Manger épicé, un autre produit de la sélection naturelle ?
13774 lectures. Publié le 13 February 2012 par Stéphane dans la catégorie Alimentation, Santé

Il paraît que Marco Polo a dit, interrogé sur son lit de mort sur la véracité des textes présents dans son livre : “Je n’ai même pas raconté la moitié de tout ce que j’ai vu car personne ne m’aurait cru”. Les universitaires se battent encore pour savoir s’il est réellement allé jusqu’en Chine, mais ce qui est certain c’est qu’une des raisons pour avoir quitté sa Venise était d’aller à la cueillette aux épices.

La récolte du poivre, illustration tirée du Livre des merveilles du monde de Marco Polo, XIIIe siècle.
Au Moyen-Age, et même encore aujourd’hui parfois, les épices sont une des denrées les plus chères et les plus rares. Des expéditions coûteuses en argent et en hommes doivent être montées. Le poivre noir, la cannelle, le cumin et le gingembre sont alors les épices couramment trouvées, utilisées notamment pour “réguler les humeurs” comme le prescrivait la médecine d’alors.
Or une grande partie de ces épices ont en commun la propriété de renfermer des composés jouant un rôle dans la protection contre des prédateurs ou des microorganismes pathogènes. Ces épices ingérées, elles continuent à jouer ce rôle de défense dans le système digestif humain : c’est ce qu’on appelle l’hypothèse antimicrobienne. Les épices ingérées par l’homme empêchent la croissance de microorganismes pathogènes et inhibent la production de toxines dans son tube digestif.
Or les humains semblent fortement apprécier les épices, comme peuvent en attester les expéditions de ci-dessus, ou les livres de cuisine dont presque chaque recette inclut des épices (entendez épices au sens large, ail, oignon, basilic en font partie). D’où vient ce goût humain pour les épices ? Il n’est pas forcément nécessaire d’invoquer la sélection naturelle ici, il se peut très bien que ce goût ait été acquis par hasard et transmis culturellement. Des gens auront simplement remarqué qu’ils tombaient moins malades après avoir consommé des épices et se seront mis à en consommer régulièrement, façonnant les goûts de leurs enfants par exemple et transmettant leur savoir oralement. Je n’ai pas non plus connaissance d’études testant l’universalité et la précocité de l’apparition du goût pour les épices, mais elles seraient intéressantes pour évaluer plus finement le rôle de la sélection naturelle ici.
Ce qui est certain en revanche, c’est que la consommation d’épices a probablement joué (et joue toujours) un rôle important pour la santé humaine. N’oublions pas que s’il paraît facile de nos jours de se prévenir contre les intoxications alimentaires, il n’en a pas toujours été ainsi. Quand la nourriture limitée et le manque de moyens de conservation obligeait à consommer des aliments douteux, tout renforcement des défenses immunitaires était bon à prendre. Trois observations peuvent nous convaincre que les épices jouent en effet un rôle important pour la santé humaine :
- les pays où sont consommées le plus d’épices et le plus d’épices fortes sont les pays où il fait le plus chaud, et donc où les aliments (notamment la viande) ont la durée de vie la plus courte. En Inde par exemple, un plat typique inclut en moyenne neuf épices, tandis qu’en Norvège seules deux épices en moyenne sont présentes dans les plats.
- les plats où sont mis le plus d’épices sont les plats de viande et de poisson. Or ce sont dans les viandes et les poissons que les microorganismes se développent le plus facilement. Les légumes et plantes en général sont moins sujets aux microorganismes car ils contiennent leurs propres défenses et toxines.
- enfin, nous possédons des données expérimentales qui nous montrent qu’au moins trente épices parmi les plus couramment utilisées tuent la plupart des bactéries d’origine alimentaire. Pour vous qui avez lu cet article jusqu’ici, je livre la recette miracle qui vous permettra d’espacer vos visites chez le docteur :
- Couper un oignon en rondelles et le déposer dans le fond d’un plat.
- Recouvrir d’une demi-douzaine de gousses d’ail finement hachées.
- Assaisonnez de quatre-épices pour que ce ne soit pas trop fade.
- Pour la décoration, rajoutez quelques feuilles d’origan.
Bon appétit et surtout, à votre santé ! Vous avez là un cocktail des épices les plus redoutables en matière de protection contre les microorganismes.
L’alimentation est primordiale à la survie de l’homme, et la possibilité de tomber malade suite à l’ingestion d’aliments avariés a très bien pu constituer une pression de sélectionUne pression de sélection est une contrainte environnementale qui va "pousser" une espèce à évoluer dans une direction donnée.
Par exemple, de nos jours, l'utilisation massive d'antibiotiques est une pression de sélection qui pousse les bactéries à devenir résistante. Il ne s'agit pas de dire que les bactéries voyant arriver une vague d'antibiotiques se mettent à produire des adaptations leur permettant de résister (dans le sens où les bactéries contrôleraient de façon consciente la façon dont elles évoluent), mais simplement de dire que c'est parce qu'il y a utilisation massive d'antibiotiques que les bactéries deviennent résistantes (celles qui ne le sont pas meurent et ne reste plus que dans la population les bactéries résistantes).
Ces pressions de sélection peuvent provenir de l'environnement au sens large : il peut s'agir de l'environnement physique (climat, géographie...), animal (prédateurs, nourriture...), social (partenaires sexuels, alliances, ...).
Quelques autres exemples de pressions de sélection :
- la nécessité de réguler sa température corporelle est une pression de sélection expliquant l'apparition de glandes sudoripares (et autres moyens thermorégulateurs).
- la nécessité de se déplacer facilement dans l'eau est une pression de sélection expliquant le profil hydrodynamique partagé par tous les poissons.
- la compétition entre mâles pour l'accès aux femelles dans les espèces polygynes est une pression de sélection expliquant la différence de masse corporelle entre mâles et femelles (les mâles les plus gros et forts gagnent leurs combats et se reproduisent plus, tandis qu'être gros et fort ne bénéficie pas aux femelles).
- la richesse énergétique des aliments sucrés et gras est une pression de sélection expliquant l'apparition d'un goût pour ces aliments chez l'homme.
- etc... suffisante pour amener l’apparition d’un goût naturel pour les épices, tout comme nous avons un goût pour les aliments gras et sucrés. Les données nous manquent encore pour nous en être sûrs, mais adaptation ou pas, manger des épices est bon pour votre santé !
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ET GROS MERCI D’AVANCE !
- Les épices jouent un rôle important pour la santé humaine, empêchant le développement de pathogènes et la production de toxines dans le système digestif humain.
- Il est possible qu'un goût humain pour les épices ait évolué biologiquement précisément car elles protègent de maladies, même si d'autres hypothèses ne sont pas à écarter.
2 réactions à “Manger épicé, un autre produit de la sélection naturelle ?”
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hugo
1 Jun 2012
à 07:53
Une chose amusante (dont je ne suis pas sûr d’ailleurs), le “piquant” de certaines épices est censé décourager les gloutons, mais produit manifestement l’effet inverse…
En ce qui me concerne, l’oignon et l’ail sont des ingrédients invariables de la plupart des plats que je consomme, donc pas d’inquiétude :D
PS: petite faute: “un plat typique *inclue* en moyenne neuf épices”
Stéphane
4 Jun 2012
à 07:53
Produit l’effet inverse, mais peut-être uniquement pour l’Homme. Et encore, quand on sait utiliser les épices comme il le faut ! En situation naturelle, pas sûr que l’on croquerait dans un piment à pleines dents…