La culture est une construction biologique (et vice et versa) – psycho evo #6

Etes-vous un produit de vos gènes, ou de votre environnement ? Quelle est la place de l’environnement en psycho évo ? Se préoccuper de gènes et d’évolution, est-ce être déterministe et réductionniste ? Et la culture dans tout ça ? Dans cette vidéo je lève quelques malentendus en ce qui concerne la question des relations gènes / environnement, nature / culture, inné / acquis, etc.

Transcription de la vidéo pour ceux qui préfèrent le texte :

Personne lambda : « Penser que ce sont les gènes qui décident de nos comportements, c’est pas un peu du déterminisme ? Et puis c’est ultra-réducteur quand même, ya la culture qui est beaucoup plus puissante pour expliquer les comportements. Et puis l’apprentissage et l’éducation aussi, ils nous permettent de modifier ce que la biologie a fait de nous. La recherche en plasticité cérébrale montre d’ailleurs qu’on peut remodeler le cerveau. Toutes ces disciplines qui expliquent les comportements par la biologie, comme les neurosciences, la génétique ou la biologie du développement sont déterministes, réductionnistes, innéistes, et aveugles au rôle central de l’environnement. Et la psychologie évolutionnaire en particulier, c’est vraiment de la merde. »

Je ne sais pas si vous vous rappelez, dans la première vidéo de cette série je vous avais dit que je voulais commencer par vous présenter la psycho évo de façon non-défensive, c’est à dire sans parler de ses critiques. J’espère que ça vous a plu, et que ça vous aura permis de vous faire une idée du champ un peu plus nuancée que celle qui est véhiculée par les experts sur Twitter. Mais ce temps est maintenant révolu, et les cinq prochaines vidéos seront consacrées à répondre aux critiques. Oui oui, cinq vidéos sur les critiques, parce que y’a de la matière et beaucoup de choses intéressantes à dire. Dans cette première vidéo on va discuter des critiques qui reprochent de ne pas assez prendre en compte le rôle de l’environnement. Dans la prochaine vidéo on parlera des critiques plus méthodologiques. Dans la troisième vidéo on parlera des critiques politiques, des craintes sur les récupérations de ces recherches. Dans la vidéo suivante je vous présenterai le climat d’hostilité général à la biologie du comportement dans lequel s’est construit le champ. Et enfin dans une dernière vidéo je vous parlerai des reproches que fait la psycho évo aux sciences sociales traditionnelles, histoire que les critiques n’aillent pas toujours dans le même sens. Ce sont des vidéos que vous m’avez beaucoup demandées, et qui m’ont chacune demandé des semaines, voire des mois de travail, alors j’espère qu’elles vous plairont. C’est pas trop le genre de vulgarisation à laquelle vous êtes habitués, parce qu’on va parler de méta-science plus que de science, mais ces vidéos vous apporteront une compréhension beaucoup plus fine de ce qu’est vraiment la psycho évo et d’où viennent ses critiques.

Sans plus attendre, démarrons tout de suite avec un gros morceau, les relations gènes-environnement. Peut-être que vous vous dites que parce que la psycho évo insiste sur les gènes et l’évolution, elle sous-estime voire nie carrément le rôle de l’environnement pour expliquer les comportements. La psycho évo serait trop focalisée sur ce qui se passe à l’intérieur d’un humain, sur ses gènes ou ses neurones, et pas assez sur ce qui se passe à l’extérieur, le social, la culture, et l’environnement au sens large. Alors qu’est-ce qu’on peut répondre à ça ?

1. La psycho évo nie le rôle de l’environnement

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Si vous pourrez toujours avancer que l’importance de tel ou tel environnement particulier est oubliée, dire qu’elle néglige l’environnement en général c’est l’avoir tout simplement mal comprise. En fait cette critique est même assez ironique, parce que comme je vous l’ai expliqué dans cette vidéo (), d’une certaine façon la psycho évo prend plus en compte l’environnement que les sciences sociales traditionnelles : elle le prend en compte non seulement au niveau immédiat et au niveau développemental comme le font les sciences sociales, mais aussi au niveau ancestral. C’est à dire qu’en plus de prendre en compte l’environnement dans lequel on grandit, elle prend en compte l’environnement dans lequel on a évolué depuis des millions d’années.

Je reprends l’exemple de la peur des serpents. Pour que vous ayez peur d’un serpent, il faut bien sûr qu’il y ait un serpent devant vous. C’est l’environnement immédiat, c’est la première intervention de l’environnement dans la détermination du comportement. Mais il faut aussi avoir appris à avoir peur des serpents, en particulier pendant l’enfance : c’est le deuxième niveau d’intervention de l’environnement, le niveau développemental. Mais on ne peut toujours pas s’arrêter là : si on est capables d’apprendre à avoir peur des serpents plus facilement que d’autres objets comme des kinder surprise par exemple, c’est parce qu’on a évolué pendant des centaines de milliers d’années dans des environnements qui comportaient des serpents dangereux11. Öhman, Arne & Mineka, Susan. Fears, Phobias, and Preparedness: Toward an Evolved Module of Fear and Fear Learning.. Psychological Review (2001)., 22. Barrett, H. Clark. Adaptations to Predators and Prey (2015)., 33. Kawai, Nobuyuki. The Fear of Snakes: Evolutionary and Psychobiological Perspectives on Our Innate Fear (2020)..

On ne peut donc pas s’arrêter à l’importance de l’environnement immédiat et de l’environnement développemental pour avoir une explication complète du comportement. Il faut encore remonter d’un cran et prendre en compte l’importance de l’environnement ancestral. Et on n’a pas d’autre choix que de prendre en compte ces trois environnements, parce que ces trois environnements ne font qu’un. L’environnement immédiat est le prolongement de l’environnement de notre enfance qui est le prolongement de l’environnement dans lequel nos ancêtres ont vécu. Et ce que nous dit la théorie de l’évolution, c’est que nous sommes tous, en tant qu’êtres vivants, des systèmes biologiques créés par des gènes ayant réussi à survivre à cet environnement depuis des millions d’années.

Ce que ça veut dire, c’est que quand vous commencez à parler de gènes et d’évolution, vous n’êtes pas en train de rabaisser l’importance de l’environnement en même temps. Vous êtes simplement en train d’insister sur un environnement particulier, l’environnement ancestral. Si notre petite vie d’humains n’a commencé qu’à notre naissance, nos gènes, ça fait des milliers, des centaines de milliers, des millions d’années qu’ils roulent leur bosse sur la planète. Pendant tout ce temps, ils ont déjà été confrontés à des environnements. Et les gènes qui ont créé aujourd’hui les machines biologiques que nous sommes ne doivent leur existence présente qu’à leur capacité à avoir traversé tous ces environnements passés. Donc parler de gènes implique toujours de parler d’environnement, l’un ne va pas sans l’autre.

À cause de ça, dans un sens on peut dire que les êtres vivants sont des miroirs d’environnements, des négatifs de leur environnement44. Dawkins, Richard. Unweaving the Rainbow: Science, Delusion and the Appetite for Wonder (1998).. Un bon biologiste devrait être capable de deviner dans quel type d’environnement un être vivant évolue rien qu’en analysant ses adaptations. Si vous étiez un bon biologiste, et que je vous ramenais une espèce animale inconnue d’une autre planète, vous devriez être capable de deviner dans quel environnement elle évolue. Si elle a des pattes palmées il y a des chances qu’elle vive dans l’eau. Si elle a une grosse fourrure il y a des chances qu’elle vive dans le froid. Si elle a des pattes palmées et une grosse fourrure il y a des chances qu’elle vive en Bretagne. Etc. Les êtres vivants sont des miroirs d’environnements.

L’environnement est donc et a toujours été une notion centrale en biologie et en évolution. Quand la psycho évo insiste sur l’importance de l’évolution pour comprendre le comportement humain, elle n’est donc pas en train d’ignorer l’environnement, elle est au contraire en train d’insister sur l’importance de l’environnement, mais d’un environnement particulier, l’environnement ancestral. La psycho évo ne dit pas « hey, l’environnement social et culturel tel qu’étudié par les sociologues ou anthropologues n’a aucun rôle à jouer », elle dit simplement, « un autre environnement est aussi à prendre en compte, l’environnement ancestral ».

Et c’est là que ça devient intéressant, parce que contrairement à ce que beaucoup croient, il peut y avoir complémentarité entre les disciplines. Certaines personnes pensent pouvoir se passer des sciences naturelles pour expliquer le comportement à partir du moment où elles arrivent à expliquer la variance d’un comportement par la variance d’un environnement. Par exemple, si on observe que des enfants qui grandissent dans un environnement X ont un comportement différent des enfants qui grandissent dans un environnement Y, on va en conclure que ces comportements différents ont été causés par ces environnements différents, et on pensera qu’on peut s’arrêter là pour les explications. On voit assez mal ce que la biologie ou la génétique pourraient apporter de plus. Et pourtant, si, la biologie peut apporter quelque chose de plus, à partir du moment où on comprend que l’environnement pertinent pour un être vivant est un produit de l’évolution tout autant que ses gènes55. Tooby, John & Cosmides, Leda. The Psychological Foundations of Culture (1992)..

2. L’environnement pertinent est un produit de l’évolution tout autant que les gènes

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Qu’est-ce que ça veut dire que l’environnement pertinent est un produit de l’évolution tout autant que les gènes ? Je vais reprendre l’exemple dont je vous ai déjà parlé dans la vidéo précédente, les reptiles dont le sexe est déterminé par la température d’incubation des oeufs. Vous avez tous déjà certainement entendu que dans certaines espèces, par exemple les tortues, en-dessous d’une certaine température, les oeufs donnent des mâles, et au-dessus, les oeufs donnent des femelles, ou inversement66. Bachtrog, Doris et al. Sex Determination: Why So Many Ways of Doing It?. PLoS Biology (2014)., 77. TheTreeOfSexConsortium. Tree of Sex: A Database of Sexual Systems. Scientific Data (2014).. Dans ce cas, on a tout de suite envie de dire que c’est l’environnement et pas les gènes qui a déterminé le sexe. Et c’est effectivement correct de dire ça, mais il faut remarquer que c’est correct uniquement dans un certain cadre, le cadre de l’étude des reptiles. Parce que quand le cadre n’est plus certaines espèces spécifiques mais l’ensemble des espèces animales, on se rend bien compte que les gènes sont toujours importants pour expliquer la détermination du sexe. Si vous prenez un embryon de tortue et que vous le mettez au frigo, vous allez pouvoir modifier son sexe. Mais si vous faites la même chose avec un embryon d’humain, il ne va rien se passer, mis à part la police qui va venir frapper à votre porte. Et pourquoi il ne se passe rien ? Parce que chez nous les humains, les gènes qui régulent le sexe ne sont pas sensibles à la température. Autrement dit, si la détermination du sexe des reptiles est sensible à la température, c’est parce que les reptiles ont des gènes qui font que cette détermination est sensible à la température. Donc quand on dit que la détermination du sexe des reptiles ne dépend que de l’environnement, il faut toujours se rappeler que c’est uniquement vrai dans un certain contexte, dans le contexte de ce qui se passe à l’intérieur de ces espèces. Si vous cherchez plutôt à expliquer pourquoi ça se passe comme ça chez les reptiles mais pas dans d’autres espèces, vous serez obligé de prendre en compte l’importance des gènes.

Et c’est pareil pour une quantité d’autres traits, on se rend bien compte du rôle primordial des gènes dès qu’on dézoome et qu’on compare les espèces les unes aux autres. Si vous nourrissez une larve d’abeille avec de la gelée royale, elle va se transformer en reine. Alors que si vous nourrissez votre bébé avec de la gelée royale, jamais il n’ira prendre son thé à Buckingham Palace. Les ultraviolets attirent les insectes, alors que les ultraviolets n’ont aucun effet sur nous humains, en fait on sait même pas les détecter. Ces exemples montrent que quand un environnement est capable d’avoir un effet sur un organisme, c’est uniquement parce que cet organisme a des gènes qui lui permettent d’être affecté par cet environnement.

D’une certaine façon, on peut donc dire que c’est la sélection naturelle qui décide de l’environnement pertinent pour un être vivant. Pour nous humains, les rayons ultraviolets, la gelée royale et la température d’incubation ne sont pas de l’environnement pertinent. Et pourquoi c’est pas de l’environnement pertinent ? Parce que c’est pas de l’environnement qui nous a permis dans le passé d’améliorer nos chances de survie. Pour les abeilles, les ultraviolets par exemple, c’est de l’environnement très pertinent, parce qu’ils permettent de discriminer les fleurs. Mais pour nous humains, les ultraviolets ne correspondent à aucune source de nourriture importante.

En fait, on a même pas besoin de parler d’avantages de survie, peut-être qu’il n’y a pas d’avantages de survie au fait que le sexe des reptiles soit influencé par la température. Peut-être que c’est un hasard de l’évolution, mais même dans ce cas, ça restera l’évolution qui aura décidé que la température est un paramètre important pour les reptiles, parce que la détermination du sexe restera contrôlée par des gènes.

Mais attendez il y a encore mieux. Non seulement l’évolution décide de l’environnement pertinent pour un être vivant, mais elle décide de la façon dont cet environnement va affecter cet être vivant. Nous les humains, la température ne nous fait pas changer de sexe, par contre elle nous fait transpirer ou grelotter. Ou comme on l’a vu dans une vidéo précédente, nous les humains sommes repoussés par un excrément, alors que des mouches vont se jeter dessus. Un même environnement peut affecter le comportement d’êtres vivants de façon différente. Et pourquoi ? Parce que les comportements qui augmentent les chances de survie ne sont pas les mêmes chez toutes les espèces, et que cela se reflète dans la façon dont les cerveaux de ces espèces réagissent aux environnements. Pour nous humains, un excrément est une source d’infection. Pour une mouche, c’est une source de nourriture. Comme le formule le psychologue Steven Pinker : « tout l’intérêt d’un cerveau est de réaliser certains objectifs, mais l’environnement n’a aucune idée de ce que sont ces objectifs »88. Pinker, Steven. The Blank Slate: The Modern Denial of Human Nature (2002).. C’est le cerveau, et les gènes qui ont construit ce cerveau qui apportent les objectifs.

Et donc, contrairement à ce qu’on croit intuitivement, l’environnement ne porte pas en soi d’information sur la façon dont il va affecter un être vivant. Je vous répète ça parce que c’est à la fois très banal mais également très important et très mal compris : l’environnement ne porte pas en soi d’information sur la façon dont il va affecter un être vivant. On a intuitivement l’habitude de penser qu’un environnement possède une force intrinsèque qui va pousser les êtres vivants à agir d’une certaine façon. Mais c’est faux. Il n’y a rien dans la température qui porte en soi d’information sur comment affecter un être vivant : on l’a vu, pour les reptiles la température pendant le développement embryonnaire induit un changement de sexe, mais pour nous elle n’a pas les mêmes effets. La gelée royale ne porte pas non plus en elle d’information sur la façon dont elle va modifier un être vivant. Une larve d’abeille est fortement affectée par la consommation de gelée royale, alors que pour toutes les autres espèces c’est une nourriture comme une autre. Le même environnement peut affecter différents organismes de différentes façons, tout va dépendre des gènes que possèdent ces organismes.

Ce qui est incroyable, c’est qu’en principe, rien ne s’opposait à ce que la température influence aussi le sexe des humains. En principe, rien ne s’opposait à ce que la sélection naturelle construise un humain dont le sexe est en partie déterminé par la température, si ça avait pu être utile pour une raison ou une autre. Et rien ne s’opposait non plus en principe à ce que le sexe des reptiles soit déterminé par autre chose que la température, quelque chose de beaucoup plus loufoque et poétique, comme le passage d’une étoile filante dans le ciel. Oui oui, si jamais le passage d’une étoile filante s’était révélé quelque chose de pertinent pour les chances de survie d’un reptile au cours de l’évolution, on peut tout à fait imaginer qu’une espèce de reptile quelque part sur terre réagirait au passage des étoiles filantes, et on nagerait en pleine poésie. La sélection naturelle peut construire toutes sortes d’associations loufoques entre un environnement et un phénotype – elle a des contraintes matérielles et historiques comme on en a déjà parlé, mais en-dehors de ces contraintes, toutes les associations sont possibles, même les plus loufoques. D’ailleurs quand on entend parler pour la première fois des reptiles dont le sexe est dépendant de la température, ça nous émerveille, c’est de la poésie, parce que c’est une association loufoque pour nous humains. Les poissons femelles qui changent de sexe quand il n’y a plus de mâle dans le groupe, c’est aussi de la poésie. Les oiseaux qui se barrent à l’autre bout du monde dès que la durée du jour diminue, c’est de la poésie. Si ça nous paraît maintenant banal, c’est parce qu’on y est habitués, c’est de la poésie qu’on lit tous les jours. Mais en y réfléchissant, ces comportements sont aussi beaux qu’un crocodile qui changerait de sexe au passage d’une étoile filante. Quand on y réfléchit, qu’est-ce que c’est beau que le niveau d’agitation des molécules de l’air, c’est à dire la température, soit capable de changer les cellules reproductrices qu’un être vivant pourra produire tout au long de sa vie. Qu’est-ce que c’est beau que la quantité de photons qu’un tas d’atomes emplumé détecte en 24h puisse pousser ce tas d’atome à changer sa position de 10 000 km dans l’univers. Et qu’est-ce que c’est beau qu’un tas d’atomes à écailles qui détecte qu’il n’y a plus d’autre tas d’atomes à écailles avec qui se reproduire autour de lui soit capable de changer sa taille, sa couleur et son sexe pour pouvoir se reproduire quand même.

Voilà pourquoi je vous disais que l’environnement peut aussi être considéré comme un produit de l’évolution. Un environnement ne devient pertinent pour un organisme que parce que cet organisme a des gènes qui le rendent sensible à cet environnement. Et la façon dont cet environnement va affecter cet organisme est aussi souvent inscrite dans ses gènes. C’est une simple conséquence du fait que l’évolution sélectionne les gènes sur la base de leur interaction avec un environnement – on a l’habitude de dire que l’évolution travaille sur des gènes, mais elle travaille en fait sur des interactions gènes-environnement. Le matériel de l’évolution, c’est pas les gènes, c’est les interactions entre gènes et environments. Un gène est sélectionné lorsqu’il produit des bons effets dans un environnement donné.

Dit autrement, à chaque fois que l’évolution a sélectionné un gène plutôt qu’un autre, elle a en même temps sélectionné un environnement pertinent plutôt qu’un autre. Sur les milliards de stimuli différents qui existent dans notre environnement, nos gènes ne réagissent qu’à une toute petite partie, la majorité du temps les stimuli qui augmentent nos chances de survie et de reproduction. L’environnement n’est donc pas quelque chose de complètement « non-biologique » qui viendrait modifier ou tempérer ce que l’évolution a fait de nous. L’environnement doit aussi être analysé dans une perspective biologique, parce que c’est l’évolution qui décide en grande partie de quels environnements sont pertinents pour nous et de comment nous allons y réagir.

Et par environnement, j’entends bien tout l’environnement, qu’il soit physique comme la température, mais aussi social ou culturel. De la même façon que vous ne pouvez pas comprendre pourquoi la température affecte un organisme sans parler de gènes et d’évolution, vous ne pouvez pas comprendre pourquoi le social et le culturel affectent les humains sans parler de gènes et d’évolution. Si nous sommes sensibles à certains aspects du monde social et culturel qui nous entoure, c’est parce que nos programmes cognitifs ont évolué pour y être sensible, et s’ils ont évolué pour y être sensibles, c’est parce que ces aspects ont été d’une manière ou d’une autre importants pour les chances de survie et de reproduction de nos ancêtres.

Et c’est pour ça qu’on peut dire que même un truc hyperculturel comme l’attrait pour une chanson des Beatles peut être éclairé par une analyse évolutionnaire. Non pas qu’il existerait un gène qui fait aimer la musique des Beatles. Non pas qu’écouter la musique des Beatles augmenterait les chances de survie. Mais parce que si nous sommes sensibles à une chanson des Beatles, c’est parce que nos gènes ont créé des programmes cognitifs qui, pour une raison ou une autre, sont sensibles à certains éléments mélodiques ou rythmiques de la musique des Beatles. Cette explication n’exclut pas l’importance de l’environnement : si vous n’avez jamais écouté de Beatles auparavant, peut-être que vous ne les aimerez pas la première fois que vous les écouterez. Mais l’environnement n’est pas non plus suffisant pour tout expliquer, et pour s’en convaincre, il suffit de dézoomer et de regarder ce qui se passe dans d’autres espèces. Même si vous faites écouter « All you need is love » tous les jours à votre caniche, jamais il ne se mettra à danser sur son lit à l’écoute de ce titre comme vous pouvez le faire. Ne niez pas, jvous ai vu, ce petit déhanché vous va d’ailleurs très bien. Et cette différence entre vous et votre caniche vient du fait que vous n’avez pas les mêmes programmes cognitifs. Votre caniche n’a pas les programmes cognitifs sensibles à ce type de stimulus de l’univers, à la guitare de George Harrison ou aux roulements de Ringo Starr. Le biologique reste donc important même pour expliquer un truc aussi culturel que l’attrait pour une chanson des Beatles. Simplement, pour s’en rendre compte, il faut prendre du recul, il faut dézoomer, il faut sortir du cadre explicatif interne à l’espèce. En fait, tout ce avec quoi un humain interagit au cours de sa vie peut dans ce sens être éclairé par la biologie, parce que nous sommes des êtres biologiques, et que nous interagissons avec notre environnement par l’intermédiaire d’organes biologiques, en premier lieu desquels notre cerveau.

Et c’est maintenant que je peux revenir à la complémentarité entre disciplines, vous allez comprendre pourquoi je vous parle de tout ça. Comme je vous le disais en intro, en sciences sociales on a l’habitude d’insister sur l’importance de l’environnement pour expliquer les comportements. Vu tout ce qu’on vient de dire sur l’importance de l’environnement en biologie, ces deux approches sont donc en grande partie compatibles. Par contre, il faut accepter que les explications environnementales ne soient que des explications locales, et que pour obtenir une explication globale, il faille faire appel à la biologie et à la théorie de l’évolution. Vous pouvez continuer à dire que si un groupe d’humain se comporte d’une façon X, c’est parce qu’il a été exposé à un environnement Y. Mais il faut ensuite expliquer pourquoi cet environnement Y est important plutôt qu’un autre, et pourquoi il produit des effets dans une certaine direction99. Nettle, Daniel. Social Class through the Evolutionary Lens. Psychologist (2009).. Or je vous rappelle ce qu’on a vu plus haut : « l’environnement ne porte pas en soi d’information sur la façon dont il va affecter un un être vivant ». C’est pourquoi pour répondre à ces questions, vous avez besoin de la biologie et de la théorie de l’évolution.

Cette cohabitation sciences sociales / biologie n’est pas si utopique que ça. Imaginons que les sociologues ne soient pas restreints à l’étude de l’espèce humaine et se soient amusés à appliquer leurs méthodes à l’étude du comportement la tortue. Ils auraient mis en évidence que la température est un paramètre environnemental important pour déterminer le sexe des tortues, mais ça n’aurait pas empêché ensuite les biologistes d’étudier pourquoi la température est un paramètre important et pourquoi elle change le sexe dans une certaine direction1010. Warner, D. A. & Shine, R.. The Adaptive Significance of Temperature-Dependent Sex Determination in a Reptile. Nature (2008).. La division du travail est possible, et il y aurait complémentarité dans ces approches. Hé bien il n’y a pas de raisons que cette complémentarité disparaisse quand on passe de l’étude des tortues à l’étude de l’humain. Les biologistes ne seront jamais surpris d’apprendre que l’environnement physique ou social a un effet important sur les humains, c’est ce qu’ils observent déjà dans toutes les autres espèces sociales. Et les sciences sociales peuvent continuer à se restreindre à l’étude de ces effets environnementaux. Mais cela ne doit pas empêcher les biologistes qui le veulent d’étudier pourquoi ces environnements sont importants, et pourquoi ils ont les effets qu’ils ont.

En résumé, la psycho évo ne nie pas l’importance de l’environnement présent, elle ne fait que rappeler l’importance de l’environnement ancestral. Et elle insiste pour dire que toutes les explications qui ne s’appuient que sur l’environnement immédiat ou développemental ne sont que partielles. Pour que ces explications deviennent globales, il faut expliquer pourquoi ces environnements sont pertinents plutôt que d’autres, et pourquoi ils poussent à agir dans une certaine direction55. Tooby, John & Cosmides, Leda. The Psychological Foundations of Culture (1992).. Et ça, on ne peut le faire qu’en parlant de cerveau, de gènes et d’évolution. La psycho évo ne souhaite donc pas qu’on détruise les explications environnementales. Mais elle milite pour qu’on fasse des explications du comportement complètes, qui en plus de prendre en compte les aspects sociaux et culturels, ne négligent plus l’aspect génétique, psychologique ou évolutionnaire.

3. La psycho évo pense que tous les comportements sont présents à la naissance

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Alors maintenant peut-être que vous allez me dire, ok homo fabulus, la psycho évo ne néglige pas l’environnement, mais quand même, c’est stupide de postuler que certains comportements sont innés parce qu’on voit bien qu’à la naissance un bébé ça sait rien faire d’autre que bouffer, dormir et remplir sa couche. Tout ce qu’il se met à faire ensuite en devenant adulte vient donc forcément de son environnement.

Ce à quoi je répondrais que l’innéité d’un comportement n’implique pas que ce comportement soit présent à la naissance. L’équation inné = présent à la naissance vient d’une vision simpliste des relations gènes – environnement, qui pourrait ressembler à ça. Avant la naissance c’est le domaine du génétique et du biologique, et après la naissance c’est le domaine de l’environnement, de l’éducation et de la culture. La génétique fournirait le matériau de base, et ensuite c’est l’environnement qui s’occuperait de façonner ce matériau, comme le potier façonne la glaise ou le commis la mayonnaise. Et donc en particulier si un comportement n’est pas présent à la naissance, ça voudrait dire qu’il n’est pas biologique, ou qu’il n’est pas inné, ou qu’il n’est pas génétique.

Évidemment vu tout ce qu’on a dit auparavant, cette vision est fausse. Par exemple, le fait que ce soient les gènes qui décident en grande partie de l’environnement pertinent pour un organisme implique que les gènes ont leur mot à dire tout au long de la vie.

De très nombreux traits ont aussi des bases biologiques ou génétiques sans être présents à la naissance. Vos dents par exemple sont codées génétiquement, et pourtant elles ne sont pas présentes à la naissance, elles mettront plusieurs mois à se développer. D’autres trucs mettent plusieurs années à se développer, comme les seins ou la pilosité. Et pourtant, je pense que personne n’irait refuser à ma barbe son caractère inné. Il se trouve que différents organes ont différents temps de maturation – et en fait, même si ça nous amènerait un peu loin d’en parler, ces temps de maturation sont eux-mêmes sous sélection, c’est à dire que si un bébé n’a pas de dents à la naissance, c’est probablement pas par hasard, mais parce que la nourriture qu’il consomme à ce moment de sa vie ne nécessite pas de dents, et donc la sélection naturelle fait des économies en ne développant pas ce trait tant qu’il ne sert pas, comme quand vous attendez le dernier moment pour acheter votre carte de réduction sncf.

C’est pareil pour nos programmes cognitifs. Aucune raison qu’ils soient déjà tous présents et fonctionnels à la naissance. Notre cognition peut avoir besoin de temps pour se développer, de plusieurs mois voire de plusieurs années. Si un bébé humain n’est pas capable de faire quelque chose à la naissance, ça ne veut pas dire que cette chose est entièrement apprise ou culturelle. Les bébés peuvent quand même être pré-câblés pour produire ce comportement plus tard, ils peuvent être préparés, prédisposés à développer plus tard un certain type de comportement. Un exemple classique c’est le désir sexuel. Si vous n’avez commencé à ressentir vos premiers émois sexuels qu’à l’adolescence, ce n’est probablement pas un hasard, mais parce qu’avant ça votre corps n’était physiquement pas prêt pour se reproduire, et qu’avoir des envies sexuelles n’aurait pas servi à grand-chose. Cette synchronisation du physique et du psychologique porte la marque de la sélection naturelle, qui joue les chefs d’orchestre en coordonnant le corps et l’esprit, tout en faisant la chasse aux coûts inutiles. Petit aparté, rigoureusement, on devrait pas dire que la sélection naturelle coordonne corps et esprit, on devrait dire que pour la sélection naturelle, il n’y a pas de différence entre corps et esprit. La sélection naturelle ne voit pas si un gène affecte le corps ou l’esprit, tout ce qu’elle voit, c’est si un gène augmente les chances de survie ou pas. Et pour augmenter les chances de survie, de nombreuses adaptations ont besoin d’être à cheval sur le corps et l’esprit : rien ne sert d’avoir des membres adaptés à la bipédie si vous n’avez pas en même temps le logiciel pour se tenir debout. Rien ne sert d’avoir une bouche si vous ne ressentez pas une envie de manger quand vos réserves d’énergie s’épuisent. Et rien ne sert d’avoir des organes reproducteurs si vous n’avez pas les envies sexuelles qui vont avec. Fin de l’aparté.

Et inversement, si le rôle de la génétique ne s’arrête pas à la naissance, le rôle de l’environnement démarre avant la naissance. L’environnement est important même avant la naissance. Il s’agira principalement d’un environnement biologique et pas d’un environnement culturel ou social, c’est à dire que l’environnement consistera en les hormones et substances auxquelles le foetus est exposé dans le ventre de sa mère, mais ça sera un environnement quand même. Il y a un certain nombre de traits qui semblent être crucialement dépendants de cet environnement pré-natal, comme le fait d’être gaucher. Etre gaucher ne semble pas être dépendant de la culture : plutôt l’inverse même, puisque même si on a forcé des générations de gauchers à écrire de la main droite, dans les cas où ça a marché ils continuent à préférer utiliser leur main gauche pour toutes les autres tâches que l’écriture1111. Mitchell, Kevin J.. Innate: How the Wiring of Our Brains Shapes Who We Are (2018).. Mais être gaucher n’est pas entièrement sous contrôle génétique. Comment on le sait ? Parce qu’il arrive souvent que des jumeaux monozygotes, donc des clones du point de vue génétique, n’aient pas la même préférence de main1212. Mcmanus, I C. The Inheritance of Left-Handedness (2007).. Si c’est pas un truc culturel, lié à l’éducation, et si c’est pas non plus entièrement génétique, qu’est-ce qu’il reste ? L’environnement pré-natal. Ceux d’entre vous qui êtes gaucher, vous devez très probablement cette particularité à la possession de certains gènes, à un environnement pré-natal particulier, et sûrement aussi à du hasard développemental.

4. La psycho évo nie le rôle de l’apprentissage

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Alors maintenant vous allez peut-être me dire, ok homo fabulus, un comportement inné n’est pas forcément présent à la naissance, mais quand même, comment tu peux postuler que l’évolution ait un rôle si important quand on voit que la majorité des comportements sont appris. On a besoin d’apprendre à parler, d’apprendre à compter, d’apprendre à bien se comporter, d’apprendre à se mettre au dernier rang en cours de géologie… Nos comportements sont clairement appris, pas évolués. On voit donc pas trop ce que la théorie de l’évolution peut apporter pour expliquer tout ça.

Ce à quoi je répondrais que si l’apprentissage est effectivement très important pour expliquer un grand nombre de nos comportements, cela n’en fait pas une explication alternative à l’évolution, pour différentes raisons.

D’abord l’apprentissage est quelque chose d’étudié et de pris en compte dans les approches évolutionnaires, ce n’est pas un paramètre oublié. De nombreuses adaptations évoluées ont en effet besoin d’un apprentissage pour bien fonctionner. C’est déjà vrai au niveau physiologique. J’imagine que vous n’allez pas remettre en cause l’idée que le système immunitaire est quelque chose d’évolué. Et pourtant, une partie de ce système immunitaire a besoin d’un apprentissage pour bien fonctionner, vous vous rappelez peut-être de vos cours à l’école, où vous avez appris que certaines cellules immunitaires sont capables de garder une mémoire des pathogènes qu’elles rencontrent. Votre peau qui bronze quand vous l’exposez au soleil, c’est aussi une forme d’apprentissage au sens large : c’est une modification de l’état d’un système suite à l’exposition de ce système à un environnement particulier. Mais les mécanismes physiologiques qui permettent cet apprentissage sont quand même bien sûr évolués.

Au niveau cognitif, vous savez déjà que certains de vos programmes cognitifs sont très dépendants d’un apprentissage pour bien fonctionner : par exemple, ceux qui permettent de parler ou marcher debout. On doit apprendre à parler, ou apprendre à marcher. Mais ça ne veut pas dire que l’évolution n’a pas eu son mot à dire dans la construction de ces programmes qui permettent de parler ou marcher. Et on a vu dans cette série de vidéos que d’autres programmes cognitifs plus spécifiques, comme celui qui nous permet d’avoir peur des serpents, ou d’éviter les objets contaminés, ont aussi besoin d’être calibrés et nécessitent un apprentissage (). L’apprentissage, qu’il soit physiologique ou cognitif, est partout en biologie.

Donc quand un psychologue évolutionnaire dit : « ce truc est une adaptation », ou « ce truc est un produit de l’évolution », ça ne veut pas du tout dire que ce truc sera capable de se développer seul sans apprentissage. Quand un psychologue évolutionnaire dit que la peur des serpents est une adaptation, il n’est pas en train de dire que c’est une peur universelle qu’on retrouve chez tous les humains à la naissance. Ce qu’il dit, c’est que les humains sont équipés d’un programme cognitif qui les aide à apprendre à avoir peur des serpents, plutôt que des kinder surprise par exemple. Dans beaucoup de cas, l’évolution aura implémenté des mécanismes qui permettent d’apprendre plus facilement certaines choses que d’autres. Les détails de comment cet apprentissage facilité peut avoir lieu sont pas bien connus, mais on commence à avoir des pistes. Par exemple, l’évolution pourrait influer en modifiant les « probabilités a priori » des hypothèses qu’on fait sur le monde, dans une perspective très bayésienne. C’est à dire qu’avant même notre naissance, avant même d’avoir commencé à expérimenter le monde, notre cerveau s’attendrait déjà à trouver dans le monde certains objets, ou certaines relations entre objets, qui contraindraient ce qu’il peut apprendre. Je vous en ai touché deux mots dans cette vidéo où je vous parle de la physique intuitive des bébés.

Comme le dit le neuroscientifique Stanislas Dehaene, « l’apprentissage ne peut pas tout – il s’appuie toujours, d’une manière ou d’une autre, sur des a priori. […] Dans notre cerveau, les gènes spécifient, au cours de la grossesse, une architecture générale qui, en restreignant l’espace de recherche, facilite et accélère les apprentissages ultérieurs. […] Notre cerveau […] possède d’emblée un jeu d’hypothèses abstraites héritées de son évolution, qu’il projette sur le monde extérieur. »1313. Dehaene, Stanislas. Apprendre !: Les talents du cerveau, le défi des machines (2018).

D’un point de vue théorique, la raison pour laquelle la psycho évo ne peut pas se passer de l’apprentissage est toujours la même : une adaptation est toujours à la base une relation particulière entre certains stimuli de l’environnement et certains comportements. Nos programmes cognitifs sont des algorithmes à produire des comportements adaptés à un certain environnement, et l’apprentissage c’est précisément un moyen d’adapter finement son comportement à un environnement. Comme on l’a vu dans la vidéo sur le dégoût, ça serait pas très utile d’avoir un sens du dégoût ultra-rigide et fixé à la naissance, parce que le dégoût peut aussi être très coûteux et faire perdre plein d’opportunités de manger. Il est beaucoup plus intéressant d’être fortement dégoûté uniquement dans certains environnements, et on peut donc s’attendre à ce que très souvent, dans le cas du dégoût mais aussi de plein d’autres capacités cognitives, la sélection naturelle ait produit des programmes cognitifs qui soient sensibles au contexte et dépendants d’un apprentissage.

Donc quand vous dites qu’un comportement a été appris, vous n’avez pas suggéré une explication alternative à la sélection naturelle. La seule chose que vous avez faite, c’est dire que l’environnement a influé sur ce comportement, mais c’est quelque chose de trivial en biologie.

Et dans tous les cas, l’apprentissage reste toujours permis par des programmes cognitifs évolués. Tout à l’heure on a vu que la température n’a pas le même effet sur une tortue et un humain, parce que les humains et les tortues n’ont pas les mêmes gènes. De la même façon, un apprentissage n’aura pas le même effet sur un crocodile ou un humain parce que nous n’avons pas les mêmes programmes cognitifs. Si vous adoptez un bébé chimpanzé, et que vous lui donnez exactement la même éducation qu’à votre propre enfant, jamais le chimpanzé ne va se mettre à parler, à agir et à penser comme votre enfant1414. Terrace, H. S. et al. Can an Ape Create a Sentence?. Science (1979).. Pourtant, notre ADN ne diffère que de 2 à 3% avec celui des chimpanzés1515. Waterson, Robert H. et al. Initial Sequence of the Chimpanzee Genome and Comparison with the Human Genome. Nature (2005).. Mais quelque part dans ces 2 à 3% se cachent des gènes qui font toute la différence au niveau cognitif. Si vous donnez la même leçon à un bébé humain, un bébé chimpanzé et un chiot, chacun aura retenu des choses différentes à la fin, parce que chacun est équipé de programmes cognitifs différents1616. Tooby, John & Cosmides, Leda. The Theoretical Foundations of Evolutionary Psychology (2015).. Et ces programmes sont toujours les produits de l’évolution, l’apprentissage est toujours supporté par des structures évoluées, c’est pour ça qu’opposer évolution et apprentissage de façon simpliste comme on le fait souvent n’a pas de sens1717. Al-Shawaf, Laith et al. Experimentally Inducing Disgust Reduces Desire for Short-Term Mating. Evolutionary Psychological Science (2019).. L’apprentissage n’est pas par nature une explication alternative à l’évolution.

On ne s’en rend pas compte, mais apprendre ça demande des compétences très précises, parce que la quantité d’informations qu’un organisme peut apprendre est extraordinairement grande, alors que la quantité d’informations qui lui est utile pour sa survie est très restreinte. Vous avez l’impression de pouvoir apprendre une quantité de choses infinies, ce qui est vrai dans une certaine mesure, mais cette quantité de choses reste extraordinairement limitée par rapport à toutes les choses que vous pourriez apprendre sur l’univers. Vous ne retenez pas la luminosité à chaque instant de la journée, ni tous les sons que vous entendez, ni la température au cours de la journée. Par contre vous êtes probablement très forts pour retenir et mémoriser le visage des personnes que vous croisez, même si vous ne les avez vus que quelques secondes. Et si vous êtes capables de suivre ce que je vous dis dans cette vidéo, c’est que vous êtes aussi très forts pour retenir des milliers de mots. Mais il faut remarquer que ces compétences et cette mémoire sont toujours très spécialisées, et dépendantes de l’histoire évolutive des espèces. Les écureuils sont capables de retenir des milliers de caches de nourriture, mais pas des banques de mots énormes ; pour nous les humains c’est l’inverse.

Et apprendre c’est bien, mais une fois l’information apprise, il faut aussi savoir aller la rechercher et la réutiliser au bon moment, parmi les milliards de moments que compte une vie humaine. À nouveau, il faut des programmes cognitifs sophistiqués et évolués pour faire ça.

C’est pour ça que c’est pas vraiment justifié de penser que plus un comportement est appris, moins il est évolué. En fait, c’est probablement le contraire : plus vous avez de capacités d’apprentissage évoluées, plus vous pouvez apprendre de choses ! Dit autrement, plus d’inné permet plus d’acquis. L’inné n’est pas l’opposé de l’acquis. L’inné et l’acquis c’est pas un jeu à somme nulle. Plus d’inné permet plus d’acquis, parce que plus d’inné veut dire plus d’opportunités de réagir à des stimuli de l’environnement.

Je développe un peu ce point parce qu’il est important. Imaginez que vous soyez un ingénieur, et que vous soyez en charge de la programmation d’un robot. Et moi je suis votre chef, évidemment. Je vous demande de faire en sorte que le robot soit capable de mémoriser la tronche de tous les autres robots qu’il va croiser. Vous allez dire, il me fait chier ce chef, il a pas plus débile que ça à me faire faire, mais vous allez finir par coder un petit programme qui permet au robot de reconnaître ses pairs, de les classer et de les stocker dans un coin de sa mémoire. Et puis imaginez qu’ensuite je vous demande de faire en sorte que le robot puisse aussi mémoriser tous les endroits où se trouve de la nourriture dans une pièce. C’est à nouveau un problème d’apprentissage, mais vous n’allez pas beaucoup pouvoir réutiliser le premier programme que vous avez écrit, parce qu’on ne reconnaît pas un robot de la même façon qu’on reconnaît de la nourriture dans une pièce, c’est pas les mêmes problèmes. Et puis ensuite si je vous demande que le robot puisse mémoriser une banque de mots ou de symboles abstraits, vous allez vraiment penser que je me fous de votre gueule, parce même si ça reste un problème d’apprentissage, c’est un problème d’apprentissage très différent des précédents, et donc vous allez devoir créer un nouveau programme spécifique pour réaliser cette tâche.

Tout ça pour dire qu’au final, pour réussir à créer un système qui peut apprendre plein de choses différentes, vous êtes obligé·e de créer pleins de systèmes différents qui peuvent chacun reconnaître et mémoriser une chose précise. Eh ben c’est ça que ça veut dire « plus d’inné permet plus d’acquis ». Plus vous aurez écrit de programmes différents dans la tête de votre robot, plus il pourra apprendre une diversité de choses spécifiques.

Et c’est la même chose avec les êtres vivants. Prenez les animaux qu’on trouve le plus chez moi, le rat, le cafard et la bactérie. Chacune de ces espèces est capable d’apprendre des choses, mais le rat peut apprendre plus que le cafard qui peut apprendre plus que la bactérie. C’est à dire que c’est l’espèce qui a le système nerveux le plus complexe qui peut apprendre le plus de choses, parce qu’avec un système nerveux plus complexe, vous pouvez extraire plus d’information pertinente de votre environnement, ce qui est le point de départ de tout apprentissage1818. Boyer, Pascal & Barrett, H. Clark. Intuitive Ontologies and Domain Specificity (2015).. Plus d’inné permet plus d’acquis.

Et de la même façon que quand vous construisez votre robot vous ne pouvez pas trop réutiliser les mêmes programmes pour apprendre des choses de nature différente, il est très probable que dans la tête des êtres vivants ce soient des programmes différents qui permettent d’apprendre des choses différentes. Apprendre à se méfier des serpents n’est pas du tout le même problème qu’apprendre quelles nourritures contiennent des pathogènes, ou qu’apprendre une banque de mots et de symboles, et c’est pour ça que ces fonctions sont gérées par des programmes cognitifs différents dans notre cerveau.

Donc n’oubliez jamais, apprentissage et évolution ne sont pas antinomiques. L’apprentissage est permis par des structures évoluées, et plus d’inné permet plus d’acquis. Beaucoup de personnes pensent que l’évolution est non pertinente pour expliquer le comportement humain parce qu’une grande partie du comportement humain est appris, mais c’est une façon trop simpliste de concevoir les choses1919. Richerson, Peter J & Boyd, Robert. Not By Genes Alone: How Culture Transformed Human Evolution. New Scientist (2006)..

5. La psycho évo nie le rôle de la plasticité

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Maintenant vous allez peut-être me dire, « ok homo fabulus, peut-être que la psycho évo ne néglige pas le rôle de l’apprentissage, mais il y a quelque chose qu’elle néglige clairement, c’est la plasticité. Y’a plein de recherche qui montre que notre cerveau est plastique et qu’on est capable d’adopter le bon comportement sans que ce soit l’évolution qui ait permis cette adaptativité. »

Vous avez décidément l’esprit très vif mes chers abonnés. Et je suis entièrement d’accord avec vous pour dire que la plasticité est importante. Elle est tout à fait prise en compte en psycho évo et de manière générale en biologie, on l’appelle plus souvent « plasticité phénotypique » en biologie.

Par contre, il faut faire attention aux explications basées sur la plasticité, parce qu’elles sont souvent superficielles et qu’une fois de plus, elles n’excluent pas l’importance de l’évolution. Pourquoi ça ?

Hé bien imaginez que vous me demandiez pourquoi une règle en plastique plie, alors qu’une une règle en fer ne plie pas, et que je vous réponde : « c’est parce que l’une est flexible et l’autre pas ». Est-ce que vous seriez satisfait de cette explication ? J’imagine que non, et vous auriez plutôt l’impression que je m’en suis sorti avec une pirouette, en ne faisant que redécrire la situation. Quand je dis que la règle en plastique plie parce qu’elle est flexible, je n’ai fait que coller une étiquette sur un phénomène, je ne l’ai pas vraiment expliqué. Ce qu’on voudrait savoir, c’est par exemple quelles sont les propriétés physico-chimiques du plastique qui font que cette matière est plus flexible que le métal.

C’est la même chose pour les comportements : dire qu’un comportement est plastique ou flexible, ça n’explique rien en soi, ça n’est qu’une redescription du fait que ce comportement change, c’est un collage d’étiquette. Ce qu’on voudrait vraiment savoir, c’est pourquoi un comportement est plastique, parce qu’il aurait très bien pu ne pas l’être, et surtout comment cette plasticité est permise en pratique.

Dans ce sketch des monty python, un expert raconte qu’il a une nouvelle théorie sur les brontosaures, et quand il est invité à expliquer cette théorie, il répond : « tous les brontonsaures sont minces à une extrémité, plus épais au centre et minces à nouveau à l’autre extrémité » [ https://youtu.be/Xs7r5xfucPs?t=134 ]

Le ressort comique provient du fait que cet expert n’a rien « expliqué » du tout avec sa théorie, c’est à dire qu’il n’a pas utilisé un petit nombre de principes profonds pour expliquer une quantité de choses importantes dans le monde. Vous commettriez la même erreur que cet expert si vous pensiez que la « plasticité » est une explication suffisante pour expliquer les comportements. Comme le dit Steven Pinker, « dire que le cerveau résout des problèmes par sa plasticité ne vaut guère mieux que de dire qu’il les résout par magie. »88. Pinker, Steven. The Blank Slate: The Modern Denial of Human Nature (2002).

Et c’est vrai pour la plasticité des comportements, mais aussi celle du corps. Prenons le bronzage. Si vous me dites que la raison pour laquelle la peau des humains est plus foncée en été qu’en hiver, c’est la plasticité, c’est très vrai en soi mais ça n’est qu’une redescription, ça n’a rien expliqué. Ce qu’il faut expliquer c’est d’une part pourquoi la couleur de la peau est capable de varier, parce qu’on aurait très bien pu avoir une peau qui ne change jamais de couleur, et d’autre part la direction de ce changement : pourquoi on a la peau plus foncée en été qu’en hiver, parce qu’à nouveau, ça aurait très bien pu être l’inverse. Et puis bien sûr on peut aussi expliquer non pas le pourquoi, mais le comment, et dans ce cas on s’intéressera aux mécanismes physiologiques qui permettent le bronzage, la production de mélanine, etc.

Je pense que vous seriez tous d’accord pour dire qu’expliquer le bronzage en disant juste que c’est de la « plasticité », ça n’expliquerait pas grand-chose. Hé ben c’est pareil pour les comportements. Si vous dites que les humains sont dégoûtés par certains stimuli et attirés par d’autres parce que les humains sont plastiques, vous n’avez rien expliqué.

Deuxième point très important sur la plasticité, c’est que comme dans le cas de l’apprentissage, on ne peut pas opposer fermement plasticité et évolution. La plasticité est toujours permise par des structures évoluées, des structures évoluées par sélection naturelle. Et ces structures cérébrales qui permettent la plasticité, elles ne sont pas gratuites. Pour la sélection naturelle, c’est beaucoup plus coûteux de créer un système capable de s’adapter, exactement comme ça demandera plus de travail à un ingénieur de créer un système qui s’adapte. Si vous demandez à un ingénieur de créer un robot qui fait toujours la même chose, ça sera très facile pour lui. Mais si vous lui demandez de créer un robot qui adapte son comportement à différentes situations, ça lui demandera plus de boulot, et il commencera à râler, et il en profitera même sûrement pour vous demander de changer la machine à café. Pour la sélection naturelle, c’est pareil, c’est coûteux de produire de la plasticité, et les trucs trop coûteux, elle a tendance à les éliminer. Donc si vous postulez l’existence d’un système plastique, vous devez avoir de bonnes raisons évolutionnaires pour expliquer le fait qu’il se soit maintenu, vous ne pouvez pas invoquer la plasticité comme si c’était quelque chose de gratuit.

Si je reprends l’exemple du bronzage, on aurait très bien pu imaginer qu’on soit incapables de bronzer et que notre couleur de peau ne change jamais, que ce trait ne soit pas plastique. Et pourtant, nous le sommes. La sélection naturelle a abouti à une couleur de peau qui est sensible à la quantité d’UV reçue, mais ce système est bien sûr plus compliqué que si la couleur de peau était fixe. Et ce système n’est pas non plus gratuit. Si nous sommes plastiques sur le trait « couleur de peau », c’est parce que cette plasticité s’est révélée suffisamment utile pour être maintenue au cours de l’évolution, en nous protégeant des UVs tout en nous laissant synthétiser une quantité suffisante de vitamine D2020. Jablonski, Nina G. & Chaplin, G. The Evolution of Human Skin Coloration.. Journal of Human Evolution (2000)..

Et puis dernier point extrêmement important, la flexibilité ne sert à rien en soi si elle n’est pas accompagnée d’un système pour la guider. Pour un être vivant, c’est pas le fait de varier tout court qui est intéressant, c’est le fait de varier de façon adaptative, d’une façon qui augmente les chances de survie. Par exemple, pour la couleur de peau, c’est pas le fait de changer de couleur de peau qui est adaptatif, c’est le fait de changer de couleur de peau ET que des peaux plus foncées soient produites quand il y a plus de soleil. Parce qu’on aurait tout à fait pu imaginer que ce soit l’inverse, que notre peau devienne plus foncée quand il y a moins de soleil. On aurait même pu imaginer que notre peau devienne bleue, jaune ou marron sous l’effet des UV. On aurait aussi appelé ces changements de la « plasticité ». Mais ce n’est pas ce caractère plastique qui est intéressant, c’est le caractère adaptatif de cette plasticité qui est intéressant. Et ce caractère adaptatif, il n’a pu être produit que par la sélection naturelle, car on n’a pas d’autre explication pour expliquer l’adaptation dans le monde vivant2121. Ridley, Mark. Evolution (2004)..

Donc en résumé, quand vous dites qu’un trait est le résultat d’une plasticité, ne pensez pas que cela vous autorise à mettre de côté l’évolution. Vous avez toujours besoin d’expliquer pourquoi ce trait est plastique en premier lieu alors qu’il aurait pu ne pas l’être, et vous avez besoin d’expliquer pourquoi ce trait varie d’une certaine façon parmi toutes les façons de varier qu’il aurait pu avoir.

Quand on fait de la biologie, quand on étudie les êtres vivants, on retrouve de la plasticité à tous les niveaux. Vos gènes sont plastiques, c’est à dire qu’ils peuvent s’exprimer différemment dans des environnements différents. Vos cellules sont plastiques, elles adaptent leur activité interne aux signaux externes qu’elles reçoivent. Vos organes sont plastiques, vos muscles par exemple se renforcent quand vous vous en servez suffisamment, même si des grosses loques comme vous n’ont pas beaucoup l’occasion de s’en apercevoir. La plasticité est omniprésente parce que les êtres vivants sont des tas de matière qui essaient de survivre à leur environnement, mais cet environnement change souvent, et la plasticité est donc utile pour survivre à ces changements. Et si la plasticité est omniprésente dans notre corps, il n’y a aucune raison de penser que nos programmes cognitifs ne soient pas eux aussi très plastiques et capables de s’adapter à leur environnement, d’autant plus que c’est le but premier d’un cerveau que de s’adapter à différents environnements. Mais ça ne fait pas de la plasticité une explication alternative à l’évolution, la plasticité c’est juste une redescription d’un phénomène qui doit être compris comme le produit d’une histoire évolutive.

Enfin, de la même façon que plus d’inné permet plus d’acquis, plus d’évolution permet plus de plasticité. Intuitivement on a envie de penser que l’extraordinaire plasticité comportementale de l’espèce humaine est permise par la possession d’un petit nombre de capacités cognitives très généralistes, qui peuvent travailler sur une gamme de stimuli très large. On pense souvent que nous les humains aurions peu d’instincts basiques comparé à d’autres espèces. Mais en fait il se pourrait que ce soit exactement l’inverse, et que comme le pensait le psychologue William James au XIXe siècle, la spécificité humaine vienne du fait que nous humains avons plus d’instincts que les autres animaux, pas moins2222. James, William. The Principles of Psychology (1890).. Exactement de la même façon que le code d’un robot capable de s’adapter à plein de situations différentes sera beaucoup plus compliqué que le code d’un robot moins flexible. Pour pouvoir s’adapter à une grande variété de situations, il faut avoir plus de programmes cognitifs, plus de spécialisations fonctionnelles, plus d’instincts évolués.

6. La psycho évo nie le rôle de la culture

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Maintenant vous allez peut-être me dire, « ok homo fabulus, peut-être que la plasticité n’est pas une alternative à l’évolution, mais la culture alors ? Là c’est bien un truc que la psycho évo n’étudie pas du tout ? Or la culture est hyper importante pour expliquer les comportements. Il suffit de regarder autour de soi, les gens qui vivent dans des cultures différentes ont des comportements différents. Donc pourquoi se préoccuper autant d’évolution, et pourquoi la psycho évo nie autant l’importance de la culture ? »

Alors commençons avec ce dernier point. C’est une erreur de penser que la psycho évo n’étudie pas la culture, il y a des champs entiers inspirés d’approches évolutionnaires qui étudient la culture2323. Buss, David M. The Handbook of Evolutionary Psychology Vol. 2 (2016).. En fait c’est un sujet tellement étudié que j’ai hésité à faire une vidéo entière dessus dans cette série. Je ferai ça une autre fois mais sachez en tout cas que ça fait plusieurs dizaines d’années qu’on étudie la culture dans une perspective évolutionnaire. Vous avez peut-être entendu parler de la mémétique si vous avez lu Le gène égoïste, mais ça n’est qu’une façon parmi plein d’autres d’envisager la culture, on a développé d’autres approches depuis.

Ensuite la culture c’est, comme n’importe quel autre élément de notre environnement, quelque chose d’inséparable de la biologie. Je pense que beaucoup de gens ont dans la tête l’idée que la culture c’est un petit nuage qui flotte au-dessus de nos têtes et qui va y faire pleuvoir des idées, des coutumes, des traditions. Penser comme ça, c’est ressusciter la dichotomie simpliste inné / acquis, alors que le modèle que l’on devrait tous adopter est un modèle interactionniste. La culture n’est pas un petit nuage sans cause et désincarné qui flotte au-dessus de nos têtes. La culture est produite par des millions de systèmes biologiques qu’on appelle cerveaux. N’importe quelle chanson, n’importe quelle loi, n’importe quelle coutume et n’importe quelle tradition culturelle à laquelle vous êtes exposés a été produite en premier lieu par des cerveaux. Et si cette chanson, cette loi ou cette coutume se répand dans une population, c’est aussi parce qu’elle est bien accueillie par de nouveaux cerveaux. Et si elle est bien accueillie par ces cerveaux, c’est parce qu’elle plaît, d’une façon ou d’une autre, aux programmes cognitifs que l’évolution a mis dans ces cerveaux, exactement comme dans le cas de la musique à 120 bpm qu’on a vu dans l’épisode précédent. Donc une explication complète des causes et effets de la culture nécessitera toujours de faire référence à la biologie d’une manière ou d’une autre, et aux programmes cognitifs qu’on a dans la tête en particulier. Le biologique influence le culturel, comme le culturel influence le biologique. Les deux sont en interaction.

Un autre point important sur lequel a insisté historiquement la psycho évo c’est que ce qu’on regroupe généralement sous le terme de « culture » peut faire référence à des choses très différentes psychologiquement parlant. Revenons un instant à l’exemple du bronzage et à sa plasticité. Le bronzage est un mécanisme qui permet d’adapter la production de mélanine à la quantité d’UV reçue, mais ce qui est intéressant de noter, c’est que bien que ce mécanisme soit universel, présent chez tout représentant de l’espèce humaine, il peut quand même produire des différences à l’échelle d’une population. Si vous allez dans le sud de la France, les gens auront en moyenne la peau plus foncée que dans le nord, alors qu’ils sont équipés du même mécanisme biologique qui permet de bronzer. Ok. Mais quel rapport avec la culture vous allez me dire ?

Hé bien imaginez qu’on ait le même genre de mécanismes mais dans la tête. Qu’on ait dans la tête des mécanismes qui sont universels, communs à toute l’espèce, mais qui sont sensibles à l’environnement, et donc qui seront capables de produire un type de comportement dans un environnement et un autre type de comportement dans un autre. C’est rien d’autre que de la plasticité ce dont je vous parle, mais de la plasticité cognitive. Cette plasticité aura pour conséquence qu’au niveau de populations entières, on observera des différences dues à un mécanisme universel et évolué. Et pourtant, nous ce qu’on a l’habitude de faire quand on observe des différences entre populations, c’est de dire qu’elles viennent de la culture.

Une métaphore qu’on peut utiliser pour illustrer ça c’est celle du juke-box et du gramophone55. Tooby, John & Cosmides, Leda. The Psychological Foundations of Culture (1992).. Un juke-box, c’est une machine qui arrive pré-remplie de chansons, et la chanson jouée dépendra simplement du bouton sur lequel on appuie. Un gramophone par contre, c’est une machine vide de toute chanson, mais qui peut jouer n’importe quel air pourvu qu’on le lui fournisse dans un format adapté. La question serait donc de savoir si l’esprit humain est plutôt comme un juke-box ou comme un gramophone. S’il est comme un juke-box, il arrive préchargé par l’évolution d’une variété de comportements, et le comportement joué dépendra de l’environnement dans lequel il est placé. S’il est comme un gramophone, il arrive vide de tout comportement, et le comportement joué sera directement fourni par la culture, ou l’éducation. Les deux possibilités sont pas mutuellement exclusives bien sûr, on peut avoir à la fois des comportements pré-chargés par l’évolution et d’autres apportés par la culture, mais ce qu’il faut remarquer, c’est qu’on a souvent, pour ne pas dire toujours, tendance à privilégier l’hypothèse culturelle, alors même que les deux produisent les mêmes observations. Des différences de comportements entre populations peuvent être dues à la fois à un cerveau-jukebox qui réagit différemment quand il est placé dans des environnements différents, ou à un cerveau-gramophone qui joue la partition qu’on lui dit de jouer dans des cultures différentes.

Remarquez aussi que quand vous déplacez un juke-box d’un pays à un autre, il va se mettre à jouer la chanson que tous les juke-box locaux jouent, parce que l’environnement local va appuyer sur le même bouton. Ça veut dire qu’on peut parfaitement expliquer par l’hypothèse du juke-box l’observation que des humains qui partent vivre dans un autre pays se mettent à adopter les comportements des locaux. Et pourtant, ce qu’on a généralement tendance à faire, c’est de dire que cette imitation est due à des processus d’apprentissage social ou de transmission culturelle, comme si le cerveau-gramophone était la seule hypothèse sensée.

On va prendre quelques exemples pour rendre tout ça plus concret. Vous avez sûrement déjà entendu dire qu’il existerait des cultures collectivistes et des cultures individualistes dans le monde. Dans certains pays, asiatiques notamment, il existerait une culture collectiviste très différente de notre culture individualiste d’occidentaux. Les collectivistes insisteraient sur le sacrifice individuel au profit du groupe, sur l’entraide, le partage et le conformisme, alors que dans les cultures individualistes ce serait l’inverse.

L’explication classique de ces différences est qu’elles sont dues à des cultures différentes, à des éducations différentes, à des valeurs différentes inculquées dès l’enfance. Mais une autre explication serait que le collectivisme et l’individualisme sont juste deux partitions différentes d’un même jukebox universel, partitions qui sont chacune la meilleure réponse psychologique possible dans un environnement particulier. Autrement dit, il existerait quelque chose dans l’environnement des sociétés collectivistes qui pousserait les cerveaux de ces sociétés à adopter des comportements collectivistes, parce que ces comportements seraient les plus adaptés dans cet environnement, et inversement pour les sociétés individualistes.

Qu’est-ce qui peut activer ces différents modes du cerveau, on n’est pas bien sûrs, c’est encore de la recherche en cours. Mais par exemple, il existe une bonne corrélation entre le niveau de pathogènes dans une société et son degré de collectivisme2424. Fincher, Corey L et al. Pathogen Prevalence Predicts Human Cross-Cultural Variability in Individualism/Collectivism. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences (2008)., 2525. Schaller, Mark & Murray, Damian R.. Pathogens, Personality, and Culture: Disease Prevalence Predicts Worldwide Variability in Sociosexuality, Extraversion, and Openness to Experience. Journal of Personality and Social Psychology (2008).. Plus une société est exposée à des pathogènes, plus elle fait preuve de collectivisme, or le collectivisme a tendance à inhiber la transmission des pathogènes, par son insistance sur le respect des règles, la conformité et la priorité donnée au groupe.

Pour ceux qui ont lu mon livre, je vous y parle d’une autre explication : le collectivisme pourrait être dû à des modes de subsistence différents. On s’est aperçu qu’il y avait des fortes différences de collectivisme au sein-même de la Chine, et que dans les régions où on cultive historiquement du riz, les Chinois étaient plutôt collectivistes, alors que dans les régions où on cultive du blé les Chinois sont plutôt individualistes2626. Talhelm, T. et al. Large-Scale Psychological Differences Within China Explained by Rice Versus Wheat Agriculture. Science (2014)., 2727. Talhelm, Thomas & English, Alexander S.. Historically Rice-Farming Societies Have Tighter Social Norms in China and Worldwide. Proceedings of the National Academy of Sciences (2020).. Et vous ne le savez sûrement pas, mais cultiver du riz demande beaucoup plus de travail que cultiver du blé, environ deux fois plus. C’est à dire que pour cultiver le riz, vous avez absolument besoin des autres, de l’aide du village et parfois d’autres villages. Donc y’a certains chercheurs qui pensent que ce sont les conditions de vie de ces populations, et en particulier le type de céréales qu’ils cultivent, qui ont créé ces différences de collectivisme. La culture exigente du riz pousserait notre psychologie à se mettre en mode collectiviste. La culture moins exigente du blé pousserait notre psychologie à se mettre en mode individualiste. L’esprit collectiviste ou individualiste d’une société émergerait donc « par le bas », ce serait une propriété émergente de l’interaction de la psychologie humaine avec des conditions de vie particulières, plutôt que d’être imposé par le haut par des institutions, l’éducation ou la culture.

Je répète que c’est de la recherche en cours, on connaît pas encore bien les détails, mais vous voyez l’idée. Les différences de comportements entre des populations, même des différences très profondes comme le degré de collectivisme, peuvent être dues à des mécanismes psychologiques universels qui réagissent de façon différente dans des environnements différents, c’est à dire des mécanismes plastiques. C’est pour ça que je vous parlais du bronzage, qui est une bonne analogie : c’est un mécanisme biologique universel mais qui produit des issues différentes dans des environnements différents. Et c’est une explication très différente psychologiquement parlant de l’explication traditionnelle qui repose sur l’existence d’une culture avec un grand C, d’une culture transmise d’humains en humains et de générations en générations. D’un côté on a un répertoire de comportements qui a été pré-chargé dans le cerveau des humains par la sélection naturelle, et c’est l’environnement qui vient décider quel comportement sera joué. C’est l’hypothèse du jukebox, et ce n’est rien d’autre que ce qu’on appelle de la « plasticité phénotypique » en biologie, mais de la plasticité phénotypique cognitive. Et de l’autre côté, on a un cerveau dont le répertoire de comportements n’a pas été contraint par l’évolution, et c’est la culture qui vient graver le comportement à adopter. Cette fois-ci le cerveau humain n’est plus considéré comme un jukebox mais plutôt comme un gramophone, ou un micro qui enregistrerait ce que les autres font autour de lui.

Hopopop, je me permets de couper mon moi du passé en voix off, pour rajouter deux petites précisions. Ça va d’ailleurs, il vous fait pas trop chier mon moi du passé ? Moi j’en peux plus de l’entendre débiter ses âneries évolutionnistes à longueur de journée. Et puis des vidéos d’une heure et demie, il abuse, j’ai même plus le temps de regarder Netflix maintenant. Enfin bref. Deux précisions je disais.

D’abord la métaphore du jukebox est bien juste ça, une métaphore. Quand on dit que le cerveau pourrait contenir des comportements pré-chargés par l’évolution et activés par l’environnement, faut pas vous imaginer que le cerveau contienne des comportements rigides rangés dans des cases qui sont sortis du chapeau en appuyant sur un bouton. Gardez toujours en tête la vision algorithmique du cerveau que je vous ai présentée dans ma série sur la morale. Dans la tête, on a pas des comportements rangés dans des cases, on a des réseaux neuronaux qui font des calculs sur des données pour produire des sorties avec une certaine probabilité. Il faut toujours penser entrées / sorties, calcul, probabilités, continuité. La métaphore du jukebox n’est là que pour vous faire comprendre que même si l’évolution a pré-chargé des choses dans notre cerveau, l’expression de ces choses peut être dépendante du contexte.

Et deuxièmement, vous vous dites peut-être que ça doit être vachement compliqué pour l’évolution de créer de tels programmes cognitifs plastiques, mais on en trouve partout dans la nature ! Par exemple, rien que chez les oiseaux, la mésange charbonnière peut avancer sa date de ponte quand il fait plus chaud au printemps2828. Charmantier, Anne et al. Adaptive Phenotypic Plasticity in Response to Climate Change in a Wild Bird Population. Science (New York, N.Y.) (2008)., les geais se mettent à cacher plus de nourriture dès qu’il fait plus froid en automne2929. Sherry, David F. & Hoshooley, Jennifer S.. Seasonal Hippocampal Plasticity in Food-Storing Birds. Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences (2010)., et les femelles du bruant noir et blanc ne sont pas attirées par les mêmes traits chez les mâles en fonction des années, parce que les traits qui maximisent le succès reproducteur changent d’une année sur l’autre3030. Chaine, Alexis S. & Lyon, Bruce E.. Adaptive Plasticity in Female Mate Choice Dampens Sexual Selection on Male Ornaments in the Lark Bunting. Science (New York, N.Y.) (2008).. La plasticité phénotypique est donc une explication relativement courante de la variabilité des comportements des animaux, aucune raison que ça soit différent chez l’humain. Parenthèse terminée, je redonne la parole à mon moi du passé, courage, tenez bon.

Je pense que dans les décennies qui viennent on va mettre en évidence que plein de différences entre populations humaines que l’on pensait dues à la culture au sens classique du terme sont en fait dues à cette forme de plasticité évoluée. Un autre exemple ça pourrait être les critères de beauté du corps humain : on a l’habitude de penser que si on aime les gens plutôt gros ou plutôt maigres, c’est à cause de notre culture et de notre éducation, mais on a maintenant des raisons de penser que cette variation pourrait être expliquée au moins en partie par des variations d’environnement qui agissent sur des mécanismes psychologiques évolués3131. Nettle, Daniel. Beyond Nature versus Culture: Cultural Variation as an Evolved Characteristic*. Journal of the Royal Anthropological Institute (2009)..

Attention, à nouveau les deux hypothèses sont intéressantes. Toutes les différences de comportements ne sont pas forcément explicables par l’hypothèse du jukebox. L’importance de la culture transmise au sens classique du terme est tout à fait reconnue en psychologie évolutionnaire. Par contre, il semblerait que cette hypothèse ait souvent été la seule envisagée, et que l’évolution ait souvent été tenue à l’écart de l’analyse des différences culturelles. Pourtant, si l’hypothèse du jukebox est la bonne ne serait-ce que dans certains cas, l’évolution restera très importante pour expliquer pourquoi certaines pistes ont été pré-gravées, et pourquoi un certain environnement entraîne l’exécution d’une piste plutôt que d’une autre. Et en fait, même dans l’hypothèse culturelle classique, l’évolution devrait rester importante, mais je vous en reparlerai une autre fois.

En tout cas, c’est très important pour vous d’essayer de faire cet effort : la prochaine fois que vous observerez des différences de comportements dans des populations différentes, plutôt que de dire qu’elles sont dues à la culture et de vous en tenir là, posez-vous la question : « et si ces différences venaient du fait que les conditions de vie de ces populations diffèrent et que des cerveaux humains sont préparés à réagir différemment dans ces conditions ? ». Attention aux explications culturelles trop simplistes. Dire que des comportements différents viennent forcément d’une culture différente, c’est la même chose que dire que les provençaux sont plus bronzés que les nordistes parce qu’ils ont une culture du bronzage différente. Des mécanismes universels évolués mais plastiques peuvent aboutir au même résultat.

Et un dernier point dont il faut parler sur cette question de la culture, et malheureusement c’est encore un point très important, donc vous devez rester concentrés, c’est qu’il faut faire très très attention au problème corrélation / causalité3232. Burks, B. S.. Statistical Hazards in Nature-Nurture Investigations. Yearbook of the National Society for the Study of Education (1928)., 3333. Meehl, Paul E.. Nuisance Variables and the Ex Post Facto Design (1970).. Comme on vient de le voir, si beaucoup de gens pensent que la culture a une influence énorme sur les comportements, c’est parce qu’ils observent des comportements différents dans des populations différentes. Mais cette observation n’est jamais qu’une corrélation, et comme vous le savez tous, corrélation n’implique pas causalité.

Pour illustrer, imaginez une région où des publicités pour vendre du kouign-amann sont placardées partout. Et imaginez que dans cette même région, les gens mangent du kouign-amann à tous les repas. La conclusion que tout le monde tire, c’est que les gens mangent beaucoup de kouign amann parce que ils sont exposés à toute cette pub, parce que ils vivent dans une région qui a la « culture du kouign-amann ».

Maintenant, changeons d’univers, imaginons un univers parallèle qu’on pourrait qualifier d’apocalyptique puisque dans cet univers existerait un gène qui fait aimer le kouign-amann. Imaginons que ce gène se soit répandu dans une certaine région que l’on ne nommera pas mais qui résiste encore et toujours aux climatiseurs. Qu’est-ce qu’on observerait au niveau macroscopique dans cette région ? On observerait des gens qui mangent beaucoup de kouign-amann, précisément parce qu’ils possèdent tous ce gène. Mais on observerait aussi plein de pubs placardées partout, parce que les publicitaires se seront rendus compte qu’ils vendent plus dans cette région, même s’ils ignorent que ces ventes viennent d’un gène. Mais ça ne serait pas les pubs qui ont causé les comportements, ça serait les gènes qui ont causé les comportements, qui ont eux-mêmes entraîné l’apparition de pubs. Si vous enlevez la pub dans cet univers, les comportements ne changent pas.

Donc au final, au niveau des populations, on observe exactement la même chose qu’un comportement soit 100% d’origine génétique ou 100% d’origine culturelle. C’est un exemple fictif bien sûr, dans la réalité les choses en matière de gène sont toujours plus compliquées, mais ça montre pourquoi vous ne pouvez jamais conclure que des comportements ont une origine culturelle simplement parce que ces comportements diffèrent dans des populations différentes. Ça ne restera toujours qu’une corrélation, qui peut aussi être expliquée par des gènes.

Bien que ça fasse plus d’un siècle que l’attention est attirée sur ce problème3232. Burks, B. S.. Statistical Hazards in Nature-Nurture Investigations. Yearbook of the National Society for the Study of Education (1928)., beaucoup d’études en sciences sociales continuent à attribuer des différences de comportements à des différences d’environnement, et à ne pas contrôler pour le facteur confondant de la génétique. Les études de sciences sociales qui contrôlent pour la génétique, ça s’appelle généralement des études de génétique comportementale.

Et vous vous rappelez sûrement que tout à l’heure je faisais le bisounours consensuel en vous disant que les sciences sociales pouvaient cohabiter avec la biologie et continuer à travailler sans se préoccuper de génétique et d’évolution tant qu’elles acceptaient que leurs explications environnementales ne sont que des explications partielles. Je me renie pas complètement, c’est vrai dans certaines situations, mais c’est aussi très faux dans d’autres, à cause de ce problème de corrélation gènes-environnement. Normalement, avant de pouvoir conclure que des environnements différents ont causé des comportements différents, vous devriez vérifier les gènes que portent les personnes dans ces différents environnements.

Je vous donne un autre exemple avec l’éducation. Quand on observe que des enfants qui ont grandi dans une maison où se trouvait un instrument de musique sont meilleurs en musique que les autres, on en conclut généralement que c’est cet environnement musical qui a causé ces capacités. Mais en fait ça pourrait tout aussi bien être expliqué par la génétique. Imaginez qu’il existe un gène qui fasse apprécier la musique. Un adulte porteur de ce gène aura plus tendance qu’un autre à s’acheter un instrument de musique. Donc les enfants de cet adulte grandiront dans un environnement musical. Mais les enfants de cet adulte auront aussi reçu de cet adulte le gène qui fait aimer la musique. Donc on aura bien au final des enfants attirés par la musique et qui auront grandi dans un environnement musical, mais la cause de ces deux observations est génétique : c’est un gène qui a poussé le parent à créer un environnement musical, et c’est le même gène qui a poussé les enfants à s’intéresser à la musique. On ne peut donc pas conclure que c’est l’environnement éducatif qui a causé les préférences des enfants.

On peut même imaginer que ce ne soit pas l’environnement des parents qui façonne le comportement des enfants, mais l’inverse ! Imaginez que votre enfant possède un gène qui lui fait aimer la musique. Pour lui faire plaisir, vous allez donc lui acheter un instrument de musique. Un scientifique naïf qui passerait par là ferait le constat que votre enfant a grandi dans une maison avec un instrument de musique et qu’il aime la musique, et il pourrait donc en conclure que c’est la présence de cet instrument qui a causé le goût pour la musique. Alors que c’est l’inverse ! Ce sont les goûts naturels de votre enfant qui ont causalement créé son environnement musical.

Toutes ces questions de corrélations et d’interactions gènes-environnement ne sont pas faciles, on reviendra dessus un autre jour. La chose importante à retenir, c’est qu’on ne peut jamais conclure qu’un environnement a causé un comportement simplement en observant une corrélation environnement-comportement. Ce n’est pas parce que des personnes ont reçu des éducations différentes ou ont grandi dans des cultures différentes que leurs différences de comportements sont causalement dues à ces environnements. Ces observations peuvent tout aussi bien être expliquées par des gènes.

Au passage, on pense parfois qu’il y a une équivalence des torts entre la biologie et les sciences sociales, que si les sciences sociales négligent trop la génétique, la biologie néglige l’environnement de la même manière, et qu’il suffirait que chaque discipline fasse un pas vers l’autre pour qu’elles soient réconciliées. Mais il n’y a jamais eu de symétrie des torts sur ce sujet : pour toutes les raisons que je vous ai expliquées, la biologie n’a jamais eu d’autre choix que de prendre en compte l’importance de l’environnement, alors que les sciences sociales n’ont elles jamais pris au sérieux la génétique. Dans les années 70, cette hégémonie de l’environnemental était si grande que des chercheurs de renom comme Francis Crick, co-découvreur de la structure de l’ADN, ou Jacques Monod, prix nobel français de médecine, ont trouvé nécessaire de publier un article s’inquiétant de la « répression, censure, punition et diffamation dirigées envers des scientifiques qui insistent sur le rôle de l’hérédité dans le comportement humain. […] Une sorte d’environnementalisme orthodoxe domine le monde universitaire, et inhibe fortement les enseignants, chercheurs et universitaires à se tourner vers des explications biologiques. »3434. Page, Ellis B.. Behavior and Heredity. American Psychologist (1972).. Je vous reparlerai de tout ça dans ma vidéo sur l’éthique.

Enfin, pour en finir avec la culture, de la même façon que je vous disais que le mot « plasticité » est trop souvent utilisé comme une étiquette, une redescription qui n’explique rien en soi, le mot « culture » est souvent utilisé de la même façon. La culture est souvent brandie comme un mot magique qui expliquerait tout, mais si vous n’entrez pas dans le détail de tout ce qu’on vient de voir, quel type de culture, dans quel environnement, quelles interactions avec les gènes, vous n’avez pas expliqué grand-chose, vous n’avez fait que coller une étiquette sur un phénomène. Décrire une différence culturelle n’est pas la même chose qu’expliquer une différence culturelle3535. Buss, David M.. Human Nature and Culture: An Evolutionary Psychological Perspective. Journal of Personality (2001)..

Donc pour résumer sur cette partie, la psychologie évolutionnaire ne nie pas l’existence de la culture ni son importance, et elle l’étudie en fait depuis de nombreuses années. Par contre, elle attire l’attention sur les différents types de culture qui existent et sur leur nécessaire dépendance aux programmes cognitifs qui se trouvent dans notre cerveau. La culture n’est pas sans cause et désincarnée3636. Barkow, Jerome H et al. The Adapted Mind: Evolutionary Psychology and the Generation of Culture (1992).. La culture n’opère pas de façon autonome, affranchie de toute contrainte biologique. Elle est produite et transmise par des cerveaux, et on ne peut donc pas espérer expliquer complètement la culture sans faire référence à un moment donné à la façon dont ces cerveaux fonctionnent. De même, si la culture peut influencer nos comportements, il faut se méfier des corrélations environnements-comportements, et se rappeler que quand la culture arrive à nous influencer, c’est toujours parce que notre psychologie est sensible à certains aspects de cette culture. Le cerveau influence la culture, et la culture influence le cerveau, pour avoir une explication globale de ces phénomènes il n’est pas possible d’étudier l’un sans l’autre.

7. La psycho évo fait du déterminisme génétique

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Maintenant peut-être que vous avez envie de me dire, « ok homo fabulus, la psycho évo néglige pas autant l’environnement, l’apprentissage, la plasticité et la culture que je ne l’aurais pensé. Mais par contre j’ai entendu dire qu’elle faisait du déterminisme génétique, et ça a l’air très très grave. Alors qu’est-ce que t’as à dire pour ta défense ? »

L’accusation de « déterminisme génétique » est effectivement une accusation courante, mais aussi une des plus floues. Comme personne ne s’est jamais revendiqué d’être un « déterministe génétique », on est obligé d’inférer le sens de cette critique de la bouche des critiques elles-mêmes3737. Kaplan, Jonathan Michael. The Limits and Lies of Human Genetic Research: Dangers For Social Policy (2000).. Le sens le plus courant semble lier le déterminisme au fait qu’on ne pourrait pas changer3838. Griffiths, Paul E.. The Fearless Vampire Conservator: Philip Kitcher, Genetic Determinism and the Informational Gene (2002).. Le déterminisme génétique, c’est l’idée que « si c’est génétique, on ne peut rien y faire ». Et si on ne peut rien y faire, ça implique qu’on assigne un rôle causal nul à l’environnement, donc cette critique est souvent associée à la critique d’ignorer le rôle de l’environnement. C’est souvent reformulé en terme de débat entre inné et acquis : les déterministes génétiques, ce sont ceux qui pensent que les traits sont innés, et qui rejettent la part de l’acquis.

Mais comme je vous l’ai dit, aucun chercheur sérieux ne pense que « si c’est génétique, on ne peut forcément rien y faire », ou que seul l’inné compte pour expliquer les comportements. L’opposition simpliste inné-acquis n’est supportée par aucun chercheur.

Comme le dit le philosophe Richard Joyce, et c’était il y a quinze ans déjà3939. Joyce, Richard. The Evolution of Morality (2006). :

« La dichotomie inné / acquis est tellement morte et enterrée qu’il est devenu fatigant de mentionner qu’elle est morte et enterrée ».

Je sais pas pourquoi je me sens fatigué moi tout d’un coup.

En fait, il est même probable que cette distinction n’ait jamais été soutenue par personne. Dès le 19e siècle, Francis Galton affirmait comme si c’était une banalité qu’« il est inutile d’insister pour dire que ni la nature ni la culture sont auto-suffisants »4040. Galton, Sir Francis. English Men of Science: Their Nature and Nurture (1874)., et tout le monde est bien obligé de reconnaître, comme le fait le généticien du comportement David Lykken avec humour, que « sans apport environnemental, votre génome n’aurait créé rien d’autre qu’une tache mouillée sur le tapis »4141. Lykken, David T.. The Antisocial Personalities (1995).. Bah oui, ne serait-ce que pour créer les organismes que nous sommes, nos génomes ont besoin de matière et d’énergie qui sont puisées dans l’environnement. Les gènes sont toujours exprimés dans un environnement, les protéines évoluent dans un environnement, les organes fonctionnement dans un environnement. Les gènes ne sont pas des entités qui évoluent dans un univers parallèle, donc tout ce que produisent les gènes, que ce soit des anatomies, des physiologies ou des psychologies, sont le résultat d’une interaction avec un environnement.

Si vous me demandiez quel pourcentage de ma main a été créé par mes gènes et quel pourcentage a été créé par mon environnement, je serais donc bien incapable de vous répondre, parce que ma main est le résultat d’une interaction permanente entre des gènes et un environnement à chaque étape de son développement. On appelle parfois ça la « démocratie causale » : ni la génétique, ni l’environnement n’a de priorité causale dans le développement4242. Oyama, Susan. Causal Democracy and Causal Contributions in Developmental Systems Theory. Philosophy of Science (2000).. Les deux sont nécessaires et en interaction permanente.

Il n’y a donc pas de séparation nette entre le monde génétique et le monde environnemental, et c’est pour ça que le débat gène OU environnement, inné OU acquis ou nature OU culture n’existe plus depuis longtemps en biologie, s’il a jamais existé. Ce n’est jamais l’un OU l’autre, c’est toujours l’un ET l’autre.

Et personne ne soutient non plus que « si c’est génétique, on ne pourra jamais rien y faire », ou que « si c’est génétique, l’environnement n’a plus son mot à dire ». Par exemple y’a plein de troubles de la vision qui ont des origines génétiques et qu’on arrive à corriger avec une simple manipulation de l’environnement, en l’occurrence en se mettant des verres correcteurs devant les yeux. Les lunettes, c’est un exemple typique de manipulation environnementale qui permet de corriger un problème génétique. Et y’a des dizaines d’autres troubles d’origine génétique que la médecine soigne avec des diètes particulières, ou avec des médicaments qui sont aussi des modifications de l’environnement. C’est pareil avec les capacités cognitives : même si toutes ont des bases génétiques, on peut les modifier par l’environnement : par exemple l’intelligence a des bases génétiques mais reste très sensible à l’éducation4343. Ritchie, Stuart J. & Tucker-Drob, Elliot M.. How Much Does Education Improve Intelligence? A Meta-Analysis. Psychological Science (2018).. Et puis en fait on n’a pas besoin de regarder des vidéos d’une heure pour comprendre pourquoi l’idée d’un déterminisme génétique hardcore est absurde. Il suffit de réaliser à quel point nos comportements et nos sociétés ont changé ces 200 dernières années, alors que nos gènes ont très peu changé dans le même temps. Nos gènes ne nous empêchent pas de modifier en profondeur nos comportements et nos sociétés.

Maintenant, il ne faut pas non plus tomber dans l’excès inverse et faire comme si l’environnement était tout puissant, ou comme si le débat inné-acquis n’avait plus aucun sens. Faudrait que je vous fasse une vidéo entière sur « ce qu’il reste du débat inné-acquis », mais comme y’a des chances que ça reste une promesse en l’air, je vous donne très rapidement quelques clés ici.

Si ça n’a pas de sens de se demander si c’est l’inné OU l’acquis qui cause nos phénotypes, ça a du sens de se demander à quel point on peut changer un phénotype en changeant d’environnement. Imaginez que vous ayez des graines de fleurs qui soient identiques génétiquement, qui soient des clones. Vous pourriez vous amuser à les planter dans des environnements différents pour évaluer à quel point les caractéristiques des fleurs sont modifiées. Peut-être que certains traits de votre fleur sont extrêmement sensibles à des variations environnementales, alors que d’autres vont se développer toujours plus ou moins de la même façon.

Vous pourriez aussi vous demander si les différences de comportement que vous observez chez les chats de votre quartier, les uns étant très peureux et les autres non, sont dues au fait qu’ils ont des gènes différents ou au fait qu’ils ne vivent pas dans les mêmes environnements, dans les mêmes maisons. Ça aussi c’est une question qui n’est pas dénuée de sens, et qui est très étudiée chez l’humain à travers ce qu’on appelle les mesures d’héritabilité. Hoplà, je reprends la main deux secondes sur mon moi du passé, qui n’a pas eu la présence d’esprit d’insister sur un point important : remarquez que dans le cas des petits chats, on cherche bien à connaître la contribution relative des gènes et de l’environnement, mais on cherche à connaître cette contribution relative pour expliquer des variations entre individus, pas pour expliquer la valeur absolue d’un trait. Dit autrement, si ça n’a pas de sens de se demander si la taille de ma main est plutôt due à mes gènes ou à mon environnement, ça a du sens de se demander si les différences de taille de main dans une population sont plutôt dues à des différences de gènes ou des différences d’environnements.

Et c’est pas parce qu’on arrive à corriger certains défauts génétiques par l’environnement qu’on arrivera à tous les corriger. D’ailleurs vous remarquerez que quand on met des lunettes on n’a pas vraiment corrigé un défaut génétique, on a juste supprimé l’effet indésirable d’un défaut génétique. Les myopes ont toujours les mêmes yeux pourris quand ils mettent des lunettes, par contre ils n’ont plus les effets indésirables. Pour d’autres maladies génétiques, malgré des décennies de recherche sur le sujet, on n’a encore jamais réussi à trouver d’environnement pouvant les atténuer. Et c’est pareil pour nos capacités cognitives : si l’environnement nous laisse certainement une marge de manoeuvre pour les modifier, la question de savoir si cette marge de manoeuvre est petite ou grande est encore loin d’être résolue. C’est en tout cas une question empirique, qui doit être étudiée au cas par cas, vous ne pouvez pas décider a priori et penser que « oui bien sûr on arrivera à tout modifier comme on veut par l’environnement ».

Enfin, c’est pas parce que la dichotomie naïve inné / acquis est enterrée que vous ne croiserez plus du tout ces termes, il arrive que l’innéité d’un comportement ou d’un programme cognitif soit encore discutée, mais dans des sens très précis.

Par exemple une définition possible d’un trait inné qui ne soit pas trop naïve, ça serait un trait qui se retrouve d’une génération sur l’autre, c’est à dire un trait qui se développe de manière fiable dans une espèce, mais uniquement si ce développement se fait dans des conditions normales. Un trait serait inné s’il se réincarne d’une génération à l’autre dans des conditions normales de développement 4444. Carruthers, Peter et al. The Innate Mind: Structure and Contents (2007)., 4545. Faucher, Luc & Poirier, Pierre. Modularité et Psychologie Évolutionniste (2009). .

Tous vos organes corporels, vos yeux, votre bouche, vos jambes, vont se réincarner dans vos enfants à condition que vous ne les éleviez pas dans une cave sans leur donner à manger. On peut donc dire d’une certaine façon que ce sont des traits innés, sans que cela ne limite l’importance de l’environnement. Vos capacités mentales, vos aptitudes à aimer, mémoriser, compter, parler, vont aussi se réincarner dans vos enfants à condition que vous leur fournissiez un environnement de développement « normal ». Si vous élevez vos enfants dans une cave sans jamais leur adresser la parole, c’est sûr qu’ils ne sauront jamais parler, et ils auront tout un tas d’autres capacités cognitives défaillantes. Mais dans des conditions normales de développement, on s’attend à ce que ces capacités cognitives se réincarnent toujours, et c’est en ce sens qu’on peut dire qu’elles sont innées. Si vous en avez marre de votre dernier né qui fait que vous réveiller la nuit et que vous décidez de le faire adopter à la naissance par une famille vivant à l’autre bout du monde, il va quand même développer les mêmes capacités mentales que vous : il saura parler, compter, aimer, mémoriser. Par contre, il y a des chances pour que cet enfant n’écoute pas la même musique que vous, donc selon cette définition de l’inné, le goût pour une musique en particulier n’est pas inné.

En résumé, s’il existe encore des débats sur les relations gènes / environnement et leurs contributions respectives, la notion d’une séparation nette nature / culture et la notion que « si c’est génétique, on ne peut rien y faire » n’existent plus depuis longtemps en sciences naturelles, si elles ont un jour existé. Dans la continuité de ce mouvement, la psycho évo a depuis le début condamné les dichotomies simplistes, en affirmant que

« La psychologie évolutionnaire n’est pas un autre mouvement du balancier inné / acquis »4646. Cosmides, Leda & Tooby, John. Evolutionary Psychology Primer by Leda Cosmides and John Tooby (1997).. Malheureusement, ça n’empêche pas que cette critique du déterminisme génétique lui soit encore souvent adressée. Sur 39 livres de psychologie publiés entre 2000 et 2004, 80% présentaient la psycho évo de façon incorrecte, et une des erreurs les plus fréquentes consistait à affirmer que la psycho évo fait du déterminisme génétique ou du réductionnisme biologique4747. Cornwell, R. Elisabeth et al. Introductory Psychology Texts as a View of Sociobiology/Evolutionary Psychology’s Role in Psychology. Evolutionary Psychology (2005)., 4848. Winegard, Benjamin M. et al. Misrepresentations of Evolutionary Psychology in Sex and Gender Textbooks. Evolutionary Psychology (2014)..

8. La psycho évo fait du réductionnisme

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Et justement, venons en au réductionnisme. Comme pour le déterminisme, c’est pas toujours clair ce qui est suggéré par cette critique, ça peut vouloir dire plusieurs choses. Dans un sens, le réductionnisme ça a du bon, et c’est ce que s’attachent à faire toutes les sciences. Quand Newton propose sa loi de la gravitation, il fait en quelque sorte du réductionnisme, c’est à dire qu’il essaie de réduire la diversité des mouvements des objets autour de lui à un principe plus profond. Et c’est ce que font aussi toutes les autres sciences, sciences sociales incluses : quand vous postulez que les sociétés sont régies par la lutte des classes ou que les humains sont soumis à un habitus, vous êtes en train de faire du réductionnisme, vous faites appel à des principes profonds pour expliquer le fonctionnement du monde.

Mais il existe une autre forme de réductionnisme qui est moins apprécié, c’est celui reflété par la crainte qu’une discipline vienne à en remplacer une autre un jour, que la biologie vienne remplacer la sociologie par exemple, ou qu’on cherche un jour à expliquer toute la complexité des sociétés humaines rien qu’en faisant une analyse des gènes. Par exemple, l’anthropologue Richard Lee semble craindre ce réductionnisme dans les années 70 quand il déclare que « les modèles mécaniques inspirés du comportement animal et de l’écologie animale, aussi sophistiqués soient-ils, ne peuvent pas rendre justice au plus simple des phénomènes culturels »4949. Smith, Eric Alden et al. Anthropological Applications of Optimal Foraging Theory: A Critical Review. Current Anthropology (1983)..

La question du réductionnisme est un peu compliquée parce qu’elle peut faire référence à des problèmes méthodologiques pas triviaux, comme de savoir si pour étudier un système complexe il faut commencer par le décomposer en chacune de ses parties ou toujours l’étudier de façon globale, parce que le tout est toujours plus que la somme des parties. Mais ce qui certain, c’est que ce que la psycho évo veut faire, ce n’est pas remplacer les sciences sociales par les sciences naturelles, mais plutôt les relier, ou comme le dit l’anthropologue cognitif Dan Sperber, les rendre continues5050. Sperber, Dan. La Contagion des idées (1996)..

Je vous donne un exemple. Quand vous avez appris la biologie au collège et au lycée, vous avez appris des lois qui sont propres aux systèmes biologiques : des lois qui s’appliquent aux écosystèmes, aux organismes et aux cellules, comme la diffusion des hormones, le développement des organes, etc. Et vous rieriez au nez d’un chimiste qui viendrait vous dire que vous pouvez balancer ces lois et tout reformuler en termes d’interactions entre molécules. Les lois de la biologie ne sont pas dans ce sens réductibles aux lois de la chimie. Mais en même temps, quand vous faites de la bio, vous savez que votre champ est continu avec la chimie, c’est à dire que vous savez que les systèmes que vous étudiez sont en réalité des assemblages de molécules, et certains sous-domaines de la biologie comme la biologie moléculaire étudient explicitement cette frontière entre le chimique et le biologique.

Vous savez aussi que même si les lois de la biologie ne se réduisent pas à celles de la physique, biologie et physique restent mutuellement compatibles, les lois de la biologie ne contredisent pas celles de la physique. Y’a pas d’êtres vivants qui ne sont pas soumis à la gravité par exemple. Si vous faites de la chimie, vous avez aussi vos propres lois spécifiques aux systèmes que vous étudiez et que les physiciens n’utilisent pas, et donc vous pouvez dire que la chimie n’est pas réductible à la physique. Mais vous savez aussi que la chimie est continue avec la physique, vous savez quelles forces physiques font tenir les molécules ensemble, ce qui se passe lors d’une réaction chimique, etc.

Hé bien ce que proposent de faire ceux qui cherchent à « naturaliser le social », les psychologues évolutionnaires mais aussi plein d’autres gens en sciences cognitives et sciences naturelles, c’est exactement la même chose. Ils ne veulent pas réduire la complexité des cultures et des sociétés à des histoires de gènes ou de neurones, mais ils veulent rendre continues les sciences sociales avec les sciences naturelles, les rendre mutuellement compatibles. De la même façon qu’aucun physicien ne propose d’expliquer le fonctionnement d’un coeur entièrement en termes de mouvements d’atomes, aucun biologiste ne propose d’expliquer les phénomènes sociaux entièrement en termes de neurones ou de gènes.

Par contre, ces chercheurs pensent que c’est nécessaire d’essayer de relier les connaissances en sciences sociales aux connaissances en sciences naturelles. Pour les psychologues évolutionnaires en particulier, la meilleure façon de faire ça c’est de passer par le niveau psychologique. C’est la psychologie qui peut faire la jonction entre la biologie et la sociologie ou l’anthropologie, parce que la psychologie est une science sociale qui est déjà en grande partie continue avec les sciences naturelles, grâce aux progrès en sciences cognitives de ces 50 dernières années. Ce sont les sciences cognitives qui nous permettent de commencer à comprendre comment des phénomènes traditionnellement étudiés en sciences sociales, comme la morale, la culture ou l’art, peuvent être produits par de la matière. Pour vous ça vous paraît évident que votre activité mentale soit uniquement le produit de votre cerveau, mais y’a encore pas très longtemps on y pigeait rien, c’était incompréhensible comment de la banale matière biologique pouvait produire toute notre vie mentale, nos émotions, nos pensées, notre morale et notre politique. On passait souvent par Dieu pour expliquer tout ça.

Et si aujourd’hui on est encore loins d’avoir tout compris, un gros pas en avant a été fait avec ce qu’on appelle la révolution cognitive, c’est à dire l’idée de considérer le cerveau comme une grosse machine qui fait du traitement de l’information. C’est ça la clé, la notion d’information. Si la matière peut penser, c’est parce que la matière peut faire du traitement de l’information. Aujourd’hui c’est une idée banale parce qu’on est entourés de matière non-biologique qui fait du traitement de l’information et qu’on appelle des ordinateurs. Mais avant les années 1950 tout ça était très mystérieux.

Bref, tout ça pour dire que c’est normal pour des raisons historiques que les sciences sociales et les sciences naturelles aient été séparées. La sociologie est née au XIXe siècle, à une époque où nos connaissances en biologie ne nous permettaient pas du tout d’envisager comment des phénomènes sociaux et culturels comme le droit, la politique, l’art, la religion ou la morale pouvaient provenir de matière biologique. Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas, et même si certains universitaires essaient encore de défendre l’autonomie de leur discipline, on n’a plus le droit de faire comme si un demi-siècle de découvertes en sciences cognitives et en sciences de l’évolution n’avaient pas eu lieu. Il faut maintenant essayer de rendre les sciences sociales continues avec les sciences naturelles, et c’est ce qu’essaient de faire de nombreux chercheurs, même si ça leur vaut de se faire taxer de « réductionnistes » par d’autres. On est en train de vivre une période très excitante parce que c’est probable que dans le siècle qui vient, cette réunification des sciences sociales et des sciences naturelles va s’accélérer. Ma thèse participait de cet effort dans le cas spécifique de la morale, et pour ceux qui ont lu la postface de mon livre, c’est de ce mouvement de réunification dont il est question. Cette réunification est un chantier énorme, qui demandera parfois de réécrire des manuels scolaires entiers parce que pour le moment les sciences naturelles et les sciences sociales ont des lois mutuellement incompatibles. Mais le résultat devrait en valoir la peine.

Et en ce qui concerne la psycho évo spécifiquement, elle a été claire depuis le début que son rôle n’est pas réductionniste mais unificateur. En témoigne cette citation de ses fondateurs il y a trente ans3636. Barkow, Jerome H et al. The Adapted Mind: Evolutionary Psychology and the Generation of Culture (1992). : « En appelant à l’intégration conceptuelle des sciences sociales et comportementales, nous n’appelons ni au réductionnisme ni à la conquête et à l’assimilation d’un champ par l’autre. […] En fait, non seulement les principes d’un champ ne se réduisent pas à ceux d’un autre, mais souvent en établissant des liens entre champs de nouveaux principes apparaissent. »

Et cette magnifique citation qui met la larme à l’oeil va me permettre de conclure cette vidéo en vous expliquant pourquoi la psycho évo est différente, et selon moi meilleure, des autres approches qui ont aussi essayé d’utiliser la théorie de l’évolution pour expliquer le comportement.

9. La psycho évo n’est que la sociobiologie des années 70 qui cherche à se faire un nouveau nom

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Si vous aviez été sur Twitter dans les années 80, vous n’y auriez trouvé aucune critique sur la psycho évo, et pour cause, elle n’existait pas encore. Par contre, vous auriez trouvé un tas de personnes qui s’arrachaient les cheveux sur un truc appelé « sociobiologie »5151. Wilson, Edward O.. Sociobiology: The New Synthesis (1975).. La sociobiologie, c’est la discipline qui a été historiquement la première à vouloir utiliser la théorie de l’évolution pour mieux comprendre le comportement humain, et c’est donc elle qui s’est la première prise dans la tête non seulement les accusations de déterminisme et de réductionnisme qu’on vient de voir, mais également des accusations de racisme et de sexisme qu’on verra plus tard.

Comme la psycho évo étudie aussi l’humain à la lumière de la théorie de l’évolution, certaines personnes pensent que la psycho évo d’aujourd’hui c’est la sociobiologie d’hier qui a simplement changé de nom, en particulier pour essayer d’échapper à ses critiques. Mais c’est une vision assez erronée. L’héritière de la sociobiologie aujourd’hui ça serait plutôt ce qu’on appelle l’écologie comportementale, un champ de recherche très actif et beaucoup plus gros que la psycho évo, parce qu’il étudie le comportement animal en général et pas que l’humain. Mais la psycho évo se démarque de la sociobiologie et de l’écologie comportementale sur un point important : la prise en compte du niveau psychologique.

La sociobiologie d’hier et l’écologie comportementale d’aujourd’hui cherchent avant tout à expliquer les comportements avec la théorie de l’évolution, mais elles ne cherchent pas à expliquer la psychologie. C’est à dire que ces disciplines vont dire, « tiens, avec mes modèles d’évolution je prédis que le comportement qui maximise la fitness d’un organisme est celui-là, allons donc vérifier que ce comportement est effectivement celui qu’on trouve dans la nature ». Par exemple, dans le cas de l’humain les écologues comportementaux vont aller sur le terrain vérifier si les stratégies d’acquisition de ressources des chasseurs-cueilleurs correspondent à des stratégies qui maximisent la quantité de calories récoltées4949. Smith, Eric Alden et al. Anthropological Applications of Optimal Foraging Theory: A Critical Review. Current Anthropology (1983)..

La psycho évo, comme je vous l’ai déjà expliqué, ne cherche pas à étudier les comportements directement, elle cherche avant tout à expliquer les programmes cognitifs qui tournent dans notre tête. La sélection naturelle a un effet sur nos comportements, mais uniquement par l’intermédiaire de nos programmes cognitifs. Et vous avez peut-être l’impression que c’est qu’un détail mais en fait pas du tout. Si historiquement la psycho évo était passée avant la sociobiologie, j’aurais peut-être pas eu besoin de faire 1h15 de vidéo pour vous expliquer pourquoi les humains achètent des capotes et des clopes, parce que c’est quelque chose qui s’explique très facilement si on considère que les humains sont des exécuteurs d’adaptations, mais qui s’explique beaucoup plus difficilement si on considère, comme la sociobiologie, que les humains sont des maximisateurs de fitness. Les humains achètent des capotes et des clopes parce que ce ne sont pas les comportements qui sont sous sélection, ce sont les programmes cognitifs qui le sont. Et ces programmes cognitifs sont sous sélection pour maximiser la fitness en moyenne sur toute une vie. Une fois que ces programmes cognitifs ont été créés, ils vivent leur vie dans notre tête et nous font parfois adopter des comportements maladaptatifs, exactement comme un robot laché dans un nouvel environnement va se mettre à faire plein de choses pour lesquelles il n’était pas conçu. Je passe un peu vite là-dessus mais c’est parce que j’en ai déjà parlé en long et en large dans cette vidéo que je vous recommande de regarder si ce n’est pas déjà fait ().

Un autre problème avec la sociobiologie selon moi, c’est qu’en cherchant à savoir si les prédictions de modèles théoriques d’évolution se retrouvent dans la nature, elle fait croire qu’on peut passer directement de l’évolution aux comportements, en zappant le niveau psychologique et culturel. Quand on lit de la sociobiologie, on a beaucoup plus cette impression de réductionnisme, cette impression que les travaux en psychologie et en sociologie ne servent à rien. On a l’impression qu’on peut sauter directement de l’évolution aux comportements, ou des gènes aux comportements – même si la sociobiologie a aussi été beaucoup caricaturée, et n’est pas aussi naïve qu’on le croit. Alors que dans la perspective de la psycho évo, on passe toujours par le niveau psychologique, et au niveau psychologique l’influence de l’environnement, notamment culturel, est très importante. La psycho évo accueille à bras ouvert la recherche en sciences sociales, elle donne beaucoup moins l’impression de vouloir ou de pouvoir se passer de ces disciplines. En fait, plus j’avançais dans l’écriture de cette vidéo, plus je me rendais compte que les critiques auxquelles je répondais étaient probablement des critiques adressées à la sociobiologie à la base, et que la psycho évo s’est récupérée ensuite parce que les gens n’ont pas compris qu’elle faisait les choses différemment. Si la psycho évo était arrivée avant la sociobiologie, peut-être que les approches évolutionnaires du comportement auraient bien meilleure réputation aujourd’hui (non).

Donc la psycho évo ce n’est pas de la sociobiologie qui a changé de nom, la psycho évo ce sont des chercheurs qui ont trouvé le programme de recherche de la sociobiologie insuffisant, parce qu’il ne donnait pas assez d’importance à ce qui se passe dans le cerveau. On ne peut pas sauter directement des gènes aux comportements, entre les deux se trouve un lien manquant, celui de nos programmes cognitifs. La sociobiologie avait oublié d’embarquer avec elle la révolution cognitive, et la psycho évo se proposait d’y remédier.

Aujourd’hui, l’écologie comportementale, héritière la plus directe de la sociobiologie, s’intéresse toujours assez peu à la psychologie, à ce qui se passe dans le cerveau, elle se focalise surtout sur les comportements5252. Nettle, Daniel et al. Human Behavioral Ecology: Current Research and Future Prospects. Behavioral Ecology (2013).. Beaucoup de chercheurs de ce champ sont conscients de cette limite, et la justifient en disant qu’étudier des programmes cognitifs c’est très dur à faire, la science ne sait pas bien le faire à l’heure actuelle, alors qu’étudier des comportements c’est beaucoup plus facile.

C’est en partie vrai, et c’était même très vrai dans les années 80/90, mais ça l’est beaucoup moins aujourd’hui. Surtout en ce qui concerne l’humain, les neurosciences, la psychologie et les sciences cognitives en général sont devenus des champs gigantesques qui progressent à toute vitesse. Donc bien que l’écologie comportementale humaine ait comme la psycho évo la prétention d’unifier les sciences sociales et les sciences naturelles5252. Nettle, Daniel et al. Human Behavioral Ecology: Current Research and Future Prospects. Behavioral Ecology (2013)., à mon avis, parce qu’elle néglige généralement le niveau psychologique, elle est beaucoup moins bien placée pour ça. Je vois mal comment on pourrait unifier le champ d’étude de l’humain en laissant de côté les sciences cognitives.

Voilà pourquoi c’est très important de ne pas confondre psycho évo et sociobiologie, ou psycho évo et écologie comportementale : c’est occulter qu’il y a des grosses différences conceptuelles entre les deux, et des différences que personnellement je qualifierais d’arguments en faveur de la psycho évo, même si vous imaginez bien que tous les chercheurs ne seront pas d’accord.

10. Résumé

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Bon hé bien on va s’arrêter là si ça ne vous dérange pas, je vous fais un résumé parce que vous l’avez bien mérité.

Dans cette vidéo j’ai voulu lever quelques malentendus qui planent sur la psycho évo en ce qui concerne la question des relations gènes / environnement, nature / culture, inné / acquis, etc. Comme toutes les sciences naturelles d’aujourd’hui, la psycho évo rejette ces dichotomies franches qui ne correspondent à aucune séparation dans le monde réel.

La psycho évo met au contraire l’environnement au coeur de son programme de recherche, et elle ne peut pas faire autrement parce qu’un cerveau pour un biologiste c’est par définition un système fait pour s’adapter à son environnement. Gènes et environnement sont obligatoirement liés, car les gènes sont sélectionnés sur la base de leur interaction avec un certain environnement. Un environnement n’a d’effet que parce que des gènes lui permettent d’avoir cet effet, directement ou indirectement. Et un environnement ne contient pas d’effet en lui-même, et toutes les explications environnementales des comportements, si elles ne sont pas fausses en soi, ne sont que des explications partielles.

La psycho évo ne postule pas que tous les comportements sont innés et présents à la naissance, et elle ne postule pas non plus que l’apprentissage n’a aucun rôle à jouer dans nos comportements ; au contraire, l’apprentissage est souvent très important. Par contre, cet apprentissage est toujours permis par des structures évoluées, et l’inné et l’acquis ne sont pas mutuellement incompatibles ; quand vous postulez qu’un comportement est appris vous n’avez pas dans le même temps rejeté l’importance de l’évolution, parce que c’est l’inné qui permet l’acquis.

La psycho évo ne nie pas non plus l’importance de la plasticité pour expliquer les comportements, mais cette plasticité est elle-même permise par des structures évoluées. Dire qu’un comportement est « plastique » n’explique rien, ce n’est qu’une redescription de son caractère variable. Et ce caractère variable n’est pas très intéressant en soi : ce qui est intéressant, c’est la capacité à varier de façon adaptative, qui elle ne peut être expliquée que par la sélection naturelle.

La psycho évo ne nie pas non plus le rôle de la culture pour expliquer les comportements humains. Mais c’est quelque chose de trivial de dire que la culture affecte les comportements. Ce qui est moins trivial, c’est de se demander comment elle y parvient, et si certaines différences entre populations humaines ne seraient pas causées par de la plasticité phénotypique cognitive, c’est à dire par des programmes cognitifs qui sont universels mais qui produisent des comportements différents quand ils travaillent dans des environnements différents. Dans ce cas, la théorie de l’évolution sera nécessaire pour expliquer pourquoi certains comportements ont été pré-chargés dans nos cerveaux et ne sont joués que dans certains environnements. Il faut aussi se méfier du mot « culture » utilisé comme un mot magique ou une simple redescription, comme une étiquette collée sur des différences entre populations. Et il faut aussi se méfier des études qui cherchent à mettre en évidence une influence de la culture en ne se basant que sur des corrélations, sans avoir contrôlé pour des facteurs génétiques confondants.

Enfin, parce qu’elle donne toute sa place à l’environnement, la psycho évo ne fait pas de déterminisme génétique, pas plus qu’elle n’a l’intention de cannibaliser toutes les autres disciplines qui étudient déjà l’humain. La psycho évo cherche plutôt à rendre continues et mutuellement compatibles les différentes disciplines, en insistant sur le niveau psychologique, ce que n’avaient pas fait les programmes de recherche précédents.

En fait, vous remarquerez que toutes les critiques qu’on a vues aujourd’hui peuvent s’expliquer par une vision trop simpliste du type de comportement qu’est capable de produire l’évolution. Si vous pensez que les seuls comportements que peut produire l’évolution sont ceux qui sont présents à la naissance et qui ne varieront pas tout au long de la vie, une vision un peu véhiculée par la métaphore « un gène code pour un comportement », alors dans ce cas on comprend pourquoi on pourrait reprocher à la psycho évo de nier le rôle de l’apprentissage, de la plasticité, de la culture, etc. Mais dès que vous abandonnez cette vision simpliste et que vous la remplacez par la vision de gènes qui codent non pas pour des comportements mais pour des programmes cognitifs, qui eux sont très flexibles, plastiques, dépendants d’un apprentissage, du milieu culturel et de tout ce que vous voulez, toutes ces critiques disparaissent d’elles-mêmes. On peut alors commencer à débattre des questions plus intéressantes, sur le rôle qu’a pu jouer la sélection naturelle dans la création de tous ces programmes flexibles et sophistiqués.

Il y a bien sûr des avis différents sur ces questions intéressantes, il y a différentes façons de concevoir les relations gènes-environnements, il y a différentes façons d’envisager comment l’évolution a pu nous prédisposer à apprendre certaines choses plutôt que d’autres, y’a encore plein de débats entre les chercheurs. Le cadre que je vous ai présenté aujourd’hui n’est probablement pas parfait, je voulais juste vous montrer qu’on est assez loin de la présentation qu’on fait parfois d’un cadre déterministe, innéiste et réductionniste4747. Cornwell, R. Elisabeth et al. Introductory Psychology Texts as a View of Sociobiology/Evolutionary Psychology’s Role in Psychology. Evolutionary Psychology (2005)., 4848. Winegard, Benjamin M. et al. Misrepresentations of Evolutionary Psychology in Sex and Gender Textbooks. Evolutionary Psychology (2014).. Je ne peux rien faire de plus contre ces critiques que ce que j’ai fait aujourd’hui, et vous laisser décider par vous-mêmes si elles sont bien justifiées. Je continuerai ce travail dans la prochaine vidéo en vous parlant des soit-disant problèmes méthodologiques attribués à la psycho évo.

Merci à zlita, Nicolas, Wikijou, Nicolas Hervé, THIBAUT et aux 300 autres humains qui me soutiennent sur utip et tipeee, vous êtes l’environnement sans lequel mes gènes ne pourraient pas s’exprimer.

Merci aussi à mes relecteurs, et je vais aussi commencer à vous recommander des livres à la fin de mes vidéos pour que vous puissiez creuser les sujets par vous-même. Aujourd’hui, parce qu’on a beaucoup parlé d’apprentissage et de plasticité, je vous recommande Apprendre !: Les talents du cerveau, le défi des machines, par Stanislas Dehaene. C’est un livre bien parce qu’il mélange à la fois réflexions abstraites sur « c’est quoi apprendre », en prenant en exemple l’apprentissage en intelligence artificielle et l’apprentissage bayésien, et illustrations concrètes de comment l’apprentissage et la plasticité ont lieu, notamment chez les bébés. En plus, Stanislas Dehaene insiste souvent pour dire que l’apprentissage est à la fois permis et contraint par l’évolution, évolution et apprentissage ne sont pas deux choses qui s’opposent, donc ça c’est cool. Et puis il vous donne des conseils très pratiques si vous voulez optimiser vos apprentissages, c’est à dire si vous voulez apprendre à apprendre, ce qu’on ne nous a bizarrement jamais appris à l’école. Bonne lecture !

Références

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    2 réponses à “La culture est une construction biologique (et vice et versa) – psycho evo #6”

    1. Avatar de Cazorp
      Cazorp

      Bonjour et merci pour votre travail.
      Je suis surpris de ne pas trouver les travaux de Joseph Henrich et son ouvrage « The Secret of Our Success: How Culture Is Driving Human Evolution, Domesticating Our Species, and Making Us Smarter » (2015), traitant très précisément et en profondeur ce sujet. Est-ce une omission délibérée ? Si oui, les travaux de Henrich et son labo sont-ils discutés/discutables ?
      Merci !

      1. Avatar de Stéphane
        Stéphane

        Bonjour,
        je me suis surtout concentré sur les critiques faites à la psycho évo dans cette vidéo, pour un réel traitement de la culture ça sera pour une autre fois.
        Henrich est discuté/discutable oui bien sûr, mais comme tout le monde dans ce domaine. Lui insiste sur l’importance de l’évolution pour comprendre la culture, il est « psychologue évolutionnaire » dans ce sens, mais il fait partie des plus culturalistes des psychologues évolutionnaires, rejetant par exemple l’universalité de certaines dispositions cognitives (comme le sens moral).

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