La formidable injustice des critiques de la psycho évo – psycho évo #10, 1/7

Vous l’attendez depuis un moment, premier épisode de ma série massive de 4h sur le contexte des critiques de la psycho évo.

Transcription de la vidéo ci-dessous pour ceux qui préfèrent le texte.

« Un homme qui donne aux non-biologistes une image largement fausse de la théorie de l’évolution1. »

« Un écran de fumée rhétorique ayant entravé les avancées scientifiques et causant encore beaucoup de confusion2. »

« Un homme aux idées si confuses que ce n’est pas vraiment la peine de s’embêter avec1. »

« Responsable de la mauvaise éducation d’une génération de scientifiques et de grand public3. »

«[lui et d’autres] déforment ostensiblement la synthèse moderne de l’évolution telle que défendue par ses plus illustres représentants4. »

« Je n’ai jamais été un fan […]. Il se trompait constamment sur l’évolution humaine5. »

« Je pense que c’était un charlatan. Il cherchait à se faire une réputation et obtenir de la crédibilité comme scientifique et auteur, et l’a fait en déformant systématiquement ce que les autres disaient6. »

Qui est visé par ces phrases prononcées par certains des plus grands noms de la biologie de l’évolution ? Un créationniste s’en prenant directement à la théorie de l’évolution ? Un pseudo-expert s’exprimant dans les médias ? Pire, un chercheur en psychologie évolutionnaire, connu pour sa vision très simpliste du vivant ? Hé bien non. Ces attaques ne sont pas dirigées contre la psychologie évolutionnaire mais contre un détracteur de cette discipline. Qui plus est, ce détracteur n’est pas un inconnu, mais un biologiste de l’évolution renommé, et même un des plus connus du grand public, un auteur de livres à succès écoulés à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, à tel point que vous en avez peut-être déjà lu. Ce chercheur, vous l’avez peut-être deviné, c’est bien entendu, je veux parler de monsieur « biiiiiip ». [nom bipé dans la vidéo]

[générique]

Aujourd’hui, on va, à nouveau, une fois de plus, une dernière fois, parler des critiques de la psycho évo. Alors étant donné que j’ai déjà fait plus de 6h de vidéo pour répondre à ces critiques, qu’elles soient conceptuelles (), méthodologiques () ou politiques (), vous vous demandez peut-être ce que je peux bien avoir à raconter de plus ?

Deux choses principalement. Premièrement je veux vous montrer que les critiques dont j’ai parlé jusqu’ici sont effectivement celles sur lesquelles se base une partie du monde universitaire pour condamner la psycho évo. Je veux vous montrer que c’est pas moi qui ai sélectionné les pires critiques pour ensuite les démonter facilement, et pour faire ça il faut qu’on aille lire ensemble un article dans le texte, ce qu’on a jamais fait encore. Parce que je me mets à votre place, à vous mes abonnés en train d’essayer de vous faire un avis sur la psycho évo, avec vos capacités cognitives limitées, vous devez vous dire que, même si certaines choses que je vous ai racontées dans les vidéos précédentes ont l’air pas débiles, ça ne représente que mon avis, et l’avis du petit Homo Fabulus contre celui de dizaines ou de centaines d’universitaires, qu’est-ce que ça vaut, pas grand-chose, on est bien d’accord. Mais évidemment en science le nombre de critiques ne fait pas tout et leur qualité doit aussi être examinée, et donc aujourd’hui je veux vous montrer concrètement que le consensus contre la psycho évo qui a pu se former dans certaines disciplines ne se base pas sur des arguments plus sophistiqués que ceux que j’ai présentés jusqu’ici.

Et la deuxième raison pour laquelle je fais cette vidéo, c’est parce que pour vous faire un avis sur la pertinence des critiques, ça peut être intéressant de connaître leur contexte de production. De savoir qui étaient les personnes derrière ces critiques, et quels étaient les contextes sociaux et politiques dans lesquels elles ont été émises. Vous savez, il est souvent reproché aux défenseurs de la psycho évo de ne pas donner assez d’importance au dans lequel cette science s’est formée. Par exemple, certains détracteurs du champ pensent que c’est pas un hasard si on s’est mis à étudier les différences cognitives hommes-femmes au moment-même où les mouvements féministes se développaient dans la seconde moitié du XXe siècle. Ce serait parce que ces études constituent la contre-offensive des mouvements réactionnaires aux mouvements féministes. Alors c’est pas forcément un raisonnement très pertinent, parce qu’il amène à voir de la causalité partout là où il n’y a en fait souvent que des corrélations, mais peu importe la validité de ce raisonnement, ce que je veux faire aujourd’hui, c’est un peu rendre la monnaie de leur pièce à tous les gens qui pensent comme ça, ceux qui ne jurent que par le contexte, en m’intéressant au contexte de production des critiques de la psycho évo.

Donc voilà, le but de cette vidéo, c’est premièrement de vous montrer que le consensus contre la psycho évo dans certains domaines universitaires – et je dis bien dans certains domaines universitaires – est basé sur des arguments de faible qualité, et deuxièmement, de vous présenter le contexte dans lequel ce consensus s’est construit. Ça me fera deux parties de vidéo, et j’en rajouterai une troisième pour vous parler de mon ressenti plus personnel sur toutes ces histoires, sur ce que ça fait de pratiquer la psychologie évolutionnaire aujourd’hui au XXIe siècle, et du découragement que ça peut parfois générer.

Maintenant est probablement un bon moment pour vous informer que je comptais intialement publier ces trois parties en une seule vidéo, jusqu’à ce que je me rende compte qu’elle ferait, euuuh, un peu plus de 4h. Bon, les retours sont mixtes en ce qui concerne les vidéos longues, je sais que certains d’entre vous les adorent, d’autres pas du tout, comme d’habitude ya aucune cohérence chez mes abonnés, on a les abonnés qu’on mérite. Du coup j’ai tranché en faveur d’une découpe de cette vidéo massive en sept vidéos plus petites de 30 à 45 minutes, que je vous distillerai précieusement dans les semaines qui viennent. Mais lorsque dans le futur je vous parlerai de « cette vidéo », ça fera référence à la vidéo entière, et quand je vous parlerai de la première, deuxième ou troisième partie, ça fera référence à ces trois parties que je viens d’évoquer, ne soyez pas surpris. Allez on reprend.

Alors je sais que yen a certains parmi vous qui aimeraient que je passe à autre chose, que je vous parle de résultats plus que de critiques. Et croyez-moi, j’en serai le premier ravi. Mais je vous ai toujours dit depuis le début qu’il y aurait une grosse partie de cette série consacrée aux critiques, et que j’allais y répondre de la façon la plus exhaustive possible pour ne plus avoir à y revenir dans 5, 10 ou 20 ans. Je ferai ce que j’ai promis et je terminerai ce que j’ai commencé.

Je reconnais quand même que la première partie de cette vidéo pourrait s’avérer ennuyeuse par moments, parce que je vais répéter des choses déjà dites. Même si je vais m’efforcer de vous la rendre agréable, je ne peux pas non plus faire de miracles, après tout, on va devoir lire de la prose de philosophes. Vous pouvez donc sauter cette première partie si elle vous saoule, en vous aidant des chapitres pour ceux qui sont sur Youtube ou du code temporel que je vais vous donner dans deux secondes pour ceux qui écoutent en podcast. Par contre, si la psycho évo vous intéresse vraiment, ou si la biologie du comportement de façon générale vous intéresse, je ne vous recommande vraiment pas de sauter les parties 2 et 3, où là je vais vraiment aborder des choses nouvelles, et en réalité des choses très peu connues du grand public, qui ne sortent pas des labos en général, mais dont il est, je pense, important que vous soyiez informés. Je vais vous montrer l’envers du décor de la recherche dans mon domaine, et vous allez voir que c’est pas toujours joli joli.

Voilà donc pour ceux qui voudraient sauter l’analyse critique et ennuyeuse d’article critique et ennuyeux, c’est ici que nos chemins se séparent. Je vous fais un résumé de la partie en une phrase et je vous donne un timecode pour la sauter. Le résumé d’abord : un article d’une encyclopédie de philosophie des sciences très réputée qualifie la psychologie évolutionnaire de discipline profondément défectueuse, mais cette affirmation n’est soutenue par aucun argument valable, et je renvoie à toutes mes vidéos précédentes pour comprendre pourquoi. Voilà rendez-vous à la minute xx pour ceux qui ne veulent pas me voir faire du biologi-psychologisplaining aux philosophes, et pour les plus courageux, démarrons tout de suite avec ce fameux article.

1. Étude d’une critique « de qualité »

1.1 Rappel des bases de psycho évo

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Avant tout, puisqu’on va étudier la pertinence des critiques sur le fond, il me semble utile de faire un petit rappel sur ce fond, c’est-à-dire sur ce qu’est vraiment la psycho évo. Je ne vais pas refaire toutes mes vidéos précédentes bien sûr, mais si vous ne deviez en regarder qu’une, ce serait la dernière sur Court-Circuit le robot qui aimait les bornes incendies, parce qu’elle est assez courte et que je vais pas mal y faire référence aujourd’hui.

Et sinon, je peux quand même vous faire un petit résumé. Vous allez voir, ça va être très rapide.

La psychologie évolutionnaire, c’est le programme de recherche qui pense que postuler que notre psychologie a certaines fonctions nous aidera à découvrir certaines de ses propriétés.

Et c’est tout.

La psychologie évolutionnaire, c’est le programme de recherche qui pense que postuler que notre psychologie a certaines fonctions nous aidera à découvrir certaines de ses propriétés [schema1].

Schéma d’illustration du texte précédant.

schema1

Postuler des fonctions aide à découvrir des choses, a un pouvoir heuristique comme on dit, tout simplement parce que la fonction et les propriétés d’un système sont toujours étroitement liés. Quand on postule qu’un système a une certaine fonction, ça permet tout de suite d’énumérer un certain nombre de propriétés que devrait posséder ce système pour bien fonctionner. Par exemple, si vous pensez qu’un programme informatique a la fonction d’extorquer de l’argent aux utilisateurs d’un PC [schema2], ça fait la prédiction que ce programme devrait être capable de verrouiller l’accès à certains fichiers, ou de supprimer des fichiers, ou d’afficher une pop-up qui demande de l’argent, etc. Toutes ces prédictions ne seront pas forcément vérifiées, mais c’est pas grave. Même si on en vérifie qu’une partie, on aura quand même réussi à découvrir des choses sur ce programme informatique, et surtout à savoir par quel bout l’attaquer, plutôt que de rester la bouche ouverte à baver devant ses milliers de lignes de code. Supposer des fonctions permet de découvrir des propriétés et de fournir un plan d’attaque à l’étude d’un système plutôt que d’avancer à tâtons dans le noir.

Schéma d’illustration du texte précédant.

schema2

La psychologie évolutionnaire, c’est exactement la même chose, mais dans le cas d’un système particulier qu’on appelle la psychologie. La psycho évo postule des fonctions à notre psychologie pour ensuite aller vérifier la présence de certaines propriétés associées à ces fonctions. L’idée est vraiment toute conne, mais elle est extrêmement puissante. C’est grâce à elle que depuis 50 ans, les biologistes, pas seulement les psychologues évolutionnaires, les biologistes qui utilisent ces approches qu’on appelle adaptationnistes ont découvert plein de choses sur le monde vivant.

1.2 L’article de l’encyclopédie de Stanford

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Ce rappel étant fait, étudions maintenant les critiques. Pour faire ce boulot correctement, il nous faut un article représentatif des critiques et qui soit de bonne qualité. Idéalement, il faudrait que ce soit un texte d’encyclopédie, pour qu’il effectue une synthèse des débats plutôt que de présenter un argument particulier. Si possible, il faudrait une encyclopédie qui a plutôt bonne réputation. Il faudrait aussi un texte mis à jour régulièrement, et un texte écrit par des gens qui s’y connaissent un peu en épistémologie et en philosophie des sciences. Et ça tombe bien parce qu’il existe un texte qui coche toutes ces cases, et qui en plus est accessible en ligne gratuitement, c’est celui de l’encyclopédie de philosophie de Stanford7. Cette encyclopédie est mise à jour tous les 5 ans et est considérée comme une référence par pas mal de philosophes. Et elle possède une entrée sur la psychologie évolutionnaire écrite par un philosophe des sciences spécialiste de la biologie, Monsieur Stephen Downes. Que demander de plus ?

Je tiens quand même à signaler que même si aujourd’hui je ne vais discuter que de cet article, des critiques de la psycho évo, il en existe plein d’autres, il y a même des livres entiers qui ont été écrits sur la question. Je vous les mets en référence si ça vous intéresse8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15.

Ce qui est cool avec cet article de l’encyclopédie de Stanford, c’est que dès le premier paragraphe, il annonce la couleur :

Image d’illustration de la citation : « il existe un consensus large parmi les philosophes des sciences pour dire que la psychologie évolutionnaire est une entreprise profondément défectueuse. ». Citation de 7. Downes, Stephen M.. Evolutionary Psychology (2018).

« il existe un consensus large parmi les philosophes des sciences pour dire que la psychologie évolutionnaire est une entreprise profondément défectueuse7. »

« Entreprise profondément défectueuse. »

« Consensus large ».

C’est pas des petits mots hein, même moi j’ai jamais traité la géologie d’entreprise profondément défectueuse. En gros, « profondément défectueux », c’est la façon universitaire polie de dire que la psycho évo, c’est de la merde. Donc c’est parfait, on a là un article censé être de très bonne qualité et qui dans le même temps fait état d’un consensus très négatif sur la psycho évo. On imagine que pour soutenir une conclusion si forte, des arguments solides vont être présentés.

Pour des raisons évidentes de contraintes de temps, je ne vais pas vous lire l’article phrase par phrase. Les plus motivés d’entre vous peuvent faire pause maintenant pour aller le lire s’ils le veulent, le lien est en description. Pour ma part, je vais surtout m’attarder sur les points de reproches faits à la psycho évo et vous faire un résumé plus rapide des autres passages. J’en profite pour dire à ceux qui écoutent en podcast que vous aurez peut-être parfois du mal à suivre, parce que vous ne saurez pas quand je cite du texte de l’article, mais comme les IAs ne sont pas encore assez bonnes à mon goût pour faire de la synthèse vocale et que j’ai pas d’amis pour lire les citations à ma place, hé ben j’ai pas d’autres solutions.

Première citation : « Tout comme les psychologues cognitifs, les psychologues évolutionnaires proposent que la plupart, si ce n’est l’ensemble de notre comportement peut être expliqué en faisant appel à des mécanismes psychologiques internes. » On n’est qu’à la deuxième phrase du premier paragraphe, mais on a déjà un problème ici, ou tout du moins un flou important. Cette phrase peut en effet vouloir dire quelque chose de très vrai comme quelque chose de très faux. Elle est vraie parce qu’évidemment que tous nos comportements sont produits par notre psychologie. La psychologie, c’est juste le produit de l’activité du cerveau, et aux dernières nouvelles c’est bien le cerveau qui commande l’intégralité de nos comportements. Tous nos comportements peuvent donc être expliqués en faisant appel à des mécanismes psychologiques internes. Par contre, c’est une phrase maladroite parce qu’elle suggère que les psychologues évolutionnaires sont des réductionnistes qui pensent que tout comportement peut s’expliquer sans évoquer l’environnement à aucun moment. Ce qui est évidemment faux, et je renvoie à ma vidéo sur Court-Circuit si vous avez besoin de plus d’explications (). C’est pas parce qu’on dit que tous les comportements d’un robot peuvent se comprendre en faisant référence à ses programmes informatiques qu’on dit que l’environnement n’a plus de rôle à jouer pour expliquer ces mêmes comportements. Et je renvoie également à cette vidéo qui explique pourquoi l’environnement, y compris socio-culturel, est central en psychologie évolutionnaire (). Donc dès la deuxième phrase, on a un flou dans l’explication, qui donnera à beaucoup de monde l’image d’une psycho évo réductionniste.

La suite du paragraphe n’apporte pas grand-chose, si ce n’est que c’est là qu’on apprend que pour la plupart des philosophes des sciences, la psychologie évolutionnaire est considérée comme profondément défectueuse. Au passage, je m’excuse par avance auprès de tous les philosophes qui me regardent, parce que je ne vais pas arrêter de balancer sur vos collègues et surtout de faire des généralisations abusives. Je ne vais pas arrêter de parler « des philosophes » ou « des philosophes des sciences » comme si tous pensaient la même chose. C’est bien sûr pas le cas, mais la raison pour laquelle je me permets ces généralisations, c’est précisément parce que les philosophes eux-mêmes parlent de « consensus des philosophes des sciences » contre la psycho évo, c’est marqué noir sur blanc. Mais bon évidemment que consensus ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’exceptions, et certains philosophes sont même très enthousiastes, ce qui est d’ailleurs reconnu en fin de paragraphe. Donc je répète, il existe des philosophes brebis égarées qui ne condamnent pas la psycho évo, et je vous en reparlerai en fin de vidéo, mais tout au long de cette vidéo je me permettrai quand même de faire des généralisations abusives à cause de ce consensus avoué.

Continuons notre analyse. Ensuite on a le plan de l’article, et ensuite on entre dans le coeur du sujet avec une présentation des spécificités de la psycho évo par rapport aux autres approches évolutionnaires du comportement.

Pas de problème particulier avec cette section qui est plutôt bonne, elle présente rapidement en quoi l’approche de la psycho évo est différente de celles des autres sciences évolutionnaires du comportement comme l’écologie comportementale, je vous en ai moi-même parlé dans cette vidéo (). Cette section conclut que les divergences entre ces approches ne pourront être résolues qu’en examinant le fond des arguments, ce qui est fait dans la partie suivante.

Dans cette partie suivante est énumérée une liste de six concepts importants en psycho évo. On trouve ici une deuxième imprécision importante, quand il est mentionné que les psychologues évolutionnaires pensent que « la sélection naturelle conduit à ce que le cerveau soit composé de pleins de programmes spécialisés et pas d’une architecture généraliste ».

Énoncée telle quelle, cette affirmation est une caricature. C’est vrai que les psychologues évolutionnaires insistent sur la spécialisation fonctionnelle, et donc sur l’architecture modulaire du cerveau, mais ce n’est pas pour nier complètement la possibilité de processus plus généralistes. L’existence de processus généralistes n’est pas remise en question, mais, au XXe siècle les sciences sociales avaient tellement l’habitude d’expliquer les comportements à l’aide d’une poignée de programmes cognitifs seulement que les chercheurs en psycho évo ont jugé bon d’insister sur cette notion de spécialisation. Et le tout entouré bien sûr de gros débats sur ce qu’on appelle un programme « spécialisé » ou « généraliste », voir cette vidéo ().

Dans le paragraphe suivant, la même approximation est répétée. L’auteur de l’article affirme que les psychologues évolutionnaires pensent que « tout comme il n’existe pas d’organe à tout faire, il n’existe pas de mécanisme psychologique généraliste ». Une nouvelle fois, c’est pas que l’existence de mécanismes généralistes est rejetée, c’est qu’il n’y a pas de raisons de penser qu’ils soient la règle. les organes corporels offrent effectivement une bonne analogie : on a pas d’organes à tout faire dans notre corps, donc on ne voit pas pourquoi on aurait des programmes cognitifs à tout faire dans notre cerveau. Notre corps est massivement spécialisé fonctionnellement, on ne voit pas pourquoi notre psychologie ne le serait pas aussi.

Cet exemple illustre comment les positions de la psycho évo peuvent être caricaturées, alors que ce qu’elle raconte est généralement assez nuancé. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé de corriger ces malentendus. Par exemple, dans ce livre Sense and Nonsense qui est un petit classique de philosophie de la biologie et qui a été publié sept ans avant l’article de l’encyclopédie de Stanford, les fondateurs de la psychologie évolutionnaire, Cosmides et Tooby, sont ouvertement questionnés sur la possibilité de mécanismes généralistes :

Image d’illustration de la citation : « Quand nous avons demandé à Cosmides et Tooby s’ils accepteraient que beaucoup de traits psychologiques soient généralistes, ils répondirent avec un vigoureux : "bien sûr !", et nous renvoyèrent vers des études expérimentales qui le prouvaient. ». Citation de 16. Laland, Kevin N. & Brown, Gillian. Sense and Nonsense: Evolutionary Perspectives on Human Behaviour (2011).

« Quand nous avons demandé à Cosmides et Tooby s’ils accepteraient que beaucoup de traits psychologiques soient généralistes, ils répondirent avec un vigoureux : « bien sûr ! », et nous renvoyèrent vers des études expérimentales qui le prouvaient16. »

On ne peut pas faire plus clair que ça ! La psycho évo reconnaît parfaitement l’existence de mécanismes psychologiques généralistes, mais sept ans après, elle continue à être dépeinte comme un champ qui rejette la possibilité de mécanismes généralistes, y compris dans des articles de qualité comme celui de l’encyclopédie de Stanford.

Dans ce même paragraphe, on apprend que la psychologie évolutionnaire aurait une « vision réductionniste ». Pourquoi ? Parce qu’elle postule que « décrire l’architecture computationnelle évoluée de nos cerveaux permettrait « une compréhension systématique des phénomènes sociaux et culturels »». Autrement dit, parce qu’elle pense que des choses compliquées comme la culture et le social peuvent s’expliquer par des choses plus simples comme des programmes cognitifs évolués, la psycho évo serait réductionniste. Bon. Ici, la gravité de l’accusation dépend du sens donné au mot « réductionnisme ». Je vous ai déjà expliqué dans cette vidéo () qu’on pouvait distinguer un bon et un mauvais réductionnisme. Le bon c’est celui qui essaie de trouver des explications simples aux phénomènes compliqués. Ce bon réductionnisme, il est pratiqué dans toutes les sciences, y compris les sciences sociales. Le mauvais, c’est celui qui pense qu’on peut se restreindre à un seul niveau d’analyse pour expliquer des trucs compliqués comme le comportement humain. Par exemple, penser qu’on aura tout compris au comportement humain une fois qu’on aura fait un catalogue complet des gènes d’un individu.

La psycho évo est effectivement réductionniste, mais à mon avis dans le bon sens. C’est complètement vrai qu’elle pense que des phénomènes socioculturels compliqués peuvent s’expliquer en partie par des programmes cognitifs évolués, exactement comme on peut expliquer les comportements collectifs de robots par des programmes qu’on leur a mis dans la tête. Mais ça n’oblige pas à adhérer dans le même temps au mauvais réductionnisme qui consiste à dire que les explications des comportements autres que cognitives n’ont aucun intérêt. Comme je vous le répète souvent, en matière de comportement humain, les explications ne sont pas un jeu à somme nulle. Des explications culturelles et sociologiques peuvent parfaitement coexister avec des explications cognitives et évolutionnaires. Le psychologique n’est pas séparé du social, les deux sont en interaction permanente. La psycho évo aime bien insister sur le niveau psychologique précisément parce que ce niveau est à l’interface de plein d’autres niveaux, à l’interface du génétique, du neuronal, du social, mais elle n’est pas réductionniste dans le sens où elle penserait que les sciences sociales traditionnelles ne servent à rien pour expliquer les comportements. Malheureusement, c’est ce que laisse sous-entendre cet article, à cause d’une formulation ambigue.

Quelques lignes plus bas, on trouve encore une affirmation très floue qui fait passer la psycho évo pour absurde alors qu’en fait elle ne fait que dire des choses triviales. Soit-disant, en psycho évo, on penserait que « tout comportement s’explique en termes de mécanismes psychologiques ayant résolu un problème au cours de l’évolution ». Et ça ça doit vous rappeler immédiatement ma dernière vidéo, où, quand Leïla affirme qu’elle peut expliquer pourquoi Court-Circuit tourne autour des bornes incendies, Boris en conclut qu’elle postule l’existence d’un programme ayant spécifiquement pour but de tourner autour des bornes incendies (). Court-Circuit n’a pas de tel programme, mais il a un programme le faisant être attiré par la couleur rouge, et ce programme est évidemment sensible à son environnement. De la même façon, quand la psycho évo postule que tout comportement peut s’expliquer par des programmes cognitifs ayant résolu un problème au cours de l’évolution – en mettant de côté les cas particuliers des sous-produits et de la dérive – elle n’est pas en train d’affirmer qu’il existe une bonne raison derrière chacun de nos comportements, que tout ce que fait un humain du matin au soir est utile pour la survie ou la reproduction. Une nouvelle fois, il est très facile de faire passer des affirmations triviales pour absurdes. Je ne sais pas si les philosophes des sciences font ça intentionnellement, mais il est certain que ce texte manque énormément de clarté.

Et ça continue ensuite. La phrase suivante de l’article est également très ambigüe : « les psychologues évolutionnaires insistent pour dire que les mécanismes psychologiques sont universels et ne sont pas, ou peu, sujets à la variation. Ils affirment que ces mécanismes sont des adaptations mais ne sont plus sous sélection. »

Une personne qui ne connaîtrait pas la psycho évo, elle va penser deux choses en lisant ça. La première, c’est que les psychologues évolutionnaires verraient le cerveau comme un organe ayant cessé d’évoluer. La deuxième, c’est qu’ils penseraient que les cerveaux humains sont identiques. Deux affirmations évidemment à contre-courant du consensus scientifique, donc la psycho évo, c’est tout pourri. Mais ce que disent les psychologues évolutionnaires est une nouvelle fois bien plus subtil et en réalité pas du tout controversé… L’idée c’est pas de dire que nos cerveaux ont cessé d’évoluer ou qu’il n’existe pas de variation d’un individu à un autre. L’idée c’est de considérer cette évolution comme suffisamment lente et cette variation suffisamment faible pour qu’on puisse les négliger en pratique. Je vous l’ai expliqué dans cette vidéo (), le parallèle avec les organes est une nouvelle fois utile. Même si nos organes, notre coeur, nos poumons, notre foie, continuent à évoluer tous les jours, même s’ils sont frappés par des mutations en permanence, et même si chaque personne dans le monde a un coeur un peu différent de celui de son voisin, cette variabilité ne change rien au fonctionnement général de ces organes. La variabilité des coeurs par exemple ne nous empêche pas de comprendre le fonctionnement général des ventricules, des valves, le trajet du sang, etc. Les psychologues évolutionnaires ne disent rien de plus. Les mécanismes psychologiques sont peut-être différents dans le détail d’un individu à l’autre, mais il n’y pas de raison qu’ils diffèrent du point de vue du fonctionnement général. C’est quelque chose de complètement trivial, mais sous la plume des philosophes des sciences c’est tourné d’une telle façon que ça laisse supposer que les psychologues évolutionnaires ont une vision complètement naïve.

On en arrive à la fin de cette section censée présenter les bases théoriques de la psycho évo. Et vous voyez que rien que dans cette section, on a déjà navigué entre les erreurs basiques et les imprécisions qui laissent penser que la psycho évo fait des hypothèses absurdes quand en réalité elle ne fait qu’énoncer des banalités.

La section suivante revient sur le problème de la , qui est l’hypothèse que le cerveau serait entièrement constitué de mécanismes spécialisés. Apparemment c’est un problème tellement important pour les philosophes qu’une section entière y est consacrée. Pourtant, on vient de voir que non seulement l’existence de mécanismes généralistes est reconnue depuis longtemps en psycho évo, mais qu’en plus, comme je vous l’expliquais dans ma vidéo dédiée (), tous ces débats reposent sur un malentendu. Pour les psychologues évolutionnaires, « modulaire » veut simplement dire « spécialisé fonctionnellement » [schema2b], un concept pas controversé en sciences cognitives, même si on peut toujours discuter les détails. Par contre, pour les philosophes, et notamment les plus célèbres ayant travaillé sur la question comme Jerry Fodor, « modulaire » veut avant tout dire « encapsulé », le fait que nos programmes cognitifs ne pourraient pas communiquer les uns avec les autres. Mais c’est pas une position que défend la psycho évo.

Schéma d’illustration du texte précédant.

schema2b

Sans oublier que peu importe la vision de la modularité de l’esprit que vous avez, ça ne remet pas en cause le concept central de la psycho évo qui est de postuler des fonctions pour découvrir du design [schema3]. Quand vous dites « si ce mécanisme psychologique a évolué pour telle raison, alors il devrait avoir telle caractéristique », vous n’avez à aucun moment parlé de modularité. Dans ma vidéo sur le dégoût, je ne fais appel à aucun moment au concept de modularité, et pourtant ça ne m’empêche pas de vous parler des découvertes.

Schéma d’illustration du texte précédant.

schema3

La section suivante est la plus importante en ce qui nous concerne, puisque c’est celle qui est censée nous apprendre pourquoi les philosophes des sciences ne sont pas convaincus par la psychologie évolutionnaire. Selon eux, ce programme de recherche serait « trop adaptationniste », « insoutenablement réductionniste », « fourvoyé sur la question des modules », ou accusé d’avoir une conception très lâche de la fitness. Je ne reviens pas sur la question du réductionnisme ou des modules qu’on vient d’aborder. Intéressons-nous aux deux autres accusations.

Sur l’adaptationnisme, nos amis philosophes font remarquer que le concept d’adaptation est un concept difficile. Ce qui est tout à fait vrai, il est pas mal débattu même en biologie de l’évolution. Je vous en avais parlé dans cette vidéo (). Il existe notamment des désaccords sur la façon de reconnaître une adaptation [schema3b]. Certains biologistes vont parler d’adaptation uniquement lorsqu’ils auront identifié un organe ou un comportement qui augmente les chances de survie ou de reproduction, quand d’autres en parleront lorsqu’ils observeront un design qui leur paraît très peu probable d’avoir évolué par hasard. Ya pas de bonne ou de mauvaise définition, ce sont deux façons d’aborder le problème. La psycho évo, elle, a décidé de se concentrer sur la définition en terme de design parce que son but premier c’est de découvrir des propriétés de notre psychologie, et pour ça ya rien de mieux qu’une analyse de correspondance design-fonction.

Schéma d’illustration du texte précédant.

schema3b

Les philosophes des sciences citent aussi Gould et Lewontin et leurs accusations de « just-so stories », leurs accusations que les hypothèses adaptationnistes ne seraient pas testables, qu’elles ne seraient que de la spéculation. C’est pourtant une des idées reçues les plus fausses sur le domaine. Dans ma vidéo \youtube(), en réalité, 90% du travail des psychologues évolutionnaires n’est pas de spéculer sur la fonction d’un trait, mais de tester les prédictions de leurs hypothèses. Le boulot des psychologues évolutionnaires est avant tout expérimental. C’est donc vraiment faire preuve d’un manque de connaissance du domaine ou d’une réelle mauvaise foi que de leur reprocher de faire de la spéculation. Et ce n’est donc pas très étonnant que ces reproches aient été proférés par Gould et Lewontin quand on connaît un peu les bonhommes, sur lesquels je vais revenir dans un petit instant.

Ensuite, nos amis philosophes reprochent à la psychologie évolutionnaire d’être trop adaptationniste et de ne pas assez considérer d’hypothèses alternatives aux hypothèses adaptatives. Ça je vous en ai parlé dans cette vidéo (). Cette critique fait partie de ce que j’appelle les critiques pertinentes mais non fatales. Déjà il faut commencer par définir ce que ça veut dire être « trop » ou « pas assez » adaptationniste. C’est quoi le « bon » niveau d’adaptationnisme ? Nos amis philosophes ne proposent pas de réponse. Et ensuite si en psycho évo on fait passer les hypothèses adaptatives en premier, c’est toujours pour la même raison : c’est parce que ces hypothèses permettent de découvrir du design, qu’elles ont un pouvoir heuristique important. Et comme elles finissent en général toujours par être testées, même si vous vous trompez en postulant une fonction, c’est pas très grave. À l’inverse, les hypothèses alternatives, qui pensent que les comportements ont évolué par hasard ou sont des sous-produits d’autres adaptations, sont elles extrêmement difficiles voire impossibles à tester. Pour prouver que Court-Circuit tourne autour d’une borne incendie par hasard, bon courage. Donc donner la priorité aux hypothèses adaptatives se justifie, mais c’est sûr que toujours les faire passer en premier aboutira parfois à ce qu’on postule de la fonction évoluée là où il n’y en a pas. Mais il ne s’agit que d’une limite, pas d’une critique fatale. Le programme adaptationniste n’a pas que des avantages mais reste extrêmement utile pour découvrir du design. Il n’y a aucune de raison de faire comme nos amis les philosophes qui ne mentionnent que les limites sans reconnaître les avantages en même temps, et nous poussent donc à supposer que ces limites sont fatales.

Critique suivante, nos amis philosophes reprochent de ne pas considérer la plasticité phénotypique comme une adaptation. La plasticité phénotypique, c’est un mot un peu compliqué qui désigne simplement le fait que les êtres vivants sont capables d’adapter leurs comportements à un certain environnement, une situation ou un contexte particulier. Quand on cherche à expliquer pourquoi le comportement d’un animal est adapté, on a l’habitude d’opposer deux hypothèses : soit ce comportement est codé en dur dans ses gènes, soit il a été produit de façon plastique en temps réel par notre animal en fonction des spécificités de la situation [schema4].

Schéma d’illustration du texte précédant.

schema4

Sauf que, c’est une erreur de considérer que lorsque l’on parle de plasticité phénotypique, on n’a plus besoin de parler de gènes et d’évolution. La plasticité phénotypique reste toujours un produit de la sélection naturelle, et est codée d’une façon ou d’une autre par des gènes. C’est une erreur de considérer qu’un comportement évolué sera forcément rigide, fixe et invariant. La sélection naturelle peut très bien produire des comportement flexibles, plastiques et variables. Et les psychologues évolutionnaires n’ont donc aucun mal à considérer que certains comportements puissent s’expliquer par la plasticité. Ce qu’ils font remarquer par contre, c’est que ce concept est souvent utilisé à toutes les sauces, comme LA solution permettant d’expliquer les comportements humains sans avoir besoin de faire appel à l’évolution, alors que ce n’est pas du tout le cas comme je viens de vous l’expliquer. Qualifier de « plastique » un comportement qui varie n’explique rien en soi. Ce n’est qu’une redescription, du collage d’étiquette. C’est comme dire que Court-Circuit est attiré par les bornes incendies en France et les cabines téléphoniques en Angleterre parce que son comportement est plastique. Pourquoi pas, mais qu’est-ce qu’on a compris de plus en disant ça ? Il faut essayer d’aller un peu plus loin en se demandant d’où vient cette plasticité, pourquoi elle existe, par quoi elle est permise. Et pour répondre à ces questions, la théorie de l’évolution sera toujours utile. J’ai développé tout ça dans cette vidéo ().

Ha oui et puis remarquons que quand les philosophes reprochent aux psychologues évolutionnaires de ne pas considérer la plasticité comme une adaptation, ils leur reprochent en réalité de ne pas être assez adaptationnistes. Or, qu’est-ce qu’on a vu quelques lignes plus haut ? Qu’on leur reprochait aussi d’être trop adaptationnistes, de voir de la sélection naturelle partout. Donc on reproche à la psycho évo d’être à la fois trop et pas assez adaptationniste. Faudrait savoir les cocos. C’est là où on commence à se rendre compte qu’il y a une certaine mentalité du « tout est bon à prendre » pour critiquer la psycho évo, peu importe les contradictions et incohérences internes que ça entraîne. Je reviendrai sur cette mentalité plus loin.

Le paragraphe suivant réaffirme que c’est naïf de penser que nos adaptations ont cessé d’évoluer. Selon nos amis philosophes, « Il est faux de penser que les adaptations ne peuvent pas être sujettes à de la variation ». J’ai déjà répondu à ça, je ne reviens pas dessus. Négliger la variation est tout à fait justifié quand on s’intéresse au fonctionnement général d’une adaptation. Ça ne choque personne quand on étudie les organes du corps, ça ne devrait choquer personne lorsqu’on étudie les organes de l’esprit.

Juste après, on peut lire que les adaptations seraient des « produits de la sélection naturelle et pas des traits qui exhibent un certain design et sont universaux dans une espèce ». Rien de nouveau sur le fond ici, c’est toujours le difficile débat sur la définition d’une adaptation. Les philosophes des sciences semblent penser qu’il n’en existe qu’une seule, mais s’ils avaient ouvert un manuel de biologie de l’évolution comme celui-ci17 (p.287), ils auraient vu qu’il y en a plusieurs, et que celle utilisée par les psychologues évolutionnaires est parfaitement valide.

Dans le paragraphe suivant ce sont les études interculturelles qui sont critiquées. En psycho évo, on aime bien faire des expériences qui comparent les préférences psychologiques ou les comportements des gens dans . Ça permet d’éviter de ne toujours étudier que les populations occidentales, ce qui est évidemment important quand on a pour but de comprendre le fonctionnement général de la psychologie humaine. Ça permet aussi de mieux comprendre dans quelles conditions des mécanismes psychologiques universels peuvent produire des comportements variés, cette fameuse plasticité phénotypique. C’est l’équivalent d’étudier le comportement de Court-Circuit en France et en Angleterre. Et là, pourquoi nos amis philosophes râlent ? Parce que pour eux, lorsque l’on observe des similarités psychologiques entre différentes cultures, ça ne veut pas forcément dire qu’on a mis le doigt sur une adaptation commune à toute l’humanité. Et c’est parfaitement vrai, il y a d’autres explications que l’évolution qui peuvent expliquer pourquoi les mêmes comportements se retrouvent dans des cultures différentes. Mais à ma connaissance, personne ne remet ça en question. Les expériences interculturelles ne sont pas une preuve suffisante d’adaptation, c’est juste une pièce du puzzle en plus. De la même façon que si un biologiste voulait prouver que le coeur est une adaptation, il ferait bien de commencer par s’assurer qu’on ne connaît pas de populations humaines sans coeur, les psychologues évolutionnaires commencent par s’assurer qu’on ne trouve pas de populations humaines sans un certain mécanisme cognitif avant de commencer à parler d’adaptation. Il n’y a rien d’aberrant à ça.

Dans le paragraphe suivant, on apprend qu’il existe toujours des explications alternatives à celles de la psychologie évolutionnaire. Bon bah surprise, le monde est compliqué et différentes explications sont en compétition pour l’expliquer. On voit mal en quoi cette critique est spécifique à la psycho évo et en quoi elle serait fatale au champ de quelque manière que ce soit.

Et enfin, on en arrive au moment que vous attendez tous, puisque cet article va enfin nous expliquer pourquoi la psycho évo est supposément profondément défectueuse. Je cite l’auteur, ouvrez les guillemets : « J’ai dit en introduction qu’il existe un consensus général chez les philosophes des sciences pour dire que la psychologie évolutionnaire est une entreprise profondément défectueuse, et certains philosophes de la biologie continuent de nous rappeler pourquoi. ». Fermez les guillemets, et à cet endroit-là se trouve une seule référence d’un seul livre dont un des chapitres reproche à la psycho évo de ne pas bien connaître l’environnement passé et de négliger la plasticité, deux problèmes qui sont une nouvelle fois des faux problèmes, j’en parle dans cette vidéo (). Mais à part ça, c’est tout. L’article est quasiment terminé. Le reste de la section parle des philosophes des sciences qui ont défendu la psycho évo, on y reviendra. La section suivante présente un exemple de recherche sur la morale. La suivante discute de la notion de nature humaine sans faire de critiques particulières. Et la dernière parle des applications concrètes de la psychologie évolutionnaire et des contributions que pourraient faire les philosophes des sciences à ce champ dans le futur.

À part ça, c’est tout. Les arguments avancés pour conclure que la psychologie évolutionnaire est « profondément défectueuse » se résument à tout ce qu’on a vu auparavant, rien de plus, rien de moins.

Alors qu’est-ce qu’on peut dire de tout ça en prenant un peu de recul ? Je vous disais en introduction que pour se faire une idée de la qualité des critiques il fallait choisir un article représentatif. Celui que nous avons lu ensemble est à mon avis très représentatif, non seulement parce qu’il provient d’une encyclopédie à jour faisant un état de l’art de la littérature, mais également parce qu’il annonce d’entrée quelque chose de très fort – que la psycho évo serait « profondément défectueuse », sans ensuite apporter aucun argument à la hauteur de ces accusations. C’est un article qui vend du rêve sans service après-vente, et c’est quelque chose de très courant chez les critiques de la psycho évo. Cet article est donc bien représentatif de la faible qualité des débats.

Et on va s’arrêter là pour aujourd’hui. Félicitations si vous avez tenu jusqu’ici, je vous avais dit que la vidéo allait être un peu ennuyeuse, mais je vous promets que ça va s’améliorer, j’ai mis tout le plus chiant en premier. On a eu un peu la tête dans le guidon aujourd’hui mais dès la semaine prochaine on va commencer à la relever un petit peu. Je continuerai à prendre du recul sur les critiques, à vous montrer que ces caricatures, malentendus, déformations, bref, injustices que les philosophes font subir aux psychologues évolutionnaires durent depuis des années, et puis je vous raconterai ce qui s’est passé quand j’ai envoyé un email à l’auteur de l’article de l’encyclopédie pour lui demander pourquoi il avait écrit un article si pourri – pardon, un article profondément défectueux comme on dit en philosophie des sciences. Et vous verrez que sa réponse ne manque pas de cocasserie. Alors, ne ratez pas la suite de cette série !

Désolé de pas avoir été hyper présent sur Youtube ces derniers mois, mais j’espère que cette série de vidéos de plus de 4h va vous aider à comprendre un peu pourquoi. J’ai aussi écrit un bouquin pendant cette période, et je ne vous l’ai toujours pas présenté officiellement, mais comme j’ai la flemme, hé bah ça sera encore pour une autre fois. Et puis j’ai aussi été pas mal occupé à vivre dernièrement, et ça ça prend du temps, j’essaie de minimiser le temps que j’y consacre mais j’avoue que c’est pas facile.

Un gros merci aux relecteurs de cette vidéo, parce que relire le script d’une vidéo de 4h ça veut dire voir tomber dans sa boîte mail un pavé de 100 pages. Également merci à toutes celles et ceux qui me soutiennent financièrement et me permettent de faire ça précisément, disparaître plusieurs mois de YouTube pour aller écrire des scripts dans la montagne. homofabulus.com/soutien si vous souhaitez vous aussi contribuer à ma vie d’ermite. À très bientôt.

Après j’ai toujours pas décidé si je plaçais les philosophes avant ou après les ingénieurs dans ma hiérarchie des métiers.

Références

  • 1. Maynard-Smith, John. Genes, Memes, & Minds. New York Review of Books (1995). https://www.nybooks.com/articles/1995/11/30/genes-memes-minds/
  • 2. Borgia, Gerald. The Scandals of San Marco. The Quarterly Review of Biology (1994). https://www.jstor.org/stable/3036147
  • 3. Tooby, John & Cosmides, Leda. Tooby and Cosmides’ Response to Gould (1997). http://cogweb.ucla.edu/Debate/CEP_Gould.html
  • 4. Mayr, Ernst. Toward a New Philosophy of Biology: Observations of an Evolutionist (1988).
  • 5. Hawks, John. Lewontin on Gould (2015). http://johnhawks.net/weblog/topics/history/biology/lewontin-wilson-gould-interview-2015.html
  • 6. French, Howard W.. E. O. Wilson’s Theory of Everything. The Atlantic (2011). https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2011/11/e-o-wilsons-theory-of-everything/308686/
  • 7. Downes, Stephen M.. Evolutionary Psychology (2018). https://plato.stanford.edu/archives/win2020/entries/evolutionary-psychology/
  • 8. Gould, S. J. & Lewontin, R. C.. The Spandrels of San Marco and the Panglossian Paradigm: A Critique of the Adaptationist Programme. Proceedings of the Royal Society of London. Series B. Biological Sciences (1979). https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rspb.1979.0086
  • 9. Lewontin, R. C. et al. Not in Our Genes: Biology, Ideology and Human Nature (1984).
  • 10. Sterelny, Kim. The Adapted Mind. Biology and Philosophy (1995). https://doi.org/10.1007/BF00852474
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  • 15. Dupré, John. Against Maladaptationism: Or, What’s Wrong with Evolutionary Psychology (2012). https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780199691982.003.0015
  • 16. Laland, Kevin N. & Brown, Gillian. Sense and Nonsense: Evolutionary Perspectives on Human Behaviour (2011).
  • 17. Ridley, Mark. Evolution (2004).
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