NUDGE – comment faire pour que votre mec pisse moins à côté ?

La vidéo :

Pour ceux qui préfèrent le texte, transcription de la vidéo :

 

 

En 1990, le responsable propreté de l’aéroport de Schipol aux Pays-Bas, van Bedaf, cherche une idée pour réduire les frais de nettoyage des toilettes des hommes. Si vous êtes la mère d’un homme, ou la compagne d’un homme, vous savez en effet probablement que les hommes ont tendance à ne pas être très forts quand il s’agit de viser juste aux toilettes.

Van Bedaf a cette idée formidable de faire graver au fond des urinoirs une petite mouche, qui devient la cible privilégiée des jets d’urine des voyageurs venus se soulager entre deux avions. Apparemment, quand on leur en donne l’occasion, les hommes ne résistent pas à l’envie de pisser sur une cible, en particulier si ça pourrait la faire s’envoler. Bien qu’elle soit marrante, cette astuce toute simple aurait permis de réduire les jets mal placés de 50 à 80% selon les managers de l’aéroport [1], ce qui représente quand même une économie de 8% en frais de nettoyage – et tout ça, rien qu’en gravant une petite mouche au fond des urinoirs, une intervention au coût dérisoire.

Mais si cette anecdote est amusante, elle illustre un sujet très important, auquel vous allez être de plus en plus confrontés à l’avenir, et surtout qui peut rendre des services énormes à nos sociétés. Ce sujet, c’est pas l’urine des hommes, c’est comment utiliser les connaissances qu’on a sur le comportement humain pour construire des politiques publiques plus efficaces.

C’est une idée qu’on retrouve couramment présentée sous le nom de Nudge, nudge qui veut dire coup de coude ou coup de pouce en anglais. Un nudge, c’est un moyen facile de pousser gentiment les gens à adopter un certain comportement, mais avec trois conditions. D’abord, le comportement à adopter doit être dans l’intérêt des gens, ou dans l’intérêt de la société en général, pas question de faire adopter des comportements qui desservent. Ensuite, les gens doivent toujours avoir la possibilité d’adopter facilement un autre comportement que celui qu’on veut leur faire adopter. Et enfin, la mise en oeuvre de ce moyen de changer les comportements doit être peu coûteuse. Prenons tout de suite quelques exemples pour éclaircir cette définition.

Premier exemple : si vous êtes responsable d’une cafétéria ou d’un self, l’ordre dans lequel vous présentez les aliments aux gens quand ils sont dans la file d’attente a une importance énorme sur ce qu’ils vont mettre dans leur assiette [2]. Si vous placez les fruits et légumes en premier, les gens vont en prendre beaucoup plus que si vous les placez en dernier. Donc un moyen simple de faire manger plus de fruits et légumes aux gens, c’est de mettre les fruits et légumes en premier dans toutes les cafétérias de France. Cette intervention est un nudge parce que 1/ c’est dans l’intérêt des gens de bien manger 2/ personne ne force les gens à prendre des fruits et des légumes, ceux qui veulent marcher 2m de plus pour prendre une tartiflette et un tiramisu le peuvent et 3/ c’est une intervention qui ne coûte rien à mettre en oeuvre.

Deuxième exemple : pour essayer de résoudre le problème des gens qui ne paient pas leurs impôts, le gouvernement britannique a décidé d’ajouter une petite phrase à la lettre de rappel qu’ils envoient aux gens qui « oublient » de payer. Cette phrase, c’est « 9 personnes sur 10 payent leurs impôts en temps et en heure », qui est une vraie statistique. L’ajout de cette phrase, par rapport à une lettre qui ne la contient pas, permet d’augmenter les paiements de 4,5% [3]. 4,5 % ça peut ne pas vous paraître beaucoup, mais ça représente à l’échelle d’un pays des millions de livres récupérées. Cette intervention est un nudge parce que 1/ c’est mieux quand tout le monde paie ses impôts 2/ rajouter une phrase dans une lettre n’est pas contraignant pour celui qui la lit et 3/ ça ne coûte rien d’ajouter une phrase à une lettre.

Troisième exemple, le prélèvement d’organes. Vous savez sûrement que dans le monde, certains pays ont adopté la politique du consentement présumé pour le prélèvement d’organes après la mort, c’est à dire qu’on suppose par défaut que les gens sont favorables au prélèvement de leurs organes s’ils ne s’y sont pas opposés clairement pendant leur vie. Et dans d’autres pays, c’est l’inverse, on suppose par défaut que les gens sont opposés au prélèvement de leurs organes. Des études ont montré que ce choix inscrit dans la loi avait un impact énorme sur le comportement des gens [4,5]. Généralement, les gens sont plutôt favorables au prélèvement de leurs organes – aux alentours de 80% des gens sont favorables. Et dans les pays où le consentement est présumé, à peu près 80% des gens restent effectivement inscrits comme donneurs. Par contre, dans les pays où le consentement n’est pas présumé, seuls 42% des gens s’inscrivent pour être donneurs. C’est une différence énorme, rien que parce que le choix par défaut a changé. Donc passer une loi qui suppose le consentement, c’est un nudge parce que 1/ c’est quelque chose de positif pour la société que plein de gens donnent leurs organes 2/ si quelqu’un ne veut pas donner, c’est très facile de le faire savoir, en France une simple déclaration à vos proches suffit 3/ c’est une intervention qui ne coûte rien, juste une loi à passer.

Et dernier exemple, pour vous montrer l’importance du sujet, parlons suicide. Au Royaume-Uni et dans un certain nombre d’autres pays, une loi limite le nombre de comprimés qu’on peut trouver dans une boîte de paracétamol. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’à une époque, il était courant de se suicider en mangeant des grosses quantités de paracétamol. En théorie, rien n’empêche quelqu’un qui veut en finir avec la vie d’acheter plein de boîtes à la fois, éventuellement dans différentes pharmacies. Mais en pratique, l’introduction de cette mesure au Royaume-Uni a permis de faire baisser le taux de suicide par overdose de paracétamol de 42% [6]. Alors on pourrait penser que pour un sujet aussi important que le suicide les gens ne soient pas découragés à l’idée de devoir acheter plein de boites de médicaments ou de faire plusieurs pharmacies. Et pourtant si, c’est dire à quel point la psychologie compte. De petits changements peuvent faire de grosses différences.

Alors qu’est-ce qu’on peut dire de tout ça ?

Le premier point sur lequel je voudrais insister, c’est que dans un sens, le caractère influençable de nos comportements c’est pas nouveau. Tous les jours et depuis des années, on évolue dans des environnements où d’autres personnes cherchent à influencer notre comportement. Quand vos parents vous coupaient vos légumes en jolies formes pour vous donner envie de les manger, c’était du nudge. Quand on vous montre des photos de poumons en décomposition sur les paquets de cigarette pour vous dégoûter de fumer, c’est du nudge. Quand des panneaux de signalisation vous montrent votre vitesse à l’entrée d’un village pour vous faire ralentir, c’est du nudge. Et il y a évidemment tout ce qui est marketing, les entreprises ont utilisé depuis longtemps des techniques d’influence du comportement pour nous pousser à acheter plus. Mais ça par contre, c’est pas du nudge, c’est du marketing, précisément. C’est pas du nudge parce que comme je vous l’ai dit, dans la définition du nudge se trouve l’importance d’influencer les comportements dans l’intérêt des influencés. Influencer les comportements pour gagner plus d’argent, c’est pas du nudge. Donc même si nudge et marketing sont tous les deux basés sur des techniques d’influencement du comportement, les objectifs du nudge sont bien plus nobles que ceux du marketing.

Et c’est pour cette raison, et c’est ça la grande nouveauté, c’est pour cette raison que les nudges commencent à être de plus en plus utilisés par les gouvernements pour créer de meilleures politiques publiques. Par exemple, ça fait maintenant 8 ans que le gouvernement britannique s’est doté d’une équipe qui a uniquement pour but de créer des politiques publiques plus efficaces en étant informées du comportement humain, et qui le fait avec succès. Cette équipe a aidé des millions de gens à changer leurs comportements et a économisé des dizaines de millions de livres au contribuable britannique. Des équipes similaires existent ou sont en cours de création en Australie, aux Etats-Unis, à Singapour. En France, pour l’instant, on est un peu à la traîne, mais ça commence à venir.

Les bandes blanches que l’on trace sur la route pour faire croire qu’il y a un dos d’âne, c’est du nudge.
Se mettre du vernis à ongles amer pour éviter de se ronger les ongles, c’est du nudge – de l’auto-nudge même.
Les paquets de pilules contraceptives dites « en continu » qui contiennent 28 pilules, c’est du nudge, parce que la pilule n’a besoin d’être prise que 3 semaines par mois pour être efficace, mais on vend quand même des paquets avec quatre semaines de comprimés (dont une semaine de comprimés inactifs) pour éviter les oublis.

Alors pourquoi je trouve le nudge intéressant, plus qu’intéressant même, important. Je vous présente les points positifs d’abord et on reviendra sur les aspects négatifs ensuite.

Je trouve le nudge important d’abord parce que ça marche, comme le montrent les exemples que je vous ai présentés. Et quand on fait des politiques publiques, quand on essaie d’améliorer la vie des gens, toute aide est bonne à prendre pour aller dans la bonne direction.

Ensuite, c’est important de pousser les gens à faire le bon choix parce que très souvent les gens prennent de mauvaises décisions pour eux-mêmes, ou prennent des bonnes décisions mais qui ne sont suivies d’aucuns changements de comportements en pratique. Si vous trainez un peu sur Youtube, l’irrationnalité humaine c’est pas quelque chose qui doit vous étonner, de nombreux Youtubeurs ont consacré des vidéos à nos biais de raisonnement, que ce soit Science étonnante avec sa série Crétins de cerveau ou Monsieur Phi avec ses vidéos sur la formule de Bayes. Et même quand les gens réfléchissent de façon rationnelle, ils sont parfois incapables d’agir en conséquence. Qui n’a jamais dit « plus jamais ça » au lendemain d’une grosse cuite, pour se remettre à enchaîner les espressos martinis le week-end suivant ? Qui n’a jamais dit qu’il allait changer de forfait pour faire des économies, et se dit ça depuis des années ? C’est comme ça, c’est humain, et c’est très dur de lutter contre.

Le nudge est donc important parce qu’il permet d’arrêter de considérer l’humain comme un dieu rationnel, il permet d’avoir une vision lucide du comportement humain. Et pour un politique, c’est important d’avoir ça en tête. C’est pas parce que vous ouvrez un marché à la concurrence que les gens vont forcément faire des économies, encore faut-il qu’ils surmontent leur biais d’inertie qui les pousse à ne jamais rien changer. C’est pas parce que vous éduquez les gens sur les meilleures façons d’épargner qu’ils vont forcément plus épargner, souvent des techniques de nudge seront bien plus efficaces que des campagnes d’éducation [7]. C’est pas parce que vous pénalisez fortement un comportement que ce comportement va forcément cesser. Le nudge est un rappel permanent que le travail politique n’est pas fini une fois les lois votées, et qu’il faut porter autant d’attention à la façon dont les citoyens vont être confrontés aux lois en pratique.

Et au-delà de ce problème de l’irrationalité humaine, avoir une vision lucide du comportement humain permet de ne pas créer de politiques publiques contre-productives. Si vous voulez lutter contre l’évasion fiscale, n’allez pas placarder des affiches sur le sujet à tous les coins de rue. Ça pourrait laisser supposer que tout le monde pratique l’évasion fiscale. Si vous voulez augmenter le nombre de femmes dans les comités de direction d’entreprises, c’est pas forcément une bonne idée de lancer une campagne choc qui informe qu’on trouve seulement 25% de femmes dans ces comités. Ça pourrait avoir tendance à normaliser la situation et à ne pas faire bouger les entreprises qui ont déjà 30% de femmes. À la place, vous pouvez essayer de mettre en avant l’autre statistique tout aussi vraie que 90% des comités de directions ont des femmes à leur bord, ce qui pourrait entraîner les entreprises dans un cercle vertueux et les pousser à faire aussi bien que les autres.

Le nudge, en bref, ça permet de créer des politiques publiques plus efficaces, des politiques publiques qui marchent. Alors attention je ne dis pas non plus que c’est la panacée, le nudge va pas résoudre tous les problèmes du monde. On ne va pas résoudre le changement climatique avec des nudges. La plupart du temps, le nudge ne permet que des petites modifications du comportement humain – quelques % de bons comportements en plus. Et dans certains cas, la mise en place de pénalités financières peut se révéler toujours plus efficace qu’un nudge, la méthode forte peut parfois encore prévaloir sur la méthode douce. Mais dans beaucoup d’autres cas, gouverner avec des coups de pouce peut être plus efficace que gouverner avec des coups de poing dans la gueule.

En 2014, Katherine Milkman prête à des utilisateurs d’une salle de sport un lecteur mp3 sur lequel se trouve un roman audio, que les gens peuvent écouter en faisant leur exercice. Le lecteur mp3 doit être rendu en sortant de la salle de sport. Dans les semaines qui suivent, la fréquentation de la salle de sport augmente de 50%, parce que les gens reviennent pour connaître la suite du roman.[8]

Un autre truc qui est bien avec le nudge, c’est qu’il n’est pas limité au monde politique. Tout le monde peut faire du nudge, plus précisément, toute personne qui travaille en contact avec d’autres êtres humains – et ça fait un paquet de monde. Que vous soyez prof de gym, caissier, webmaster ou médecin, vous pouvez rendre la vie des gens autour de vous plus facile. En fait, vous pouvez même vous nudger vous-même. Pour ça il suffit de vous rappeler d’un mot : le mot SOFA.

Voilà quatre leviers sur lesquels vous pouvez jouer quand vous cherchez à aider les gens à adopter un comportement :

S comme social : les humains sont des animaux sociaux très enclins à imiter les autres, à essayer de leur ressembler, à essayer de faire mieux qu’eux. C’est pas forcément mal, c’est même très souvent utile, par exemple pour choisir un resto dans une ville inconnue – les terrasses fournies sont généralement un bon point de départ. Donc quand vous cherchez à faire adopter un comportement, si vous pouvez mettre en évidence que d’autres personnes ont déjà ce comportement, c’est tout bénéf. C’est sur ce levier que joue la lettre qui informe les britanniques que 9 personnes sur 10 payent leurs impôts à temps.

O comme opportun : votre nudge doit arriver au bon moment. Par exemple, c’est beaucoup plus facile de faire changer les habitudes de transport des gens juste après qu’ils aient déménagé [3]. Trop souvent, on est trop focalisés sur l’intervention à créer pour changer les comportements et on réfléchit pas assez au meilleur moment pour la mettre en oeuvre.

F comme facile : ça c’est un des éléments de base d’un bon nudge, et pourtant trop souvent négligé. Il faut rendre facile le choix du bon comportement, ou au contraire rendre plus difficile le choix du mauvais comportement. C’est là-dessus que joue le nudge des paquets de paracétamol, on rend plus difficile l’achat de grosses quantités de paracétamol. Autre exemple, si votre profession vous amène à faire remplir des formulaires aux autres, assurez-vous que ces formulaires soient déjà pré-remplis au maximum, vous gagnerez en efficacité.

Et enfin A comme attractif. C’est l’autre élément-clé d’un bon nudge, il faut rendre le bon comportement attractif. Si vous voulez faire manger plus de légumes à vos enfants, découpez-les en jolies formes. Si vous souhaitez que moins de gens oublient de venir à vos rendez-vous, envoyez leur un sms ou un email de rappel mais en le personnalisant, en les appelant par exemple par leur prénom [3].

Il existe plein d’autres trucs et astuces qui permettent de créer des nudges, mais déjà avec ces quatre règles vous avez de quoi faire. N’hésitez pas à nudger, tant que vous gardez en tête qu’il faut agir dans l’intérêt des autres ! Et quand vous commencerez à avoir le nudge bien en tête, vous repérerez aussi autour de vous plein de situations qui ne sont pas adaptées à la psychologie humaine, et qui pourraient être facilement améliorées pour le plus grand bonheur de tous. Encore l’autre jour je vais chez Décathlon acheter un cadenas à code, et sur la notice ils marquent qu’il faut changer le code de base qui est 0000 pour un autre code, « par exemple 1234 » selon la notice. Et bien vous pouvez être sûr qu’avec une notice comme ça un paquet de gens va changer son code 0000 pour 1234, qui est un code tout autant vulnérable. Personnellement j’essaie d’appliquer le nudge partout, par exemple vous je vous nudge tout le temps dans mes vidéos pour que vous ayez moins de mal à retenir les informations que je vous donne.

Dans certains pays du monde, les médecins font campagne pour que soit indiqué sur les bouteilles d’alcool le nombre de calories contenues dans un verre [9]. En effet, peu de gens savent qu’il y a autant de calories dans un verre de vin que dans une part de gâteau, et c’est encore pire pour une pinte de bière ou de cidre. Consommer quelques verres entre amis est donc équivalent à s’enfiler un bon gros gâteau bien gras, une idée assez dégueulasse pour pas mal de monde. Plutôt que de centrer les campagnes de prévention sur les dangers de l’alcool ou les risques pour la grossesse, les centrer sur le nombre de calories ingérées pourrait se révéler plus efficace.

Et on va terminer avec les critiques que l’on peut adresser au nudge, parce qu’il y en a, et je suis sûr que vous avez tiqué à plusieurs reprises au cours de cette vidéo quand vous m’avez entendu parler de prendre des décisions à la place des autres, des autres qui en plus ne savent pas ce qui est bon pour eux.

Les deux personnes qui ont popularisé le nudge, Richard Thaler et Cass Sunstein, ont utilisé l’expression « paternalisme libertarien » pour décrire le nudge. C’est un oxymore qui ressemble à deux gros mots mis ensemble, et c’est vrai que c’est un peu ça. Le nudge est paternaliste parce qu’il prend des décisions à la place des autres. Et le nudge est libertarien parce qu’il fait ça sans restreindre les libertés – comme je vous l’ai expliqué, un vrai nudge ne limite pas les choix des gens, il les guide simplement vers un choix plutôt qu’un autre.

Ce qui est bien avec cette description de paternalisme libertarien, c’est que ça montre que le nudge n’est ni de droite ni de gauche. Le nudge est critiqué à la fois par la droite et par la gauche. Les gens de droite lui reproche le paternalisme, le fait que l’Etat puisse décider pour ses citoyens de ce qui est bon. Les gens de gauche lui reprochent de laisser encore trop de libertés, et se demandent pourquoi si on sait qu’un comportement est mauvais, on ne l’interdirait pas purement et simplement.

Ce ne sont pas forcément de mauvaises objections, même si on pourrait y trouver à redire. Je vais vous laisser vous faire une opinion là-dessus, mais si vous voulez qu’on en discute les commentaires et les réseaux sociaux sont là pour ça.

Il y a une autre critique que je voudrais développer plus, c’est sur la façon de décider de ce qui est bon. N’est-il pas illusoire de penser que l’Etat peut décider de ce qui est bon pour ses citoyens ? Il y a plusieurs façons de répondre à cette objection.

déjà on peut remarquer que les gouvernements décident déjà de ce qui est bon pour leurs citoyens, c’est pas un problème qui est spécifique au nudge. Si vous êtes contre l’idée que nos gouvernements puissent faire ça, vous êtes probablement contre notre système politique en général. Mais il y a toujours un moyen d’indiquer à nos gouvernements qu’on n’est pas d’accord avec ce qu’ils pensent être bon, et ce moyen c’est le vote.

Ensuite, il faut se rappeler qu’un vrai nudge laisse toujours la liberté de choix, il n’y a pas de restriction des choix possibles. Donc si vous estimez vraiment que l’Etat se trompe sur ce qui est bon pour vous, vous avez la possibilité de ne pas le suivre, ce que vous ne pouvez pas faire dans le cas d’une interdiction pure et simple de certains comportements

et enfin, pour répondre à la critique que ce qui est bon pour un citoyen ne l’est pas forcément pour un autre, il est souvent possible d’adapter les nudges à des publics différents. Vous pouvez par exemple envoyer une lettre formulée différemment aux gens qui ne paient pas leurs impôts, en fonction de leur niveau de revenus

On pourrait aussi se demander s’il ne vaut pas mieux interdire complètement le nudge, de peur qu’il ne soit utilisé un jour par des esprits malintentionnés. Mais il faut se rendre compte qu’il existe plein de situations dans lesquelles on est obligés de faire un choix, on est obligés de nudger. Si vous êtes responsable d’une cafétéria, il y a forcément des aliments que vous devez présenter en premier, et d’autres en dernier. Une personne qui crée des objets, des batiments, des sites webs, des formulaires, n’importe quoi destiné à être utilisé par des humains, cette personne va être obligée de faire des choix qui vont influencer les comportements, qu’elle le veuille ou non.

Et c’est probable qu’effectivement un jour il y aura des conflits d’intérêt. Peut-être qu’un jour le manager d’une cafétéria décidera de mettre les tiramisus en premier parce qu’il a des actions dans une usine de tiramisus. Mais est-ce une raison pour interdire le métier de manager de cafétéria ? N’est-ce pas plus simple de surveiller les conflits d’intérêts comme on le fait déjà par ailleurs ? On a déjà toute une batterie de lois contre les pratiques trompeuses, la publicité mensongère, etc, il n’y a pas de raisons pour que le nudge échappe à ces lois.

Cette vidéo est maintenant terminée, petit résumé en trois points :

  • un nudge est un moyen simple et peu coûteux de pousser les gens à adopter un comportement bénéfique pour eux, sans pour autant restreindre leurs choix
  • les nudges sont de plus en plus utilisés pour créer des politiques publiques efficaces
  • tout le monde peut nudger pour simplifier sa propre vie ou celle des autres, il suffit de vous rappeler de l’acronyme SOFA : S comme social, O comme opportun, F comme facile, et A comme Attractif

Merci d’être allés jusqu’au bout de cette vidéo, c’est une vidéo importante pour moi et encore une fois un peu différente de d’habitude, parce que c’est pas une vidéo où je ne fais que vous présenter des faits, je vous présente aussi des idées basées sur des faits, et je donne mon avis plus que d’habitude.

Avant de vous laisser retourner vaquer je voudrais vous dire trois choses, d’abord, gros merci à Coralie Chevallier qui a relu le script de cette vidéo. Coralie est chercheuse en cognition sociale et elle étudie plein de trucs passionnants dont on aura l’occasion de reparler plus tard, mais en plus de son travail de recherche classique elle est aussi très impliquée dans l’application des résultats des sciences comportementales aux politiques publiques. Et elle a écrit plein de super articles vulgarisés sur le sujet que vous pouvez retrouver sur son site web que je mets en lien dans la description. Elle me fait aussi remarquer que le nudge n’est pas la seule façon d’utiliser les connaissances sur le comportement humain pour créer de bonnes politiques publiques, mais je garde ce sujet pour une prochaine vidéo.

Deuxièmement, peut-être que certains d’entre vous voudront aller plus loin sur ce sujet du nudge. Si c’est le cas, vous pouvez lire ce livre, qui est le bouquin originel qui a lancé le mouvement, mais je vous recommande plutôt ce 2e livre, qui est un peu moins longuet et plus concret que le précédent. Et si ce qui vous intéresse c’est juste de savoir ce qui marche, ce que vous pouvez faire de concret, vous pouvez aller voir ce que font les « what works centers », littéralement les centres de « ce qui marche », qui sont des centres de recherche au Royaume-Uni qui produisent des synthèses des politiques publiques qui marchent, dans des domaines très différents comme la santé, l’éducation, la réduction de la criminalité, la croissance économique, le bien-être ou le vieillissement. Vous pouvez aussi jeter un coup d’oeil au site Campbell Collaboration qui produit le même genre de synthèses.

Et pour vous remercier d’être encore là, je voudrais offrir à l’un ou l’une d’entre vous ce magnifique autocollant de mouche, à coller bien sûr au fond de la cuvette de vos chiottes. Pour gagner ce magnifique cadeau, écrivez simplement en commentaire le nudge le plus intéressant, le plus extravagant, ou le plus efficace que vous puissiez imaginer ou que vous avez déjà rencontré dans la vie. La magie d’un tirage au sort fera le reste. À très bientôt !

[1] https://worksthatwork.com/1/urinal-fly
[2] https://www.amazon.com/Slim-Design-Mindless-Solutions-Everyday/dp/0062136526
[3] Inside the Nudge Unit: How small changes can make a big difference. David Halpern
[4] Johnson, Eric J., and Daniel Goldstein. “Do Defaults Save Lives?” Science 302 (2003): 1338–39.
[5] Ronald W. Gimbel, et al. Presumed Consent and other Predictors of Cadaveric Organ Donation in Europe. Progress in Transplantation Vol 13, Issue 1, pp. 17 – 23
[6] : Hawton, K., Bergen, H., Simkin, S., Dodd, S., Pocock, P., Bernal, W., Gunnell, D. and Kapur, N. (2013) ‘Long term effect of reduced pack sizes of paracetamol on poisoning deaths and liver transplant activity in England and Wales: interrupted time series analyses’. BMJ; 346 doi: http://dx.doi.org/10.1136/bmj.f403
[7] Daniel Fernandes, John G. Lynch Jr. , Richard G. Netemeyer (2014) Financial Literacy, Financial Education, and Downstream Financial Behaviors. Management Science.
Benartzi, S. (2012) Save More Tomorrow, Portfolio Publishers.
[8] Milkman, K. L., Minson, J. A., & Volpp, K. G. M. (2014). Holding the Hunger Games Hostage at the Gym: An Evaluation of Temptation Bundling. Management Science, 60(2), 283–299. http://doi.org/10.1287/mnsc.2013.1784
[9] https://www.independent.co.uk/life-style/health-and-families/should-calorie-information-be-shown-on-alcoholic-drinks-10212333.html

Le site de Coralie Chevallier : https://sites.google.com/site/coraliechevallier/public-policies

Pour en savoir plus sur le nudge:

What works centers : https://www.gov.uk/guidance/what-works-network
https://campbellcollaboration.org/
Bouquin 1 : https://www.amazon.fr/Nudge-Improving-Decisions-Health-Happiness/dp/014311526X
Bouquin 2 : https://www.amazon.fr/Inside-Nudge-Unit-changes-difference/dp/0753556553/

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Commentaires

2 réponses à “NUDGE – comment faire pour que votre mec pisse moins à côté ?”

  1. Très intéressant. Une remarque concernant la critique faite au nudge (en liaison avec marketing) des politiques publiques selon laquelle « je ne eux pas que l’État se mêle de manière de vivre ou influence mes habitudes — par exemple alimentaires. : ces mêmes personnes souvent ne s’insurgent pas du fait, toujours en reprenant l’exemple de l’alimentation, que les grandes multinationales de l’alimentation, s’invitent partout, jusque dans nos cuisines, pour influencer nos régimes alimentaires. En gros, ce que l’État ne devrait pas faire, les entreprises privées pourraient le faire, alors même que leur but unique est de vendre plus.
    Voilà ! sinon, bravo !

    1. Avatar de Stéphane
      Stéphane

      Merci !

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