Dr House est un personnage de série télévisée incarnant un médecin cynique, arrogant et peu sensible mais tellement bon dans ce qu’il fait que son hôpital lui permet de choisir les cas qu’il veut traiter. Une des astuces utilisées par le Docteur pour effectuer ses diagnostics c’est de ne pas se laisser influencer par le patrimoine génétique qu’un patient est supposé avoir. Par exemple, dans l’épisode intitulé « Test de Paternité », Dr House est confronté à un adolescent souffrant de terreurs nocturnes. House n’écarte aucun diagnostic, même ceux qui pourraient être éliminés par test génétique, suspectant que le père de l’enfant n’est pas son père biologique. Selon lui : « 30 % des pères ne réalisent pas qu’ils élèvent l’enfant d’un autre. » (8’20).
30 % !!! 30 % c’est énorme, monstrueux même. Ce billet sera l’occasion de vérifier ce chiffre en terminant notre série d’article sur la sexualité « naturelle » de l’humain. Nous avions vu en première partie les raisons biologiques qui pousseraient l’humain à être polygyne, en deuxième partie pourquoi la monogamie ou les relations à long terme sont parfois meilleures pour la reproduction des individus, et nous verrons dans cette dernière partie comment tout cela s’accommode de contraintes environnementales, écologiques et culturelles. C’est parti…
Ce billet, avec sa 1ere et 2e partie, a été élu « Coup de coeur du jury » lors de la parution de l’anthologie des blogs de science francophones 2013. Merci au jury, c’est un grand honneur pour moi et une très belle récompense du travail accompli !
« Confondre la monogamie avec la morale a fait plus de mal à la conscience humaine que n’importe quelle autre erreur. »
C’est l’avis de George Bernard Shaw, et que vous le partagiez ou non, il apporte une idée intéressante : le fait que « monogamie » soit souvent synonyme de « morale ».
Pourtant, il existe une variété de systèmes d’accouplement que l’on peut retrouver dans la nature. Les quatre principaux identifiés sont :
- La dite monogamie. La monogamie est un système d’accouplement dans lequel mâle et femelle forment une paire qui restera unie à vie. Plusieurs espèces animales utilisent ce système, de façon plus ou moins importante en fonction des taxons. 90% des oiseaux par exemple sont monogames (le cygne étant peut-être le plus bel exemple, au point qu’une de ses séparations fasse les gros titres des journaux), contre seulement 7% des mammifères. L’espèce monogame la plus proche de nous est probablement le gibbon. Dans ces espèces monogames, mâles et femelles s’investissent généralement de façon égale dans la progéniture.
- La polygynie. La polygynie est un système d’accouplement dans lequel un mâle se reproduit avec plusieurs femelles, formant ce que l’on appelle parfois un « harem ». Les femelles sont fidèles au mâle alpha à tout moment mais cela signifie aussi qu’elles changent de partenaire si le mâle alpha est renversé par un autre mâle. Le gorille est l’exemple primate le plus représentatif de la polygynie.
- La polyandrie. La polyandrie est le système d’accouplement dans lequel la femelle s’accouple avec plusieurs mâles fidèles. Aucun système de ce genre n’est recensé chez les primates non-humains.
- La promiscuité. La promiscuité est un système d’accouplement dans lequel mâles et femelles s’accouplent ensemble sans discrimination à l’intérieur d’un groupe, et sans formation de paires. Les chimpanzés communs et bonobos sont des espèces promiscuites, dans lesquelles la paternité de tout nouveau-né est difficile à établir. De ce fait, les femelles sont souvent celles qui procurent les soins parentaux.
« La monogamie c’est comme lire le même livre encore et encore. La promiscuité c’est comme ne jamais lire au-delà de la première page. » Mason Cooley
Et chez les humains, quel système prédomine ? Du point de vue occidental, on serait tenté de dire la monogamie. Mais les données anthropologiques dont on dispose nous montrent que c’est faux, et que la polygynie est le système prédominant chez l’homme avec 84% des sociétés humaines qui l’ont adoptée !
Qu’en est-il des autres systèmes sexuels ? Ils se retrouvent tous chez l’humain, dans de plus ou moins grandes proportions :
- La polyandrie, extrêmement rare, est retrouvée dans 1% des sociétés humaines, comme chez les Nyimba du Népal. Elle est généralement fraternelle et limitée à deux hommes (une femme est épousée par deux frères). Le faible taux de polyandrie s’explique évolutivement par le fait qu’un homme ayant ce genre de « préférence » aura moins de descendants qu’un homme polygame ou monogame, puisqu’il devra partager son accès sexuel à une femme avec son conjoint. Cependant, la polyandrie est bénéfique dans les cas où des ressources sont rares, ou dans les cas où un bien comme la terre perd de sa valeur en étant trop finement divisée.
- La promiscuité, encore plus rare, est tout de même retrouvée dans une société humaine sur dix mille.
- La monogamie, qui n’arrive donc qu’en deuxième position chez l’humain derrière la polygynie, concerne 15 % des sociétés humaines. Mais ces sociétés sont généralement « monogames ou légèrement polygames », ou encore, comme dans le cas de nos sociétés occidentales, fortement encouragées à la monogamie par des pressions sociales, religieuses, et encadrées par des structures légales. Ce qui fait que les anthropologues et biologistes ne désignent généralement nos sociétés occidentales que comme « socialement monogame ».
La « monogamie sociale », le mot est lâché
L’introduction du terme « monogamie sociale » est devenue une nécessité pour les biologistes confrontés à la variété de comportements sexuels observables chez différentes espèces, pas uniquement chez l’humain. La monogamie sociale réfère donc à un système dans lequel deux partenaires vivent ensemble, s’associent pour trouver certaines ressources et ont des relations sexuelles ensemble mais pas forcément exclusivement (les accouplement hors-paire sont possibles). Cette monogamie sociale est opposée à la monogamie sexuelle qui désigne un couple complètement fidèle sexuellement et à la monogamie génétique, qui désigne des individus qui n’auront pas de descendants en dehors du couple.
Revenons à l’humain pour prendre un exemple. Imaginons un homme marié ayant eu trois enfants et les élevant avec sa femme. Jusque là, il est monogame social, sexuel et génétique. S’il couche avec sa secrétaire, il reste monogame social mais ne peut plus être considéré comme monogame sexuel. Si aucun enfant ne naît de cette union extramaritale néanmoins (ni d’aucune autres unions potentielles, et si sa femme est fidèle), alors le couple est également génétiquement monogame.
Si vous parlez anglais, une vidéo de SciShow qui parle de ces différentes formes de monogamie:
Enfin, notons que la monogamie sociale n’est souvent qu’apparente, quand on regarde les statistiques : les hommes sont toujours plus nombreux que les femmes en moyenne à ne pas arriver à se marier au cours de leur vie, et plus d’hommes que de femmes se remarient après un divorce ou un deuil : au niveau de la population, on tend toujours vers de la polygynie. Sans parler de la monogamie en série évoquée dans la deuxième partie.
Notez que bien que je recadre toujours le sujet sur l’humain, ces différents types de monogamie se retrouvent dans le règne animal. Par exemple, 90 % des oiseaux sont monogames sociaux, 7 % des mammifères sont monogames sociaux, quelques insectes et poissons le sont aussi.
A nous deux Dr House
Quand Dr House prononce sa phrase, « 30 % des pères ne réalisent pas qu’ils élèvent l’enfant d’un autre », il fait référence à cette distinction entre monogame social et monogame génétique (ou sexuel, puisque quelqu’un qui n’est pas monogame génétiquement ne peut, sauf cas d’adoptions, être monogame sexuellement). Quel est alors le taux exact de monogames génétiques dans la population ? Une façon de le savoir serait de tirer au hasard dans la population des pères de famille et leurs enfants (non adoptés) et de comparer leur ADN, pour savoir s’ils sont bien liés biologiquement. Des études de ce genre ont déjà été faites mais elles emploient une méthodologie variée et les chiffres dont nous disposons sont très variables. Les voici tout de même !
Un premier article comparant onze études réalisées trouve des pourcentages de paternité hors couple (le % dont parle House) allant de 0,03 % à 11,8 % (avec la plupart des études trouvant des faibles taux, le taux médian étant de 1,8 %). Une autre méta-étude trouve des taux légèrement plus élevés (de 0,8% à 30%, taux médian de 3,7%), tandis qu’une troisième parue plus récemment et comparant soixante-sept études va jusqu’à trouver des taux de paternité extraconjugale de 50 %, mais soulève le problème de la représentativité des échantillons testés. En effet, les pères acceptant de comparer leur ADN à celui de leur enfant tombent généralement dans deux catégories : les pères étant quasiment sûrs à 100% d’être le père biologique de leur enfant (et donc ne risquant rien à se tester) et les pères suspectant de ne pas être le père biologique de leur enfant (et donc voulant se faire tester). En prenant en compte ces deux catégories, les taux de paternité extraconjugale sont alors compris entre 1,7% et 3,3% pour les pères sûrs d’eux, et autour de 30 % pour les autres.
Une population « normale » devrait donc posséder un taux de paternité extracouple intermédiaire, et pour préciser cet « intermédiaire » il serait intéressant de savoir quel taux de pères dans une population donnée doutent d’être le père biologique de leur enfant.
Si Dr House n’a probablement pas raison, et qu’un très faible pourcentage de pères seulement élève un enfant qui n’est pas le sien sans le savoir, n’oublions pas que ce taux de monogamie génétique élevée ne reflète pas le taux de monogamie sexuelle (les couples fidèles sexuellement). Particulièrement de nos jours avec l’utilisation des contraceptifs, ne pas être monogame sexuel peut s’accompagner de monogamie génétique. Et parce que je sais que vous allez me demander ce chiffre, les taux d’accouplement hors couple que l’on trouve dans les études portant sur les échantillons les plus représentatifs indiquent que 10 à 15 % des femmes et 20 à 25 % des hommes seraient infidèles à leur partenaire de couple.
Les conditions favorisant la monogamie.
Nous savons donc maintenant que la majorité des sociétés humaines est polygyne, et que les sociétés monogames ne sont souvent que « monogames socialement ». Ceci, dans un sens, confirmerait l’analyse biologique du comportement sexuel humain que nous avons fait en 1/ et en 2/. Malheureusement, on ne peut pas s’arrêter là. Au-delà de cette couche biologique de comportements sexuels viennent reposer des couches environnementales et culturelles de comportements qui modifient la donne…
Dans la nature de façon générale, la monogamie qui s’observe chez certaines espèces peut être expliquée de trois façons (non mutuellement exclusives) :
- si les chances de succès d’élever un enfant à deux sont plus élevées que les chances de succès d’élever un enfant par la mère uniquement.
- dans le cas d’espèces vivant en groupe, si l’infanticide est pratiqué par certains mâles du groupe, la monogamie peut évoluer comme stratégie de défense
- dans certaines conditions écologiques où les capacités d’un mâle à monopoliser plus d’une femelle sont réduites.
L’humain satisferait-il certaines de ces conditions ? Certes, l’infanticide n’est pas pratiqué couramment par l’humain comme c’est le cas chez d’autres primates. Par contre, les systèmes d’accouplement de l’humain semblent encore soumis aux deux autres conditions. La première condition (les chances de survie des descendants) a été évoquée en 2/, tournons-nous donc vers l’écologie.
L’influence de l’écologie
Des facteurs écologiques peuvent influencer le système sexuel utilisé dans une population humaine, et un des plus étudiés est la présence de pathogènes dans l’environnement. On remarque ainsi que le degré de polygynie chez l’humain augmente avec le degré d’exposition à des pathogènes ! Ainsi, le niveau de stress pathogène expliquerait à lui seul 28% de la variation du degré de polygynie dans le monde, indépendamment de la région géographique étudiée.
L’explication de cette particularité serait la suivante : d’une part, sous un stress pathogène intense (en vivant dans un environnement où la possibilité de contracter une maladie est très forte), une bonne stratégie de reproduction pour une femme serait de se mettre sous la protection d’un homme de haut statut ou aux ressources importantes, quitte à n’être qu’une femme parmi d’autres que cet homme protège. D’autre part, pour l’homme, posséder plusieurs partenaires lui permet d’augmenter la diversité génétique de ses descendants et ainsi d’augmenter leurs chances de survie face à la maladie.
Les influences culturelles
Comme le rappelle Bobbi S. Low, nous possédons un complexe système de mariages qui sont de vraies « institutions sociales établissant des règles sociétales sur le nombre d’épouses simultanées autorisées, l’âge des partenaires, le taux de consanguinité acceptable, et ainsi de suite… ». Le mariage n’est même plus bien souvent destiné à servir les intérêts des partenaires, mais celui de parents et troisièmes partis : en fait, dans la plupart des sociétés, le choix du partenaire de mariage est imposé, parfois avant même la naissance…
Les systèmes de mariages sont généralement créés pour servir les intérêts d’un des partis (celui de l’homme en général d’ailleurs), ou d’un troisième parti. Les parents peuvent utiliser leurs enfants pour former des alliances avec de riches et puissantes familles. Ces systèmes de mariage viennent s’opposer aux systèmes d’accouplement qui pourraient se mettre en place sans aucune contrainte culturelle existante.
La culture ne se contente pas de créer des systèmes de mariage différents de ce qui serait optimal d’un point de vue évolutionnaire, elle va jusqu’à créer des systèmes de mariage qui sont néfastes pour la reproduction des individus.
Le célibat des prêtres est un exemple de pratique culturelle qui paraît néfaste pour ceux qui le pratiquent. Bien qu’autrefois il put être un avantage dans ces grandes familles où avoir un fils curé permettait une élévation de statut de la famille, une possible augmentation des ressources et un héritage plus simple à partager, la diminution du nombre d’enfants par famille entraîne des dilemmes cornéliens aux familles à fils unique : faut-il faire de son enfant unique un messager de Dieu et renoncer par là-même à toute descendance ? De fait, l’église catholique a de plus en plus de mal à recruter dans ces régions du monde où la fertilité des femmes diminue.
À propos de fertilité des femmes… Permettre aux femmes qui le veulent de faire des longues études et avoir une vie professionnelle aussi épanouie que celle des hommes est un objectif que l’on devrait tous défendre. Mais il est possible que ces choix de vie ne soient pas sans conséquence d’un point de vue évolutionnaire : le repoussement de la date de la première grossesse ou le dépassement de la période de fertilité peuvent entraîner des complications. Chez les hommes, à la période de fertilité plus longue et qui ne sont pas immobilisés pendant plusieurs mois chaque fois qu’ils font un enfant, ces choix de vie sont moins importants. Encore une injustice de la nature envers les femmes (qui découle entièrement de l’asymétrie qu’on a vue dans la partie 1) mais que l’on peut heureusement compenser un peu en partie par les progrès de la médecine et les aides sociales.
C’est fini ! Désolé d’avoir été si long au cours de ces trois articles qui je l’espère vous auront tout de même appris quelque chose.
L’humain est-il un polygame refoulé au final ? Je vous laisse vous faire votre avis après la lecture de ces trois articles. Ce qui est sûr, c’est que la réponse ne pourra pas être un simple oui ou un simple non, et devra prendre en compte la diversité des pressions de sélection ayant pu modeler l’évolution du comportement sexuel humain, les différences mâles-femelles, le rôle de l’écologie et le rôle de la culture…
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