Le comportement est un médicament.

On ne prend pas le comportement assez au sérieux ! Le comportement est une des « armes » les plus importantes dont nous disposons à l’heure actuelle pour lutter contre la crise, et cette arme pourrait être mieux optimisée. Petite illustration de ce que les sciences comportementales peuvent apporter aux politiques publiques.

Pour combattre une épidémie, on pense tout de suite à la médecine, et quand on pense à la
médecine, on pense aux remèdes, aux médicaments et aux vaccins qui pourraient nous sauver
la vie. Mais le problème des remèdes, médicaments et vaccins c’est qu’ils prennent du temps
à être développés. Et quand on est confrontés à une maladie nouvelle comme le coronavirus
Sars-cov-2 de son petit nom, c’est encore plus frappant : aucun médicament n’a encore fait ses
preuves, et aucun vaccin ne sera prêt avant au mieux un an et demi.
Les médecins disposent de quelques moyens pour alléger les symptômes des patients, mais
notre principale arme jusqu’ici contre le coronavirus a été l’arme comportementale. La plupart
des solutions qu’on a mises en place contre SarsCov2 sont des solutions comportementales,
des solutions qui font appel à un changement de nos comportements : se laver les mains,
rester chez soi, garder des distances minimales, tousser dans son coude, regarder des vidéos de
vulgarisation, etc, etc…

Les mesures comportementales ont toujours fait partie de la médecine. Par exemple, quand
on vous saoule pour manger cinq fruits et légumes par jour, ou qu’on vous demande de faire
plus de sport, c’est bien parce qu’on essaie de lutter contre des maladies, à titre préventif. Mais
le comportement est aussi utilisé à titre curatif, comme quand on vous demande de prendre
plus le soleil pour guérir d’une insuffisance en vitamine D et d’éteindre la télévision pour guérir
d’une insuffisance en vitalité.
On a tendance à l’oublier, mais le comportement, c’est très important : l’OMS estime que
plus de la moitié des années de vie en bonne santé qui sont perdues dans les pays de l’OCDE
sont perdues pour des raisons comportementales : à cause du tabagisme, de l’alcool, ou des
accidents domestiques, qui sont tous des problèmes de comportement, pas des problèmes liés à
des bactéries ou des virus [1].
Malgré tout ça, j’ai l’impression qu’on dénigre encore pas mal le comportement comme
moyen de rester en bonne santé, et qu’on est trop dans l’attente du médicament miracle. Qui
serait content d’aller chez son médecin et d’en ressortir avec comme seule prescription un
changement de comportement ?
C’est pourquoi, même si le mot « médicament » est normalement réservé aux *substances*
qui font guérir, je vais défendre dans cette vidéo l’idée qu’on aurait tout intérêt à considérer le
comportement comme un médicament, et l’idée que ce médicament est très, très, très largement
sous-utilisé dans la crise actuelle.

Cette vidéo va vous rappeler un peu la vidéo sur les nudges, mais on va aller beaucoup plus
loin, parce que les nudges ne sont qu’une des façons d’utiliser les connaissances sur le comportement
humain pour faire de meilleurs politiques publiques. Les nudges ne sont d’ailleurs pas
toujours très bien vus par les chercheurs en sciences comportementales parce qu’ils ont tendance
à prendre toute la lumière et à donner un côté bricolage aux sciences comportementales.
Si c’est vrai que l’exemple de la mouche des urinoirs est toujours drôle, surtout pour mes
abonnés et leurs cinq ans d’âge mental, les sciences comportementales peuvent apporter bien
plus que ça, que ce soit en amont en essayant de construire des politiques publiques adaptées
au cerveau humain, que l’on teste avant de lancer à grande échelle, ou en aval en essayant de
comprendre pourquoi certaines politiques publiques marchent moins bien que d’autres.
(Cette vidéo est un résumé d’une conférence qu’ont donné la semaine dernière des chercheurs
en sciences comportementales. Je reviendrai dessus en fin de vidéo.)
Un premier point très important dans la crise actuelle c’est la communication, tout ce qui
peut clarifier, faciliter la communication est bon à prendre, puisqu’évidemment si les gens ne
reçoivent pas les consignes ou les comprennent mal ils ne risquent pas de les appliquer. D’ailleurs
rappelez-vous que la Facilité était un des quatre grands points que vous pouviez optimiser dans
une stratégie de nudge, avec le Social, le moment Opportun et l’Attractivité.
Pour mieux communiquer, passer par de la communication visuelle est très important : non
seulement utiliser des infographies, mais aussi faire attention aux formulations. Plutôt que dire
qu’un traitement réduit les risques de 50%, utilisez ce type de schéma [2]. Faites attention
à votre autocentrisme quand vous créez des documents grand public, si vous êtes en train de
créer une infographie, il y a de fortes chances pour que votre niveau d’études soit supérieur à
la moyenne, et si pour vous c’est très intuitif de comprendre ce que veut dire une réduction de
50%, il y a plein de gens pour qui ça ne l’est pas.
Autre astuce pour clarifier la communication : simplifier le message. Il faut éviter de
multiplier les messages : en anglais ils ont cette expression « less is more », moins c’est plus, qui
veut dire que parfois transmettre moins d’informations va aboutir à un message plus efficace.
Par exemple on sait que certains nouveaux traitements contre le SIDA ont été moins bien suivis
dans le passé parce qu’ils étaient trop complexes. On savait qu’ils étaient supérieurs en théorie,
mais en pratique cette efficacité était atténuée parce que les gens avaient plus de mal à les
suivre [3].

Quand vous n’avez pas d’autre choix que d’utiliser des mots, attention à nouveau à votre
autocentrisme, utilisez du langage simple. Le but d’un message grand public n’est pas de
montrer à quel point vous maîtrisez la langue de Jean-Baptiste Molière, faites relire votre texte
à un géologue pour être sûr que tout le monde le comprendra.
Aussi, n’utilisez PAS d’échelle logarithmique, ça c’est quelque chose de très pertinent dans le
cas de la Covid19, on voit passer beaucoup de graphes en échelle logarithmique, où sur l’axe des
ordonnées chaque gradation supplémentaire correspond à une augmentation différente. C’est
une représentation très utile pour les scientifiques mais pour le grand public c’est très contreintuitif,
mieux vaut vous en passer.

Dans la même veine, n’utilisez *pas* de pourcentage ou de probabilité, ne dites pas 20%
d’infectés ou une probabilité d’être infecté de 0,2, dites 2 personnes sur 10 seraient infectées.
Voilà donc les mathématiciens vous dégagez là, ne laissez pas un matheux s’approcher d’une
infographie grand public, et encore moins un bayésien, il va vous mettre des intervalles de
crédibilité dans tous les sens on va plus rien piger.

Je vous mets tout un tableau de recommandations en accéléré, si ça vous intéresse ou
que vous bossez dans le domaine de l’infographie vous pourrez faire pause sur la vidéo, et la
publication associée est comme d’habitude en référence dans la description [2].
Pour savoir à l’avance quel message sera le plus efficace, c’est pas toujours facile, alors il
faut tester. Une équipe de recherche a par exemple testé lequel de ces trois posters était le plus
clair et le plus facilement mémorisé, vous avez un poster anglais, un poster singapourien, et
un poster italien. L’expérience a montré que le poster italien était le moins efficace, ça on s’en
doutait, étant donné qu’ils ont oublié l’élément de communication le plus important en Italie,
mais cette expérience a aussi montré que le poster anglais était aussi peut-être un peu plus
efficace que le singapourien [4]. Quelques pourcentages d’efficacité en plus, mais qui à l’échelle
de populations entières peut faire la différence.

Autre astuce, fournir des instructions spécifiques. Plutôt que dire de « ne sortir de chez soi
que pour des raisons impérieuses », qui laisse la place à l’interprétation de ce qu’est une raison
impérieuse, lister toutes ces raisons impérieuses. Faire des listes de ce qui est autorisé ou pas
est très efficace, des listes de Do’s et Don’t, les Youtubeurs qui nous saoulent à faire des listes
tout le temps bah là pour une fois c’est le bon moment.

Ensuite, je vous disais dans la vidéo précédente que la fonction évolutionnaire du dégoût
était probablement de nous tenir éloignés des pathogènes, les psychologues évolutionnaires
appellent même le dégoût le système immunitaire comportemental [5]. Ce système immunitaire
comportemental est un puissant allié pour nous aider à nous tenir éloignés des gens qui toussent
ou éternuent, mais il est moins efficace pour nous tenir éloignés des poignées de main. Pour
faire jouer le dégoût en notre faveur dans le cas des mains, il faudrait qu’on arrive à montrer
que les mains non lavées sont vraiment des trucs dégueus. Une solution pour ça serait de
diffuser ce genre d’images : des boîtes de pétri où une main qui vient de toucher un caddie
de supermarché a laissé son empreinte. Les boîtes de Pétri sont des milieux de culture où les
bactéries grandissent facilement, donc au bout de quelques jours on peut facilement observer
les colonies de bactéries qu’on avait sur les mains. Ici vous avez une comparaison entre des
mains lavées et des mains non lavées. Et ici des mains qui ont touché un menu de restaurant.
Pourquoi pas des pubs à la télé qui montreraient ces images ? Entre deux pubs pour du kouign
amann ça passerait tout seul.

Plongeons encore un peu plus dans les profondeurs du comportement humain. Si vous êtes
spectateur assidû de ma chaîne, vous devez vous souvenir que dans ma série sur la morale on
avait parlé de toute l’ambivalence du comportement humain : à la fois égoïste et à la fois moral.
Ce qui permet deux stratégies pour influer sur le comportement des gens : soit parler à leur
égoïsme, soit parler à leur sens moral, deux stratégies qui ne sont pas mutuellement exclusives.
Si vous choisissez de parler à l’égoïsme des gens, vous devez essayer de leur faire peur, en
matérialisant les risques qu’ils encourent du mieux que vous pouvez. Si vous choisissez cette
stratégie, les psychologues recommandent de ne pas avoir peur… de faire peur. Pourquoi ?
Pour deux raisons : d’abord parce que les mauvaises nouvelles voyagent mieux que les bonnes
nouvelles. Si vous êtes tout le temps dans un discours qui se veut rassurant, si vous dites « tout
va bien se passer, mais restez chez vous quand même », les gens risquent de n’écouter que d’une
oreille et vous risquez de diminuer l’impact de vos recommandations par rapport à une situation
où vous dites « la situation est très grave, restez chez vous » [6]. Vous n’avez pas besoin d’exagérer
la menace, mais il ne faut pas non plus l’atténuer. L’autre raison pour laquelle il ne faut pas
avoir peur de faire peur, et c’est en lien avec ma dernière vidéo sur la panique et le PQ, c’est
que la peur ne s’accompagne pas de panique généralisée contrairement à ce qu’on a tendance
à croire. Le plus gros danger dans une situation de crise, ce n’est pas que les gens réagissent
trop fortement, c’est qu’ils ne réagissent pas assez. Et en plus dans la situation actuelle, si la
panique ça se résume à une pénurie de PQ dans les supermarchés, hé bien je préfère largement
ça à des dizaines de milliers de morts en plus dans les hôpitaux.

Si vous choisissez cette stratégie de faire peur aux gens, il faut quand même faire attention à
informer les gens en même temps de ce qu’ils peuvent faire ou doivent faire, il faut leur donner
des consignes. Il ne faut pas laisser un cerveau humain dans une situation de danger sans qu’il
ne sache quoi faire, c’est très désagréable pour lui [7].
Donc ça c’est la stratégie « parler à l’égoïsme des gens » en leur faisant mesurer clairement
les risques qu’ils courent. Mais vous pouvez aussi choisir la stratégie « parler à la morale des
gens ». Cette fois, plutôt que d’insister sur les risques que courent les gens, vous insistez sur les
risques qu’ils font courir aux autres. Le gouvernement italien a par exemple utilisé une stratégie
comme ça en étant très précis sur les risques qu’un italien qui ne se confinait pas ferait courir
aux autres : 672 personnes infectées en un mois, dont 3 en moyenne qui mourraient. On dit aux
gens : si vous ne vous confinez pas, vous allez tuer 3 personnes en moyenne (basé sur des vrais
modèles). Certains d’entre vous trouveront sûrement ça choquant, mais est-ce plus choquant
de s’entendre dire ça ou de faire réellement mourir trois personnes qui n’avaient rien demandé
?
Et sans aller jusqu’à cet exemple italien extrême, on peut quand même remarquer que la
stratégie d’insister sur les risques qu’on fait courir aux autres est intéressante pour toucher
les personnes qui ne sont pas très sensibles aux risques qu’ils encourent eux-mêmes, je pense
notamment aux jeunes. Sachant qu’on peut se considérer jeune jusqu’à 31 ans à peu près. Hé
bien pour les jeunes, c’est pas très efficace de leur dire qu’ils peuvent mourir, d’abord parce que
dans le cas de la Covid19 leurs chances de mourir sont très faibles, mais aussi parce que quand
on est jeune on a pas peur, on est un bonhomme, c’est pas un ptit virus qui va nous empêcher
d’aller supporter le Paris Saint Germain en huitième de finale de la Ligue des champions. Donc
quand on s’adresse aux jeunes c’est a priori plus efficace d’insister sur les risques qu’on fait
courir aux autres. En plus de lancer un hashtag RestezChezVous, on aurait peut-être dû aussi
lancer un hashtag JeFaisPasÇaPourMoi.

Et le plus fou c’est qu’insister sur les dangers qu’on fait courir aux autres marche aussi avec
les soignants ! Une étude a montré que pour encourager le personnel soignant à se laver plus les
mains, il était plus efficace de leur dire que « se laver les mains empêche les patients d’attraper
des maladies » que de leur dire que « se laver les mains vous empêche d’attraper des maladies » [8].
On pourrait aussi transférer le concept des hashtags ou des photos de profil RestezChezVous
dans la vraie vie. Ce hastag RestezChezVous a pas mal circulé sur les réseaux sociaux. Il a
deux intérêts majeurs : d’une part contribuer à la diffusion des consignes mais aussi marquer
son propre attachement au respect des consignes. Arborer ce hashtag, c’est en quelque sorte
montrer que l’on se comporte bien soi-même. Et ça c’est très important, parce que même
si beaucoup de gens n’hésitent pas à coopérer sans rien attendre en retour, quand on donne
aux humains un moyen de rendre publiques leurs bonnes actions ça les incite à les renforcer.
Au moment du déconfinement, ce serait excellent si on pouvait donner un moyen aux gens de
montrer qu’ils respectent les règles de distances de sécurité. Par exemple en mettant en place
un système de ruban coloré, comme le ruban du SIDA, qui serait un moyen de montrer que
l’on continue à respecter les règles de distanciation sociale malgré le déconfinement. Plus on
donnera aux gens de moyens de montrer qu’ils respectent les règles, plus ils seront enclins à les
suivre.

« Oups, j’ai fait tombé ma carte de donneur de sang. Premier don effectué dès l’âge de… 18
ans ! Ha ouais j’avais complètement oublié ce détail. »
Enfin, dernier point hyper important dans cette crise, c’est la confiance. C’est hyper important
de renforcer la confiance que les citoyens ont dans l’idée que les autres respectent
aussi les consignes, parce qu’on aura plus tendance à respecter les consignes si les autres les
respectent aussi. Tout ça s’analyse très bien en termes de coûts d’opportunité mais je ne vais
pas développer ce sujet ici.
Or à l’heure actuelle il est très probable que les Français aient une vision faussée du comportement
de leurs voisins. Un sondage a montré que 73% des Français pensent que les autres
n’en font pas assez, alors que dans le même temps 90% des Français déclarent rester chez eux,
se laver plus les mains et faire beaucoup d’efforts [9]. Ces deux chiffres ne sont pas compatibles,
donc soit les Français mentent sur leurs propres comportements, soit ils ont une vision erronée
du comportement des autres. Et pourquoi on aurait une vision erronée du comportement des
autres ? Parce que les bons comportements ne reçoivent pas beaucoup de publicité. Non seulement
pour les médias c’est pas très intéressant de faire un reportage sur les gens qui restent
chez eux, mais en plus le bon comportement est un comportement invisible. Rester chez soi est
un comportement invisible, les seuls comportements visibles sont les comportements de ceux
qui transgressent.

Ce qui serait intéressant, ce serait d’informer les gens sur le niveau réel de respect des
consignes. Plutôt que de faire tourner en boucle les images de gens qui sortent bronzer dans les
parcs, il nous faudrait des statistiques sur le nombre de gens qui restent chez eux. Il y a fort
à parier que ce serait une écrasante majorité. Autre exemple, la police communique souvent
comme statistique le nombre d’amendes qu’elle a dressées par jour, mais elle pourrait aussi
diffuser le nombre de personnes qu’elle a contrôlé et qui étaient en règle.
Toutes ces petites mesures permettraient de restaurer la confiance des Français envers les
autres Français, et cette confiance est primordiale pour que les gens continuent à faire des
efforts. Au Royaume-Uni, une étude a montré que si vous informez les gens du nombre de
personnes qui paient leurs impôts dans les temps, qui est très élevé contrairement à ce que
beaucoup croient, cela permettait de diminuer significativement le nombre de paiements en
retard [10].
Toujours dans le domaine de la confiance, un autre point très important dont on ne tire pas
assez profit, c’est de la confiance qu’ont les Français dans les scientifiques. Regardez un petit
peu ce sondage IPSOS sur les professions en lesquelles les Français ont le plus confiance [11].
Tout en haut, qui on a, on a les scientifiques. Bon en vrai il y a une autre catégorie que l’IPSOS
a oublié, je la rajoute, mais bref, sinon c’est à peu près ça. Les gens en qui les Français ont le
plus confiance ce sont les scientifiques. Et à l’opposé de ça, regardez qui on a. Les politiques.
Les politiques sont les personnes en qui les Français ont le moins confiance. Alors si vous êtes
un ou une politique, ça va pas vous faire plaisir. Vous allez sûrement contester le bien-fondé
de cette opinion. Mais peu importe le bien-fondé de cette opinion, le fait est que cette opinion
est là. Et dans une situation aussi grave que celle que nous vivons aujourd’hui, il me semble
important que les politiques s’effacent le plus souvent possible au profit des scientifiques quand
il s’agit de parler aux Français, de leur annoncer de nouvelles mesures dont l’adoption pourrait
sauver la vie de milliers de personnes.

Actuellement, on a la chance d’avoir un conseil scientifique tout à fait compétent qui conseille
le gouvernement, et ils ont fait un effort de transparence en produisant des rapports
réguliers pour informer la presse et le grand public. C’est déjà pas mal, on aurait pu avoir un
gouvernement qui gouverne sans l’avis des scientifiques. Mais je trouve que cette chance extraordinaire
que les Français aient tant confiance dans les scientifiques n’est pas assez « exploitée »
entre guillemets, et j’espère qu’elle va l’être plus dans les semaines à venir.
Il est par exemple probable qu’un des enjeux forts du déconfinement sera l’adoption d’une
application de suivi qui permette de remonter à la source des infections rapidement. Mais
l’efficacité de cette application dépendra en grande partie du pourcentage de personnes qui accepteront
de l’installer sur leur téléphone, voir cette vidéo de Science4All pour plus de détails.
Il est probable qu’il y aura beaucoup de réticences. Mais j’espère que si nous en venons effectivement
à utiliser de telles applications, elles nous seront présentées non pas par des politiques
mais par des scientifiques qui seront capables de nous expliquer non seulement leur nécessité
mais aussi leur fonctionnement, en toute transparence. Si ça peut permettre de faire en sorte
que ces applications soient mieux acceptées, il me semble que cela justifie tout à fait que les
politiques se mettent en retrait.
Et pour ces mêmes raisons de conservation de la confiance j’en veux beaucoup aux scientifiques
qui profitent de la crise actuelle pour mettre en avant leur petite personne, leur petit
institut, leur petite molécule sur laquelle ils travaillent depuis des années, accusant les autres à
la moindre contradiction de lobbyisme et de complotisme. Ces personnes ne pensent qu’à leur
pomme et j’espère que la communauté scientifique les sanctionnera fermement quand la crise
sera passée.

Toujours dans le domaine de la confiance, on pourrait aussi s’appuyer sur la confiance qu’ont
les gens dans leurs communautés et en particulier dans les influenceurs, ça marche bien aussi.
Dr Nozman a fait des vidéos très bien sur le coronavirus, Squeezie aussi, c’est très important que
ces personnes influentes continuent à transmettre de l’info de qualité, leur impact est énorme.
Il faudrait que l’Élysée ait la ligne directe de Squeezie, personnellement ça m’étonnerait pas
qu’une vidéo de Squeezie ait plus d’impact que n’importe quel message de prévention que vous
diffuserez à la radio ou la télé, surtout pour atteindre les jeunes.
Toujours dans le but de maintenir une relation de confiance entre les émetteurs de consignes
et les receveurs des consignes, il faut essayer de ne pas donner de consignes contradictoires.
MAIS le problème c’est qu’on est aujourd’hui dans une situation où tout change très vite, où la
science progresse et avance chaque jour et il est donc normal que d’une semaine sur l’autre les
consignes puissent changer. Du coup, une des réactions normales des gens quand ils voient que
les consignes changent c’est de se dire que y’a plus personne à la barre, que personne ne sait
vraiment ce qu’il faut faire, ou pire, que certaines personnes ont menti dans le passé. À la place
de ça il faudrait que les gens comprennent que c’est au contraire rassurant que les consignes
évoluent, que ça veut dire que les consignes restent toujours adaptées à la situation et qu’elles
intègrent les dernières découvertes qu’on a faites sur le coronavirus.
Beaucoup de gens sont confrontés pour la première fois dans leur vie à la façon dont la
science fonctionne réellement, et pas à la science des manuels scolaires où tout semble figé
depuis longtemps et impossible à remettre en cause. La science de la vraie vie, la science réelle
est celle que l’on voit dans les médias aujourd’hui : elle prend du temps, on ne sort pas un
vaccin de sa poche comme ça en quelques jours, et puis elle s’auto-corrige en permanence :
un jour on pense que les personnes présymptomatiques ne sont pas très contagieuses, et deux
semaines après on a finalement assez de données pour penser le contraire. Ça fait partie du
processus scientifique normal, mais ce n’est pas très intuitif pour ceux qui ne baignent pas dans
les milieux scientifiques.

Pour que les gens ne perdent pas confiance en la science quand il reçoivent de nouvelles
consignes, il faudrait qu’ils aient cette vision de la science évolutive qui est différente de celle
qu’ils ont appris à l’école. Mais ça ça ne se fait pas du jour au lendemain. Idéalement, ça aurait
dû être fait en amont de la crise. Et c’est pourquoi la conclusion de cette tirade est évidemment
qu’on a besoin de plus d’argent pour la vulgarisation scientifique. Il faut de l’argent public pour
la vulgarisation, des chaînes comme Hygiène Mentale, le Réveilleur et Monsieur Phi sont des
chaînes d’intérêt général qui devraient être financées par de l’argent public.
Ok, je vais m’arrêter là.
Comme dans la vidéo nudge, je voudrais rappeler que les sciences comportementales ne
sont pas la panacée, et qu’il faut savoir rester humble. Ces sciences sont encore jeunes, elles
viennent de traverser une décennie d’incertitude où beaucoup de résultats ont été remis en
cause, et des résultats obtenus dans certaines conditions ne sont pas forcément généralisables
à d’autres conditions. On a aussi un problème de confrontation entre théorie et pratique, par
exemple, si on sait en théorie qu’il ne faut pas submerger les gens d’informations, dans le cas
du coronavirus chaque information a l’air très importante et ce serait difficile de savoir quelles
consignes ne pas transmettre.

On a aussi parfois tendance à dire que les apports des sciences comportementales sont du
domaine du cosmétique, que ce sont des méthodes qui vont faire gagner quelques pourcentages
d’efficacité mais qui ne vont pas non plus révolutionner les politiques publiques. Je pense que
c’est assez vrai, personnellement je considère que les sciences comportementales ont souvent un
rôle de lubrification des politiques publiques. Mais je pense que vous serez tous d’accord avec
moi pour dire que dans la vie, il y a des situations où la lubrification fait toute la différence. Je
pense bien sûr aux moteurs de nos voitures. Et quand bien même la lubrification ne jouerait
qu’un rôle mineur, ça ne veut pas dire qu’on peut la négliger. Vous avez peut-être entendu
dire qu’après le confinement, notre retour à une vie à peu près normale allait dépendre d’un
paramètre qu’on appelle le taux de reproduction, souvent noté Rt. C’est le nombre de personnes
qu’une personne infectée infecte en moyenne. Si ce paramètre est égal ou inférieur à 1, tout va
bien, parce que chaque personne infectée n’en infecte qu’une au plus, donc il n’y a pas croissance
de l’épidémie. Mais si ce paramètre augmente ne serait-ce que jusqu’à 1,1, on est foutus, ça veut
dire qu’on devra se reconfiner d’ici quelques mois. Une différence toute petite de 0,1 personnes
infectées en moyenne peut faire toute la différence entre un nouveau confinement ou pas. C’est
pourquoi en matière de politiques publiques, même des mesures de faible impact peuvent être
intéressantes, surtout quand elles coûtent très peu cher à mettre en oeuvre. Faire annoncer
les prochaines mesures par un scientifique plutôt que par un politique ça coûte quedalle, et
pourtant il y a fort à parier que ça aurait un effet non négligeable.
C’est un peu dommage que dans le conseil scientifique qui conseille notre gouvernement en
ce moment, il n’y ait aucun représentant des sciences cognitives. Le président du conseil M
Delfraissy est très bien au courant de l’importance de l’interdisciplinarité pour gérer cette crise,
puisque dès le début il a intégré un sociologue et une anthropologue à son équipe de choc, ce
qui est déjà super. Mais les sciences du cerveau ne sont pas du tout représentées, alors que
les principaux leviers d’action qu’on a à l’heure actuelle sont des leviers comportementaux. Je
répète, notre principal moyen de lutter contre l’épidémie à l’heure actuelle c’est de communiquer
avec des cerveaux, et on n’a aucun représentant des sciences du cerveau dans le conseil
scientifique. M Delfraissy, il n’est pas trop tard pour rajouter un ou deux psychologues à votre
équipe de choc.

Et ce d’autant plus que se trouve déjà au sein des services de l’État une équipe formée
à ces approches. Depuis quelques années existe en France un truc qui s’appelle la Direction
interministérielle de la transformation publique, abrégée DITP, et qui a pour but d’essayer de
réformer l’État et l’action publique, de rendre l’action publique plus efficace. Et cette DITP
comprend des docteurs en sciences cognitives qui utilisent les sciences comportementales dans
leur travail. Ils sont de plus en plus sollicités par différents ministères en ce moment, ce qui est
une très bonne chose, et ils accompagnent des initiatives plus spécifiques autour de la com sur
le coronavirus. Mais ils pourraient faire beaucoup, beaucoup plus, et j’espère que cette vidéo
vous en aura convaincu.
Dans les semaines qui viennent, on ne pourra pas compter sur un vaccin, et il est très
peu probable qu’on puisse compter sur un traitement – si un traitement est découvert tant
mieux, ça nous économisera quelques centaines de milliers de morts dans le monde, mais il
faudra sûrement faire sans. Les problèmes matériels, les problèmes structurels et le manque de
moyens des hôpitaux sont également très importants mais la plupart ne seront pas non plus
résolus en quelques semaines. Tout porte à croire que dans les semaines qui viennent, pour
lutter contre la crise et éviter un deuxième confinement, on ne pourra compter que sur nous,
et nos comportements. Alors ne l’oublions pas. Le comportement est un médicament.
Merci à Mariam Chammat, Coralie Chevallier, Nicolas Baumard, Hugo Mercier, Stephan
Giraud et Camille Lakhlifi de m’avoir laissé reprendre le contenu de leur conférence, je mets le
lien de la conférence entière dans la description. Et gros merci à Mariam pour la relecture.
La DITP a produit des guides très bien faits, que je vous recommande si vous voulez
approfondir ces sujets. D’abord ce guide vous parlera de l’idée générale derrière ces approches
comportementales des politiques publiques, de façon plus détaillée que je ne l’ai fait ici, et ce
deuxième guide qui vous donnera plein d’exemples d’études ou d’interventions dans le monde
qui ont utilisé les sciences comportementales.

Trois autres guides plus précis sont disponibles, un sur comment mieux organiser votre
travail, un sur la phobie administrative, utile pour tous ceux qui communiquent avec du public,
et un sur l’environnement et des moyens comportementaux pour essayer d’accélérer la transition
écologique. Tous les liens sont en description.

Merci enfin à Pouf, thomas, Guillaume, bertil, Victor et aux 867 autres humains qui me
soutiennent sur uTip et Tipeee, vous êtes des amours de primates. Prenez soin de vos cerveaux,
et à très bientôt.

References

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behavioural, environmental and occupational, and metabolic risks or clusters of risks in
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