Bonjour mes cher·e·s lecteurs et lectrices !
Après la publication de mon dernier billet qui était une réponse à ce billet, une réponse à ma réponse a été apportée (ici).
Je comptais faire une mini-réponse sur Facebook en me concentrant sur l’argument principal mais le nombre de choses à dire m’a motivé à ré-écrire un petit billet. Ce sera par contre ma dernière réponse, même en cas de nouvelle réponse, car une réponse à la réponse à la réponse de la réponse à la réponse ferait un peu beaucoup je trouve.
Je vais, comme le fait l’autrice, reprendre les paragraphes un à un avec captures d’écran. C’est parti !
Non, un argument d’autorité aurait été de dire « Croyez-moi parce que je suis chercheur en psycho évo », et de s’en tenir là. Là j’énonce simplement un fait, qui est que la formation en psycho évo insiste beaucoup sur la notion d’adaptation, bien plus que la formation en biologie, et même que la formation en biologie de l’évolution (j’ai aussi suivi des cours de master en évolution).
Non, ce n’est pas du relativisme au sens courant, car ce que je dis c’est que même des *experts* du domaine ne sont pas d’accord. On peut donc tout à fait en conclure que votre avis si tranché, même si c’est celui d’une experte, ne résoudra pas le débat.
Absolument, même si je trouve qu’il est important de distinguer la psychologie évolutionnaire au sens strict (héritée de Tooby et Cosmides) de la psychologie évolutionnaire au sens large (utiliser la théorie de l’évolution dans ses travaux sur le comportement humain), je compte défendre la psychologie évolutionnaire au sens strict. Ceux qui font de la psychologie évolutionnaire au sens large ne rejettent pas la psychologie évolutionnaire au sens strict sur ses méthodes mais sur certains de ses postulats (l’importance de la modularité par exemple).
Ce paragraphe est intéressant, introduire les niveaux de crédence est une excellente idée, j’en connais à qui ça va plaire ! Mais je n’ai aucune idée d’où vous sortez qu’on donne une crédence par défaut de 90 ou 99% aux résultats de psycho évo. Les chercheurs dans cette discipline, comme tous les chercheurs, sont toujours très prudents dans leurs conclusions.
Cela dit, la vraie question pour moi, et c’est un point que je pense très important dans notre débat, n’est pas quelle est la crédence de l’hypothèse adaptationniste, mais quelle est la crédence de l’hypothèse adaptationniste *par rapport aux hypothèses neutralistes* (ou quelles sont leurs contributions respectives).
Exact, mea culpa. À ma décharge, il y a bien une citation au présent » il y a un pseudo débat sur « la part de l’évolution due à la sélection naturelle versus due à la dérive ». » mais il fallait comprendre que c’est ce que vous *pensiez*.
Vous frisez la mauvaise foi. Il n’y a rien dans ce passage qui peut être qualifié d’argument d’autorité, « en loucedé » ou pas. Je cite un bouquin plein de références, ce qui est l’exact opposé de l’autorité. Par ailleurs, *vous* me requalifiez « psychologue évolutionniste », ce qui face à votre statut de biologiste ressemble bien à un argument d’autorité. Puisqu’on en est à se comparer puérilement les diplômes, sachez que j’ai une licence de biologie, un master de neurosciences (qui reste de la biologie à 80%), et une thèse où je n’ai fait presque que des modèles de biologie de l’évolution. Mon titre de « psychologue évolutionnaire » n’est là que parce que ces modèles s’appliquaient au comportement humain. Je n’usurpe donc pas mon titre en me revendiquant « biologiste ». Par contre, je trouve que votre « j’ai majoré mon master » en dit beaucoup sur la « qualité des arguments » que vous attendez dans un débat.
On pourrait arguer du fait qu’une méthode qui permet d’expliquer beaucoup de choses, c’est une méthode qui permet de *bien* expliquer. Mais ce n’est pas le point principal que je veux faire remarquer. Le point principal, que vous avez raté apparemment, c’est qu’il n’existe qu’UN mécanisme pour expliquer les adaptations. C’est la sélection naturelle. La dérive ne produit pas d’adaptations. Donc c’est pas une histoire de privilégier une hypothèse par rapport à d’autres. C’est une histoire que dans certains cas (et on a des critères pour mettre en évidence ces cas, cf Williams 1966), on n’a qu’une explication possible pour expliquer ce qu’on observe.
Explicitez comment vous définissez ce qui est « pas évident ». C’est là le fond du problème.
Cette déclaration montre, comme je le suspectais dans ma première réponse au vu du peu de références aux textes classiques, que bien que je ne remette pas en question vos nombreuses connaissances en biologie de l’évolution, vous manquez quand même un peu de lectures sur la question de l’adaptationnisme en particulier. La fonctionnalité est en effet une des deux grandes façons de définir une adaptation. Je vous mets l’extrait d’Evolution de Ridley (un livre de biologie de l’évolution, pas de psycho évo) :
Ces caractéristiques sont :
« Standards for evaluating a hypothesized function of an adaptation typically include efficiency (solving the problem in a proficient manner), economy (solving the problem in a cost-effective manner), precision (all the component parts specialized for achieving a particular end), and reliability (performing dependably in the contexts in which it is designed to operate) (see Confer et al., 2010; Tooby & Cosmides, 1992, 2005; Williams, 1966). »
Pinker dit que les sujets sexys peuvent expliquer le succès de la psycho évo. Mais il ne dit pas que la psycho évo ne s’intéresse qu’à ça. La psycho évo s’intéresse à toute la cognition.
Ok pour la distinction hypothèses / hypothèses de travail. Mais ces hypothèses de travail sont aussi celles d’un grand nombre de biologistes. Elles ne sont pas spécifiques à la psycho évo. Étant donnée la controverse sur l’adaptationnisme dans la communauté des biologistes, ce n’est pas un billet de blog qui permettra de trancher la question. Même si je répète que vous avez le droit de donner votre avis. Je veux dire que votre billet donne l’impression que vous apportez des idées nouvelles et que tout biologiste de bonne foi qui le lirait serait convaincu. Cela ne va pas du tout de soi.
S’il y a quelqu’un qui semble penser que les hypothèses sont mutuellement exclusives, c’est vous, avec votre insistance sur l’opposition H0/H1. C’est bien parce que je pense que les hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives que je dis « renforcer / défavoriser », et pas « accepter / rejeter ». C’est bien parce que je pense que les hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives que je pense qu’on peut déjà parler d’adaptation sans envisager toutes les autres hypothèses.
Exemple concret : vous seriez d’accord avec moi pour dire qu’un oeil est une adaptation, crédence à 99% ?
Bien.
Maintenant, peut-être que l’oeil n’est pas à un optimum ? Peut-être qu’il pourrait récolter la lumière de façon encore plus efficace ?
Peut-être, mais même en son état actuel, il reste une adaptation.
Peut-être qu’il y a des contraintes qui font que l’oeil ne pourra jamais atteindre son optimum ? Peut-être, mais il reste une adaptation.
Peut-être que la dérive a joué un rôle dans la formation de certains composants de l’oeil ? Peut-être, mais il reste une adaptation.
Peut-être que l’oeil est une exaptation, qu’il a évolué d’abord pour une fonction puis pour une autre ? Peut-être, mais il reste une adaptation.
C’est pour cela que vos critiques ne sont pas justifiées pour moi. Il existe des critères qui permettent de mettre en évidence des adaptations. Quand ces critères sont réunis, on peut parler d’adaptation, sans qu’on ne soit un adaptationniste naïf qui néglige forcément tous les autres mécanismes évolutionnaires.
Entièrement d’accord. Mais cela ne doit pas nous empêcher de parler d’adaptation, comme je l’ai montré ci-dessus.
Personne ne dit que la sélection fait tout. Ça ne sert à rien de faire des captures d’écran si c’est pour me faire dire des choses que je n’ai pas dites ensuite.
Là où l’opposition entre sélection naturelle et [autre mécanisme] est intéressante, c’est quand il s’agit d’essayer d’évaluer les contributions respectives de chacun des mécanismes. Or, un moyen important d’évaluer la part de la sélection naturelle, c’est d’évaluer à quel point le trait en question est une adaptation, car *la sélection naturelle est le seul mécanisme pouvant produire des adaptations*.
Reprenons notre métaphore de l’oeil : imaginez que vous vous baladiez dans la nature, et que vous tombez sur un oeil pour la première fois, vous n’en avez jamais vu auparavant. Vous remarquez tout de suite à quel point c’est une structure complexe dont l’organisation entière *semble* avoir été façonnée dans le but de récolter des rayons lumineux et les projeter sur la rétine.
Maintenant, je vous mets un pistolet sur la tempe, à-la-Monsieur-Phi, et je vous demande : « pensez-vous que cet oeil a évolué plutôt par sélection naturelle ou par dérive [ou autre mécanisme de votre choix] ? Si vous vous trompez je vous tue. »
Évidemment, on n’est pas sûrs de la réponse à 100%. Mais si vous deviez parier, la sélection naturelle serait évidemment la réponse qui vous permettrait de maximiser vos chances de survie.
Je ne sais pas si vous acceptez et comprenez ce point sur la hiérarchie des explications ? Qui n’est pas en contradiction avec ce que je disais avant. Si on peut accepter qu’une adaptation contienne un peu de dérive (mais c’est pas parcimonieux), on ne pourra jamais accepter que la dérive à elle seule ait créé une adaptation. C’est pourquoi la sélection naturelle est l’explication par défaut quand on étudie les adaptations.
Si vous en doutez, je vous recommande une fois de plus Evolution, de Ridley. Regardez rien que le sommaire :
Il me semble que « Pluralism is appropriate in the study of evolution, not of adaptation » est une réponse en une ligne à tout votre billet de blog. Certains chercheurs, en biologie et en psychologie évolutionnaire, ont comme programme de recherche de trouver des adaptations. Cela explique pourquoi ils ne parlent que de sélection naturelle pour les expliquer. Voilà pourquoi contrairement à ce que vous pensez, on peut négliger les effets de la dérive etc quand on pense tenir une adaptation entre les mains.
Dans ce cas, il fallait l’écrire noir sur blanc dans vos deux billets. Maintenant vos billets sont utilisés pour dire que la psycho évo a des bases théoriques faibles, n’y connaît rien en évolution, etc…
Cf mon exemple de l’oeil ci-dessus.
Ce n’est pas être charitable que de dire « gentiment naïf », c’est même très condescendant, pour reprendre le terme dont vous m’affublez sur Facebook. Évidemment que je parle des héritiers de Gould et Dawkins.
Je me retiens très fort, dans une perspective de garder ce débat apaisé, de faire un commentaire sur le fait que vous vous considériez « incarner parfaitement la jeune génération bien formée », je vais juste faire remarquer une chose, non seulement je suis autant de la jeune génération que vous, avec une formation qui me semble pas dégueu même si je n’ai pas majoré mon master, mais en plus, comme je vous l’ai déjà dit, vos critiques sont connues depuis peut-être 50 ans, et ça n’a pas empêché des générations de chercheurs en biologie de l’évolution d’adopter quand même le programme adaptationniste. Je ne sais pas si ça peut vous faire réfléchir au fait que peut-être vos critiques ne sont pas si pertinentes que ça. A minima, je pense que vous pourriez éviter le côté « lanceur d’alerte » de votre article. Même si c’est certain que tous ceux qui le retweetent semblent découvrir ces débats.
Je n’ai jamais dit qu’une formation en biologie de l’évolution et en épistémo de l’évolution étaient équivalentes. Ce que je dis, c’est que comme le problème du départage des hypothèses évolutionnaires et de la mise en évidence d’adaptations est au coeur de la biologie de l’évolution, tout bon cours de biologie de l’évolution devrait insister là-dessus, ce qui est peu fait en pratique.
Après je suis entièrement d’accord que plus d’épistémo ne ferait de mal à personne.
Et bien non, pas un argument d’autorité. La psychologie évolutionnaire étant depuis longtemps attaquée sur ses méthodes, il y a toute une réflexion « épistémologique » justement sur ses méthodes et la façon dont on prouve l’existence d’une adaptation. Réflexion enseignée en cours. C’est important de le savoir car vous commencez votre article suivant en disant que ces problèmes sont exacerbés en psychologie évolutionnaire, or c’est tout le contraire pour moi.
Vous n’avez pas compris pourquoi je citais ça. Williams reconnaît pleinement le rôle de la dérive ET POURTANT il pond un bouquin sur les adaptations et la façon de les reconnaître et étudier. Bouquin qui est encore une référence aujourd’hui.
J’espère que mes réponses plus haut vous aideront à comprendre pourquoi je pense que vous vous trompez. On n’a pas besoin de connaître les déterminismes génétiques de l’oeil pour savoir que l’oeil est une adaptation… Dans un sens, s’il fallait vraiment comprendre tous les mécanismes génétiques pour pouvoir parler d’adaptation, Darwin n’aurait jamais eu le droit de proposer sa théorie, puisqu’on ignorait tout de la génétique à son époque…
Merci de votre lecture, et à bientôt.
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