La culture est une construction biologique (et vice et versa) – psycho evo #6

Etes-vous un produit de vos gènes, ou de votre environnement ?

Quelle est la place de l’environnement en psycho évo ? Se préoccuper de gènes et d’évolution, est-ce être déterministe et réductionniste ? Et la culture dans tout ça ?

Dans cette vidéo je lève quelques malentendus en ce qui concerne la question des relations gènes / environnement, nature / culture, inné / acquis, etc.

Transcription de la vidéo pour ceux qui préfèrent le texte :

Personne lambda : « Penser que ce sont les gènes qui décident de nos comportements,
c’est pas un peu du déterminisme ? Et puis c’est ultra-réducteur quand même, ya la culture
qui est beaucoup plus puissante pour expliquer les comportements. Et puis l’apprentissage et
l’éducation aussi, ils nous permettent de modifier ce que la biologie a fait de nous. La recherche
en plasticité cérébrale montre d’ailleurs qu’on peut remodeler le cerveau. Toutes ces disciplines
qui expliquent les comportements par la biologie, comme les neurosciences, la génétique ou la
biologie du développement sont déterministes, réductionnistes, innéistes, et aveugles au rôle
central de l’environnement. Et la psychologie évolutionnaire en particulier, c’est vraiment de la
merde. »

Je ne sais pas si vous vous rappelez, dans la première vidéo de cette série je vous avais dit
que je voulais commencer par vous présenter la psycho évo de façon non-défensive, c’est à dire
sans parler de ses critiques. J’espère que ça vous a plu, et que ça vous aura permis de vous
faire une idée du champ un peu plus nuancée que celle qui est véhiculée par les experts sur
Twitter. Mais ce temps est maintenant révolu, et les cinq prochaines vidéos seront consacrées
à répondre aux critiques. Oui oui, cinq vidéos sur les critiques, parce que y’a de la matière et
beaucoup de choses intéressantes à dire. Dans cette première vidéo on va discuter des critiques
qui reprochent de ne pas assez prendre en compte le rôle de l’environnement. Dans la prochaine
vidéo on parlera des critiques plus méthodologiques. Dans la troisième vidéo on parlera des
critiques politiques, des craintes sur les récupérations de ces recherches. Dans la vidéo suivante
je vous présenterai le climat d’hostilité général à la biologie du comportement dans lequel s’est
construit le champ. Et enfin dans une dernière vidéo je vous parlerai des reproches que fait la
psycho évo aux sciences sociales traditionnelles, histoire que les critiques n’aillent pas toujours
dans le même sens. [plan].

Ce sont des vidéos que vous m’avez beaucoup demandées,
et qui m’ont chacune demandé des semaines, voire des mois de travail, alors j’espère qu’elles vous
plairont. C’est pas trop le genre de vulgarisation à laquelle vous êtes habitués, parce qu’on va
parler de méta-science plus que de science, mais ces vidéos vous apporteront une compréhension
beaucoup plus fine de ce qu’est vraiment la psycho évo et d’où viennent ses critiques.
Sans plus attendre, démarrons tout de suite avec un gros morceau, les relations gènesenvironnement.

Peut-être que vous vous dites que parce que la psycho évo insiste sur les gènes
et l’évolution, elle sous-estime voire nie carrément le rôle de l’environnement pour expliquer
les comportements. La psycho évo serait trop focalisée sur ce qui se passe à l’intérieur d’un
humain, sur ses gènes ou ses neurones, et pas assez sur ce qui se passe à l’extérieur, le social,
la culture, et l’environnement au sens large. Alors qu’est-ce qu’on peut répondre à ça ?

1.1 La psycho évo nie le rôle de l’environnement

Si vous pourrez toujours avancer que l’importance de tel ou tel environnement particulier
est oubliée, dire qu’elle néglige l’environnement en général c’est l’avoir tout simplement mal
comprise. En fait cette critique est même assez ironique, parce que comme je vous l’ai expliqué
dans cette vidéo [vidéo], d’une certaine façon la psycho évo prend plus en compte l’environnement
que les sciences sociales traditionnelles : elle le prend en compte non seulement au
niveau immédiat et au niveau développemental comme le font les sciences sociales, mais aussi
au niveau ancestral. C’est à dire qu’en plus de prendre en compte l’environnement dans lequel
on grandit, elle prend en compte l’environnement dans lequel on a évolué depuis des millions
d’années.

Je reprends l’exemple de la peur des serpents. Pour que vous ayez peur d’un serpent, il
faut bien sûr qu’il y ait un serpent devant vous. C’est l’environnement immédiat, c’est la
première intervention de l’environnement dans la détermination du comportement. Mais il
faut aussi avoir appris à avoir peur des serpents, en particulier pendant l’enfance : c’est le
deuxième niveau d’intervention de l’environnement, le niveau développemental. Mais on ne
peut toujours pas s’arrêter là : si on est capables d’apprendre à avoir peur des serpents plus
facilement que d’autres objets comme des kinder surprise par exemple, c’est parce qu’on a
évolué pendant des centaines de milliers d’années dans des environnements qui comportaient
des serpents dangereux [1-3].

On ne peut donc pas s’arrêter à l’importance de l’environnement immédiat et de l’environnement
développemental pour avoir une explication complète du comportement. Il faut encore
remonter d’un cran et prendre en compte l’importance de l’environnement ancestral. Et on n’a
pas d’autre choix que de prendre en compte ces trois environnements, parce que ces trois environnements
ne font qu’un. L’environnement immédiat est le prolongement de l’environnement
de notre enfance qui est le prolongement de l’environnement dans lequel nos ancêtres ont vécu.

Et ce que nous dit la théorie de l’évolution, c’est que nous sommes tous, en tant qu’êtres vivants,
des systèmes biologiques créés par des gènes ayant réussi à survivre à cet environnement
depuis des millions d’années.

Ce que ça veut dire, c’est que quand vous commencez à parler de gènes et d’évolution, vous
n’êtes pas en train de rabaisser l’importance de l’environnement en même temps. Vous êtes
simplement en train d’insister sur un environnement particulier, l’environnement ancestral. Si
notre petite vie d’humains n’a commencé qu’à notre naissance, nos gènes, ça fait des milliers,
des centaines de milliers, des millions d’années qu’ils roulent leur bosse sur la planète.

Pendant
tout ce temps, ils ont déjà été confrontés à des environnements. Et les gènes qui ont créé
aujourd’hui les machines biologiques que nous sommes ne doivent leur existence présente qu’à
leur capacité à avoir traversé tous ces environnements passés. Donc parler de gènes implique
toujours de parler d’environnement, l’un ne va pas sans l’autre.

À cause de ça, dans un sens on peut dire que les êtres vivants sont des miroirs d’environnements,
des négatifs de leur environnement [4]. Un bon biologiste devrait être capable de deviner
dans quel type d’environnement un être vivant évolue rien qu’en analysant ses adaptations. Si
vous étiez un bon biologiste, et que je vous ramenais une espèce animale inconnue d’une autre
planète, vous devriez être capable de deviner dans quel environnement elle évolue. Si elle a des
pattes palmées il y a des chances qu’elle vive dans l’eau. Si elle a une grosse fourrure il y a des
chances qu’elle vive dans le froid. Si elle a des pattes palmées et une grosse fourrure il y a des
chances qu’elle vive en Bretagne. Etc. Les êtres vivants sont des miroirs d’environnements.
L’environnement est donc et a toujours été une notion centrale en biologie et en évolution.

Quand la psycho évo insiste sur l’importance de l’évolution pour comprendre le comportement
humain, elle n’est donc pas en train d’ignorer l’environnement, elle est au contraire en train
d’insister sur l’importance de l’environnement, mais d’un environnement particulier, l’environnement
ancestral. La psycho évo ne dit pas « hey, l’environnement social et culturel tel qu’étudié
par les sociologues ou anthropologues n’a aucun rôle à jouer », elle dit simplement, « un autre
environnement est aussi à prendre en compte, l’environnement ancestral ».

Et c’est là que ça devient intéressant, parce que contrairement à ce que beaucoup croient, il
peut y avoir complémentarité entre les disciplines. Certaines personnes pensent pouvoir se passer
des sciences naturelles pour expliquer le comportement à partir du moment où elles arrivent
à expliquer la variance d’un comportement par la variance d’un environnement. Par exemple,
si on observe que des enfants qui grandissent dans un environnement X ont un comportement
différent des enfants qui grandissent dans un environnement Y, on va en conclure que ces
comportements différents ont été causés par ces environnements différents, et on pensera qu’on
peut s’arrêter là pour les explications. On voit assez mal ce que la biologie ou la génétique
pourraient apporter de plus. Et pourtant, si, la biologie peut apporter quelque chose de plus,
à partir du moment où on comprend que l’environnement pertinent pour un être vivant est un
produit de l’évolution tout autant que ses gènes [5].

1.2 L’environnement pertinent est un produit de l’évolution tout autant que les gènes

Qu’est-ce que ça veut dire que l’environnement pertinent est un produit de l’évolution tout
autant que les gènes ? Je vais reprendre l’exemple dont je vous ai déjà parlé dans la vidéo
précédente, les reptiles dont le sexe est déterminé par la température d’incubation des oeufs.
Vous avez tous déjà certainement entendu que dans certaines espèces, par exemple les tortues,
en-dessous d’une certaine température, les oeufs donnent des mâles, et au-dessus, les oeufs
donnent des femelles, ou inversement [6, 7].

Dans ce cas, on a tout de suite envie de dire que
c’est l’environnement et pas les gènes qui a déterminé le sexe. Et c’est effectivement correct de
dire ça, mais il faut remarquer que c’est correct uniquement dans un certain cadre, le cadre
de l’étude des reptiles. Parce que quand le cadre n’est plus certaines espèces spécifiques mais
l’ensemble des espèces animales, on se rend bien compte que les gènes sont toujours importants
pour expliquer la détermination du sexe. Si vous prenez un embryon de tortue et que vous le
mettez au frigo, vous allez pouvoir modifier son sexe. Mais si vous faites la même chose avec
un embryon d’humain, il ne va rien se passer, mis à part la police qui va venir frapper à votre
porte. Et pourquoi il ne se passe rien ? Parce que chez nous les humains, les gènes qui régulent
le sexe ne sont pas sensibles à la température. Autrement dit, si la détermination du sexe des
reptiles est sensible à la température, c’est parce que les reptiles ont des *gènes* qui font que
cette détermination est sensible à la température. Donc quand on dit que la détermination
du sexe des reptiles ne dépend que de l’environnement, il faut toujours se rappeler que c’est
uniquement vrai dans un certain contexte, dans le contexte de ce qui se passe à l’intérieur de
ces espèces. Si vous cherchez plutôt à expliquer pourquoi ça se passe comme ça chez les reptiles
mais pas dans d’autres espèces, vous serez obligé de prendre en compte l’importance des gènes.

Et c’est pareil pour une quantité d’autres traits, on se rend bien compte du rôle primordial
des gènes dès qu’on dézoome et qu’on compare les espèces les unes aux autres. Si vous nourrissez
une larve d’abeille avec de la gelée royale, elle va se transformer en reine. Alors que si vous
nourrissez votre bébé avec de la gelée royale, jamais il n’ira prendre son thé à Buckingham
Palace. Les ultraviolets attirent les insectes, alors que les ultraviolets n’ont aucun effet sur
nous humains, en fait on sait même pas les détecter. Ces exemples montrent que quand un
environnement est capable d’avoir un effet sur un organisme, c’est uniquement parce que cet
organisme a des gènes qui lui permettent d’être affecté par cet environnement.

D’une certaine façon, on peut donc dire que c’est la sélection naturelle qui décide de l’environnement
pertinent pour un être vivant. Pour nous humains, les rayons ultraviolets, la gelée
royale et la température d’incubation ne sont pas de l’environnement pertinent. Et pourquoi
c’est pas de l’environnement pertinent ? Parce que c’est pas de l’environnement qui nous a
permis dans le passé d’améliorer nos chances de survie. Pour les abeilles, les ultraviolets par
exemple, c’est de l’environnement très pertinent, parce qu’ils permettent de discriminer les
fleurs. Mais pour nous humains, les ultraviolets ne correspondent à aucune source de nourriture
importante.

En fait, on a même pas besoin de parler d’avantages de survie, peut-être qu’il n’y a pas
d’avantages de survie au fait que le sexe des reptiles soit influencé par la température. Peut-être
que c’est un hasard de l’évolution, mais même dans ce cas, ça restera l’évolution qui aura décidé
que la température est un paramètre important pour les reptiles, parce que la détermination
du sexe restera contrôlée par des gènes.

Mais attendez il y a encore mieux. Non seulement l’évolution décide de l’environnement
pertinent pour un être vivant, mais elle décide de la *façon* dont cet environnement va affecter
cet être vivant. Nous les humains, la température ne nous fait pas changer de sexe, par contre
elle nous fait transpirer ou grelotter. Ou comme on l’a vu dans une vidéo précédente, nous
les humains sommes repoussés par un excrément, alors que des mouches vont se jeter dessus.
Un même environnement peut affecter le comportement d’êtres vivants de façon différente. Et
pourquoi ? Parce que les comportements qui augmentent les chances de survie ne sont pas les
mêmes chez toutes les espèces, et que cela se reflète dans la façon dont les cerveaux de ces espèces
réagissent aux environnements. Pour nous humains, un excrément est une source d’infection.
Pour une mouche, c’est une source de nourriture. Comme le formule le psychologue Steven
Pinker : « tout l’intérêt d’un cerveau est de réaliser certains objectifs, mais l’environnement n’a
aucune idée de ce que sont ces objectifs » [8]. C’est le cerveau, et les gènes qui ont construit ce
cerveau qui apportent les objectifs.

Et donc, contrairement à ce qu’on croit intuitivement, l’environnement ne porte pas en soi
d’information sur la façon dont il va affecter un être vivant. Je vous répète ça parce que c’est
à la fois très banal mais également très important et très mal compris : l’environnement ne
porte pas en soi d’information sur la façon dont il va affecter un être vivant. On
a intuitivement l’habitude de penser qu’un environnement possède une force intrinsèque qui
va pousser les êtres vivants à agir d’une certaine façon. Mais c’est faux. Il n’y a rien dans la
température qui porte en soi d’information sur comment affecter un être vivant : on l’a vu, pour
les reptiles la température pendant le développement embryonnaire induit un changement de
sexe, mais pour nous elle n’a pas les mêmes effets. La gelée royale ne porte pas non plus en elle
d’information sur la façon dont elle va modifier un être vivant. Une larve d’abeille est fortement
affectée par la consommation de gelée royale, alors que pour toutes les autres espèces c’est une
nourriture comme une autre. Le même environnement peut affecter différents organismes de
différentes façons, tout va dépendre des gènes que possèdent ces organismes.

Ce qui est incroyable, c’est qu’en principe, rien ne s’opposait à ce que la température
influence aussi le sexe des humains. En principe, rien ne s’opposait à ce que la sélection naturelle
construise un humain dont le sexe est en partie déterminé par la température, si ça avait pu
être utile pour une raison ou une autre. Et rien ne s’opposait non plus en principe à ce que le
sexe des reptiles soit déterminé par autre chose que la température, quelque chose de beaucoup
plus loufoque et poétique, comme le passage d’une étoile filante dans le ciel. Oui oui, si jamais
le passage d’une étoile filante s’était révélé quelque chose de pertinent pour les chances de
survie d’un reptile au cours de l’évolution, on peut tout à fait imaginer qu’une espèce de
reptile quelque part sur terre réagirait au passage des étoiles filantes, et on nagerait en pleine
poésie. La sélection naturelle peut construire toutes sortes d’associations loufoques entre un
environnement et un phénotype – elle a des contraintes matérielles et historiques comme on
en a déjà parlé, mais en-dehors de ces contraintes, toutes les associations sont possibles, même
les plus loufoques. D’ailleurs quand on entend parler pour la première fois des reptiles dont le
sexe est dépendant de la température, ça nous émerveille, c’est de la poésie, parce que c’est
une association loufoque pour nous humains. Les poissons femelles qui changent de sexe quand
il n’y a plus de mâle dans le groupe, c’est aussi de la poésie. Les oiseaux qui se barrent à
l’autre bout du monde dès que la durée du jour diminue, c’est de la poésie. Si ça nous paraît
maintenant banal, c’est parce qu’on y est habitués, c’est de la poésie qu’on lit tous les jours.
Mais en y réfléchissant, ces comportements sont aussi beaux qu’un crocodile qui changerait
de sexe au passage d’une étoile filante. Quand on y réfléchit, qu’est-ce que c’est beau que le
niveau d’agitation des molécules de l’air, c’est à dire la température, soit capable de changer
les cellules reproductrices qu’un être vivant pourra produire tout au long de sa vie. Qu’est-ce
que c’est beau que la quantité de photons qu’un tas d’atomes emplumé détecte en 24h puisse
pousser ce tas d’atome à changer sa position de 10 000 km dans l’univers. Et qu’est-ce que c’est
beau qu’un tas d’atomes à écailles qui détecte qu’il n’y a plus d’autre tas d’atomes à écailles
avec qui se reproduire autour de lui soit capable de changer sa taille, sa couleur et son sexe
pour pouvoir se reproduire quand même.

Voilà pourquoi je vous disais que l’environnement peut aussi être considéré comme un produit
de l’évolution. Un environnement ne devient pertinent pour un organisme que parce que
cet organisme a des gènes qui le rendent sensible à cet environnement. Et la façon dont cet
environnement va affecter cet organisme est aussi souvent inscrite dans ses gènes. C’est une
simple conséquence du fait que l’évolution sélectionne les gènes sur la base de leur interaction
avec un environnement – on a l’habitude de dire que l’évolution travaille sur des gènes, mais elle
travaille en fait sur des interactions gènes-environnement. Le matériel de l’évolution, c’est pas
les gènes, c’est les interactions entre gènes et environments. Un gène est sélectionné lorsqu’il
produit des bons effets dans un environnement donné.

Dit autrement, à chaque fois que l’évolution a sélectionné un gène plutôt qu’un autre, elle
a en même temps sélectionné un environnement pertinent plutôt qu’un autre. Sur les milliards
de stimuli différents qui existent dans notre environnement, nos gènes ne réagissent qu’à une
toute petite partie, la majorité du temps les stimuli qui augmentent nos chances de survie et de
reproduction. L’environnement n’est donc pas quelque chose de complètement « non-biologique
» qui viendrait modifier ou tempérer ce que l’évolution a fait de nous. L’environnement doit
aussi être analysé dans une perspective biologique, parce que c’est l’évolution qui décide en
grande partie de quels environnements sont pertinents pour nous et de comment nous allons y
réagir.

Et par environnement, j’entends bien tout l’environnement, qu’il soit physique comme la
température, mais aussi social ou culturel. De la même façon que vous ne pouvez pas comprendre
pourquoi la température affecte un organisme sans parler de gènes et d’évolution, vous ne pouvez
pas comprendre pourquoi le social et le culturel affectent les humains sans parler de gènes et
d’évolution. Si nous sommes sensibles à certains aspects du monde social et culturel qui nous
entoure, c’est parce que nos programmes cognitifs ont évolué pour y être sensible, et s’ils ont
évolué pour y être sensibles, c’est parce que ces aspects ont été d’une manière ou d’une autre
importants pour les chances de survie et de reproduction de nos ancêtres.

Et c’est pour ça qu’on peut dire que même un truc hyperculturel comme l’attrait pour une
chanson des Beatles peut être éclairé par une analyse évolutionnaire. Non pas qu’il existerait
un gène qui fait aimer la musique des Beatles. Non pas qu’écouter la musique des Beatles
augmenterait les chances de survie. Mais parce que si nous sommes sensibles à une chanson
des Beatles, c’est parce que nos gènes ont créé des programmes cognitifs qui, pour une raison
ou une autre, sont sensibles à certains éléments mélodiques ou rythmiques de la musique des
Beatles. Cette explication n’exclut pas l’importance de l’environnement : si vous n’avez jamais
écouté de Beatles auparavant, peut-être que vous ne les aimerez pas la première fois que vous
les écouterez. Mais l’environnement n’est pas non plus suffisant pour tout expliquer, et pour
s’en convaincre, il suffit de dézoomer et de regarder ce qui se passe dans d’autres espèces. Même
si vous faites écouter « All you need is love » tous les jours à votre caniche, jamais il ne se
mettra à danser sur son lit à l’écoute de ce titre comme vous pouvez le faire. Ne niez pas, jvous
ai vu, ce petit déhanché vous va d’ailleurs très bien. Et cette différence entre vous et votre
caniche vient du fait que vous n’avez pas les mêmes programmes cognitifs. Votre caniche n’a
pas les programmes cognitifs sensibles à ce type de stimulus de l’univers, à la guitare de George
Harrison ou aux roulements de Ringo Starr. Le biologique reste donc important même pour
expliquer un truc aussi culturel que l’attrait pour une chanson des Beatles. Simplement, pour
s’en rendre compte, il faut prendre du recul, il faut dézoomer, il faut sortir du cadre explicatif
interne à l’espèce. En fait, tout ce avec quoi un humain interagit au cours de sa vie peut dans
ce sens être éclairé par la biologie, parce que nous sommes des êtres biologiques, et que nous
interagissons avec notre environnement par l’intermédiaire d’organes biologiques, en premier
lieu desquels notre cerveau.

Et c’est maintenant que je peux revenir à la complémentarité entre disciplines, vous allez
comprendre pourquoi je vous parle de tout ça. Comme je vous le disais en intro, en sciences
sociales on a l’habitude d’insister sur l’importance de l’environnement pour expliquer les comportements.

Vu tout ce qu’on vient de dire sur l’importance de l’environnement en biologie,
ces deux approches sont donc en grande partie compatibles. Par contre, il faut accepter que les
explications environnementales ne soient que des explications locales, et que pour obtenir une
explication globale, il faille faire appel à la biologie et à la théorie de l’évolution. Vous pouvez
continuer à dire que si un groupe d’humain se comporte d’une façon X, c’est parce qu’il a été
exposé à un environnement Y. Mais il faut ensuite expliquer pourquoi cet environnement Y est
important plutôt qu’un autre, et pourquoi il produit des effets dans une certaine direction [9].
Or je vous rappelle ce qu’on a vu plus haut : « l’environnement ne porte pas en soi d’information
sur la façon dont il va affecter un un être vivant ». C’est pourquoi pour répondre à ces
questions, vous avez besoin de la biologie et de la théorie de l’évolution.

Cette cohabitation sciences sociales / biologie n’est pas si utopique que ça. Imaginons que
les sociologues ne soient pas restreints à l’étude de l’espèce humaine et se soient amusés à appliquer
leurs méthodes à l’étude du comportement la tortue. Ils auraient mis en évidence que la
température est un paramètre environnemental important pour déterminer le sexe des tortues,
mais ça n’aurait pas empêché ensuite les biologistes d’étudier *pourquoi* la température est
un paramètre important et pourquoi elle change le sexe dans une certaine direction [10]. La
division du travail est possible, et il y aurait complémentarité dans ces approches. Hé bien il n’y
a pas de raisons que cette complémentarité disparaisse quand on passe de l’étude des tortues à
l’étude de l’humain. Les biologistes ne seront jamais surpris d’apprendre que l’environnement
physique ou social a un effet important sur les humains, c’est ce qu’ils observent déjà dans
toutes les autres espèces sociales. Et les sciences sociales peuvent continuer à se restreindre à
l’étude de ces effets environnementaux. Mais cela ne doit pas empêcher les biologistes qui le
veulent d’étudier pourquoi ces environnements sont importants, et pourquoi ils ont les effets
qu’ils ont.

En résumé, la psycho évo ne nie pas l’importance de l’environnement présent, elle ne fait
que rappeler l’importance de l’environnement ancestral. Et elle insiste pour dire que toutes les
explications qui ne s’appuient que sur l’environnement immédiat ou développemental ne sont
que partielles. Pour que ces explications deviennent globales, il faut expliquer pourquoi ces
environnements sont pertinents plutôt que d’autres, et pourquoi ils poussent à agir dans une
certaine direction [5]. Et ça, on ne peut le faire qu’en parlant de cerveau, de gènes et d’évolution.

La psycho évo ne souhaite donc pas qu’on détruise les explications environnementales. Mais elle
milite pour qu’on fasse des explications du comportement complètes, qui en plus de prendre en
compte les aspects sociaux et culturels, ne négligent plus l’aspect génétique, psychologique ou
évolutionnaire.

1.3 La psycho évo pense que tous les comportements sont présents à la naissance

Alors maintenant peut-être que vous allez me dire, ok homo fabulus, la psycho évo ne néglige
pas l’environnement, mais quand même, c’est stupide de postuler que certains comportements
sont innés parce qu’on voit bien qu’à la naissance un bébé ça sait rien faire d’autre que bouffer,
dormir et remplir sa couche. Tout ce qu’il se met à faire ensuite en devenant adulte vient donc
forcément de son environnement.

Ce à quoi je répondrais que l’innéité d’un comportement n’implique pas que ce comportement
soit présent à la naissance. L’équation inné = présent à la naissance vient d’une vision
simpliste des relations gènes – environnement, qui pourrait ressembler à ça. [Schéma] Avant la
naissance c’est le domaine du génétique et du biologique, et après la naissance c’est le domaine
de l’environnement, de l’éducation et de la culture. La génétique fournirait le matériau de base,
et ensuite c’est l’environnement qui s’occuperait de façonner ce matériau, comme le potier façonne
la glaise ou le commis la mayonnaise. Et donc en particulier si un comportement n’est
pas présent à la naissance, ça voudrait dire qu’il n’est pas biologique, ou qu’il n’est pas inné,
ou qu’il n’est pas génétique.

Évidemment vu tout ce qu’on a dit auparavant, cette vision est fausse. Par exemple, le fait
que ce soient les gènes qui décident en grande partie de l’environnement pertinent pour un
organisme implique que les gènes ont leur mot à dire tout au long de la vie.

De très nombreux traits ont aussi des bases biologiques ou génétiques sans être présents à
la naissance. Vos dents par exemple sont codées génétiquement, et pourtant elles ne sont pas
présentes à la naissance, elles mettront plusieurs mois à se développer. D’autres trucs mettent
plusieurs années à se développer, comme les seins ou la pilosité. Et pourtant, je pense que
personne n’irait refuser à ma barbe son caractère inné. Il se trouve que différents organes ont
différents temps de maturation – et en fait, même si ça nous amènerait un peu loin d’en parler,
ces temps de maturation sont eux-mêmes sous sélection, c’est à dire que si un bébé n’a pas
de dents à la naissance, c’est probablement pas par hasard, mais parce que la nourriture qu’il
consomme à ce moment de sa vie ne nécessite pas de dents, et donc la sélection naturelle fait
des économies en ne développant pas ce trait tant qu’il ne sert pas, comme quand vous attendez
le dernier moment pour acheter votre carte de réduction sncf.

C’est pareil pour nos programmes cognitifs. Aucune raison qu’ils soient déjà tous présents et
fonctionnels à la naissance. Notre cognition peut avoir besoin de temps pour se développer, de
plusieurs mois voire de plusieurs années. Si un bébé humain n’est pas capable de faire quelque
chose à la naissance, ça ne veut pas dire que cette chose est entièrement apprise ou culturelle.
Les bébés peuvent quand même être pré-câblés pour produire ce comportement plus tard, ils
peuvent être préparés, prédisposés à développer plus tard un certain type de comportement.

Un exemple classique c’est le désir sexuel. Si vous n’avez commencé à ressentir vos premiers
émois sexuels qu’à l’adolescence, ce n’est probablement pas un hasard, mais parce qu’avant ça
votre corps n’était physiquement pas prêt pour se reproduire, et qu’avoir des envies sexuelles
n’aurait pas servi à grand-chose. Cette synchronisation du physique et du psychologique porte
la marque de la sélection naturelle, qui joue les chefs d’orchestre en coordonnant le corps et
l’esprit, tout en faisant la chasse aux coûts inutiles. Petit aparté, rigoureusement, on devrait pas
dire que la sélection naturelle coordonne corps et esprit, on devrait dire que pour la sélection
naturelle, il n’y a pas de différence entre corps et esprit. La sélection naturelle ne voit pas si un
gène affecte le corps ou l’esprit, tout ce qu’elle voit, c’est si un gène augmente les chances de
survie ou pas. Et pour augmenter les chances de survie, de nombreuses adaptations ont besoin
d’être à cheval sur le corps et l’esprit : rien ne sert d’avoir des membres adaptés à la bipédie si
vous n’avez pas en même temps le logiciel pour se tenir debout. Rien ne sert d’avoir une bouche
si vous ne ressentez pas une envie de manger quand vos réserves d’énergie s’épuisent. Et rien
ne sert d’avoir des organes reproducteurs si vous n’avez pas les envies sexuelles qui vont avec.
Fin de l’aparté.

Et inversement, si le rôle de la génétique ne s’arrête pas à la naissance, le rôle de l’environnement
démarre avant la naissance. L’environnement est important même avant la naissance.
Il s’agira principalement d’un environnement biologique et pas d’un environnement culturel ou
social, c’est à dire que l’environnement consistera en les hormones et substances auxquelles le
foetus est exposé dans le ventre de sa mère, mais ça sera un environnement quand même. Il
y a un certain nombre de traits qui semblent être crucialement dépendants de cet environnement
pré-natal, comme le fait d’être gaucher. Etre gaucher ne semble pas être dépendant de la
culture : plutôt l’inverse même, puisque même si on a forcé des générations de gauchers à écrire
de la main droite, dans les cas où ça a marché ils continuent à préférer utiliser leur main gauche
pour toutes les autres tâches que l’écriture [11]. Mais être gaucher n’est pas entièrement sous
contrôle génétique. Comment on le sait ? Parce qu’il arrive souvent que des jumeaux monozygotes,
donc des clones du point de vue génétique, n’aient pas la même préférence de main [12].
Si c’est pas un truc culturel, lié à l’éducation, et si c’est pas non plus entièrement génétique,
qu’est-ce qu’il reste ? L’environnement pré-natal. Ceux d’entre vous qui êtes gaucher, vous devez
très probablement cette particularité à la possession de certains gènes, à un environnement
pré-natal particulier, et sûrement aussi à du hasard développemental.

1.4 La psycho évo nie le rôle de l’apprentissage

Alors maintenant vous allez peut-être me dire, ok homo fabulus, un comportement inné
n’est pas forcément présent à la naissance, mais quand même, comment tu peux postuler que
l’évolution ait un rôle si important quand on voit que la majorité des comportements sont
appris. On a besoin d’apprendre à parler, d’apprendre à compter, d’apprendre à bien se comporter,
d’apprendre à se mettre au dernier rang en cours de géologie… Nos comportements
sont clairement appris, pas évolués. On voit donc pas trop ce que la théorie de l’évolution peut
apporter pour expliquer tout ça.

Ce à quoi je répondrais que si l’apprentissage est effectivement très important pour expliquer
un grand nombre de nos comportements, cela n’en fait pas une explication alternative à
l’évolution, pour différentes raisons.

D’abord l’apprentissage est quelque chose d’étudié et de pris en compte dans les approches
évolutionnaires, ce n’est pas un paramètre oublié. De nombreuses adaptations évoluées ont en
effet besoin d’un apprentissage pour bien fonctionner. C’est déjà vrai au niveau physiologique.
J’imagine que vous n’allez pas remettre en cause l’idée que le système immunitaire est quelque
chose d’évolué. Et pourtant, une partie de ce système immunitaire a besoin d’un apprentissage
pour bien fonctionner, vous vous rappelez peut-être de vos cours à l’école, où vous avez appris
que certaines cellules immunitaires sont capables de garder une mémoire des pathogènes qu’elles
rencontrent. Votre peau qui bronze quand vous l’exposez au soleil, c’est aussi une forme d’apprentissage
au sens large : c’est une modification de l’état d’un système suite à l’exposition de
ce système à un environnement particulier. Mais les mécanismes physiologiques qui permettent
cet apprentissage sont quand même bien sûr évolués.

Au niveau cognitif, vous savez déjà que certains de vos programmes cognitifs sont très
dépendants d’un apprentissage pour bien fonctionner : par exemple, ceux qui permettent de
parler ou marcher debout. On doit apprendre à parler, ou apprendre à marcher. Mais ça ne veut
pas dire que l’évolution n’a pas eu son mot à dire dans la construction de ces programmes qui
permettent de parler ou marcher. Et on a vu dans cette série de vidéos que d’autres programmes
cognitifs plus spécifiques, comme celui qui nous permet d’avoir peur des serpents, ou d’éviter
les objets contaminés, ont aussi besoin d’être calibrés et nécessitent un apprentissage [vidéo
dégoût]. L’apprentissage, qu’il soit physiologique ou cognitif, est partout en biologie.

Donc quand un psychologue évolutionnaire dit : « ce truc est une adaptation », ou « ce
truc est un produit de l’évolution », ça ne veut pas du tout dire que ce truc sera capable de se
développer seul sans apprentissage. Quand un psychologue évolutionnaire dit que la peur des
serpents est une adaptation, il n’est pas en train de dire que c’est une peur universelle qu’on
retrouve chez tous les humains à la naissance. Ce qu’il dit, c’est que les humains sont équipés
d’un programme cognitif qui les aide à *apprendre* à avoir peur des serpents, plutôt que des
kinder surprise par exemple. Dans beaucoup de cas, l’évolution aura implémenté des mécanismes
qui permettent d’*apprendre* plus facilement certaines choses que d’autres. Les détails de
comment cet apprentissage facilité peut avoir lieu sont pas bien connus, mais on commence
à avoir des pistes. Par exemple, l’évolution pourrait influer en modifiant les « probabilités a
priori » des hypothèses qu’on fait sur le monde, dans une perspective très bayésienne. C’est à
dire qu’avant même notre naissance, avant même d’avoir commencé à expérimenter le monde,
notre cerveau s’attendrait déjà à trouver dans le monde certains objets, ou certaines relations
entre objets, qui contraindraient ce qu’il peut apprendre. Je vous en ai touché deux mots dans
cette vidéo où je vous parle de la physique intuitive des bébés.

Comme le dit le neuroscientifique Stanislas Dehaene, « l’apprentissage ne peut pas tout –
il s’appuie toujours, d’une manière ou d’une autre, sur des a priori. […] Dans notre cerveau, les
gènes spécifient, au cours de la grossesse, une architecture générale qui, en restreignant l’espace
de recherche, facilite et accélère les apprentissages ultérieurs. […] Notre cerveau […] possède
d’emblée un jeu d’hypothèses abstraites héritées de son évolution, qu’il projette sur le monde
extérieur. » [13]

D’un point de vue théorique, la raison pour laquelle la psycho évo ne peut pas se passer de
l’apprentissage est toujours la même : une adaptation est toujours à la base une relation particulière
entre certains stimuli de l’environnement et certains comportements. Nos programmes
cognitifs sont des algorithmes à produire des comportements adaptés à un certain environnement,
et l’apprentissage c’est précisément un moyen d’adapter finement son comportement à
un environnement. Comme on l’a vu dans la vidéo sur le dégoût, ça serait pas très utile d’avoir
un sens du dégoût ultra-rigide et fixé à la naissance, parce que le dégoût peut aussi être très
coûteux et faire perdre plein d’opportunités de manger. Il est beaucoup plus intéressant d’être
fortement dégoûté uniquement dans certains environnements, et on peut donc s’attendre à ce
que très souvent, dans le cas du dégoût mais aussi de plein d’autres capacités cognitives, la
sélection naturelle ait produit des programmes cognitifs qui soient sensibles au contexte et
dépendants d’un apprentissage.

Donc quand vous dites qu’un comportement a été appris, vous n’avez pas suggéré une
explication alternative à la sélection naturelle. La seule chose que vous avez faite, c’est dire que
l’environnement a influé sur ce comportement, mais c’est quelque chose de trivial en biologie.
Et dans tous les cas, l’apprentissage reste toujours permis par des programmes cognitifs
*évolués*. Tout à l’heure on a vu que la température n’a pas le même effet sur une tortue et un
humain, parce que les humains et les tortues n’ont pas les mêmes gènes. De la même façon, un
apprentissage n’aura pas le même effet sur un crocodile ou un humain parce que nous n’avons
pas les mêmes programmes cognitifs. Si vous adoptez un bébé chimpanzé, et que vous lui donnez
exactement la même éducation qu’à votre propre enfant, jamais le chimpanzé ne va se mettre
à parler, à agir et à penser comme votre enfant [14]. Pourtant, notre ADN ne diffère que de 2 à
3% avec celui des chimpanzés [15]. Mais quelque part dans ces 2 à 3% se cachent des gènes qui
font toute la différence au niveau cognitif. Si vous donnez la même leçon à un bébé humain,
un bébé chimpanzé et un chiot, chacun aura retenu des choses différentes à la fin, parce que
chacun est équipé de programmes cognitifs différents [16]. Et ces programmes sont toujours les
produits de l’évolution, l’apprentissage est toujours supporté par des structures évoluées, c’est
pour ça qu’opposer évolution et apprentissage de façon simpliste comme on le fait souvent n’a
pas de sens [17]. L’apprentissage n’est pas par nature une explication alternative à l’évolution.

On ne s’en rend pas compte, mais apprendre ça demande des compétences très précises,
parce que la quantité d’informations qu’un organisme peut apprendre est extraordinairement
grande, alors que la quantité d’informations qui lui est utile pour sa survie est très restreinte.

Vous avez l’impression de pouvoir apprendre une quantité de choses infinies, ce qui est vrai
dans une certaine mesure, mais cette quantité de choses reste extraordinairement limitée par
rapport à toutes les choses que vous pourriez apprendre sur l’univers. Vous ne retenez pas la
luminosité à chaque instant de la journée, ni tous les sons que vous entendez, ni la température
au cours de la journée. Par contre vous êtes probablement très forts pour retenir et mémoriser
le visage des personnes que vous croisez, même si vous ne les avez vus que quelques secondes.
Et si vous êtes capables de suivre ce que je vous dis dans cette vidéo, c’est que vous êtes aussi
très forts pour retenir des milliers de mots. Mais il faut remarquer que ces compétences et cette
mémoire sont toujours très spécialisées, et dépendantes de l’histoire évolutive des espèces. Les
écureuils sont capables de retenir des milliers de caches de nourriture, mais pas des banques de
mots énormes ; pour nous les humains c’est l’inverse.

Et apprendre c’est bien, mais une fois l’information apprise, il faut aussi savoir aller la
rechercher et la réutiliser au bon moment, parmi les milliards de moments que compte une vie
humaine. À nouveau, il faut des programmes cognitifs sophistiqués et évolués pour faire ça.
C’est pour ça que c’est pas vraiment justifié de penser que plus un comportement est
appris, moins il est évolué. En fait, c’est probablement le contraire : plus vous avez de capacités
d’apprentissage évoluées, plus vous pouvez apprendre de choses ! Dit autrement, plus d’inné
permet plus d’acquis. L’inné n’est pas l’opposé de l’acquis. L’inné et l’acquis c’est pas un
jeu à somme nulle. Plus d’inné permet plus d’acquis, parce que plus d’inné veut dire plus
d’opportunités de réagir à des stimuli de l’environnement.

Je développe un peu ce point parce qu’il est important. Imaginez que vous soyez un ingénieur,
et que vous soyez en charge de la programmation d’un robot. Et moi je suis votre
chef, évidemment. Je vous demande de faire en sorte que le robot soit capable de mémoriser
la tronche de tous les autres robots qu’il va croiser. Vous allez dire, il me fait chier ce chef, il
a pas plus débile que ça à me faire faire, mais vous allez finir par coder un petit programme
qui permet au robot de reconnaître ses pairs, de les classer et de les stocker dans un coin de
sa mémoire. Et puis imaginez qu’ensuite je vous demande de faire en sorte que le robot puisse
aussi mémoriser tous les endroits où se trouve de la nourriture dans une pièce. C’est à nouveau
un problème d’apprentissage, mais vous n’allez pas beaucoup pouvoir réutiliser le premier programme
que vous avez écrit, parce qu’on ne reconnaît pas un robot de la même façon qu’on
reconnaît de la nourriture dans une pièce, c’est pas les mêmes problèmes. Et puis ensuite si je
vous demande que le robot puisse mémoriser une banque de mots ou de symboles abstraits,
vous allez vraiment penser que je me fous de votre gueule, parce même si ça reste un problème
d’apprentissage, c’est un problème d’apprentissage très différent des précédents, et donc vous
allez devoir créer un nouveau programme spécifique pour réaliser cette tâche.

Tout ça pour dire qu’au final, pour réussir à créer un système qui peut apprendre plein de
choses différentes, vous êtes obligé·e de créer pleins de systèmes différents qui peuvent chacun
reconnaître et mémoriser une chose précise. Eh ben c’est ça que ça veut dire « plus d’inné
permet plus d’acquis ». Plus vous aurez écrit de programmes différents dans la tête de votre
robot, plus il pourra apprendre une diversité de choses spécifiques.

Et c’est la même chose avec les êtres vivants. Prenez les animaux qu’on trouve le plus
chez moi, le rat, le cafard et la bactérie. Chacune de ces espèces est capable d’apprendre
des choses, mais le rat peut apprendre plus que le cafard qui peut apprendre plus que la
bactérie. C’est à dire que c’est l’espèce qui a le système nerveux le plus complexe qui peut
apprendre le plus de choses, parce qu’avec un système nerveux plus complexe, vous pouvez
extraire plus d’information pertinente de votre environnement, ce qui est le point de départ de
tout apprentissage [18]. Plus d’inné permet plus d’acquis.

Et de la même façon que quand vous construisez votre robot vous ne pouvez pas trop
réutiliser les mêmes programmes pour apprendre des choses de nature différente, il est très
probable que dans la tête des êtres vivants ce soient des programmes différents qui permettent
d’apprendre des choses différentes. Apprendre à se méfier des serpents n’est pas du tout le
même problème qu’apprendre quelles nourritures contiennent des pathogènes, ou qu’apprendre
une banque de mots et de symboles, et c’est pour ça que ces fonctions sont gérées par des
programmes cognitifs différents dans notre cerveau.

Donc n’oubliez jamais, apprentissage et évolution ne sont pas antinomiques. L’apprentissage
est permis par des structures évoluées, et plus d’inné permet plus d’acquis. Beaucoup de
personnes pensent que l’évolution est non pertinente pour expliquer le comportement humain
parce qu’une grande partie du comportement humain est appris, mais c’est une façon trop
simpliste de concevoir les choses [19].

1.5 La psycho évo nie le rôle de la plasticité

Maintenant vous allez peut-être me dire, « ok homo fabulus, peut-être que la psycho évo
ne néglige pas le rôle de l’apprentissage, mais il y a quelque chose qu’elle néglige clairement,
c’est la plasticité. Y’a plein de recherche qui montre que notre cerveau est plastique et qu’on
est capable d’adopter le bon comportement sans que ce soit l’évolution qui ait permis cette
adaptativité. »

Vous avez décidément l’esprit très vif mes chers abonnés. Et je suis entièrement d’accord avec
vous pour dire que la plasticité est importante. Elle est tout à fait prise en compte en psycho
évo et de manière générale en biologie, on l’appelle plus souvent « plasticité phénotypique » en
biologie.

Par contre, il faut faire attention aux explications basées sur la plasticité, parce qu’elles sont
souvent superficielles et qu’une fois de plus, elles n’excluent pas l’importance de l’évolution.
Pourquoi ça ?
Hé bien imaginez que vous me demandiez pourquoi une règle en plastique plie, alors qu’une
une règle en fer ne plie pas, et que je vous réponde : « c’est parce que l’une est flexible et
l’autre pas ». Est-ce que vous seriez satisfait de cette explication ? J’imagine que non, et vous
auriez plutôt l’impression que je m’en suis sorti avec une pirouette, en ne faisant que redécrire
la situation. Quand je dis que la règle en plastique plie parce qu’elle est flexible, je n’ai fait
que coller une étiquette sur un phénomène, je ne l’ai pas vraiment expliqué. Ce qu’on voudrait
savoir, c’est par exemple quelles sont les propriétés physico-chimiques du plastique qui font que
cette matière est plus flexible que le métal.

C’est la même chose pour les comportements : dire qu’un comportement est plastique ou
flexible, ça n’explique rien en soi, ça n’est qu’une redescription du fait que ce comportement
change, c’est un collage d’étiquette. Ce qu’on voudrait vraiment savoir, c’est pourquoi un comportement
est plastique, parce qu’il aurait très bien pu ne pas l’être, et surtout comment cette
plasticité est permise en pratique.

Dans ce sketch des monty python, un expert raconte qu’il a une nouvelle théorie sur les
brontosaures, et quand il est invité à expliquer cette théorie, il répond : « tous les brontonsaures
sont minces à une extrémité, plus épais au centre et minces à nouveau à l’autre extrémité »

https ://youtu.be/Xs7r5xfucPs?t=134

Le ressort comique provient du fait que cet expert n’a rien « expliqué » du tout avec sa
théorie, c’est à dire qu’il n’a pas utilisé un petit nombre de principes profonds pour expliquer
une quantité de choses importantes dans le monde. Vous commettriez la même erreur que cet
expert si vous pensiez que la « plasticité » est une explication suffisante pour expliquer les
comportements. Comme le dit Steven Pinker, « dire que le cerveau résout des problèmes par
sa plasticité ne vaut guère mieux que de dire qu’il les résout par magie. » [8]

Et c’est vrai pour la plasticité des comportements, mais aussi celle du corps. Prenons le
bronzage. Si vous me dites que la raison pour laquelle la peau des humains est plus foncée
en été qu’en hiver, c’est la plasticité, c’est très vrai en soi mais ça n’est qu’une redescription,
ça n’a rien expliqué. Ce qu’il faut expliquer c’est d’une part pourquoi la couleur de la peau
est capable de varier, parce qu’on aurait très bien pu avoir une peau qui ne change jamais de
couleur, et d’autre part la direction de ce changement : pourquoi on a la peau plus foncée en
été qu’en hiver, parce qu’à nouveau, ça aurait très bien pu être l’inverse. Et puis bien sûr on
peut aussi expliquer non pas le pourquoi, mais le comment, et dans ce cas on s’intéressera aux
mécanismes physiologiques qui permettent le bronzage, la production de mélanine, etc.

Je pense que vous seriez tous d’accord pour dire qu’expliquer le bronzage en disant juste
que c’est de la « plasticité », ça n’expliquerait pas grand-chose. Hé ben c’est pareil pour les
comportements. Si vous dites que les humains sont dégoûtés par certains stimuli et attirés par
d’autres parce que les humains sont plastiques, vous n’avez rien expliqué.

Deuxième point très important sur la plasticité, c’est que comme dans le cas de l’apprentissage,
on ne peut pas opposer fermement plasticité et évolution. La plasticité est toujours permise
par des structures évoluées, des structures évoluées par sélection naturelle. Et ces structures
cérébrales qui permettent la plasticité, elles ne sont pas gratuites. Pour la sélection naturelle,
c’est beaucoup plus coûteux de créer un système capable de s’adapter, exactement comme ça
demandera plus de travail à un ingénieur de créer un système qui s’adapte. Si vous demandez à
un ingénieur de créer un robot qui fait toujours la même chose, ça sera très facile pour lui. Mais
si vous lui demandez de créer un robot qui adapte son comportement à différentes situations,
ça lui demandera plus de boulot, et il commencera à râler, et il en profitera même sûrement
pour vous demander de changer la machine à café. Pour la sélection naturelle, c’est pareil, c’est
coûteux de produire de la plasticité, et les trucs trop coûteux, elle a tendance à les éliminer.
Donc si vous postulez l’existence d’un système plastique, vous devez avoir de bonnes raisons
évolutionnaires pour expliquer le fait qu’il se soit maintenu, vous ne pouvez pas invoquer la
plasticité comme si c’était quelque chose de gratuit.

Si je reprends l’exemple du bronzage, on aurait très bien pu imaginer qu’on soit incapables
de bronzer et que notre couleur de peau ne change jamais, que ce trait ne soit pas plastique.
Et pourtant, nous le sommes. La sélection naturelle a abouti à une couleur de peau qui est
sensible à la quantité d’UV reçue, mais ce système est bien sûr plus compliqué que si la couleur
de peau était fixe. Et ce système n’est pas non plus gratuit. Si nous sommes plastiques sur
le trait « couleur de peau », c’est parce que cette plasticité s’est révélée suffisamment utile
pour être maintenue au cours de l’évolution, en nous protégeant des UVs tout en nous laissant
synthétiser une quantité suffisante de vitamine D [20].

Et puis dernier point extrêmement important, la flexibilité ne sert à rien en soi si elle n’est
pas accompagnée d’un système pour la guider. Pour un être vivant, c’est pas le fait de
varier tout court qui est intéressant, c’est le fait de varier *de façon adaptative*,
d’une façon qui augmente les chances de survie. Par exemple, pour la couleur de peau, c’est pas
le fait de changer de couleur de peau qui est adaptatif, c’est le fait de changer de couleur de peau
ET que des peaux plus foncées soient produites quand il y a plus de soleil. Parce qu’on aurait
tout à fait pu imaginer que ce soit l’inverse, que notre peau devienne plus foncée quand il y a
moins de soleil. On aurait même pu imaginer que notre peau devienne bleue, jaune ou marron
sous l’effet des UV. On aurait aussi appelé ces changements de la « plasticité ». Mais ce n’est
pas ce caractère plastique qui est intéressant, c’est le caractère adaptatif de cette plasticité qui
est intéressant. Et ce caractère adaptatif, il n’a pu être produit que par la sélection naturelle,
car on n’a pas d’autre explication pour expliquer l’adaptation dans le monde vivant [21].

Donc en résumé, quand vous dites qu’un trait est le résultat d’une plasticité, ne pensez
pas que cela vous autorise à mettre de côté l’évolution. Vous avez toujours besoin d’expliquer
pourquoi ce trait est plastique en premier lieu alors qu’il aurait pu ne pas l’être, et vous avez
besoin d’expliquer pourquoi ce trait varie d’une certaine façon parmi toutes les façons de varier
qu’il aurait pu avoir.

Quand on fait de la biologie, quand on étudie les êtres vivants, on retrouve de la plasticité à
tous les niveaux. Vos gènes sont plastiques, c’est à dire qu’ils peuvent s’exprimer différemment
dans des environnements différents. Vos cellules sont plastiques, elles adaptent leur activité
interne aux signaux externes qu’elles reçoivent. Vos organes sont plastiques, vos muscles par
exemple se renforcent quand vous vous en servez suffisamment, même si des grosses loques
comme vous n’ont pas beaucoup l’occasion de s’en apercevoir. La plasticité est omniprésente
parce que les êtres vivants sont des tas de matière qui essaient de survivre à leur environnement,
mais cet environnement change souvent, et la plasticité est donc utile pour survivre à ces
changements. Et si la plasticité est omniprésente dans notre corps, il n’y a aucune raison
de penser que nos programmes cognitifs ne soient pas eux aussi très plastiques et capables
de s’adapter à leur environnement, d’autant plus que c’est le but premier d’un cerveau que
de s’adapter à différents environnements. Mais ça ne fait pas de la plasticité une explication
alternative à l’évolution, la plasticité c’est juste une redescription d’un phénomène qui doit être
compris comme le produit d’une histoire évolutive.

Enfin, de la même façon que plus d’inné permet plus d’acquis, plus d’évolution permet plus
de plasticité. Intuitivement on a envie de penser que l’extraordinaire plasticité comportementale
de l’espèce humaine est permise par la possession d’un petit nombre de capacités cognitives
très généralistes, qui peuvent travailler sur une gamme de stimuli très large. On pense souvent
que nous les humains aurions peu d’instincts basiques comparé à d’autres espèces. Mais en fait
il se pourrait que ce soit exactement l’inverse, et que comme le pensait le psychologue William
James au XIXe siècle, la spécificité humaine vienne du fait que nous humains avons *plus*
d’instincts que les autres animaux, pas moins [22]. Exactement de la même façon que le code
d’un robot capable de s’adapter à plein de situations différentes sera beaucoup plus compliqué
que le code d’un robot moins flexible. Pour pouvoir s’adapter à une grande variété de situations,
il faut avoir plus de programmes cognitifs, plus de spécialisations fonctionnelles, plus d’instincts évolués.

1.6 La psycho évo nie le rôle de la culture

Maintenant vous allez peut-être me dire, « ok homo fabulus, peut-être que la plasticité n’est
pas une alternative à l’évolution, mais la culture alors ? Là c’est bien un truc que la psycho évo
n’étudie pas du tout ? Or la culture est hyper importante pour expliquer les comportements.
Il suffit de regarder autour de soi, les gens qui vivent dans des cultures différentes ont des
comportements différents. Donc pourquoi se préoccuper autant d’évolution, et pourquoi la
psycho évo nie autant l’importance de la culture ? »

Alors commençons avec ce dernier point. C’est une erreur de penser que la psycho évo n’étudie
pas la culture, il y a des champs entiers inspirés d’approches évolutionnaires qui étudient
la culture [23]. En fait c’est un sujet tellement étudié que j’ai hésité à faire une vidéo entière
dessus dans cette série. Je ferai ça une autre fois mais sachez en tout cas que ça fait plusieurs
dizaines d’années qu’on étudie la culture dans une perspective évolutionnaire. Vous avez peutêtre
entendu parler de la mémétique si vous avez lu Le gène égoïste, mais ça n’est qu’une façon
parmi plein d’autres d’envisager la culture, on a développé d’autres approches depuis.

Ensuite la culture c’est, comme n’importe quel autre élément de notre environnement,
quelque chose d’inséparable de la biologie. Je pense que beaucoup de gens ont dans la tête
l’idée que la culture c’est un petit nuage qui flotte au-dessus de nos têtes [faire schéma] et qui
va y faire pleuvoir des idées, des coutumes, des traditions. Penser comme ça, c’est ressusciter
la dichotomie simpliste inné / acquis, alors que le modèle que l’on devrait tous adopter est un
modèle interactionniste. La culture n’est pas un petit nuage sans cause et désincarné qui flotte
au-dessus de nos têtes. La culture est produite par des millions de systèmes biologiques qu’on
appelle cerveaux. N’importe quelle chanson, n’importe quelle loi, n’importe quelle coutume et
n’importe quelle tradition culturelle à laquelle vous êtes exposés a été produite en premier lieu
par des cerveaux. Et si cette chanson, cette loi ou cette coutume se répand dans une population,
c’est aussi parce qu’elle est bien accueillie par de nouveaux cerveaux. Et si elle est bien accueillie
par ces cerveaux, c’est parce qu’elle plaît, d’une façon ou d’une autre, aux programmes cognitifs
que l’évolution a mis dans ces cerveaux, exactement comme dans le cas de la musique
à 120 bpm qu’on a vu dans l’épisode précédent. Donc une explication complète des causes et
effets de la culture nécessitera toujours de faire référence à la biologie d’une manière ou d’une
autre, et aux programmes cognitifs qu’on a dans la tête en particulier. Le biologique influence
le culturel, comme le culturel influence le biologique. Les deux sont en interaction.

Un autre point important sur lequel a insisté historiquement la psycho évo c’est que ce
qu’on regroupe généralement sous le terme de « culture » peut faire référence à des choses très
différentes psychologiquement parlant. Revenons un instant à l’exemple du bronzage et à sa
plasticité. Le bronzage est un mécanisme qui permet d’adapter la production de mélanine à la
quantité d’UV reçue, mais ce qui est intéressant de noter, c’est que bien que ce mécanisme soit
*universel*, présent chez tout représentant de l’espèce humaine, il peut quand même produire
des différences à l’échelle d’une population. Si vous allez dans le sud de la France, les gens
auront en moyenne la peau plus foncée que dans le nord, alors qu’ils sont équipés du même
mécanisme biologique qui permet de bronzer. Ok. Mais quel rapport avec la culture vous allez
me dire ?

Hé bien imaginez qu’on ait le même genre de mécanismes mais dans la tête. Qu’on ait dans
la tête des mécanismes qui sont universels, communs à toute l’espèce, mais qui sont sensibles
à l’environnement, et donc qui seront capables de produire un type de comportement dans
un environnement et un autre type de comportement dans un autre. C’est rien d’autre que
de la plasticité ce dont je vous parle, mais de la plasticité cognitive. Cette plasticité aura
pour conséquence qu’au niveau de populations entières, on observera des différences dues à
un mécanisme universel et évolué. Et pourtant, nous ce qu’on a l’habitude de faire quand on
observe des différences entre populations, c’est de dire qu’elles viennent de la culture.
Une métaphore qu’on peut utiliser pour illustrer ça c’est celle du juke-box et du gramophone
[5]. Un juke-box, c’est une machine qui arrive pré-remplie de chansons, et la chanson
jouée dépendra simplement du bouton sur lequel on appuie. Un gramophone par contre, c’est
une machine vide de toute chanson, mais qui peut jouer n’importe quel air pourvu qu’on le
lui fournisse dans un format adapté. La question serait donc de savoir si l’esprit humain est
plutôt comme un juke-box ou comme un gramophone. S’il est comme un juke-box, il arrive
préchargé par l’évolution d’une variété de comportements, et le comportement joué dépendra
de l’environnement dans lequel il est placé. S’il est comme un gramophone, il arrive vide de tout
comportement, et le comportement joué sera directement fourni par la culture, ou l’éducation.
Les deux possibilités sont pas mutuellement exclusives bien sûr, on peut avoir à la fois des
comportements pré-chargés par l’évolution et d’autres apportés par la culture, mais ce qu’il
faut remarquer, c’est qu’on a souvent, pour ne pas dire toujours, tendance à privilégier l’hypothèse
culturelle, alors même que les deux produisent les mêmes observations. Des différences de
comportements entre populations peuvent être dues à la fois à un cerveau-jukebox qui réagit différemment
quand il est placé dans des environnements différents, ou à un cerveau-gramophone
qui joue la partition qu’on lui dit de jouer dans des cultures différentes.

Remarquez aussi que quand vous déplacez un juke-box d’un pays à un autre, il va se mettre
à jouer la chanson que tous les juke-box locaux jouent, parce que l’environnement local va
appuyer sur le même bouton. Ça veut dire qu’on peut parfaitement expliquer par l’hypothèse
du juke-box l’observation que des humains qui partent vivre dans un autre pays se mettent
à adopter les comportements des locaux. Et pourtant, ce qu’on a généralement tendance à
faire, c’est de dire que cette imitation est due à des processus d’apprentissage social ou de
transmission culturelle, comme si le cerveau-gramophone était la seule hypothèse sensée.

On va prendre quelques exemples pour rendre tout ça plus concret. Vous avez sûrement
déjà entendu dire qu’il existerait des cultures collectivistes et des cultures individualistes dans
le monde. Dans certains pays, asiatiques notamment, il existerait une culture collectiviste très
différente de notre culture individualiste d’occidentaux. Les collectivistes insisteraient sur le
sacrifice individuel au profit du groupe, sur l’entraide, le partage et le conformisme, alors que
dans les cultures individualistes ce serait l’inverse.

L’explication classique de ces différences est qu’elles sont dues à des cultures différentes,
à des éducations différentes, à des valeurs différentes inculquées dès l’enfance. Mais une autre
explication serait que le collectivisme et l’individualisme sont juste deux partitions différentes
d’un même jukebox universel, partitions qui sont chacune la meilleure réponse psychologique
possible dans un environnement particulier. Autrement dit, il existerait quelque chose dans
l’environnement des sociétés collectivistes qui pousserait les cerveaux de ces sociétés à adopter
des comportements collectivistes, parce que ces comportements seraient les plus adaptés dans
cet environnement, et inversement pour les sociétés individualistes.

Qu’est-ce qui peut activer ces différents modes du cerveau, on n’est pas bien sûrs, c’est encore
de la recherche en cours. Mais par exemple, il existe une bonne corrélation entre le niveau de
pathogènes dans une société et son degré de collectivisme [24, 25]. Plus une société est exposée
à des pathogènes, plus elle fait preuve de collectivisme, or le collectivisme a tendance à inhiber
la transmission des pathogènes, par son insistance sur le respect des règles, la conformité et la
priorité donnée au groupe.

Pour ceux qui ont lu mon livre, je vous y parle d’une autre explication : le collectivisme
pourrait être dû à des modes de subsistence différents. On s’est aperçu qu’il y avait des fortes
différences de collectivisme au sein-même de la Chine, et que dans les régions où on cultive
historiquement du riz, les Chinois étaient plutôt collectivistes, alors que dans les régions où on
cultive du blé les Chinois sont plutôt individualistes [26, 27]. Et vous ne le savez sûrement pas,
mais cultiver du riz demande beaucoup plus de travail que cultiver du blé, environ deux fois
plus. C’est à dire que pour cultiver le riz, vous avez absolument besoin des autres, de l’aide
du village et parfois d’autres villages. Donc y’a certains chercheurs qui pensent que ce sont les
conditions de vie de ces populations, et en particulier le type de céréales qu’ils cultivent, qui ont
créé ces différences de collectivisme. La culture exigente du riz pousserait notre psychologie à se
mettre en mode collectiviste. La culture moins exigente du blé pousserait notre psychologie à se
mettre en mode individualiste. L’esprit collectiviste ou individualiste d’une société émergerait
donc « par le bas », ce serait une propriété émergente de l’interaction de la psychologie humaine
avec des conditions de vie particulières, plutôt que d’être imposé par le haut par des institutions,
l’éducation ou la culture.

Je répète que c’est de la recherche en cours, on connaît pas encore bien les détails, mais
vous voyez l’idée. Les différences de comportements entre des populations, même des différences
très profondes comme le degré de collectivisme, peuvent être dues à des mécanismes psychologiques
universels qui réagissent de façon différente dans des environnements différents, c’est
à dire des mécanismes plastiques. C’est pour ça que je vous parlais du bronzage, qui est une
bonne analogie : c’est un mécanisme biologique universel mais qui produit des issues différentes
dans des environnements différents. Et c’est une explication très différente psychologiquement
parlant de l’explication traditionnelle qui repose sur l’existence d’une culture avec un grand
C, d’une culture transmise d’humains en humains et de générations en générations. D’un côté
on a un répertoire de comportements qui a été pré-chargé dans le cerveau des humains par
la sélection naturelle, et c’est l’environnement qui vient décider quel comportement sera joué.
C’est l’hypothèse du jukebox, et ce n’est rien d’autre que ce qu’on appelle de la « plasticité
phénotypique » en biologie, mais de la plasticité phénotypique cognitive. Et de l’autre côté,
on a un cerveau dont le répertoire de comportements n’a pas été contraint par l’évolution, et
c’est la culture qui vient graver le comportement à adopter. Cette fois-ci le cerveau humain
n’est plus considéré comme un jukebox mais plutôt comme un gramophone, ou un micro qui
enregistrerait ce que les autres font autour de lui.

Hopopop, je me permets de couper mon moi du passé en voix off, pour rajouter deux petites
précisions. Ça va d’ailleurs, il vous fait pas trop chier mon moi du passé ? Moi j’en peux plus
de l’entendre débiter ses âneries évolutionnistes à longueur de journée. Enfin bref.
Deux précisions je disais.

D’abord la métaphore du jukebox est bien juste ça, une métaphore. Quand on dit que le
cerveau pourrait contenir des comportements pré-chargés par l’évolution et activés par l’environnement,
faut pas vous imaginer que le cerveau contienne des comportements rigides rangés
dans des cases qui sont sortis du chapeau en appuyant sur un bouton. Gardez toujours en tête
la vision algorithmique du cerveau que je vous ai présentée dans ma série sur la morale. Dans
la tête, on a pas des comportements rangés dans des cases, on a des réseaux neuronaux qui
font des calculs sur des données pour produire des sorties avec une certaine probabilité. Il faut
toujours penser entrées / sorties, calcul, probabilités, continuité. La métaphore du jukebox n’est
là que pour vous faire comprendre que même si l’évolution a pré-chargé des choses dans notre
cerveau, l’expression de ces choses peut être dépendante du contexte.

Et deuxièmement, vous vous dites peut-être que ça doit être vachement compliqué pour
l’évolution de créer de tels programmes cognitifs plastiques, mais on en trouve partout dans
la nature ! Par exemple, rien que chez les oiseaux, la mésange charbonnière peut avancer sa
date de ponte quand il fait plus chaud au printemps [28], les geais se mettent à cacher plus
de nourriture dès qu’il fait plus froid en automne [29], et les femelles du bruant noir et blanc
ne sont pas attirées par les mêmes traits chez les mâles en fonction des années, parce que
les traits qui maximisent le succès reproducteur changent d’une année sur l’autre [30]. La
plasticité phénotypique est donc une explication relativement courante de la variabilité des
comportements des animaux, aucune raison que ça soit différent chez l’humain. Parenthèse
terminée, je redonne la parole à mon moi du passé, courage, tenez bon.

Je pense que dans les décennies qui viennent on va mettre en évidence que plein de différences
entre populations humaines que l’on pensait dues à la culture au sens classique du terme sont
en fait dues à cette forme de plasticité évoluée. Un autre exemple ça pourrait être les critères
de beauté du corps humain : on a l’habitude de penser que si on aime les gens plutôt gros
ou plutôt maigres, c’est à cause de notre culture et de notre éducation, mais on a maintenant
des raisons de penser que cette variation pourrait être expliquée au moins en partie par des
variations d’environnement qui agissent sur des mécanismes psychologiques évolués [31].

Attention, à nouveau les deux hypothèses sont intéressantes. Toutes les différences de comportements
ne sont pas forcément explicables par l’hypothèse du jukebox. L’importance de la
culture transmise au sens classique du terme est tout à fait reconnue en psychologie évolutionnaire.

Par contre, il semblerait que cette hypothèse ait souvent été la seule envisagée, et que
l’évolution ait souvent été tenue à l’écart de l’analyse des différences culturelles. Pourtant, si
l’hypothèse du jukebox est la bonne ne serait-ce que dans certains cas, l’évolution restera très
importante pour expliquer pourquoi certaines pistes ont été pré-gravées, et pourquoi un certain
environnement entraîne l’exécution d’une piste plutôt que d’une autre. Et en fait, même dans
l’hypothèse culturelle classique, l’évolution devrait rester importante, mais je vous en reparlerai
une autre fois.

En tout cas, c’est très important pour vous d’essayer de faire cet effort : la prochaine fois
que vous observerez des différences de comportements dans des populations différentes, plutôt
que de dire qu’elles sont dues à la culture et de vous en tenir là, posez-vous la question : « et
si ces différences venaient du fait que les conditions de vie de ces populations diffèrent et que
des cerveaux humains sont préparés à réagir différemment dans ces conditions ? ». Attention
aux explications culturelles trop simplistes. Dire que des comportements différents viennent
forcément d’une culture différente, c’est la même chose que dire que les provençaux sont plus
bronzés que les nordistes parce qu’ils ont une culture du bronzage différente. Des mécanismes
universels évolués mais plastiques peuvent aboutir au même résultat.

Et un dernier point dont il faut parler sur cette question de la culture, et malheureusement
c’est encore un point très important, donc vous devez rester concentrés, c’est qu’il faut faire
très très attention au problème corrélation / causalité [32, 33]. Comme on vient de le voir, si
beaucoup de gens pensent que la culture a une influence énorme sur les comportements, c’est
parce qu’ils observent des comportements différents dans des populations différentes. Mais cette
observation n’est jamais qu’une corrélation, et comme vous le savez tous, corrélation n’implique
pas causalité.

Pour illustrer, imaginez une région où des publicités pour vendre du kouign-amann sont
placardées partout. Et imaginez que dans cette même région, les gens mangent du kouignamann
à tous les repas. La conclusion que tout le monde tire, c’est que les gens mangent
beaucoup de kouign amann *parce que* ils sont exposés à toute cette pub, *parce que* ils
vivent dans une région qui a la « culture du kouign-amann ».

Maintenant, changeons d’univers, imaginons un univers parallèle qu’on pourrait qualifier
d’apocalyptique puisque dans cet univers existerait un gène qui fait aimer le kouign-amann.
Imaginons que ce gène se soit répandu dans une certaine région que l’on ne nommera pas
mais qui résiste encore et toujours aux climatiseurs. Qu’est-ce qu’on observerait au niveau
macroscopique dans cette région ? On observerait des gens qui mangent beaucoup de kouignamann,
précisément parce qu’ils possèdent tous ce gène. Mais on observerait aussi plein de pubs
placardées partout, parce que les publicitaires se seront rendus compte qu’ils vendent plus dans
cette région, même s’ils ignorent que ces ventes viennent d’un gène. Mais ça ne serait pas les
pubs qui ont causé les comportements, ça serait les gènes qui ont causé les comportements,
qui ont eux-mêmes entraîné l’apparition de pubs. Si vous enlevez la pub dans cet univers, les
comportements ne changent pas.

Donc au final, au niveau des populations, on observe exactement la même chose qu’un
comportement soit 100% d’origine génétique ou 100% d’origine culturelle. C’est un exemple
fictif bien sûr, dans la réalité les choses en matière de gène sont toujours plus compliquées, mais
ça montre pourquoi vous ne pouvez jamais conclure que des comportements ont une origine
culturelle simplement parce que ces comportements diffèrent dans des populations différentes.
Ça ne restera toujours qu’une corrélation, qui peut aussi être expliquée par des gènes.
Bien que ça fasse plus d’un siècle que l’attention est attirée sur ce problème [32], beaucoup
d’études en sciences sociales continuent à attribuer des différences de comportements à des
différences d’environnement, et à ne pas contrôler pour le facteur confondant de la génétique.
Les études de sciences sociales qui contrôlent pour la génétique, ça s’appelle généralement des
études de génétique comportementale.

Et vous vous rappelez sûrement que tout à l’heure je faisais le bisounours consensuel en vous
disant que les sciences sociales pouvaient cohabiter avec la biologie et continuer à travailler sans
se préoccuper de génétique et d’évolution tant qu’elles acceptaient que leurs explications environnementales
ne sont que des explications partielles. Je me renie pas complètement, c’est
vrai dans certaines situations, mais c’est aussi très faux dans d’autres, à cause de ce problème
de corrélation gènes-environnement. Normalement, avant de pouvoir conclure que des environnements
différents ont causé des comportements différents, vous devriez vérifier les gènes que
portent les personnes dans ces différents environnements.

Je vous donne un autre exemple avec l’éducation. Quand on observe que des enfants qui
ont grandi dans une maison où se trouvait un instrument de musique sont meilleurs en musique
que les autres, on en conclut généralement que c’est cet environnement musical qui a causé
ces capacités. Mais en fait ça pourrait tout aussi bien être expliqué par la génétique. Imaginez
qu’il existe un gène qui fasse apprécier la musique. Un adulte porteur de ce gène aura plus
tendance qu’un autre à s’acheter un instrument de musique [schéma]. Donc les enfants de cet
adulte grandiront dans un environnement musical. Mais les enfants de cet adulte auront aussi
reçu de cet adulte le gène qui fait aimer la musique. Donc on aura bien au final des enfants
attirés par la musique et qui auront grandi dans un environnement musical, mais la cause de ces
deux observations est génétique : c’est un gène qui a poussé le parent à créer un environnement
musical, et c’est le même gène qui a poussé les enfants à s’intéresser à la musique. On ne peut
donc pas conclure que c’est l’environnement éducatif qui a causé les préférences des enfants.
On peut même imaginer que ce ne soit pas l’environnement des parents qui façonne le
comportement des enfants, mais l’inverse ! Imaginez que votre enfant possède un gène qui lui
fait aimer la musique. Pour lui faire plaisir, vous allez donc lui acheter un instrument de musique.
Un scientifique naïf qui passerait par là ferait le constat que votre enfant a grandi dans une
maison avec un instrument de musique et qu’il aime la musique, et il pourrait donc en conclure
que c’est la présence de cet instrument qui a causé le goût pour la musique. Alors que c’est
l’inverse ! Ce sont les goûts naturels de votre enfant qui ont causalement créé son environnement
musical.

Toutes ces questions de corrélations et d’interactions gènes-environnement ne sont pas faciles,
on reviendra dessus un autre jour. La chose importante à retenir, c’est qu’on ne peut
jamais conclure qu’un environnement a causé un comportement simplement en observant une
corrélation environnement-comportement. Ce n’est pas parce que des personnes ont reçu des
éducations différentes ou ont grandi dans des cultures différentes que leurs différences de comportements
sont causalement dues à ces environnements. Ces observations peuvent tout aussi
bien être expliquées par des gènes.

Au passage, on pense parfois qu’il y a une équivalence des torts entre la biologie et les
sciences sociales, que si les sciences sociales négligent trop la génétique, la biologie néglige
l’environnement de la même manière, et qu’il suffirait que chaque discipline fasse un pas vers
l’autre pour qu’elles soient réconciliées. Mais il n’y a jamais eu de symétrie des torts sur ce
sujet : pour toutes les raisons que je vous ai expliquées, la biologie n’a jamais eu d’autre choix
que de prendre en compte l’importance de l’environnement, alors que les sciences sociales n’ont
elles jamais pris au sérieux la génétique. Dans les années 70, cette hégémonie de l’environnemental
était si grande que des chercheurs de renom comme Francis Crick, co-découvreur de la
structure de l’ADN, ou Jacques Monod, prix nobel français de médecine, ont trouvé nécessaire
de publier un article s’inquiétant de la « répression, censure, punition et diffamation dirigées
envers des scientifiques qui insistent sur le rôle de l’hérédité dans le comportement humain. […]
Une sorte d’environnementalisme orthodoxe domine le monde universitaire, et inhibe fortement
les enseignants, chercheurs et universitaires à se tourner vers des explications biologiques. » [34].
Je vous reparlerai de tout ça dans ma vidéo sur l’éthique.

Enfin, pour en finir avec la culture, de la même façon que je vous disais que le mot «
plasticité » est trop souvent utilisé comme une étiquette, une redescription qui n’explique rien
en soi, le mot « culture » est souvent utilisé de la même façon. La culture est souvent brandie
comme un mot magique qui expliquerait tout, mais si vous n’entrez pas dans le détail de tout
ce qu’on vient de voir, quel type de culture, dans quel environnement, quelles interactions avec
les gènes, vous n’avez pas expliqué grand-chose, vous n’avez fait que coller une étiquette sur un
phénomène. Décrire une différence culturelle n’est pas la même chose qu’expliquer une différence
culturelle [35].

Donc pour résumer sur cette partie, la psychologie évolutionnaire ne nie pas l’existence de la
culture ni son importance, et elle l’étudie en fait depuis de nombreuses années. Par contre, elle
attire l’attention sur les différents types de culture qui existent et sur leur nécessaire dépendance
aux programmes cognitifs qui se trouvent dans notre cerveau. La culture n’est pas sans cause
et désincarnée [36]. La culture n’opère pas de façon autonome, affranchie de toute contrainte
biologique. Elle est produite et transmise par des cerveaux, et on ne peut donc pas espérer
expliquer complètement la culture sans faire référence à un moment donné à la façon dont
ces cerveaux fonctionnent. De même, si la culture peut influencer nos comportements, il faut
se méfier des corrélations environnements-comportements, et se rappeler que quand la culture
arrive à nous influencer, c’est toujours parce que notre psychologie est sensible à certains aspects
de cette culture. Le cerveau influence la culture, et la culture influence le cerveau, pour avoir
une explication globale de ces phénomènes il n’est pas possible d’étudier l’un sans l’autre.

1.7 La psycho évo fait du déterminisme génétique

Maintenant peut-être que vous avez envie de me dire, « ok homo fabulus, la psycho évo
néglige pas autant l’environnement, l’apprentissage, la plasticité et la culture que je ne l’aurais
pensé. Mais par contre j’ai entendu dire qu’elle faisait du déterminisme génétique, et ça a l’air
très très grave. Alors qu’est-ce que t’as à dire pour ta défense ? »

L’accusation de « déterminisme génétique » est effectivement une accusation courante, mais
aussi une des plus floues. Comme personne ne s’est jamais revendiqué d’être un « déterministe
génétique », on est obligé d’inférer le sens de cette critique de la bouche des critiques ellesmêmes
[37]. Le sens le plus courant semble lier le déterminisme au fait qu’on ne pourrait pas
changer [38]. Le déterminisme génétique, c’est l’idée que « si c’est génétique, on ne peut rien y
faire ». Et si on ne peut rien y faire, ça implique qu’on assigne un rôle causal nul à l’environnement,
donc cette critique est souvent associée à la critique d’ignorer le rôle de l’environnement.
C’est souvent reformulé en terme de débat entre inné et acquis : les déterministes génétiques,
ce sont ceux qui pensent que les traits sont innés, et qui rejettent la part de l’acquis.
Mais comme je vous l’ai dit, aucun chercheur sérieux ne pense que « si c’est génétique, on
ne peut forcément rien y faire », ou que seul l’inné compte pour expliquer les comportements.
L’opposition simpliste inné-acquis n’est supportée par aucun chercheur.

Comme le dit le philosophe Richard Joyce, et c’était il y a quinze ans déjà [39] :
« La dichotomie inné / acquis est tellement morte et enterrée qu’il est devenu fatigant de
mentionner qu’elle est morte et enterrée ».

Je sais pas pourquoi je me sens fatigué moi tout d’un coup.

En fait, il est même probable que cette distinction n’ait jamais été soutenue par personne.
Dès le 19e siècle, Francis Galton affirmait comme si c’était une banalité qu’« il est inutile d’insister
pour dire que ni la nature ni la culture sont auto-suffisants » [40], et tout le monde est
bien obligé de reconnaître, comme le fait le généticien du comportement David Lykken avec
humour, que « sans apport environnemental, votre génome n’aurait créé rien d’autre qu’une
tache mouillée sur le tapis » [41]. Bah oui, ne serait-ce que pour créer les organismes que nous
sommes, nos génomes ont besoin de matière et d’énergie qui sont puisées dans l’environnement.
Les gènes sont toujours exprimés dans un environnement, les protéines évoluent dans un environnement,
les organes fonctionnement dans un environnement. Les gènes ne sont pas des
entités qui évoluent dans un univers parallèle, donc tout ce que produisent les gènes, que ce
soit des anatomies, des physiologies ou des psychologies, sont le résultat d’une interaction avec
un environnement.

Si vous me demandiez quel pourcentage de ma main a été créé par mes gènes et quel pourcentage
a été créé par mon environnement, je serais donc bien incapable de vous répondre, parce
que ma main est le résultat d’une interaction permanente entre des gènes et un environnement
à chaque étape de son développement. On appelle parfois ça la « démocratie causale » : ni la
génétique, ni l’environnement n’a de priorité causale dans le développement [42]. Les deux sont
nécessaires et en interaction permanente.

Il n’y a donc pas de séparation nette entre le monde génétique et le monde environnemental,
et c’est pour ça que le débat gène OU environnement, inné OU acquis ou nature OU culture
n’existe plus depuis longtemps en biologie, s’il a jamais existé. Ce n’est jamais l’un OU l’autre,
c’est toujours l’un ET l’autre.

Et personne ne soutient non plus que « si c’est génétique, on ne pourra jamais rien y faire »,
ou que « si c’est génétique, l’environnement n’a plus son mot à dire ». Par exemple y’a plein de
troubles de la vision qui ont des origines génétiques et qu’on arrive à corriger avec une simple
manipulation de l’environnement, en l’occurrence en se mettant des verres correcteurs devant
les yeux. Les lunettes, c’est un exemple typique de manipulation environnementale qui permet
de corriger un problème génétique. Et y’a des dizaines d’autres troubles d’origine génétique que
la médecine soigne avec des diètes particulières, ou avec des médicaments qui sont aussi des
modifications de l’environnement. C’est pareil avec les capacités cognitives : même si toutes ont
des bases génétiques, on peut les modifier par l’environnement : par exemple l’intelligence a des
bases génétiques mais reste très sensible à l’éducation [43]. Et puis en fait on n’a pas besoin de
regarder des vidéos d’une heure pour comprendre pourquoi l’idée d’un déterminisme génétique
hardcore est absurde. Il suffit de réaliser à quel point nos comportements et nos sociétés ont
changé ces 200 dernières années, alors que nos gènes ont très peu changé dans le même temps.
Nos gènes ne nous empêchent pas de modifier en profondeur nos comportements et nos sociétés.

Maintenant, il ne faut pas non plus tomber dans l’excès inverse et faire comme si l’environnement
était tout puissant, ou comme si le débat inné-acquis n’avait plus aucun sens. Faudrait
que je vous fasse une vidéo entière sur « ce qu’il reste du débat inné-acquis », mais comme y’a
des chances que ça reste une promesse en l’air, je vous donne très rapidement quelques clés ici.
Si ça n’a pas de sens de se demander si c’est l’inné OU l’acquis qui cause nos phénotypes, ça
a du sens de se demander à quel point on peut changer un phénotype en changeant d’environnement.
Imaginez que vous ayez des graines de fleurs qui soient identiques génétiquement, qui
soient des clones. Vous pourriez vous amuser à les planter dans des environnements différents
pour évaluer à quel point les caractéristiques des fleurs sont modifiées. Peut-être que certains
traits de votre fleur sont extrêmement sensibles à des variations environnementales, alors que
d’autres vont se développer toujours plus ou moins de la même façon.

Vous pourriez aussi vous demander si les différences de comportement que vous observez
chez les chats de votre quartier, les uns étant très peureux et les autres non, sont dues au fait
qu’ils ont des gènes différents ou au fait qu’ils ne vivent pas dans les mêmes environnements,
dans les mêmes maisons. Ça aussi c’est une question qui n’est pas dénuée de sens, et qui est très
étudiée chez l’humain à travers ce qu’on appelle les mesures d’héritabilité. Hoplà, je reprends
la main deux secondes sur mon moi du passé, qui n’a pas eu la présence d’esprit d’insister sur
un point important : remarquez que dans le cas des petits chats, on cherche bien à connaître
la contribution relative des gènes et de l’environnement, mais on cherche à connaître cette
contribution relative pour expliquer des *variations* entre individus, pas pour expliquer la
valeur absolue d’un trait. Dit autrement, si ça n’a pas de sens de se demander si la taille de ma
main est plutôt due à mes gènes ou à mon environnement, ça a du sens de se demander si les
*différences de taille de main dans une population* sont plutôt dues à des différences de gènes
ou des différences d’environnements.

Et c’est pas parce qu’on arrive à corriger certains défauts génétiques par l’environnement
qu’on arrivera à tous les corriger. D’ailleurs vous remarquerez que quand on met des lunettes on
n’a pas vraiment corrigé un défaut génétique, on a juste supprimé l’effet indésirable d’un défaut
génétique. Les myopes ont toujours les mêmes yeux pourris quand ils mettent des lunettes,
par contre ils n’ont plus les effets indésirables. Pour d’autres maladies génétiques, malgré des
décennies de recherche sur le sujet, on n’a encore jamais réussi à trouver d’environnement
pouvant les atténuer. Et c’est pareil pour nos capacités cognitives : si l’environnement nous
laisse certainement une marge de manoeuvre pour les modifier, la question de savoir si cette
marge de manoeuvre est petite ou grande est encore loin d’être résolue. C’est en tout cas une
question empirique, qui doit être étudiée au cas par cas, vous ne pouvez pas décider a priori et
penser que « oui bien sûr on arrivera à tout modifier comme on veut par l’environnement ».
Enfin, c’est pas parce que la dichotomie naïve inné / acquis est enterrée que vous ne croiserez
plus du tout ces termes, il arrive que l’innéité d’un comportement ou d’un programme cognitif
soit encore discutée, mais dans des sens très précis.

Par exemple une définition possible d’un trait inné qui ne soit pas trop naïve, ça serait
un trait qui se retrouve d’une génération sur l’autre, c’est à dire un trait qui se développe
de manière fiable dans une espèce, *mais* uniquement si ce développement se fait dans des
conditions normales. Un trait serait inné s’il se réincarne d’une génération à l’autre dans des
conditions normales de développement [44, 45] .

Tous vos organes corporels, vos yeux, votre bouche, vos jambes, vont se réincarner dans
vos enfants à condition que vous ne les éleviez pas dans une cave sans leur donner à manger.
On peut donc dire d’une certaine façon que ce sont des traits innés, sans que cela ne limite
l’importance de l’environnement. Vos capacités mentales, vos aptitudes à aimer, mémoriser,
compter, parler, vont aussi se réincarner dans vos enfants à condition que vous leur fournissiez
un environnement de développement « normal ». Si vous élevez vos enfants dans une cave sans
jamais leur adresser la parole, c’est sûr qu’ils ne sauront jamais parler, et ils auront tout un tas
d’autres capacités cognitives défaillantes. Mais dans des conditions normales de développement,
on s’attend à ce que ces capacités cognitives se réincarnent toujours, et c’est en ce sens qu’on
peut dire qu’elles sont innées. Si vous en avez marre de votre dernier né qui fait que vous
réveiller la nuit et que vous décidez de le faire adopter à la naissance par une famille vivant à
l’autre bout du monde, il va quand même développer les mêmes capacités mentales que vous :
il saura parler, compter, aimer, mémoriser. Par contre, il y a des chances pour que cet enfant
n’écoute pas la même musique que vous, donc selon cette définition de l’inné, le goût pour une
musique en particulier n’est pas inné.

En résumé, s’il existe encore des débats sur les relations gènes / environnement et leurs
contributions respectives, la notion d’une séparation nette nature / culture et la notion que « si
c’est génétique, on ne peut rien y faire » n’existent plus depuis longtemps en sciences naturelles,
si elles ont un jour existé. Dans la continuité de ce mouvement, la psycho évo a depuis le début
condamné les dichotomies simplistes, en affirmant que « La psychologie évolutionnaire n’est
pas un autre mouvement du balancier inné / acquis » [46]. Malheureusement, ça n’empêche pas
que cette critique du déterminisme génétique lui soit encore souvent adressée. Sur 39 livres de
psychologie publiés entre 2000 et 2004, 80% présentaient la psycho évo de façon incorrecte, et
une des erreurs les plus fréquentes consistait à affirmer que la psycho évo fait du déterminisme
génétique ou du réductionnisme biologique [47, 48].

1.8 La psycho évo fait du réductionnisme

Et justement, venons en au réductionnisme. Comme pour le déterminisme, c’est pas toujours
clair ce qui est suggéré par cette critique, ça peut vouloir dire plusieurs choses. Dans un sens,
le réductionnisme ça a du bon, et c’est ce que s’attachent à faire toutes les sciences. Quand
Newton propose sa loi de la gravitation, il fait en quelque sorte du réductionnisme, c’est à dire
qu’il essaie de réduire la diversité des mouvements des objets autour de lui à un principe plus
profond. Et c’est ce que font aussi toutes les autres sciences, sciences sociales incluses : quand
vous postulez que les sociétés sont régies par la lutte des classes ou que les humains sont soumis
à un habitus, vous êtes en train de faire du réductionnisme, vous faites appel à des principes
profonds pour expliquer le fonctionnement du monde.

Mais il existe une autre forme de réductionnisme qui est moins apprécié, c’est celui reflété
par la crainte qu’une discipline vienne à en remplacer une autre un jour, que la biologie vienne
remplacer la sociologie par exemple, ou qu’on cherche un jour à expliquer toute la complexité
des sociétés humaines rien qu’en faisant une analyse des gènes. Par exemple, l’anthropologue
Richard Lee semble craindre ce réductionnisme dans les années 70 quand il déclare que « les modèles
mécaniques inspirés du comportement animal et de l’écologie animale, aussi sophistiqués
soient-ils, ne peuvent pas rendre justice au plus simple des phénomènes culturels » [49].
La question du réductionnisme est un peu compliquée parce qu’elle peut faire référence à des
problèmes méthodologiques pas triviaux, comme de savoir si pour étudier un système complexe
il faut commencer par le décomposer en chacune de ses parties ou toujours l’étudier de façon
globale, parce que le tout est toujours plus que la somme des parties. Mais ce qui certain, c’est
que ce que la psycho évo veut faire, ce n’est pas remplacer les sciences sociales par les sciences
naturelles, mais plutôt les relier, ou comme le dit l’anthropologue cognitif Dan Sperber, les
rendre continues [50].

Je vous donne un exemple. Quand vous avez appris la biologie au collège et au lycée, vous
avez appris des lois qui sont propres aux systèmes biologiques : des lois qui s’appliquent aux
écosystèmes, aux organismes et aux cellules, comme la diffusion des hormones, le développement
des organes, etc. Et vous rieriez au nez d’un chimiste qui viendrait vous dire que vous pouvez
balancer ces lois et tout reformuler en termes d’interactions entre molécules. Les lois de la
biologie ne sont pas dans ce sens réductibles aux lois de la chimie. Mais en même temps, quand
vous faites de la bio, vous savez que votre champ est continu avec la chimie, c’est à dire que
vous savez que les systèmes que vous étudiez sont en réalité des assemblages de molécules,
et certains sous-domaines de la biologie comme la biologie moléculaire étudient explicitement
cette frontière entre le chimique et le biologique.

Vous savez aussi que même si les lois de la biologie ne se réduisent pas à celles de la physique,
biologie et physique restent mutuellement compatibles, les lois de la biologie ne contredisent pas
celles de la physique. Y’a pas d’êtres vivants qui ne sont pas soumis à la gravité par exemple.
Si vous faites de la chimie, vous avez aussi vos propres lois spécifiques aux systèmes que vous
étudiez et que les physiciens n’utilisent pas, et donc vous pouvez dire que la chimie n’est pas
réductible à la physique. Mais vous savez aussi que la chimie est continue avec la physique,
vous savez quelles forces physiques font tenir les molécules ensemble, ce qui se passe lors d’une
réaction chimique, etc.

Hé bien ce que proposent de faire ceux qui cherchent à « naturaliser le social », les psychologues
évolutionnaires mais aussi plein d’autres gens en sciences cognitives et sciences naturelles,
c’est exactement la même chose. Ils ne veulent pas réduire la complexité des cultures et des
sociétés à des histoires de gènes ou de neurones, mais ils veulent rendre continues les sciences
sociales avec les sciences naturelles, les rendre mutuellement compatibles. De la même façon
qu’aucun physicien ne propose d’expliquer le fonctionnement d’un coeur entièrement en termes
de mouvements d’atomes, aucun biologiste ne propose d’expliquer les phénomènes sociaux entièrement
en termes de neurones ou de gènes.

Par contre, ces chercheurs pensent que c’est nécessaire d’essayer de relier les connaissances en
sciences sociales aux connaissances en sciences naturelles. Pour les psychologues évolutionnaires
en particulier, la meilleure façon de faire ça c’est de passer par le niveau psychologique. C’est
la psychologie qui peut faire la jonction entre la biologie et la sociologie ou l’anthropologie,
parce que la psychologie est une science sociale qui est déjà en grande partie continue avec
les sciences naturelles, grâce aux progrès en sciences cognitives de ces 50 dernières années.
Ce sont les sciences cognitives qui nous permettent de commencer à comprendre comment
des phénomènes traditionnellement étudiés en sciences sociales, comme la morale, la culture
ou l’art, peuvent être produits par de la matière. Pour vous ça vous paraît évident que votre
activité mentale soit uniquement le produit de votre cerveau, mais y’a encore pas très longtemps
on y pigeait rien, c’était incompréhensible comment de la banale matière biologique pouvait
produire toute notre vie mentale, nos émotions, nos pensées, notre morale et notre politique.
On passait souvent par Dieu pour expliquer tout ça.

Et si aujourd’hui on est encore loins d’avoir tout compris, un gros pas en avant a été fait avec
ce qu’on appelle la révolution cognitive, c’est à dire l’idée de considérer le cerveau comme une
grosse machine qui fait du traitement de l’information. C’est ça la clé, la notion d’information.
Si la matière peut penser, c’est parce que la matière peut faire du traitement de l’information.
Aujourd’hui c’est une idée banale parce qu’on est entourés de matière non-biologique qui fait
du traitement de l’information et qu’on appelle des ordinateurs. Mais avant les années 1950
tout ça était très mystérieux.

Bref, tout ça pour dire que c’est normal pour des raisons historiques que les sciences sociales
et les sciences naturelles aient été séparées. La sociologie est née au XIXe siècle, à une époque
où nos connaissances en biologie ne nous permettaient pas du tout d’envisager comment des
phénomènes sociaux et culturels comme le droit, la politique, l’art, la religion ou la morale
pouvaient provenir de matière biologique. Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas, et même si
certains universitaires essaient encore de défendre l’autonomie de leur discipline, on n’a plus
le droit de faire comme si un demi-siècle de découvertes en sciences cognitives et en sciences
de l’évolution n’avaient pas eu lieu. Il faut maintenant essayer de rendre les sciences sociales
continues avec les sciences naturelles, et c’est ce qu’essaient de faire de nombreux chercheurs,
même si ça leur vaut de se faire taxer de « réductionnistes » par d’autres. On est en train
de vivre une période très excitante parce que c’est probable que dans le siècle qui vient, cette
réunification des sciences sociales et des sciences naturelles va s’accélérer. Ma thèse participait
de cet effort dans le cas spécifique de la morale, et pour ceux qui ont lu la postface de mon
livre, c’est de ce mouvement de réunification dont il est question. Cette réunification est un
chantier énorme, qui demandera parfois de réécrire des manuels scolaires entiers parce que pour
le moment les sciences naturelles et les sciences sociales ont des lois mutuellement incompatibles. Mais le résultat devrait en valoir la peine.

Et en ce qui concerne la psycho évo spécifiquement, elle a été claire depuis le début que son
rôle n’est pas réductionniste mais unificateur. En témoigne cette citation de ses fondateurs il y
a trente ans [36] : « En appelant à l’intégration conceptuelle des sciences sociales et comportementales,
nous n’appelons ni au réductionnisme ni à la conquête et à l’assimilation d’un champ
par l’autre. […] En fait, non seulement les principes d’un champ ne se réduisent pas à ceux d’un
autre, mais souvent en établissant des liens entre champs de nouveaux principes apparaissent.
»

Et cette magnifique citation qui met la larme à l’oeil va me permettre de conclure cette vidéo
en vous expliquant pourquoi la psycho évo est différente, et selon moi meilleure, des autres
approches qui ont aussi essayé d’utiliser la théorie de l’évolution pour expliquer le comportement.

1.9 La psycho évo n’est que la sociobiologie des années 70 qui cherche à se faire un nouveau nom

Si vous aviez été sur Twitter dans les années 80, vous n’y auriez trouvé aucune critique
sur la psycho évo, et pour cause, elle n’existait pas encore. Par contre, vous auriez trouvé un
tas de personnes qui s’arrachaient les cheveux sur un truc appelé « sociobiologie » [51]. La
sociobiologie, c’est la discipline qui a été historiquement la première à vouloir utiliser la théorie
de l’évolution pour mieux comprendre le comportement humain, et c’est donc elle qui s’est la
première prise dans la tête non seulement les accusations de déterminisme et de réductionnisme
qu’on vient de voir, mais également des accusations de racisme et de sexisme qu’on verra plus
tard.

Comme la psycho évo étudie aussi l’humain à la lumière de la théorie de l’évolution, certaines
personnes pensent que la psycho évo d’aujourd’hui c’est la sociobiologie d’hier qui a simplement
changé de nom, en particulier pour essayer d’échapper à ses critiques. Mais c’est une vision assez
erronée. L’héritière de la sociobiologie aujourd’hui ça serait plutôt ce qu’on appelle l’écologie
comportementale, un champ de recherche très actif et beaucoup plus gros que la psycho évo,
parce qu’il étudie le comportement animal en général et pas que l’humain. Mais la psycho évo
se démarque de la sociobiologie et de l’écologie comportementale sur un point important : la
prise en compte du niveau psychologique.

La sociobiologie d’hier et l’écologie comportementale d’aujourd’hui cherchent avant tout
à expliquer les *comportements* avec la théorie de l’évolution, mais elles ne cherchent pas à
expliquer la psychologie. C’est à dire que ces disciplines vont dire, « tiens, avec mes modèles
d’évolution je prédis que le comportement qui maximise la fitness d’un organisme est celui-là,
allons donc vérifier que ce comportement est effectivement celui qu’on trouve dans la nature ».
Par exemple, dans le cas de l’humain les écologues comportementaux vont aller sur le terrain
vérifier si les stratégies d’acquisition de ressources des chasseurs-cueilleurs correspondent à des
stratégies qui maximisent la quantité de calories récoltées [49].

La psycho évo, comme je vous l’ai déjà expliqué, ne cherche pas à étudier les comportements
directement, elle cherche avant tout à expliquer les programmes cognitifs qui tournent
dans notre tête. La sélection naturelle a un effet sur nos comportements, mais uniquement par
l’intermédiaire de nos programmes cognitifs. Et vous avez peut-être l’impression que c’est qu’un
détail mais en fait pas du tout. Si historiquement la psycho évo était passée avant la sociobiologie,
j’aurais peut-être pas eu besoin de faire 1h15 de vidéo pour vous expliquer pourquoi les
humains achètent des capotes et des clopes, parce que c’est quelque chose qui s’explique très facilement
si on considère que les humains sont des exécuteurs d’adaptations, mais qui s’explique
beaucoup plus difficilement si on considère, comme la sociobiologie, que les humains sont des
maximisateurs de fitness. Les humains achètent des capotes et des clopes parce que ce ne sont
pas les comportements qui sont sous sélection, ce sont les programmes cognitifs qui le sont. Et
ces programmes cognitifs sont sous sélection pour maximiser la fitness en moyenne sur toute
une vie. Une fois que ces programmes cognitifs ont été créés, ils vivent leur vie dans notre tête
et nous font parfois adopter des comportements maladaptatifs, exactement comme un robot
laché dans un nouvel environnement va se mettre à faire plein de choses pour lesquelles il n’était
pas conçu. Je passe un peu vite là-dessus mais c’est parce que j’en ai déjà parlé en long et en
large dans cette vidéo que je vous recommande de regarder si ce n’est pas déjà fait [vidéo].

Un autre problème avec la sociobiologie selon moi, c’est qu’en cherchant à savoir si les prédictions
de modèles théoriques d’évolution se retrouvent dans la nature, elle fait croire qu’on
peut passer directement de l’évolution aux comportements, en zappant le niveau psychologique
et culturel. Quand on lit de la sociobiologie, on a beaucoup plus cette impression de réductionnisme,
cette impression que les travaux en psychologie et en sociologie ne servent à rien.
On a l’impression qu’on peut sauter directement de l’évolution aux comportements, ou des
gènes aux comportements – même si la sociobiologie a aussi été beaucoup caricaturée, et n’est
pas aussi naïve qu’on le croit. Alors que dans la perspective de la psycho évo, on passe toujours
par le niveau psychologique, et au niveau psychologique l’influence de l’environnement,
notamment culturel, est très importante. La psycho évo accueille à bras ouvert la recherche en
sciences sociales, elle donne beaucoup moins l’impression de vouloir ou de pouvoir se passer
de ces disciplines. En fait, plus j’avançais dans l’écriture de cette vidéo, plus je me rendais
compte que les critiques auxquelles je répondais étaient probablement des critiques adressées
à la sociobiologie à la base, et que la psycho évo s’est récupérée ensuite parce que les gens
n’ont pas compris qu’elle faisait les choses différemment. Si la psycho évo était arrivée avant
la sociobiologie, peut-être que les approches évolutionnaires du comportement auraient bien
meilleure réputation aujourd’hui (non).

Donc la psycho évo ce n’est pas de la sociobiologie qui a changé de nom, la psycho évo ce sont
des chercheurs qui ont trouvé le programme de recherche de la sociobiologie insuffisant, parce
qu’il ne donnait pas assez d’importance à ce qui se passe dans le cerveau. On ne peut pas sauter
directement des gènes aux comportements, entre les deux se trouve un lien manquant, celui
de nos programmes cognitifs. La sociobiologie avait oublié d’embarquer avec elle la révolution
cognitive, et la psycho évo se proposait d’y remédier.

Aujourd’hui, l’écologie comportementale, héritière la plus directe de la sociobiologie, s’intéresse
toujours assez peu à la psychologie, à ce qui se passe dans le cerveau, elle se focalise
surtout sur les comportements [52]. Beaucoup de chercheurs de ce champ sont conscients de
cette limite, et la justifient en disant qu’étudier des programmes cognitifs c’est très dur à faire,
la science ne sait pas bien le faire à l’heure actuelle, alors qu’étudier des comportements c’est
beaucoup plus facile.

C’est en partie vrai, et c’était même très vrai dans les années 80/90, mais ça l’est beaucoup
moins aujourd’hui. Surtout en ce qui concerne l’humain, les neurosciences, la psychologie
et les sciences cognitives en général sont devenus des champs gigantesques qui progressent à
toute vitesse. Donc bien que l’écologie comportementale humaine ait comme la psycho évo la
prétention d’unifier les sciences sociales et les sciences naturelles [52], à mon avis, parce qu’elle
néglige généralement le niveau psychologique, elle est beaucoup moins bien placée pour ça. Je
vois mal comment on pourrait unifier le champ d’étude de l’humain en laissant de côté les
sciences cognitives.

Voilà pourquoi c’est très important de ne pas confondre psycho évo et sociobiologie, ou
psycho évo et écologie comportementale : c’est occulter qu’il y a des grosses différences conceptuelles
entre les deux, et des différences que personnellement je qualifierais d’arguments en
faveur de la psycho évo, même si vous imaginez bien que tous les chercheurs ne seront pas
d’accord.

1.10 Résumé

Bon hé bien on va s’arrêter là si ça ne vous dérange pas, je vous fais un résumé parce que
vous l’avez bien mérité.

Dans cette vidéo j’ai voulu lever quelques malentendus qui planent sur la psycho évo en ce
qui concerne la question des relations gènes / environnement, nature / culture, inné / acquis,
etc. Comme toutes les sciences naturelles d’aujourd’hui, la psycho évo rejette ces dichotomies
franches qui ne correspondent à aucune séparation dans le monde réel.

La psycho évo met au contraire l’environnement au coeur de son programme de recherche,
et elle ne peut pas faire autrement parce qu’un cerveau pour un biologiste c’est par définition un
système fait pour s’adapter à son environnement. Gènes et environnement sont obligatoirement
liés, car les gènes sont sélectionnés sur la base de leur interaction avec un certain environnement.
Un environnement n’a d’effet que parce que des gènes lui permettent d’avoir cet effet,
directement ou indirectement. Et un environnement ne contient pas d’effet en lui-même, et
toutes les explications environnementales des comportements, si elles ne sont pas fausses en soi,
ne sont que des explications partielles.

La psycho évo ne postule pas que tous les comportements sont innés et présents à la naissance,
et elle ne postule pas non plus que l’apprentissage n’a aucun rôle à jouer dans nos
comportements ; au contraire, l’apprentissage est souvent très important. Par contre, cet apprentissage
est toujours permis par des structures évoluées, et l’inné et l’acquis ne sont pas
mutuellement incompatibles ; quand vous postulez qu’un comportement est appris vous n’avez
pas dans le même temps rejeté l’importance de l’évolution, parce que c’est l’inné qui permet
l’acquis.

La psycho évo ne nie pas non plus l’importance de la plasticité pour expliquer les comportements,
mais cette plasticité est elle-même permise par des structures évoluées. Dire qu’un
comportement est « plastique » n’explique rien, ce n’est qu’une redescription de son caractère
variable. Et ce caractère variable n’est pas très intéressant en soi : ce qui est intéressant, c’est
la capacité à varier *de façon adaptative*, qui elle ne peut être expliquée que par la sélection
naturelle.

La psycho évo ne nie pas non plus le rôle de la culture pour expliquer les comportements
humains. Mais c’est quelque chose de trivial de dire que la culture affecte les comportements.
Ce qui est moins trivial, c’est de se demander comment elle y parvient, et si certaines différences
entre populations humaines ne seraient pas causées par de la plasticité phénotypique
cognitive, c’est à dire par des programmes cognitifs qui sont universels mais qui produisent des
comportements différents quand ils travaillent dans des environnements différents. Dans ce cas,
la théorie de l’évolution sera nécessaire pour expliquer pourquoi certains comportements ont
été pré-chargés dans nos cerveaux et ne sont joués que dans certains environnements. Il faut
aussi se méfier du mot « culture » utilisé comme un mot magique ou une simple redescription,
comme une étiquette collée sur des différences entre populations. Et il faut aussi se méfier des
études qui cherchent à mettre en évidence une influence de la culture en ne se basant que sur
des corrélations, sans avoir contrôlé pour des facteurs génétiques confondants.

Enfin, parce qu’elle donne toute sa place à l’environnement, la psycho évo ne fait pas de déterminisme
génétique, pas plus qu’elle n’a l’intention de cannibaliser toutes les autres disciplines
qui étudient déjà l’humain. La psycho évo cherche plutôt à rendre continues et mutuellement
compatibles les différentes disciplines, en insistant sur le niveau psychologique, ce que n’avaient
pas fait les programmes de recherche précédents.

En fait, vous remarquerez que toutes les critiques qu’on a vues aujourd’hui peuvent s’expliquer
par une vision trop simpliste du type de comportement qu’est capable de produire
l’évolution. Si vous pensez que les seuls comportements que peut produire l’évolution sont ceux
qui sont présents à la naissance et qui ne varieront pas tout au long de la vie, une vision un
peu véhiculée par la métaphore « un gène code pour un comportement », alors dans ce cas on
comprend pourquoi on pourrait reprocher à la psycho évo de nier le rôle de l’apprentissage, de
la plasticité, de la culture, etc. Mais dès que vous abandonnez cette vision simpliste et que vous
la remplacez par la vision de gènes qui codent non pas pour des comportements mais pour des
programmes cognitifs, qui eux sont très flexibles, plastiques, dépendants d’un apprentissage, du
milieu culturel et de tout ce que vous voulez, toutes ces critiques disparaissent d’elles-mêmes.
On peut alors commencer à débattre des questions plus intéressantes, sur le rôle qu’a pu jouer
la sélection naturelle dans la création de tous ces programmes flexibles et sophistiqués.

Il y a bien sûr des avis différents sur ces questions intéressantes, il y a différentes façons
de concevoir les relations gènes-environnements, il y a différentes façons d’envisager comment
l’évolution a pu nous prédisposer à apprendre certaines choses plutôt que d’autres, y’a encore
plein de débats entre les chercheurs. Le cadre que je vous ai présenté aujourd’hui n’est probablement
pas parfait, je voulais juste vous montrer qu’on est assez loin de la présentation qu’on
fait parfois d’un cadre déterministe, innéiste et réductionniste [47, 48]. Je ne peux rien faire de
plus contre ces critiques que ce que j’ai fait aujourd’hui, et vous laisser décider par vous-mêmes
si elles sont bien justifiées. Je continuerai ce travail dans la prochaine vidéo en vous parlant des
soit-disant problèmes méthodologiques attribués à la psycho évo.

Merci à zlita, Nicolas, Wikijou, Nicolas Hervé, THIBAUT et aux 300 autres humains qui me
soutiennent sur utip et tipeee, vous êtes l’environnement sans lequel mes gènes ne pourraient
pas s’exprimer.
Merci aussi à mes relecteurs, et je vais aussi commencer à vous recommander des livres
à la fin de mes vidéos pour que vous puissiez creuser les sujets par vous-même. Aujourd’hui,
parce qu’on a beaucoup parlé d’apprentissage et de plasticité, je vous recommande Apprendre ! :
Les talents du cerveau, le défi des machines, par Stanislas Dehaene. C’est un livre bien parce
qu’il mélange à la fois réflexions abstraites sur « c’est quoi apprendre », en prenant en exemple
l’apprentissage en intelligence artificielle et l’apprentissage bayésien, et illustrations concrètes de
comment l’apprentissage et la plasticité ont lieu, notamment chez les bébés. En plus, Stanislas
Dehaene insiste souvent pour dire que l’apprentissage est à la fois permis et contraint par
l’évolution, évolution et apprentissage ne sont pas deux choses qui s’opposent, donc ça c’est cool.

Et puis il vous donne des conseils très pratiques si vous voulez optimiser vos apprentissages,
c’est à dire si vous voulez apprendre à apprendre, ce qu’on ne nous a bizarrement jamais appris
à l’école. Bonne lecture !

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Commentaires

2 réponses à “La culture est une construction biologique (et vice et versa) – psycho evo #6”

  1. Avatar de Cazorp
    Cazorp

    Bonjour et merci pour votre travail.
    Je suis surpris de ne pas trouver les travaux de Joseph Henrich et son ouvrage « The Secret of Our Success: How Culture Is Driving Human Evolution, Domesticating Our Species, and Making Us Smarter » (2015), traitant très précisément et en profondeur ce sujet. Est-ce une omission délibérée ? Si oui, les travaux de Henrich et son labo sont-ils discutés/discutables ?
    Merci !

    1. Avatar de Stéphane
      Stéphane

      Bonjour,
      je me suis surtout concentré sur les critiques faites à la psycho évo dans cette vidéo, pour un réel traitement de la culture ça sera pour une autre fois.
      Henrich est discuté/discutable oui bien sûr, mais comme tout le monde dans ce domaine. Lui insiste sur l’importance de l’évolution pour comprendre la culture, il est « psychologue évolutionnaire » dans ce sens, mais il fait partie des plus culturalistes des psychologues évolutionnaires, rejetant par exemple l’universalité de certaines dispositions cognitives (comme le sens moral).

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