Ce billet, avec sa 2e et 3e partie, a été élu « Coup de coeur du jury » lors de la parution de l’anthologie des blogs de science francophones 2013. Merci au jury, c’est un grand honneur pour moi et une très belle récompense du travail accompli !
Par contre, je vous préviens que ce billet comporte des hypothèses politiquement incorrectes, ou susceptibles d’être récupérées par des personnes mal intentionnées. Cet article est donc aussi un bon exemple de pourquoi la psychologie évolutionnaire a mauvaise réputation dans certains milieux.
[Edit : je viens de relire cet article presque dix ans après l’avoir écrit. Si je devais le réécrire, je pense que je ne ferais pas pareil. Je le trouve pas assez clair par endroits et trop paresseux dans la démonstration à d’autres (c’est à dire, je mentionne une étude ou deux quand il y en a des dizaines, ce qui donne une impression de conclusions hâtives). Le ton aussi est très léger, presque insouciant pour un sujet comme celui-là, mais typique du web du début des années 2010 qui n’était pas aussi chaud que le web d’aujourd’hui. Par contre je ne renie pas le fond, à part quelques études qui ont peut-être sauté du fait de la crise de réplication, l’analyse évolutionnaire des systèmes sexuels reste valide. Si vous vous intéressez vraiment à la question des systèmes sexuels dans le monde vivant, j’espère que vous ne vous arrêterez pas à cet article de vulgarisation, et que vous irez lire la littérature primaire sur le sujet. N’oubliez pas non plus que cet article est suivi de deux autres (ici et là) qui nuancent le propos de ce premier. J’essaierai de réécrire cet article un jour, mais ce ne sont pas les sujets dont je préfère parler, et ils donnent une image tellement mauvaise de la psycho évo que je préfère parler d’autre chose.]
Au catalogue des expressions françaises censées représenter la sagesse des nations, « trouver l’amour de sa vie » m’a toujours paru suspecte. Pas tant dans le fait que l’amour soit une notion difficile à cerner, ou qu’on ait préféré le terme « trouver » aux termes « construire » ou « créer » par exemple. Mais plutôt dans ce « l’ ». Oui ce « elle apostrophe ».
Si le mariage de vos parents a explosé en plein vol comme une bulle de savon dans un jardin d’enfant, si vous avez deux demi-soeurs et trois demi-frères, si votre troisième femme était avare et stupide mais pas autant que la quatrième qui vous trompait avec son ex-mari, vous savez de quoi je parle.
« Ils gâchent chaque amour en essayant de le faire durer éternellement » Oscar Wilde.
L’idée de passer l’intégralité de sa vie avec un seul et unique partenaire m’a toujours paru surprenante, inappropriée, et même inquiétante. Je ne dis pas que cela ne peut pas ou ne doit pas arriver (inutile de me donner l’exemple de papi et mamie qui viennent de fêter leurs 70 ans de mariage). Je dis simplement que si cela doit arriver cela arrivera, mais que notamment parce que nous sommes dans l’impossibilité de savoir ce que l’avenir nous réserve, décider de se lier à vie par avance avec un individu, « jusqu’à que la mort nous sépare », ne m’apparaît pas être un geste beau mais plutôt un geste inconscient, irraisonnable et générateur de souffrances.
Bref, rien de vraiment révolutionnaire dans ces considérations que je ne suis pas le premier à avoir, mais ce sont elles qui m’ont amené à me poser la question, « y a-t-il un type de relation que nous sommes « naturellement » faits pour avoir, et si oui lequel ? ». Notez bien que cette question est différente de « quel type de relation devrions-nous avoir ? », question qui ne m’intéresse pas et ne sera pas traitée, et différente également de « quel type de relations avons-nous effectivement ? » qui sera abordée plus tard. Revenons donc à la première question.
Quelle est la sexualité de l’humain hors des sociétés modernes ? Quel était le système sexuel de l’humain il y a 10 000 ans, 100 000 ans, un million d’années ? L’humain est-il monogame par nature, polygame, un mélange des deux ? Dans le langage courant, la polygamie désigne un homme marié à plusieurs femmes, mais c’est un abus de langage : la polygamie désigne également le contraire. Ici je m’intéresse bien aux humains dans leur ensemble, hommes et femmes. Une perspective évolutionnaire peut-elle nous éclairer sur ces questions ? Tout commence à la distinction entre mâle et femelle…
Quand un homme parle mal à une femme, c’est du harcèlement sexuel. Quand une femme parle mal à un homme, c’est 3,95 € la minute.
Imaginez être tranquillement en train de marcher dans la rue, à absorber les derniers rayons de soleil d’un soir d’été. Une personne du sexe opposé, parfaitement inconnue mais terriblement attractive, vous aborde et vous dit :
« Bonjour, ça fait un moment que je vous ai repéré(e), et je vous trouve très séduisant(e). Voulez-vous faire l’amour avec moi ? »
Quelle serait votre réaction ?
Si vous êtes une femme, il y a toutes les chances pour que vous répondiez « non » (comme l’ont fait 100% des femmes dans cette expérience). Vous pourriez être choquée, insultée, ou juste stupéfaite, mais probablement pas partante. Si vous êtes un homme, vous seriez au contraire plutôt flatté par la demande et peut-être déjà en train de réserver une chambre d’hôtel, comme trois hommes sur quatre l’ont été dans cette même étude.
J’imagine que ce n’est une révélation pour personne. C’est une expérience qui va précisément dans le sens du « stéréotype » répandu qui consiste à penser que les hommes sont plus enclins à avoir de nombreux partenaires que les femmes. À supposer que ces inclinations soient vraies, d’où peuvent-elles bien venir ?
Qu’est-ce qu’un mâle, qu’est-ce qu’une femelle ?
Si l’on vous demandait la définition d’un mâle, ou la définition d’une femelle, vous répondriez sûrement des caractères morphologiques (taille, poids, silhouette, organes génitaux…), comportementaux (nutrition au sein, grossesse…) ou génétiques (chromosomes X et Y). Ces caractères fonctionnent plutôt pas mal, mais surtout pour l’espèce humaine et/ou nos proches cousins.
Dès que l’on s’éloigne des mammifères, ces caractéristiques fonctionnent beaucoup moins bien : chez les grenouilles par exemple, aucun des deux sexes n’a de pénis. Et comment trouver une définition qui englobe aussi les différences mâles-femelles chez les végétaux ? Pas facile facile.
Il existe pourtant une réponse. La différence qui semble être retrouvée de manière systématique chez toutes les espèces montrant cette différenciation mâle-femelle est la taille des cellules reproductrices. Les femelles produisent de grosses cellules reproductrices (ovocytes chez l’humain), et les mâles des petites (spermatozoides).
Aussi insignifiante que cette différence puisse paraître, elle est fondamentale. Il est en effet possible d’interpréter une grande partie des autres différences mâle-femelle à partir de cette première différence, en se servant d’une formidable théorie développée par Trivers dans les années 70.
Le parasite mâle et l’honnête femelle
Cinq cents. C’est le nombre moyen de gamètes qu’une femme produira durant toute sa vie. C’est aussi le nombre moyen de gamètes qu’un homme produit en… quinze centièmes de seconde !
L’ovocyte est à sa formation environ 12 fois plus gros que le spermatozoide, et il est estimé que sa production est un million de fois plus coûteuse que celle d’un spermatozoide.
À quoi sert cette avalanche de chiffres ? A montrer la différence d’investissement entre mâle et femelle au cours de la conception d’un enfant. Lorsque gamète mâle et gamète femelle fusionnent, tous deux contribuent de manière équitable au patrimoine génétique de l’individu à venir : 50 % du matériel génétique est apporté par le père, et 50% par la mère. Par contre, la contribution à l’alimentation de l’embryon est loin d’être égale, comme le montrent les chiffres ci-dessus. La quasi-totalité du développement du zygote se fera à partir des ressources présentes dans le gamète femelle.
Et ce n’est pas fini : faut-il rappeler que, chez les humains au moins, l’embryon se développe à l’intérieur du ventre de la mère ? À la naissance, le nouveau-né est cent milliard de fois plus lourd que le zygote, et toute cette prise de poids s’est faite sur les ressources de la mère. Et ça continue encore après : la première source d’approvisionnement du nouveau-né sera bien sûr le sein de sa mère.
Dès le moment de la conception donc, parce que le mâle apporte moins que la moitié des ressources nutritives nécessaires au développement de l’embryon, il a déjà contribué de manière « injuste » à la conception du nouveau-né.
Ce sont les femelles qui compensent la part incomplète du père et apportent à leur progéniture les ressources manquantes pour se développer, à travers le gros gamète qu’elles produisent et l’alimentation de l’embryon. Vu sous cet angle, la femelle peut être considérée comme plus qu’honnête dans son entreprise de production de descendants, et le mâle peut être considéré comme un parasite de la femelle.
De plus, parce que les spermatozoides du mâle sont si petits et lui coûtent si peu à produire, il peut se permettre d’en produire des millions par jour. Théoriquement, s’il arrivait à copuler avec une infinité de femelles différentes, sa progéniture serait elle aussi infinie !
Au contraire, même si une femelle pouvait copuler avec une infinité de mâles différents, son nombre de descendants serait toujours limité par le nombre d’ovocytes qu’elle peut produire (ainsi que par des périodes de gestations longues chez les mammifères, etc…). Parce que les ovocytes sont gros et coûtent chers à produire, ils sont peu nombreux, et parce qu’ils sont peu nombreux, l’espérance de descendants d’une femelle sera toujours en moyenne plus faible que celle d’un mâle.
Un rapport de force inégal
D’un point de vue plus évolutif, et en se concentrant sur l’humain, cela donne :
– théoriquement, les intérêts de l’homme et de la femme sont les mêmes : afin de propager le plus possible leurs gènes, ils veulent le plus d’enfants possible.
– là où ils diffèrent, c’est sur qui doit porter les coûts de cette reproduction. Il est dans l’intérêt de l’un comme de l’autre de ne pas trop s’investir et de laisser son partenaire s’occuper plus de chaque enfant : moins d’investissement dans un enfant veut dire plus de temps et de ressources disponibles pour faire d’autres enfants avec d’autres partenaires.
– à ce petit jeu, la femme part désavantagée à cause de ses grosses cellules reproductrices : au moment de la conception, la femme est déjà plus « engagée » envers le zygote que ne l’est l’homme.
Comme le présente Richard Dawkins dans le Gène égoiste,
« [La mère] a plus à perdre que le père si l’enfant meurt. Plus précisément, cela lui coûterait plus cher d’amener un nouvel enfant au même niveau de développement. Si elle essayait d’abandonner le père et le laissait s’occuper du bébé, pendant qu’elle irait rejoindre un autre mâle, le père pourrait, sans grands coûts pour lui, se venger en abandonnant également le bébé. Par conséquent, au moins dans les étapes précoces du développement d’un enfant, si un abandon doit être fait, on s’attend à ce que ce soit le père qui abandonne la mère plutôt que le contraire. »
De plus, comme nous l’avons vu, la taille de ses cellules reproductrices n’est pas le seul désavantage de la femelle : elle devra également nourrir l’embryon dans son ventre, lui donner le sein… Elle devra, pour reprendre le terme et le concept créé par Trivers, fournir plus d’investissement parental que le père.
L’homme, plutôt adepte des relations à court terme ?
Comment essayer d’étayer cette théorie ? (Je précise que cette théorie est déjà très bien étayée par un très grand nombre de prédictions qui se sont vues confirmées dans des espèces non humaines. Dans la suite de cet article j’essaie surtout de voir si elle s’applique aussi bien à l’humain). Une des premières choses à faire est de chercher des éléments mettant en avant cette propension des hommes à rechercher une multiplicité de partenaires, notamment de partenaires à court terme. La science a recueilli un ensemble de données physiologiques, psychologiques et comportementales qui vont dans ce sens, et si certaines pourront vous sembler triviales, il est toujours utile d’avoir des preuves scientifiques de ce que l’on avance. Les éléments jouant en faveur de l’hypothèse d’un homme adepte des relations sexuelles à court terme sont :
Au niveau physiologique,
1/ L’homme est en moyenne plus lourd que la femme, d’environ 20 %.
Cette différence de poids, que l’on appelle « dimorphisme sexuel », ne se retrouve généralement pas chez des espèces monogames. Chez les espèces monogames, le dimorphisme sexuel entre mâle et femelle est de 0 % : le mâle n’est ni plus grand, ni plus lourd que la femelle. Au contraire, chez les espèces polygames, on retrouve un dimorphisme sexuel qui peut atteindre 100% et plus comme chez le gorille où le mâle peut être deux à trois fois plus gros que la femelle.
Plus de dimorphisme sexuel = plus de polygynie est un argument qui avait déjà été avancé par Darwin et qui, en plus d’être simplement confirmé par l’observation des espèces sur le terrain, repose sur la logique suivante :
- dans les espèces polygynes, par définition, tous les mâles n’auront pas accès aux femelles : il y aura une compétition pour y avoir accès.
- dans cette compétition, les mâles les plus gros (ou qui, par exemple, ont les canines les plus grosses, autre indicateur de polygynie) seront avantagés, puisque la compétition se règle souvent en combat singulier.
- ces mâles les plus gros seront donc ceux qui se reproduiront le plus.
- au fil du temps, leurs gènes leur permettant d’être plus gros que la moyenne se répandront dans la population, et la population ne sera bientôt plus que constituée que de gros mâles.
- les femelles ne deviennent pas plus grosses car aucune pression de sélection ne s’exerce sur elles à ce niveau-là (elles n’ont pas à se battre pour avoir accès aux mâles).
- dans une espèce monogame, un individu qui serait un peu plus gros qu’un autre n’aurait au contraire aucun avantage adaptatif puisque l’accès aux femelles se fait facilement (c’est à dire sans combattre).
L’humain, avec son dimorphisme sexuel de 20%, est donc difficilement considérable comme complètement monogame, tout du moins ne l’a-t-il pas été complètement dans le passé.
2/ La masse relative des testicules humains est assez élevée.
Les testicules humains représentent 0.079 % de la masse total du corps humain, ce qui est plus que dans le cas des gorilles (0.018 %) mais beaucoup moins que dans le cas des chimpanzés (0.269 %). Or il se trouve que ces chiffres sont corrélés avec le type de stratégie sexuelle qu’emploie chaque espèce. La femelle gorille est monogame, et n’a eu qu’un seul partenaire sexuel pour chaque nouveau-né. La femelle chimpanzé est en revanche promiscuite (ayant des rapports sexuels avec de multiples partenaires en dehors d’une relation à long terme), et a eu en moyenne treize partenaires sexuels mâles différents à chaque nouvelle naissance. Enfin, il est estimé qu’une femme a eu en moyenne 1.1 partenaire sexuel à chaque accouchement.
La grosseur relative des testicules humains serait donc un reflet de relations sexuelles à court terme courantes, puisque de grosses testicules permettent un avantage évolutif lors de la compétition spermatique.
3/ Lorsqu’un couple fait l’amour après avoir été séparé un certain temps, le nombre de spermatozoides retrouvé dans les voies génitales de la femme est plus important que lorsque le couple fait l’amour tout en vivant de façon continue ensemble (Baker et Bellis).
Et bien oui que voulez-vous, il faut bien que les chercheurs s’occupent avec l’argent qu’on leur donne. Baker et Bellis ont donc mis en évidence que quand un couple passe seulement 5% de son temps ensemble, près de deux fois plus de spermatozoides sont éjectés lors du prochain rapport sexuel que lorsque ce couple passe 100% de son temps ensemble. Cet effet se retrouve indépendamment de la date de dernière éjaculation de l’homme : même si l’homme se masturbe pendant qu’il est seul, il inséminera plus de spermatozoides au moment du prochain rapport s’il a été séparé de sa partenaire pendant un long moment que s’il se masturbe alors qu’il n’est pas séparé de sa conjointe.
La logique derrière cette particularité est la suivante : cette augmentation d’émission de spermatozoides après séparation est un avantage adaptatif car elle permet d’augmenter les chances de l’homme de voir ses spermatozoides féconder l’ovocyte de sa femme, au cas où celle-ci aurait eu des rapports sexuels avec d’autres mâles pendant la séparation. Cette augmentation du nombre de spermatozoides est un argument en faveur d’une compétition spermatique, donc un argument en faveur de relations à court terme entre hommes et femmes.
Au niveau psychologique :
- Le désir d’avoir un grand nombre de partenaires sexuels. On en a parlé plus haut, c’est une idée répandue que les hommes ont un désir important à avoir des relations sexuelles avec une grande variété de personnes. Si vous voulez des chiffres, jetez un oeil au graphique suivant. En 1993, des chercheurs ont demandé à 16 288 étudiants non mariés à travers le monde combien de partenaires sexuels ils aimeraient avoir dans les trente prochaines années.
Partout dans le monde, les hommes désirent donc avoir toujours plus de partenaires sexuels que les femmes (il y a des choses à contrôler bien sûr, comme « est-ce que les femmes ou les hommes mentent différemment sur ces sujets »).
- Le syndrome du « je couche le premier soir » : les hommes sont plus partants que les femmes pour avoir des relations sexuelles peu de temps après avoir fait connaissance. (Pour éviter de me croire sur parole, les expériences associées à ce point ainsi qu’aux deux suivants sont disponibles ici).
- Les hommes sont moins exigeants que les femmes dans le choix de leur partenaire, en matière d’âge mais aussi d’humour, de richesse, de sociabilité, d’intelligence, etc…
- Les préférences des hommes sont déplacées vers des femmes montrant des signes de fertilité et d’accessibilité pour des relations à court terme.
- L‘effet « je vais chercher les croissants » : l’attraction des hommes pour leur partenaire diminue après l’amour
- L’effet « dernière tournée » : les hommes trouvent les femmes plus attirantes juste avant que le bar ne ferme, indépendamment de la quantité d’alcool consommée (cet effet existe aussi chez les femmes mais est significativement moins important).
- Les fantasmes des hommes sont plus nombreux et mettent en scène plus d’étrangères, de partenaires multiples et anonymes que les fantasmes des femmes.
- …
Enfin au niveau comportemental, d’autres indices permettent de penser que l’homme est enclin aux relations à court terme : l’existence et l’importance de la prostitution, dont presque tous les clients sont des hommes (les hommes font 1000 fois plus souvent appel à la prostitution que les femmes, et Kinsey trouve que 69 % de tous les états-uniens auraient déjà eu une relation sexuelle avec une prostituée…), le fait que l’homme aurait plus de relations extraconjugales que la femme, consomme plus de pornographie que la femme (en fait 95 % de la pornographie mondiale…), etc…
Et les préférences des femmes dans tout ça ?
Ces derniers arguments nous ont apporté des preuves en faveur d’un homme non-monogame, mais nous ont aussi apporté des preuves en faveur d’une femme non-monogame. Comme le résume Robert Smith :
« L’ironie biologique […] est que les mâles n’auraient pas pu être sélectionnés pour la promiscuité si historiquement, les femelles leur avaient toujours dénié l’opportunité pour exprimer le caractère ».
Ce qui signifie en clair qu’historiquement, si les femmes avaient toujours été entièrement fidèles à leur partenaire à long terme, la tendance masculine à chercher des relations à court terme n’aurait pas pu se répandre dans la population (sauf en cas de rapports forcés, ce qui est un autre problème). Et il n’est pas dur de s’apercevoir mathématiquement que si derrière chaque rapport sexuel à court terme masculin se cache un rapport à court terme féminin, cela signifie que les femmes ont en moyenne autant de rapports à court terme que les hommes !
Problème : n’a-t-on pas dit précédemment que parce qu’elles étaient limitées en terme de cellules reproductrices et très investies dans leur progéniture, les femmes n’avaient évolutivement pas d’intérêt à chercher des relations à court terme ? Si on l’a dit, et cela vaut toujours. Les femmes n’ont en général pas intérêt à chercher des relations à court terme, mais dans certains contextes particuliers cela peut être différent.
Quels pourraient être ces avantages adaptatifs ? Plusieurs ont été proposés :
- L’acquisition de ressources – c’est la promotion-canapé. Les femmes pourraient avoir des relations à court terme en échange de ressources comme de la nourriture, des biens, des services, des compétences ; en échange d’une protection, car les hommes sont enclins à défendre et protéger leur femme et les enfants qu’ils pensent être leurs ; ou encore en échange d’un plus haut statut social.
- L’avantage génétique. Si votre partenaire masculin est stérile ou impuissant, aller voir ailleurs peut aider à concevoir un enfant. Si votre partenaire masculin à long terme est rabougri, aller voir ailleurs et copuler avec un homme en bonne santé ou de haut statut permet d’obtenir des enfants attractifs. C’est l’hypothèse du fils sexy proposé par Weatherhead et Robertson : en s’accouplant avec des hommes attractifs ayant du succès avec les femmes, une femme augmente ses chances d’avoir à son tour des garçons attractifs ayant du succès avec les femmes (d’où le « fils sexy »), augmentant par là-même son nombre de descendants. Une des raisons peut-être pour lesquelles certaines femmes aiment les bad boys.
- Le premier pas vers un changement de partenaire. Des relations à court terme peuvent être un premier pas vers un changement de partenaire à long terme en cas de partenaire violent, inattentioné, etc… Cela permet également de faciliter la rupture avec un partenaire à long terme « maladaptatif » en lui fournissant un prétexte facile de séparation.
- L’évaluation de potentiels partenaires à long terme. Une femme engagée dans une relation à court terme pourrait en profiter pour évaluer les qualités de son partenaire dans le but d’en faire un partenaire à long terme. Si cela est vrai, on devrait en particulier trouver chez les femmes une diminution de l’attraction envers un homme lorsqu’elles apprennent que celui-ci est déjà engagé, ou qu’il possède de nombreuses relations en-dehors d’elle.
Récapitulons…
Il est temps maintenant de récapituler ce que nous avons vu et de recentrer l’article sur la question qui nous intéresse : l’humain est-il un polygame refoulé ? Nous venons de voir les avantages adaptatifs que les femmes pourraient avoir à avoir des relations sexuelles sans lendemains. Nous avons également vu en début d’article que dans une étude, aucune des femmes interrogées ne se dit prête à coucher avec un inconnu. Contradiction ? Pas exactement. Les hommes, pour les raisons déjà expliquées, ont dans presque tous les cas un avantage adaptatif direct à avoir des relations à court terme : avoir un nombre de descendants plus grands. Les femmes n’ont pas ce genre de bénéfice direct, pour les raisons physiologiques que nous avons vues, mais en revanche, dans les contextes particuliers que nous venons de voir, elles peuvent elles aussi bénéficier d’avantages adaptatifs et donc accorder aux hommes une relation à court terme. Les femmes « choisissent » la stratégie (court terme ou long terme) qu’elles souhaitent adopter en fonction du contexte. En d’autres termes, les femmes contrôlent le nombre de relations à court terme que les hommes peuvent avoir. Les hommes veulent avoir le plus grand nombre de relations sexuelles à court terme possible mais sont limités par le nombre que leur en accordent les femmes, qui leur en accordent uniquement quand cela leur bénéficie aussi d’une manière ou d’une autre.
A-t-on cependant répondu à la question : « l’humain est-il un polygame refoulé ? » À moitié. L’homme et la femme présentent clairement des caractéristiques physiologiques, psychologiques et comportementales qui montrent que notre histoire ancestrale n’est pas un long fleuve tranquille fait de monogamie. Mais nous pourrions avoir été polygames dans le passé et ne plus l’être aujourd’hui (comme sembleraient le prouver nos sociétés occidentales monogames). Ou encore, que se passe-t-il dans les contextes où les femmes n’ont pas intérêt à établir de relations à court terme ? Sans compter qu’avoir des relations à court terme avec plusieurs partenaires ne signifie pas avoir des relations à long terme avec plusieurs partenaires, qui est la vraie définition de la polygamie. Tous ces problèmes seront abordés dans la deuxième partie, où nous commencerons à démonter la dichotomie monogamie / polygamie pour introduire de nouveaux systèmes sexuels d’intérêt, tout en étudiant les avantages évolutifs des relations à long terme pour l’humain.
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