En 1999, une équipe d’archéologues découvre les tombes de trois enfants enterrés à 25 m du sommet du Llullaillaco, un volcan situé à la frontière de l’Argentine et du Chili. Des tombes sont extraits une jeune fille de 15 ans, baptisée « La Doncella » (la jeune fille), un enfant de 7 ans (El Niño) et une fille de 6 ans (La Niña).
Un parfait état de conservation
Les momies sont en parfait état de conservation, comme vous pouvez en juger par vous-même :
Frappant de réalisme, comme s’ils étaient morts hier. Ce parfait état de conservation est dû à la combinaison de quatre facteurs :
- le Llullaillaco culminant à 6739 m, les momies étaient maintenues à des températures largement inférieures à 0°C.
- les momies étaient enterrées à 50 cm sous terre sous une couche de cendre volcanique. Or la cendre agit comme une barrière contre l’humidité.
- la cendre empêche également le développement de bactéries et de champignons pouvant décomposer les corps et mener notamment à la production d’adipocire.
- enfin, une grosse couche de neige rendit les tombes complètement hermétiques à l’air peu après leur fermeture.
Ces quatre raisons expliquent que ces momies sont uniques au monde dans la confiance que l’on peut avoir sur leur état de santé à la mort.
Petit détour culturel
Mais que faisaient donc ces enfants à 6714 m d’altitude il y a plus de 500 ans ? Ils furent probablement sacrifiés en l’honneur de Pachamama, la déesse de la terre chez les Incas, au cours de cérémonies que l’on appelle Capacocha. Wikipedia en anglais nous informe sur ces pratiques chez les Incas :
« Le Capacocha était la pratique inca de sacrifice humain, utilisant principalement des enfants. Les Incas réalisaient des sacrifices d’enfants pendant ou après des événements importants, comme la mort du Sapa Inca (l’empereur) ou pendant une famine. Les enfants étaient préférés aux adultes car considérés comme les plus purs des êtres. Ces enfants étaient également physiquement parfaits et en bonne santé, reflétant ce que les Incas pouvaient offrir de mieux à leurs dieux. Les victimes pouvaient avoir entre 6 et 15 ans.
Des mois et même des années avant le pélerinage sur le lieu du sacrifice, les enfants étaient engraissés. Leur régime alimentaire était celui des élites, riche en maïs et protéines. Ils habillaient les enfants de vêtements raffinés et de bijoux et les escortaient à Cuzco pour rencontrer l’empereur où un festin était donné en leur honneur.
Les prêtres incas emmenaient leurs victimes en altitude pour faire leurs sacrifices. Comme le voyage pouvait être extrêmement long et ardu, en particulier pour les plus jeunes victimes, des feuilles de coca leur étaient proposées à manger pour les aider à respirer et leur permettre d’atteindre le lieu du sacrifice vivants. Une fois ce lieu atteint, les enfants recevaient une boisson intoxicante pour minimiser leur douleur, leur peur et leur résistance, puis étaient tués par étranglement, un coup porté à la tête ou simplement laissés là pour perdre connaissance et mourir du froid extrême. »
Présence d’une infection pulmonaire
Mais ce ne sont pas ces pratiques qui nous intéressent dans le cas présent. Ce qui nous intéresse, c’est le parfait état de conservation de ces momies qu’a mis à profit une équipe de scientifiques, emmenée par Angelique Corthals, pour déterminer leur état de santé à leur mort. Et les résultats viennent de paraître dans un article de Plos daté de ce mois-ci.
En analysant des échantillons de sang, les auteurs ont pu montré que La Doncella, victime la plus âgée, avait un profil immunitaire indiquant la présence d’une infection bactérienne pulmonaire au moment de sa mort. La présence du pathogène Mycobacterium sp. est confirmée par l’analyse ADN d’un prélèvement buccal. Cette réponse du système immunitaire n’est pas détectée chez le petit garçon (El Niño) qui servit de contrôle. Aucune analyse n’aura été faite chez la petite fille (La niña) car elle fut selon toute vraisemblance frappée par la foudre au cours des 500 ans de sa présence sous terre, qui brûla partiellement ses restes. Elle est maintenant d’ailleurs surnommée « La niña del rayo » pour cette raison (« La fille à l’éclair »).
Si vous n’êtes pas familiers avec l’archéologie ou la médecine légale, vous trouverez probablement déjà cette découverte intéressante en soi. Découvrir l’état de santé d’un individu à sa mort, quand la mort remonte à plusieurs siècles, c’est déjà quelque chose de merveilleux en soi. Pourtant, ce n’est pas la première fois que l’on arrive à préciser les pathologies ayant entraîné la mort d’individus ayant vécus il y a plusieurs siècles. L’analyse ADN après amplification par PCR a par exemple été utilisée pour découvrir des pathologies liées à la mort précoce de Toutânkhamon. D’après Wikipedia :
Plusieurs hypothèses ont été avancées sur les raisons de la mort [de Toutânkhamon]. L’examen de sa momie a révélé une blessure au bas du crâne qui laissait supposer qu’il n’était pas mort d’une mort naturelle mais des suites d’une infection généralisée provoquée par une plaie au niveau des jambes (il existe une fracture de l’extrémité inférieure du fémur gauche, avec des signes d’infection locale à la tomodensitométrie). Des résultats publiés en février 2010 montrent que l’ADN de Toutânkhamon contient un gène spécifique du parasite responsable de la malaria et indiquent qu’il serait mort du paludisme combiné à une maladie des os. Cependant d’autres chercheurs ont trouvé des traces, sur les os de ses orteils, caractéristiques des personnes souffrant de drépanocytose, maladie touchant 9 à 22 % de la population vivant dans les oasis égyptiennes.
L’utilisation de la protéomique
Ce qui est nouveau et prometteur dans cette publication, c’est d’avoir utilisé la protéomique plutôt que la génomique pour déceler les pathologies présentes dans le cadavre. Sans entrer dans les détails, la protéomique est la science qui étudie les protéines présentes dans un organisme, par opposition à l’étude du génome (de l’ADN) d’un organisme (ce que l’on appelle la génomique). Les protéines sont néanmoins toutes issues de séquences d’ADN et caractérisent donc un organisme de façon aussi précise que l’ADN. Dans le cas qui nous intéresse, la protéomique peut donc servir à identifier quels organismes pathogènes sont présents dans tel ou tel cadavre. Mais pourquoi donc s’intéresser aux protéines pour identifier des pathogènes si on sait déjà le faire avec de l’ADN ? Pourquoi faire de la protéomique si la génomique aboutit au même résultat ?
La réponse est que cela n’aboutit pas exactement au même résultat. La génomique permet de déceler quels pathogènes sont présents dans un cadavre, et on se permet en général d’en déduire les maladies dont pouvait souffrir l’individu étudié. Mais il s’agit d’un raccourci de pensée qui peut parfois être trompeur : la présence d’un pathogène ne signifie pas forcément la présence de la maladie associée. Un pathogène peut être présent à l’état latent sans entraîner de réactions chez son hôte. Par conséquent, il n’est pas toujours possible de conclure à la présence d’une infection chez un individu à partir de la présence d’un certain pathogène.
Par contre, si l’on pouvait détecter la réaction immunitaire d’un individu au moment de sa mort, il serait possible d’être certain de la présence d’une infection. Et c’est ici qu’entre en jeu la protéomique ! Parce qu’elle se base sur l’analyse des protéines composant le système immunitaire de l’hôte, elle permet de déterminer avec certitude si une infection était en cours au moment de la mort du sujet. (Pour les puristes, les dosages par anticorps permettent également de déterminer l’état du système immunitaire de l’hôte, mais ils nécessitent des échantillons frais et induisent plus de faux-positifs et faux-négatifs.)
Les promesses de la protéomique
En résumé, on peut distinguer trois gros avantages à la protéomique dans la détection de pathogènes, par rapport aux méthodes traditionnelles :
- tout d’abord, la durée de vie des protéines peut dépasser de milliers voire de millions d’années celle de l’ADN.
- ensuite, la protéomique (analysant le système immunitaire) révèle la présence d’une infection plutôt que la présence d’un pathogène, et n’utilise pas de méthodes d’amplification des échantillons (comme la PCR de l’ADN), ce qui la rend plus fiable que les méthodes génétiques.
- enfin elle permet, par rapport aux méthodes immunologiques, la détection d’un spectre large de protéines à partir d’échantillons restreints.
Ce qui ne veut pas dire que génétique et immunohistochimie sont à jeter ; au contraire, une complémentarité sera intéressante à développer. Par exemple, la protéomique pourra intervenir en premier pour identifier les réponses du système immunitaire impliquant la présence d’un certain pathogène, et la présence de ce pathogène sera ensuite confirmée par des analyses ADN.
Les applications de la protéomique sont en tout cas prometteuses et alléchantes autant pour l’archéologie que la médecine légale et les sciences criminelles, à surveiller dans le futur !
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