu confiance. Comme il le dit lui-même, « En ce moment-même, quelqu’un quelque part dans le monde est en train de questionner quelque chose que nous tenions tous pour certain, et cela changera radicalement notre futur ». Comme le disait l’entomologiste Richard Southwood à ses étudiants à la fac : « rappelez-vous que peut être 50% de ce que vous allez apprendre n’est pas tout à fait vrai, voire carrément faux. C’est votre boulot de trouver où de nouvelles idées sont nécessaires. »

Et ça me semble être une conclusion parfaite pour vous inciter à réfléchir à quelles idées présentées aujourd’hui sont probablement fausses.

Je m’arrête là, si vous voulez creuser un peu plus tout ça vous pouvez aller faire un tour sur ce site web, Edge.org, mais attention, vous pourriez y passer des jours entiers. Déjà y’a une
vingtaine de questions recensées, jvous en redonne quelques unes pour aiguiser votre curiosité : « quelle idée est dangereuse ? », « qu’est-ce qui vous rend optimiste ? », « quelles questions ont disparu ? », mais en plus chaque question est répondue par des centaines d’intellectuels, et chaque intellectuel peut faire appel à des concepts qui vous demanderont pas mal de travail personnel. Ça peut se transformer en vrai trou de lapin si vous n’y prenez pas garde.

Et petit avertissement quand même si vous allez sur ce site, certaines des choses que vous allez lire sont extrêmement spéculatives, parce que c’est quelque chose d’encouragé là-bas, et parce que les universitaires adorent spéculer dès qu’ils n’ont plus besoin de mettre des références à chaque affirmation comme ils le font dans un article scientifique. Donc attention, ya rien qui vous assure que ce que vous allez lire sur ce site est vrai, ni même pertinent, y’a des intellectuels qui sont complètement hors-sol, et yen a d’autres dont la discipline est engluée dans une crise de réplicabilité. Mais si vous arrivez à garder du recul sur ce que vous lisez, vous devriez passer un bon moment.

Enfin, je termine en vous rappelant que que je suis en pleine campagne de financement participatif pour publier un nouveau livre, qui parlerait des questions éthiques et politiques autour des recherches sur la biologie du comportement humain, et en particulier de si ces recherches sont un obstacle au progrès social. Le but c’est de produire une version améliorée de ma dernière grosse vidéo, mais ça ne pourra se faire que si on atteint les 500 précommandes. À l’heure où je tourne cette vidéo, elles ne sont toujours pas atteintes, alors si jamais un tel livre vous branche, ou si vous voulez faire découvrir ces sujets à vos proches, le lien pour contribuer est en description. Merci d’avance.

Références

1. Heyer, E. L’odyssée des gènes Illustrated édition. isbn : 978-2-08-142822-5 (FLAMMA RION, Paris, 2020).
2. Heyer, E. & Mazel, A. La vie secrète des gènes Illustrated édition. isbn : 978-2-08- 028975-9 (FLAMMARION, oct. 2022).
3. Dehaene, S. Apprendre ! : Les talents du cerveau, le défi des machines isbn : 978-2-7381- 4542-0 (JACOB, Paris, sept. 2018).
4. Marr, D. & Ullman, S. Vision : A Computational Investigation into the Human Repre sentation and Processing of Visual Information isbn : 978-0-262-51462-0 (The MIT Press, Cambridge, Mass, 1982).
5. Jablonski, N. G. & Chaplin, G. The Evolution of Human Skin Coloration. Journal of Human Evolution 39, 57-106. issn : 0047-2484 (Print)\r0047-2484 (Linking) (2000).
6. Jensen, T. Z. T. et al. A 5700 Year-Old Human Genome and Oral Microbiome from Chewed Birch Pitch. Nature Communications 10, 5520. issn : 2041-1723 (déc. 2019).
7. Forsell, E. et al. Predicting Replication Outcomes in the Many Labs 2 Study. Journal of Economic Psychology. Replications in Economic Psychology and Behavioral Economics 75, 102117. issn : 0167-4870 (déc. 2019).
8. Nosek, B. A. et al. Replicability, Robustness, and Reproducibility in Psychological Science. Annual Review of Psychology 73, 719-748 (2022).

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Commentaires

2 réponses à “Quel concept scientifique mérite d’être mieux connu ? 200 intellectuell·e·s répondent.”

  1. J’aurais bien aimé lire ce qu’écrit Linda Wilbrecht mais il n’y a pas le lien. Dommage.

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