De battre mon cerveau s’est arrêté

Est-ce que vous avez déjà eu envie de pouvoir sortir de votre corps ? De pouvoir voir votre
corps du dessus, à la 3e personne ? D’avoir l’impression d’être dans un jeu vidéo avec un petit
personnage qui évolue à 2m devant vous, sauf que le petit personnage devant vous, c’est en fait
vous ?

Je vous vois déjà penser, qu’est-ce qu’il nous raconte le petit Stéphane, il s’est pris un
dictionnaire de géologie sur la tête ou quoi ? Et pourtant, aujourd’hui, je vous apprends une
astuce qui marche vraiment et vous permet de faire cette expérience incroyable, une astuce
toute simple qui vous permet de sortir de votre corps.

Voilà l’astuce. Demandez à quelqu’un de prendre un pinceau et de vous caresser le dos avec
ce pinceau, gentiment. Et en même temps, vous mettez sur la tête un casque de réalité virtuelle
qui vous montre un personnage virtuel aussi en train de se faire caresser le dos avec un pinceau.
Et vous faites ça pendant un moment, vous vous faites caresser le dos gentiment comme ça
pendant un petit moment, tout en regardant un avatar se faire caresser le dos. Gentiment.
Trèèès gentiment. L’important, c’est que les mouvements du pinceau dans votre dos et sur le
personnage virtuel soient bien synchronisés.

Et vous allez voir, petit à petit, à force de sensuelles caresses, vous allez commencer à quitter
votre corps pour rejoindre le corps du personnage virtuel que vous avez devant vous [1]. C’est à
dire que vous allez avoir l’impression extrêmement bizarre que le corps de la personne virtuelle
que vous avez devant vous devient le vôtre. Et ça va marcher que la personne virtuelle fasse
votre taille, la taille d’une poupée ou la taille d’un géant [2]. Incroyable non ? Une astuce toute simple pour sortir de son corps et rentrer dans celui d’une poupée, c’est le titre de la vidéo auquel vous avez échappé.

Alors qu’est-ce qu’on peut dire de cette joviale curiosité, qu’est-ce que ça nous apprend
sur le cerveau ? D’abord, ce qu’on est en train d’altérer ici avec cette expérience du pinceau,
c’est ce qu’on appelle la conscience de soi corporelle. La conscience de soi corporelle, c’est la
sensation que notre propre corps nous appartient. C’est une phrase bizarre ça, c’est un concept
un peu difficile à imaginer, la sensation que notre propre corps nous appartient, mais c’est tout
à fait normal que ce soit bizarre.

Parce que la conscience que notre propre corps nous appartient, ça fait partie des choses
que notre cerveau produit de façon automatique, sans nous demander notre avis. C’est quelque
chose d’extrêmement naturel, d’extrêmement banal, tellement banal qu’on n’essaie même pas
de questionner son origine. Et pourtant, la conscience que notre propre corps nous appartient
doit bien être générée d’une façon ou d’une autre. On en avait déjà parlé dans la série sur la
morale, il y a énormément de choses qui nous paraissent banales parce que notre cerveau les
produit de façon inconsciente et automatique, mais cette banalité peut et doit être questionnée.

D’ailleurs, il existe des troubles de la conscience de soi corporelle, ce qui montre bien qu’il y
a un truc biologique à explorer. Ça s’appelle les troubles autoscopiques, et les patients atteints de ces troubles disent voir leur corps à côté d’eux, ou devant eux [3]. Exactement comme dans l’expérience du pinceau.

Mais bref, revenons à notre cerveau. Comment notre cerveau fait pour créer cette conscience
que notre corps nous appartient ? Ce que montre l’expérience des caresses et d’autres
expériences [4, 5], c’est que notre cerveau crée cette impression que notre corps nous appartient
quand il reçoit des informations concordantes de différents sens. Quand notre cerveau reçoit
par le sens du toucher l’information qu’un truc est en train d’être caressé, et qu’en même temps
il reçoit par les yeux l’information qu’un autre truc est en train d’être caressé, le cerveau en
conclut que ces deux trucs ne sont qu’un seul truc, un seul corps en l’occurrence. Le corps que
notre cerveau voit se faire caresser dans l’expérience du pinceau est donc le sien, même si ce
corps est visuellement situé à deux mètres de distance.

Donc tout serait affaire d’intégration sensorielle. On peut tromper notre cerveau sur à quel
corps il appartient rien qu’en faisant concorder de l’information qui lui arrive de différents
sens. Cette sensation si fortement ancrée en nous qui semble être à la base de notre identité,
cette sensation que notre propre corps nous appartient, on peut en fait la manipuler rien qu’en
fournissant des informations sensorielles concordantes à notre cerveau, rien qu’avec un pinceau
et un casque de réalité virtuelle.

En vrai vous avez même besoin d’encore moins de matériel pour faire une expérience similaire,
vous pouvez vous donner l’impression qu’une main en caoutchouc vous appartient en
demandant à quelqu’un de vous caresser la main en même temps que cette personne caressera
une main en caoutchouc devant vous. Même pas besoin de casque de réalité virtuelle. Y’a plein
de vidéos là-dessus sur youtube si ça vous intéresse.

Mais là, les plus malins d’entre vous, ou plutôt les moins bêtes d’entre vous puisqu’on parle
de mes abonnés, vous allez me dire… attends une minute Homo Fabulus… Comment le cerveau
fait pour créer le sentiment que notre corps nous appartient en temps normal ? Parce qu’on se
promène pas en permanence avec un pinceau qui nous caresse le dos à ce que je sache, ni en
étant tout le temps en train de toucher des trucs autour de nous, même s’il existe des personnes
très tactiles. Donc si l’intégration sensorielle est à la base de la conscience de soi corporelle, quelles informations sont intégrées en temps normal pour créer cette conscience ?
Hé bien d’abord, si c’est vrai qu’on n’a pas de pinceau qui nous caresse le dos en permanence,
on a quand même souvent différents sens qui fonctionnent en parallèle. Mais surtout, même s’il
y a un ou plusieurs sens qui sont inutilisés, il en reste un qui ne s’éteint jamais ou presque, c’est l’intéroception. L’intéroception, c’est la perception des signaux qui nous viennent de l’intérieur du corps, comme les battements du coeur par exemple. C’est une perception qui est souvent inconsciente même si certaines personnes sont assez fortes pour s’écouter le coeur palpiter. Et le coeur précisément, c’est un des organes qu’on soupçonne de jouer un rôle important dans la conscience de soi corporelle.

Qu’est-ce qui se passe plus précisément. Vous savez sûrement qu’il existe des voies de
communication nerveuse entre le cerveau et le coeur. Y’en a dans le sens du cerveau vers le
coeur, c’est pour ça que votre coeur se met à battre plus fort quand vous êtes stressé ou quand
on vous ressert une 2e part de kouign amann, mais y’en a aussi dans l’autre sens, dans le sens du
coeur vers le cerveau, parce que le cerveau a besoin de savoir comment se comporte le coeur pour
pouvoir le réguler, pour pouvoir assurer ce qu’on appelle l’homéostasie. Petit rappel pour ceux
qui fabriquaient des sarbacanes avec leurs effaceurs pendant les cours de SVT, certainement
pas un truc que je faisais, l’homéostasie, c’est le maintien de certains paramètres physiologiques dans certaines gammes de valeur bien précises.

Et on connaît pas bien tous les mécanismes de l’homéostasie en ce qui concerne le coeur,
mais ce qu’on sait c’est qu’il y aurait au niveau du coeur et de l’aorte des cellules dont le rôle est de convertir de l’information mécanique en information électrique. Ces cellules, on les appelle des mécanorécepteurs, et elles arrivent à détecter la pression du sang sur la paroi de l’aorte quand il y a un battement de coeur, parce que la pression dans les artères augmente à chaque
battement de coeur, et elles émettent un message électrique vers le cerveau quand c’est le cas.
Et il semblerait que le cerveau se serve de cette communication, qui sert en temps normal
à assurer l’homéostasie, pour assurer une deuxième fonction, qui est la fonction de créer le
sentiment que notre corps nous appartient.

Plus précisément encore, voilà ce qui se passe si on enregistre votre activité cardiaque en
même temps que votre activité cérébrale. Un électrocardiogramme, c’est à dire un enregistrement
du coeur donne ce genre de motif. Et si on regarde votre cerveau en même temps, on
observe ce genre de signal, on observe une activité cérébrale quelques centaines de millisecondes
après chaque battement de coeur. Ce que vous voyez là, sous vos yeux ébahis, ça s’appelle
la réponse cérébrale aux battements du coeur. C’est votre coeur qui parle à votre cerveau.
C’est l’incroyable privilège que vous avez, vous humains du XXIe siècle, de pouvoir observer en
cachette la conversation entre votre coeur et votre cerveau.

Et cette réponse cérébrale aux battements de coeur, on pense qu’elle est impliquée dans
la conscience de soi corporelle parce que dans l’expérience du pinceau, plus cette réponse est
importante, plus les gens qui se font caresser le dos avec un pinceau rapportent s’identifier au
personnage virtuel qu’ils ont devant eux. Encore mieux, si vous faites clignoter le personnage
virtuel au même rythme que les battements cardiaques du sujet dans l’expérience du pinceau,
l’illusion de sortir de son corps devient plus forte. Les battements du coeur, ou plus exactement
la réponse du cerveau à ces battements, semblent donc influencer à quel point on a l’impression
que notre corps nous appartient.

Comme je vous le disais au début, certains chercheurs pensent que cette sensation que notre
corps nous appartient est la conséquence de l’intégration de différentes cartes sensorielles [1,
6]. Un cerveau à la base, c’est un truc qui reçoit de l’information de tout partout autour de
lui, et un des buts du cerveau c’est d’essayer de rendre cohérentes toutes ces informations, de
leur donner du sens et de réussir à toutes les intégrer dans une expérience unifiée. Et pour ça,
selon ces chercheurs, le cerveau a besoin d’une origine, d’un point de repère, et d’un repère qui
soit relativement stable et robuste, comme… l’activité du coeur. L’hypothèse serait donc que
le cerveau se sert des signaux internes du corps pour créer l’origine de ce repère, et que quand
l’intégration de toutes les cartes sensorielles dans ce repère réussit, cela produit la sensation
que notre corps nous appartient.

C’est pas déjà un peu fou tout ça ? Mais accrochez-vous parce que ça n’est que le début.
Jusqu’ici je ne vous ai parlé que de la conscience de soi corporelle, la conscience que notre
propre corps nous appartient. Mais il semblerait que le coeur influence aussi la conscience de
soi tout court, pas que corporelle, et qu’il influence aussi plusieurs aspects de notre cognition.

Imaginez que je vous flashe une photo de mon visage sur l’écran, comme ça, et qu’ensuite je
vous présente des photos photoshoppées qui mélangent votre visage au mien. Pour illustrer, on
va dire que vous êtes tous des Patrick Baud d’Axolot. Je sais que ça fait partie des fantasmes
de beaucoup d’entre vous en plus. Et donc si je mélange votre visage au mien on obtient un
truc comme ça, ou comme ça, ou comme ça. Donc, l’expérience, c’est que je vous flashe des
photos de mon visage, et ensuite je vous demande de me dire à quel point des visages mixtes
vous ressemblent, c’est à dire ressemblent à Patrick Baud.

Et ensuite, je refais la même expérience, sauf qu’au lieu de flasher ma photo à n’importe
quel rythme, je choisis le même rythme que les battements de votre coeur. À chaque fois que
votre coeur fait boum, je vous flashe la photo de mon visage. Hé bien dans cette condition, vous
allez davantage vous identifier aux visages photoshoppés [7]. Vous allez penser que même s’il
y a beaucoup d’ Homo Fabulus dans cet Axolot, c’est quand même très ressemblant à Axolot,
plus que quand je vous avais flashé mon visage à un rythme aléatoire.

Si on reformule, il est possible pour moi de modifier l’image que vous avez de vous-même,
de vous faire penser que nos visages se ressemblent, rien qu’en vous flashant des photos de moi
à la fréquence des battements de votre coeur.

Mais attention encore plus fort. Le coeur pourrait aussi influencer dans une certaine mesure
nos pensées. Imaginez que vous êtes en train de vous relaxer au bord de la piscine, laissant
vos pensées dériver comme des pétales de rose à la surface d’une rivière langoureuse. Peut-être
que vous pensez à vous-même à ce moment-là, peut-être que vous vous dites, j’ai soif et je me
prendrais bien un petit verre. Mais peut-être qu’au contraire vos pensées ne sont pas tournées
vers vous-même mais vers l’extérieur, que vous pensez, il va bientôt pleuvoir. Hé bien si je
vous mets dans une grosse machine comme ça à ce moment-là, et que je regarde votre réponse
cérébrale aux battements de votre coeur dans les deux cas, je m’apercevrai que votre réponse
cérébrale est d’autant plus forte que vous êtes en train de penser à vous-même [8, 9]. Quand
vous pensez j’ai soif, votre réponse cérébrale aux battements de votre coeur est forte, et quand
vous pensez qu’il va pleuvoir, votre réponse cérébrale aux battements de coeur est faible.

Et tout ça alors qu’aucune modification du rythme cardiaque n’est enregistrée. Votre coeur
bat toujours à la même fréquence, c’est pas une histoire de changement physiologique, c’est
plus une histoire d’interaction entre l’activité du coeur et l’activité du cerveau. Ce qui ne veut pas dire que c’est le coeur qui dirige toute notre cognition et nos pensées, attention, je suis pas en train de vous dire que le coeur est le siège de la pensée. Mais on dirait qu’il existe une interaction entre le coeur et le cerveau.

Vous en voulez encore ? Pas de problème petits gourmands. On vient de voir que la
réponse cérébrale aux battements de coeur pouvait influencer la conscience de soi corporelle,
l’image qu’on a de soi-même, les pensées dirigées vers soi-même, mais il semblerait que ça puisse
aussi influencer notre perception tout court. Il semblerait que la perception d’un stimulus, la
perception de n’importe quel objet dans votre environnement, ne dépende pas seulement de si
cet objet est présent dans votre champ de vision ou pas mais aussi de la réponse cérébrale à vos
battements de coeur au moment où vous voyez ce stimulus [10]. Par exemple, des chercheurs
ont demandé à des gens de leur dire s’ils étaient capables de voir un stimulus visuel à peine
perceptible devant eux. Parfois le sujet répond oui je vois quelque chose, parfois il dit non je
ne vois rien, alors que le stimulus est quand même là mais très dur à voir. Et les chercheurs
ont été capables de prédire, à l’avance, si les sujets allaient rapporter avoir vu quelque chose
ou pas en se basant sur l’intensité de la réponse cérébrale aux battements de coeur juste avant
que le stimulus ne soit présenté. Les chercheurs ont pu prévoir la perception d’un stimulus en
se basant sur un signal cérébral causé par le coeur !

Dans ce cas, l’interprétation qu’on peut faire, en tout cas celle que font les chercheurs,
c’est que quand vous dites « j’ai vu un stimulus », il y a non seulement le verbe voir dans cette
phrase, qui indique l’action de percevoir, mais il y a aussi le j apostrophe, qui indique que c’est vous et pas quelqu’un d’autre qui avez vu le stimulus. Dire « J’ai vu ce stimulus », c’est faire la combinaison d’une expérience personnelle, le j apostrophe, et d’une expérience de perception.

Dit autrement, pour pouvoir dire « j’ai vu ce stimulus », il faut pouvoir faire deux choses en même
temps : voir, mais aussi avoir l’impression que c’est moi qui vois. Et c’est cette deuxième partie du boulot qui serait permise par la réponse cérébrale aux battements de coeur.
Ce que ces travaux suggèrent, c’est que si je vous coupais la tête, là tout de suite, et que
je la rebranchais sur une machine qui permet de la réalimenter en sang et en tout ce qu’il faut
pour qu’elle continue de marcher, et bien vous ne recommenceriez pas à voir. Même si vos
yeux étaient toujours reliés à votre cerveau, et que votre cerveau était correctement alimenté,
il est possible que vous n’auriez plus aucune conscience de rien, plus conscience de voir, plus
conscience de sentir, plus conscience d’écouter. Cela parce qu’il vous manquerait ce sentiment
d’expérience subjective à la première personne, qui dépend d’autres parties de votre corps que
votre tête. Quand le coeur n’y est pas, tout devient plus difficile.

Par contre, puisque je sais que vous allez me le demander, a priori, pas de problème avec
les coeurs artificiels. Parce que même si certains coeurs artificiels fonctionnent sans se contracter, ils continuent à expulser le sang par vagues successives ce qui devrait déclencher les mécanorécepteurs situés sur l’aorte.

On continue, et on y met du coeur au ventre s’il vous plaît, parce que si jusqu’ici je ne vous
ai parlé que de l’influence du coeur sur le cerveau, dans le corps humain, il n’y a pas que le
coeur qui a une activité électrique qui remonte au cerveau. Il y a aussi les muscles, le système
vestibulaire, et… l’estomac. Et il se pourrait bien que tous ces organes aient aussi une influence sur notre sentiment de soi, même si ça a été beaucoup moins étudié.

Parce que sur le plan théorique, ces organes ont comme le coeur des propriétés intéressantes
pour servir de base au sentiment de soi. D’abord ils génèrent leur propre activité, ils sont
autonomes. Il existe d’ailleurs des nouvelles machines que l’on teste pour transporter les coeurs
que l’on doit greffer, et ces machines nous montrent que tant que le coeur reçoit du sang, il
peut continuer à battre quasiment-indéfiniment même s’il n’est plus relié à un cerveau [11].
C’est pareil pour l’estomac, même si on le sait moins, l’estomac a aussi une activité propre
et émet des signaux électriques vers le cerveau. Et ce qui est intéressant avec l’estomac, c’est
que la fréquence de son activité électrique est différente de celle du coeur. Si le coeur bat
toutes les secondes à peu près, l’estomac a des oscillations électriques qui durent une vingtaine
de secondes environ. Et ce sont des échelles de temps qui sont compatibles avec les échelles
de temps de la cognition. On pourrait imaginer qu’il y ait complémentarité entre le coeur et
l’estomac, que le coeur influence la conscience de soi sur des échelles de temps courtes de l’ordre de la seconde, tandis que l’estomac influence la conscience de soi sur des échelles de temps plus longues.

Je trouve ces travaux incroyablement fascinants. Ils sont encore un bon coup de pied au cul
de l’égo humain. Un truc aussi important que la conscience de soi, cette conscience qu’on met
souvent sur un piédestal, serait en fait très dépendante d’un truc aussi con que nos boyaux.
On touche là à des questions très complexes, très profondes, les questions des origines de
la conscience et la question du problème qu’on appelle problème difficile de la conscience, c’est
à dire le problème de savoir pourquoi notre activité cérébrale s’accompagne d’une expérience
consciente, pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas vivre sans avoir conscience qu’on vit, sans
avoir de ressentis subjectifs. C’est un problème qui tient en haleine les philosophes depuis très
longtemps.

J’ai un peu réfléchi pour savoir si et comment ces travaux qu’on a vus aujourd’hui pouvaient
éclairer ce problème. J’ai réfléchi, réfléchi, longtemps réfléchi, pour en conclure finalement que
j’en savais rien. Pour en avoir le coeur net, j’ai demandé à Mariana Babo-Rebelo, qui est
mon experte sur cette vidéo et qui a directement travaillé sur tout ça, puisque c’est elle qui a
fait certaines des expériences dont je vous ai parlé aujourd’hui [8, 9]. Avec Mariana on s’est
rencontrés en licence de biologie, et puis on s’est tous les deux assez vite lassés des petites
molécules et des petits gènes dont on nous parlait toute la journée, donc on a fini par bifurquer
vers les sciences cognitives. Et Mariana me dit que certains chercheurs, ceux qui croient que
la conscience phénoménale existe, prennent effectivement ces travaux comme des travaux qui
montrent les bases biologiques de la conscience. Par exemple, Mariana a eu la chance de
présenter un jour ses travaux à Ned Block, qui est un des philosophes de l’esprit les plus connus
à l’heure actuelle, mais qui n’est pas illusionniste, c’est à dire qu’il pense que la conscience existe
réellement. Et Ned Block lui aurait dit, à la fin de sa présentation: « I’m kind of convinced ». Je
suis assez convaincu. C’est tout. Sacrés philosophes ! Toujours le mot pour rire.
Mais d’autres chercheurs pensent que ces travaux ne font que mettre en évidence les bases
biologiques de l’ *illusion* de la conscience sans apporter de preuves de l’existence réelle de
la conscience. J’ai demandé son avis à François Kammerer, philosophe de la conscience que
vous avez peut-être découvert dans cette vidéo de Monsieur Phi [12], que je vous recommande
d’ailleurs si vous avez décroché sur toutes ces histoires d’illusion de la conscience. Pour François, ces expériences ne sont en effet pas capables de prouver l’existence réelle de la conscience, et je vous mets sa réponse complète ici, au cas où vous voudriez vous faire un petit mal de crâne avant d’aller vous coucher.

Petit résumé en trois points de ce qu’on a vu avant de se quitter.
les battements de coeur provoquent une réponse cérébrale spécifique qui semblerait être
impliquée dans le ressenti du sentiment de soi, dans la conscience de soi
cette conscience de soi pourrait elle être impliquée dans d’autres fonctions cognitives comme
à quel point la pensée est tournée vers soi-même ou vers l’extérieur, à quel point on reconnaît
son propre visage ou même à quel point on arrive à percevoir un stimulus tout simplement
en particulier, l’impression que notre propre corps nous appartient semble provenir de
l’intégration de différents signaux sensoriels, qu’ils soient externes ou internes au corps, pour
produire une perception unifiée du monde qui a du sens

Et ben voilà, c’est tout pour aujourd’hui, on en a vu des choses. Quand même un dernier
émerveillement pour la route. Vous vous rappelez de l’expérience de la main en caoutchouc dont
je vous ai parlé en début de vidéo ? On vous brosse la main derrière un espèce de paravent, et
en même temps on brosse une fausse main en caoutchouc que vous pouvez voir, et au bout d’un
moment vous avez l’impression que cette fausse main en caoutchouc est la vôtre. Hé bien des
chercheurs se sont amusés à faire la même expérience, mais avec… la queue d’une souris [13].
Ils se sont amusés à caresser la queue d’une souris, en même temps qu’ils montraient à cette
souris une fausse queue en plastique en train de se faire caresser. Et quand ils se sont saisis de cette fausse queue devant elle, la souris a réagi… comme si on avait saisi sa propre queue. Je vous laisse débattre de ce que cette expérience veut dire sur l’existence d’une conscience de soi chez la souris.

Gros merci aux 324 personnes au grand coeur qui me soutiennent sur tipeee et utip, et
aujourd’hui je voulais remercier en particulier Terakopiantz, corpsenthym, Yoann, Baptiste
Canton et Joëlla, vous êtes des amours de primates.

Partagez cette vidéo et cliquez sur cette cloche, depuis le temps que je vous le répète non
didju.

References

1. Blanke, O., Slater, M. & Serino, A. Behavioral, Neural, and Computational Principles
of Bodily Self-Consciousness. Neuron 88, 145–166. http://dx.doi.org/10.1016/j.
neuron.2015.09.029 (2015).
2. Van der Hoort, B., Guterstam, A. & Ehrsson, H. H. Being Barbie: The Size of One’s
Own Body Determines the Perceived Size of the World. en. PLOS ONE 6, e20195. issn:
1932-6203. https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.
pone.0020195 (2020) (May 2011).
3. Blanke, O. & Castillo, V. Clinical Neuroimaging in Epileptic Patients with Autoscopic
Hallucinations and Out-of-Body Experiences. Epileptologie, 90–96 (2007).
4. Critchley, H. D. & Harrison, N. A. Visceral Influences on Brain and Behavior. Neuron 77,
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5. Tallon-Baudry, C., Campana, F., Park, H. D. & Babo-Rebelo, M. The Neural Monitoring
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Vision. Cortex 102, 139–149. http://dx.doi.org/10.1016/j.cortex.2017.05.
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6. Azzalini, D., Rebollo, I. & Tallon-Baudry, C. Visceral Signals Shape Brain Dynamics and
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7. Sel, A., Azevedo, R. T. & Tsakiris, M. Heartfelt Self: Cardio-Visual Integration Affects
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8. Babo-Rebelo, M., Richter, C. G. & Tallon-Baudry, C. Neural Responses to Heartbeats in
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36, 7829–7840 (2016).
9. Babo-Rebelo, M.,Wolpert, N., Adam, C., Hasboun, D. & Tallon-Baudry, C. Is the Cardiac
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Insula? Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences 371 (2016).
10. Park, H.-D., Correia, S., Ducorps, A. & Tallon-Baudry, C. Spontaneous Fluctuations in
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612–618. issn: 1546-1726 (Apr. 2014).
11. Transporting a Beating Heart for Transplant – TechKnow https://www.youtube.com/
watch?v=vZNa_I4xBnk (2020).
12. Phi, M. Café Phi #1 – Interview Complète | François Kammerer – Sommes-Nous Tous
Des Zombies ? Mar. 2019. https://www.youtube.com/watch?v=vrfaqsb_0LM (2020).
13. Wada, M., Takano, K., Ora, H., Ide, M. & Kansaku, K. The Rubber Tail Illusion as
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Commentaires

Une réponse à “De battre mon cerveau s’est arrêté”

  1. Avatar de Andrea
    Andrea

    Bonjour Homo Fabulus !

    Merci pour ta chaîne, et pour cette vidéo, très intéressante.

    Les chercheurs ont-ils pu écarter l’hypothèse que la réponse du cerveau au battement de coeur serait seulement, ou aussi, une anticipation de l’afflux de sang? La conscience de soi serait « éveillée » par la perspective de recevoir du ravitaillement, tout comme d’autres processus, comme la perception, comme la vue, amenant ainsi à voir mieux ou avec plus d’attention, sachant qu’elle va être aussi ravitaillée en oxygène. Cette hypothèse pouvant entrer en ligne de compte dans toutes les situations où on observe une augmentation de l’intensité d’un phénomène synchronisée avec le battement de coeur.

    A chaque battement de coeur, le message serait le suivant : « tu peux consommer plus, cerveau, tu es [en train/sur le point] d’être alimenté. »

    2ème point : le fait de se reconnaître dans un autre corps lorsqu’on associe stimuli sensoriel et visuel a-t-il été mis en relation avec des phénomènes comme l’empathie (si je vois un humain (qui me ressemble au moins un peu a priori) souffrir, je « partage » sa souffrance, et je ne veux pas qu’il souffre, parce que c’est comme si je souffrais moi, c’est comme si c’était mon corps qui souffrait), et avec le côté « inclusif » de la valeur sélective / l’avantage que représente le fait de protéger les membres de notre espèce qui nous ressemblent. En particulier, lorsque tu mélanges les visages, un point qui m’a frappé (par son absence) serait de faire le parallèle avec les enfants : avant photoshop, le meilleur moyen qu’on avait de « voir la moitié de son visage dans un autre visage », c’est de le voir dans celui de son enfant. Enfant dans lequel souvent on dit qu’on s’identifie, qu’on se projette, qu’à travers lui on vit par procuration, etc. Et le premier être pour lequel on serait prêt à tout, comme si c’était son propre corps qui était en danger. Une base métabolique de cela pourrait être dans la reconnaissance du corps de l’autre comme son propre corps ? Et l’apprentissage par imitation de l’enfant, qui donc ressemble aussi à ses parents en termes de comportement, pourrait renforcer ce sentiment d’être l’autre ?

    En espérant que ces pistes puissent t’intéresser même si j’imagine qu’elles ont été vues et revues par la communauté scientifique qui t’entoure.

    Et en espérant que tu aies des éléments de réponses :-)

    Merci à toi !

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