Imaginez que la France se prépare à l’arrivée d’une maladie asiatique d’un genre nouveau, dont on s’attend à ce qu’elle fasse 600 victimes. Deux programmes alternatifs sont proposés pour combattre cette maladie. Supposons que les estimations scientifiques exactes des conséquences de ces programmes soient les suivantes :
[insert_php]
$aleatoires = rand(1,2);
if ($aleatoires == 1) {
echo »
- Si le programme A est adopté, 200 personnes seront sauvées.
- Si le programme B est adopté, il y a une chance sur trois pour que 600 personnes soient sauvées, et deux chances sur trois pour que personne ne soit sauvé.
Lequel de ces deux programmes favoriseriez-vous ?
Votez svp avant de passer à la suite !
[poll id=\ »2\ »]
« ;}
else {
echo »
- Si le programme A est adopté, 400 personnes mourront.
- Si le programme B est adopté, il y a une chance sur trois pour que personne ne meure, et deux chances sur trois pour que 600 personnes meurent.
Lequel de ces deux programmes favoriseriez-vous ?
Votez svp avant de passer à la suite !
[poll id=\ »3\ »]
« ;}
echo « Maintenant imaginons qu’au lieu de vous proposer ces deux alternatives, on vous ait proposé les deux programmes suivants : »;
if ($aleatoires == 2) {
echo »
- Si le programme A est adopté, 200 personnes seront sauvées.
- Si le programme B est adopté, il y a une chance sur trois pour que 600 personnes soient sauvées, et deux chances sur trois pour que personne ne soit sauvé.
« ;}
else {
echo »
- Si le programme A est adopté, 400 personnes mourront.
- Si le programme B est adopté, il y a une chance sur trois pour que personne ne meure, et deux chances sur trois pour que 600 personnes meurent.
« ;}
[/insert_php]
Quel programme auriez-vous choisi cette fois ? Vous avez probablement remarqué que dans les deux cas, les programmes A et B sont les mêmes, et seule la formulation a changé (ce qu’on appelle « le cadre »). L’un des cadres est positif (« 200 personnes seront sauvées ») et l’autre est négatif (« 400 personnes mourront »). Mais au final le nombre de personnes sauvées est le même, vous devriez donc choisir le même programme. Les résultats du sondage corroborent-ils cela ? Si ma petite manipulation a fonctionné, la moitié des lecteurs de ce billet a dû voter sur le cadre positif tandis que l’autre moitié aura voté sur le cadre négatif (rafraichissez la page pour vous en convaincre !).
Voyons ce que donnent les résultats (et désolé si vous êtes les premiers à voter).
Cadre positif (« 200 personnes seront sauvées ») :
[poll id= »2″ type= »result »]
Cadre négatif (« 400 personnes mourront ») :
[poll id= »3″ type= »result »]
Si les résultats de laboratoire sont reproduits (ça serait super cool !), on devrait contre toute attente trouver des choix de programmes différents dans les deux cadres. Dans le cadre positif, 72 % des personnes choisissent en général le programme A. Dans le cadre négatif, seul 22% des gens choisissent le programme A. Un changement total de préférences alors que les programmes sont strictement les mêmes !
Cet effet, appelé « effet de cadre » en psychologie, ou « problème de la maladie asiatique » à cause de son énoncé, a été mis en évidence pour la première fois par Kahneman et Tversky en 1981. Il montre que la façon de présenter un problème peut affecter les choix que l’on va faire sur ce problème.
Autres exemples
Cet effet a été mis en évidence dans d’autres contextes :
- 93% des étudiants d’une classe s’inscrit à l’avance quand une pénalité pour inscription tardive fut évoquée, contre 67% seulement quand cette situation fut présentée en terme de bénéfices pour une inscription précoce
- 62 % des participants d’une étude décidèrent qu’il ne fallait pas « autoriser la condamnation publique de la démocratie », mais seulement 46 % des participants s’accordèrent pour dire que c’était normal « d’interdire la condamnation publique de la démocratie ».
- Plus de gens soutiennent une politique économique si le taux d’emploi prévisionnel est mis en avant que si le taux de chômage prévisionnel est mis en avant.
- Il a été suggéré que la détention pré-procès pouvait augmenter la volonté d’un accusé de choisir de plaider coupable, puisque l’emprisonnement, par opposition à la liberté, deviendrait son repère, sa « baseline », et plaider coupable serait alors vu comme une possibilité de raccourcir sa peine d’emprisonnement plus que comme une possibilité d’être mis en prison.
Quelles implications ?
Le danger est donc d’être confrontés à des choix dans le contexte d’un seul de plusieurs cadres qui pourraient être présentés. Il a été suggéré que les sondages politiques sont souvent cadrés de façon à encourager les réponses favorables à l’organisation qui a commissionné le sondage. Les décisions des individus pourraient donc être malléables à travers la manipulation de l’effet de cadre, sans que l’on ne puisse rien y faire. Cependant, Druckman suggère que les effets de cadre et leur implications sociétales pourraient être exagérées plus que de raison. Il démontre que les effets de cadre peuvent être réduits, ou même éliminés, si suffisamment d’information crédible est fournie aux gens. Encore faut-il que l’on nous fournisse cette information, ou que l’on pense à aller la chercher par nous-mêmes…
Quelles sont les causes des effets de cadre ?
Mais oui au fait, pourquoi se laisse-t-on si facilement influencer par la façon dont est présenté un problème ? Il n’existe pas vraiment d’ « explications » de ce biais cognitif mais plutôt des tentatives d’intégration à des théories de la décision existantes (des théories économiques qui essaient d’expliquer comment les gens prennent des décisions). Deux grandes théories peuvent être distinguées.
Celle de Tversky & Kahneman, les découvreurs de l’effet, s’appelle la « théorie des perspectives », parce qu’elle s’intéresse à la façon dont les individus évaluent leurs perpectives de gains et de pertes. L’idée c’est que les gens n’attribueraient pas la même valeur à l’argent selon qu’on le considère comme un gain ou une perte : perdre 100 € procurerait plus de malheur que gagner 100 € ne procurerait de bonheur. Expérimentalement, on montre que les gens sont prêts à prendre des risques importants pour éviter les pertes, mais par contre, lorsqu’on leur propose de choisir entre un gain risqué (que l’on est pas sûr d’avoir) et un gain certain, ils choisiront le gain certain. Pas de prise de risque donc quand on a la possibilité d’un gain certain, même si le risque permettrait de gagner plus.
C’est le même phénomène qui se passerait dans la maladie asiatique : on choisit de prendre des riques pour sauver des vies quand on est confrontés à des pertes humaines, mais on choisit d’assurer ses arrières quand on est confrontés à des vies humaines sauvées de façon certaine.
La deuxième théorie, dite de Fuzzy-trace, attribue ce phénomène à une tendance humaine à généraliser les pourcentages à des catégories comme « beaucoup », « quelques », « aucun ». Dans le problème de la maladie asiatique, les sujets auraient plus tendance à choisir l’option sûre dans le cadre positif (« 400 personnes seront sauvées ») pour éviter le risque de « ne sauver personne ». Dans le cadre négatif, les sujets auraient plus tendance à choisir l’option risquée parce qu’ils catégorisent les choix possibles en « quelques personnes mourront » (choix sûr) contre « quelques personnes mourront ou personne ne mourra » (choix risqué).
Si vous connaissez des façons de se débarrasser de ce biais cognitif je suis preneur parce que je n’ai pas encore trouvé !
[NB: ce billet est une traduction remaniée à ma sauce de l’article « Framing effect » sur Wikipedia anglais. Face à mon manque de temps pour approvisionner régulièrement ce blog, je teste une nouvelle manière de travailler où je traduirais de petits articles intéressants n’existant pas sur Wikipedia français, les publierais arrangés et commentés sur mon blog, puis sur Wikipedia français. Dans quelques jours une nouvelle page « effet de cadre » devrait donc arriver sur wikipedia.fr !]
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