Les opposants à la psycho évo / génétique comportementale / écologie comportementale s’offusquent parfois qu’on les présente comme des « personnes qui ignorent la génétique », sont « allergiques à Darwin » ou « biophobes ». Homme de paille qu’ils disent ! Ont-ils raison ? Oui et non.
Oui, car il existe beaucoup de façons d’envisager les relations gènes-environnement ou l’importance de la génétique / évolution pour expliquer les comportements, et qu’il est certain qu’ils ne les rejettent pas toutes. Par exemple, certains sont biologistes de formation, et appliquent la génétique/évolution tous les jours à la compréhension des cellules, hormones, etc. Donc peut-être qu’il serait plus juste de dire qu’ils sont hostiles à la génétique *appliquée au comportement* ?
Sauf que certains étudient aussi la génétique du comportement, mais sur des espèces non-humaines, et ils acceptent parfaitement que l’évolution explique un paquet de comportements animaux. Donc il faudrait plutôt dire « hostiles à la génétique appliquée au comportement *humain* » ?
Sauf que certains acceptent que la génétique influence les comportements humains, mais seulement les basiques (manger, dormir, se reproduire…) ou liés à des troubles. Alors il faudrait dire « hostiles à la génétique appliquée à des comportements humains *complexes* » ?
Sauf que certains vous diront qu’ils ne nient pas le rôle de la génétique dans la construction des comportements humains complexes, puisque c’est elle qui construit les capacités d’apprentissage qui permettront d’apprendre (par socialisation) les comportements complexes. Cette dernière vision est souvent qualifiée de « blank slate » (ardoise vierge), car l’évolution est restreinte à la création de l’ardoise mais n’influe pas sur ce qui est écrit dessus. L’évolution influencerait donc les contenants mais pas les contenus : ardoise vierge.
Au final, une façon plus juste de les caractériser serait sûrement de dire « personnes hostiles à l’idée que la génétique / l’évolution puisse contribuer à expliquer les *contenus* des comportements humains complexes ». Bien sûr, même dans ce cas on pourra toujours pinailler sur ce qu’on veut dire par « contribuer », ou sur ce qu’est un comportement « complexe ». Donc ces débats sont interminables sans que chacun ne précise exactement sa pensée, ce qui est rarement fait. Mais même avec cette définition charitable, penser que l’évolution explique le contenant mais pas les contenus veut dire que l’évolution n’explique quasiment rien… ou en tout cas rien d’utile pour ceux qui cherchent à comprendre les comportements. En effet, pour quelqu’un formé en écologie comportementale, dire que l’évolution n’explique pas les contenus est une affirmation extraordinaire. Comme je l’ai dit dans cette vidéo, en matière d’explication du comportement, les hypothèses sensées des uns sont les hypothèses aberrantes des autres :
Donc, pour certains chercheurs, reconnaître le rôle de l’évolution/la génétique tout en le limitant au façonnage des contenants (ou du contenu basique) c’est toujours dans un sens nier l’importance de la génétique/l’évolution pour comprendre le comportement. On peut donc toujours qualifier cette position d’ « hostile à l’évolution/la génétique/Darwin ». « Hostile à l’évolution » devient simplement un raccourci pour « hostile à l’évolution pour comprendre les contenus des comportements ».
En résumé, on peut « rejeter l’évolution » dans un sens fort (type créationniste) ou dans un sens plus faible (type ardoise vierge), avec tout un tas de positions intermédiaires, et ce sens faible des uns reste toujours un sens fort pour d’autres. Les débats sur « y a-t-il homme de paille ou pas ? » proviennent de ces désaccords.
En illustration, remarquons que les critiques les plus célèbres de la génétique comportementale et de la sociobiologie, Gould et Lewontin, étaient deux biologistes, spécialistes d’évolution et de génétique des populations. Niaient-ils l’évolution et la génétique ? Bien sûr que non ! Mais ils laissaient souvent peu de force explicative à ces disciplines pour comprendre le contenu des comportements humains, et ils ont passé leur vie à combattre ceux qui pensaient différemment. Dans ce sens, on peut toujours dire qu’ils avaient un « problème avec l’évolution ». On ne saura avec certitude « qui avait un problème » qu’une fois que la science aura tranché sur le fond, mais d’ici là, ces vues différentes sur l’importance explicative de certains paramètres vous permettent de comprendre comment il est possible que certains biologistes en accusent d’autres d’être « hostiles à l’évolution / la génétique / Darwin / etc ».
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