La psychologie évolutionnaire est une pseudoscience – psycho évo #7

La psychologie évolutionnaire est-elle une pseudoscience qui ne fait que de la spéculation à longueur de journée? Est-il possible de tester les hypothèses sur l’origine évolutionnaire d’un trait? Est-ce que ce n’est pas dangereux de voir des adaptations partout ? Aujourd’hui je vous propose de discuter un peu de méthode.

La vidéo :

La transcription pour ceux qui préfèrent le texte :

On va discuter de la façon dont on peut tester les hypothèses adaptatives, de la raison pour laquelle le programme de recherche adaptationniste est si important, et d’autres critiques méthodologiques diverses et variées qui reviennent souvent. J’ai déjà répondu à la plupart de ces critiques dans les vidéos précédentes, mais sans attirer votre attention dessus, donc je vais tout reprendre ici, d’abord parce que ça ne fait jamais de mal de répéter, et ensuite parce que ça sera pratique d’avoir une seule vidéo qui regroupe toutes ces infos au même endroit. En général les questions méthodo sont pas très sexys à vulgariser, et comme ce sont souvent des débats de spécialistes, je vais être obligé de rentrer dans des détails un peu techniques. Mais je vais essayer de vous expliquer tout ça le plus clairement possible, et vous allez voir qu’au final ces débats ne sont pas aussi chiants qu’ils en ont l’air, parce qu’ils touchent à des questions profondes de philosophie des sciences sur ce qu’on considère être des moyens satisfaisants de produire de la connaissance. Alors accrochez-vous, et normalement à la fin de cette vidéo vous devriez avoir toutes les informations nécessaires pour décider par vous-même s’il est justifié de ranger la psycho évo aux côtés de l’astrologie, de la numérologie et de la géologie.

1.1 La psycho évo ne fait que de la spéculation

La critique qui revient le plus souvent sur la psycho évo, et de très loin je pense, c’est qu’elle ne ferait que de la spéculation. C’est à dire qu’on présente souvent la psycho évo comme la discipline qui fait des hypothèses sur l’origine évolutionnaire des fonctions mentales et qui s’arrêterait là. J’ai l’impression que dans la tête de certains, le travail d’un chercheur en psycho évo ressemblerait à ça : [vidéo rigolote]. Ceux qui s’aventurent à parler de psycho évo en public diront par exemple, « selon la psycho évo, le dégoût aurait évolué pour nous faire éviter les pathogènes », et ils s’empresseront de préciser tout de suite pour ne pas avoir l’air trop naïfs que ce n’est que de la spéculation à ce stade et que ces hypothèses sur le passé ne sont pas évidemment pas testables. Cette critique est parfois exprimée en terme de falsifiabilité ou de réfutabilité pour lui donner un vernis plus intello. Les hypothèses adaptatives ne seraient pas réfutables, dans le sens qu’on ne pourrait pas construire d’expériences qui permettent de les contredire. Comme on ne peut pas remonter dans le passé, on voit mal comment on pourrait tester l’affirmation que « le dégoût a évolué pour nous permettre d’éviter les pathogènes » par exemple. On a très rapidement cette impression de spéculation quand on est confronté aux hypothèses de la psycho évo.

Mais il faut tout de suite de remarquer que cette impression de spéculation n’est pas spécifique à la psycho évo. On la retrouve aussi beaucoup en écologie comportementale, en éthologie, et en biologie de l’évolution en général. Par exemple, dans les documentaires animaliers que vous regardiez enfants à la télé en trempant des choco BN dans du lait, vous pouviez entendre dire que le héron noir chasse en mettant ses ailes en cercle autour de lui parce que ça donne aux poissons situés en-dessous un sentiment de sécurité. Les poissons se méfient donc moins, et le héron peut les bouffer plus facilement. Quand on entend ça, la réaction des gens normaux c’est d’être émerveillés devant une telle stratégie de chasse, mais la réaction des gens sceptiques, c’est de se demander comment on a bien pu faire pour prouver une telle hypothèse, parce qu’on est certainement pas allés demander aux poissons s’ils se sentent en sécurité, et puis ya plein d’autres hypothèses qui pourraient expliquer ce comportement, par exemple que le héron fait ça pour éviter les reflets à la surface de l’eau, et donc pour améliorer sa vision » [1]. Autre exemple, ya des oiseaux qui ont l’habitude de se rouler dans des fourmilières, et à la télé on va vous dire qu’ils font ça pour que les substances que sécrètent les fourmis tuent leurs parasites… À nouveau, en bon sceptique on a tendance à regarder cette hypothèse d’un oeil suspect. Comment on a pu prouver ça, et pourquoi ces oiseaux ne seraient-ils pas tout simplement en train de se donner du plaisir en se faisant des petites piquouzes d’acide formique, comme les bons gros toxicos qu’ils sont? Autre exemple, la gazelle qui saute en l’air quand elle voit un prédateur, à la télé on va vous dire qu’elle fait ça pour informer les prédateurs qu’elle a la patate aujourd’hui et que donc ça sert à rien de lui courir après. Encore de la spéculation. Et puis cette spéculation touche aussi des anatomies et pas que des comportements. Dans des articles scientifiques, vous pourrez lire que la défense du narval a évolué *pour* se battre contre d’autres mâles [2]. Vous pourrez entendre que la lanterne des baudroies abyssales a évolué *pour* attirer des proies. Sans qu’on sache jamais pourquoi on pense ça. Spéculation, spéculation, dès qu’on commence à parler de fonction en biologie on a l’impression de ne voir que de la spéculation partout. Il y a même un petit mot consacré dans le milieu universitaire pour qualifier ces hypothèses spéculatives, c’est le mot « just-so story », qui pourrait se traduire par « histoire à dormir debout », ou « conte pour enfants » [3-5].

Mais ces accusations sont en grande partie injustifiées. Si les documentaires à la télé et ce que vous lisez sur internet peuvent vous donner une impression de spéculation, c’est parce qu’on vous présente toujours les hypothèses sans jamais vous présenter les données qui existent pour les appuyer. Or, comme on l’a vu dans la vidéo sur les adaptations, les hypothèses adaptatives peuvent bien être corroborées par des données, et notamment par une analyse de correspondance design / fonction [6].

On peut commencer avec un exemple classique, celui de l’oeil. Comment vous vous y prendriez pour montrer que la fonction évolutionnaire de l’oeil c’est de capter des rayons lumineux? Que l’oeil a évolué *pour* voir? Une façon de procéder qui serait convaincante c’est de montrer que l’oeil possède un ensemble de caractéristiques qui sont très improbables d’être expliquées autrement que par cette fonction. Un oeil possède une pupille qui fait rentrer la lumière, un iris qui fait varier la quantité de lumière qui entre, une lentille qui dévie cette lumière sur un plan fixe, une rétine dont les cellules sont sensibles à cette lumière, etc, etc. Le seul moyen de donner du sens à la coexistence de toutes ces caractéristiques dans un si petit volume de matière, c’est de postuler que ces caractéristiques servent une fonction. L’oeil est à la fois très précis, efficace, parcimonieux et fiable pour récolter des rayons lumineux, ce qui justifie de dire que c’est sa fonction probable. Le design de l’oeil nous renseigne sur sa fonction probable.

[schéma : design -> fonction]

En raisonnant comme ça, vous êtes tout simplement en train de faire ce que les ingénieurs appellent de la rétro-ingéniérie. Vous observez un objet complexe, et vous essayez de deviner à quoi il sert à partir de ses caractéristiques. Vous êtes comme un ingénieur qui aurait récupéré une arme ennemie pendant la guerre, et qui essaierait de deviner à quoi elle sert.

Mais ce n’est pas non plus un raisonnement réservé aux bac +5. C’est un raisonnement qu’on utilise tous sur des objets du quotidien. Dans ma vidéo sur les adaptations, j’avais pris l’exemple du mug. À supposer que vous n’ayez jamais vu un mug de votre vie, vous pourriez deviner sa fonction rien qu’en analysant son design. Un mug est un objet creux, avec une anse, fait dans un matériau léger et épais qui ne conduit pas bien la chaleur, et qui a la taille adaptée pour la soif d’un humain. Toutes ces caractéristiques font de cet objet un objet adapté pour porter des boissons chaudes. Dit autrement, l’explication la plus parcimonieuse pour expliquer la réunion de toutes ces caractéristiques dans un seul objet, c’est que la personne qui a créé cet objet voulait s’en servir pour porter des boissons chaudes. Il y a d’autres explications possibles bien sûr, le mug pourrait aussi avoir été créé pour servir de presse-papier, ou de pot à crayons, mais ce ne sont pas les explications les plus parcimonieuses pour expliquer toutes ces caractéristiques. Si vous vous baladez un jour dans une brocante et que vous tombez sur un outil utilisé par nos arrières-grands parents, vous ferez aussi de la rétroingéniérie pour essayer de deviner à quoi il sert. En ce moment sur Youtube Nota Bene fait une série de vidéos où il fait exactement ça, il fait de l’analyse de correspondance design/fonction [7].

à 2’19

Les programmeurs connaissent bien aussi ce raisonnement. Quand vous tombez sur un morceau de code qui a été écrit par quelqu’un d’autre, et que ce quelqu’un d’autre n’a laissé aucun commentaire, vous allez faire de la rétro-ingéniérie pour essayer de comprendre ce que ce code fait.

Et enfin, l’analyse de correspondance design/fonction est aussi très utilisée en neurosciences et en psychologie non-évolutionnaire. En neurosciences, on essaie souvent de deviner la fonction d’un groupe de neurones à partir de leurs caractéristiques. Typiquement on va dire, tiens ce groupe de neurones réagit quand on lui présente tel stimulus, et puis il est connecté avec tel autre groupe de neurones dont je connais déjà la fonction, ce qui me fait penser que sa fonction probable c’est ça. En psychologie non-évolutionnaire c’est pareil, les fonctions tiennent une place très importante. Si vous ouvrez n’importe quel bouquin de psychologie, vous y entendrez parler de la fonction de l’introspection, de la fonction de la mémoire, la fonction de la nostalgie, etc. La plupart de ces fonctions sont établies en faisant de la rétro-ingéniérie.

Et on retrouve même de la rétro-ingéniérie en philosophie! Par exemple dans cet article publié dans le Journal of philosophy, les auteurs essaient de deviner la fonction de la causalité [8].

Il ne vous aura sûrement pas échappé qu’on interprète le monde autour de nous en terme de causalité : on pense que certains événements en causent d’autres, alors qu’on pourrait juste penser que certains événement succèdent à d’autres. C’est déjà un phénomène assez intrigant en soi, mais ce qui est plus intrigant encore, c’est que toutes les causes n’ont pas la même valeur. Par exemple, pour expliquer un incendie, on va généralement dire que sa cause c’est l’étincelle, et pas l’oxygène présent dans l’air. Pourtant, d’un point de vue purement causal, l’oxygène de l’air a été aussi important que l’étincelle pour produire l’incendie. Alors pourquoi notre psychologie fonctionne comme ça? Pourquoi notre cerveau catégorise certains événements comme des causes et d’autres non? L’hypothèse de ces philosophes, c’est que la fonction de la causalité est de nous permettre d’identifier les événements sur lesquels on peut avoir une influence, sur lesquels on peut agir, intervenir. L’oxygène de l’air sera toujours présent qu’on le veuille ou non, et donc si on voulait éviter les incendies on n’aurait aucune chance de pouvoir agir sur ce levier. Les étincelles par contre, on peut essayer de les éviter, on peut intervenir dessus. Et c’est pour ça qu’on les identifierait comme des causes, contrairement à l’oxygène de l’air.

Alors indépendamment de si cette théorie est vraie ou pas, ce qui est intéressant de remarquer c’est que ces philosophes, pour prouver qu’ils ont raison, font appel à une analyse de correspondance design / fonction. C’est écrit presque noir sur blanc dans leur article :
« Les critères [utilisés par les gens pour identifier des causes] sont « designés » d’une façon qui les amène généralement à se diriger vers des stratégies d’interventions préférables – et ceci, nous pensons, est bien suffisant pour justifier notre concept de causalité ».
Donc la rétro-ingéniérie, ou l’analyse de correspondance design-fonction, est utilisée en psychologie, neurosciences, ingéniérie, programmation, philosophie, et dans toutes les sciences où ça a du sens de parler de fonction. Et alors la psycho évo et la biologie de l’évolution dans tout ça? Qu’est-ce qu’elles font de si différent pour qu’elles soient, elles et seulement elles, régulièrement accusées de faire de la spéculation? Hé bien elles ne font rien de différent. La psycho évo et la biologie de l’évolution utilisent exactement cette même méthode d’analyse de correspondance design/fonction qu’on vient de voir. Par exemple, quand la psycho évo dit que le dégoût a évolué pour nous tenir éloigné des pathogènes, c’est parce que, comme on l’a vu dans la vidéo dédiée, le dégoût présente un ensemble de caractéristiques qui le rendent particulièrement performant, fiable et parcimonieux pour réaliser cette fonction [9-12].

Et en fait, quand je dis que la psycho évo ne fait rien de différent de la psychologie traditionnelle, c’est pas complètement vrai, parce qu’il y a un sens à dire qu’elle fait les choses mieux. Pourquoi? Parce que la psycho évo, quand elle essaie de deviner des fonctions, elle se limite à des fonctions qui ont du sens d’un point de vue évolutionnaire. Les psychologues non évolutionnaires, eux, ne sont pas contraints par ça. Ils sortent leurs hypothèses de leur chapeau, pour rester poli. Ils utilisent leurs intuitions principalement, et ça c’est pas très bon parce que ça veut dire que ça peut partir dans tous les sens. Par exemple, dans ma vidéo sur le dégoût, je vous avais dit que rien qu’au cours du XXe siècle, des psychologues avaient postulé que le dégoût était la manifestation d’un « surplus de vie », d’une « fascination pour la mort» [13], un moyen de ne pas menacer l’ordre social [14], ou un moyen d’oublier que nous ne sommes que des animaux [15]. Ils en fument de la bonne les chercheurs parfois croyez-moi.

Les psychologues évolutionnaires, eux, ne peuvent pas aller si loin, parce que toutes leurs hypothèses doivent être justifiées par une analyse évolutionnaire. Alors ça laisse encore un peu de place à l’imagination, mais la marge de manoeuvre est fortement réduite. Et surtout, la théorie de l’évolution, et la sélection naturelle en particulier, c’est la théorie la plus puissante que l’on connaisse pour expliquer les fonctions dans le monde vivant [16, 17]. Donc ça paraît vraiment pas déconnant d’y faire appel pour expliquer les fonctions de notre psychologie. Et en plus, pour faire un rappel de ma vidéo précédente, ça permet de rattacher très naturellement une science sociale qu’est la psychologie aux sciences naturelles, dans une perspective de réunification des champs de la connaissance.

Un truc qu’il est important de noter, c’est que l’analyse de correspondance design-fonction peut se faire dans les deux sens. Depuis tout à l’heure, je vous ai mis une flèche qui va du design vers la fonction : on essaie de deviner la fonction à partir du design. Mais en fait cette flèche va aussi dans l’autre sens. Parce qu’une fois que vous avez postulé une fonction, vous pouvez faire des prédictions pour essayer de la confirmer. Par exemple, si vous postulez qu’un mug sert à contenir des boissons chaudes, vous pouvez prédire que sa surface de contact avec les supports sera minimisée pour éviter les pertes de chaleur, ce qui pourra vous amener à faire l’hypothèse que son fond n’est pas plat. Si vous postulez que le programme informatique que vous avez devant les yeux est un virus qui bloque l’accès à certains fichiers, vous pouvez tout de suite essayer de confirmer cette hypothèse en recherchant des lignes de code qui modifient les permissions d’accès à des fichiers. Et alors que vous étiez devant un énorme code de plusieurs milliers de lignes, et que vous ne saviez pas par quel bout l’analyser, vous pouvez maintenant faire un Ctrl+F pour rechercher la présence d’un certain design. Postuler des fonctions a ce qu’on appelle un pouvoir heuristique, ça nous permet de découvrir des choses et mieux comprendre comment une machinerie complexe fonctionne.
Et ce pouvoir heuristique, c’est précisément lui que cherche à exploiter la psycho évo. En psycho évo aussi on peut partir des fonctions pour essayer de découvrir du design. C’est même l’objectif principal. À la limite postuler des fonctions on s’en fout. La psycho évo s’intéresse surtout à ce qu’on va pouvoir découvrir de nouveau sur notre psychologie en passant par les fonctions. Si la psychologie évolutionnaire a le mot « psychologie » dans son nom, c’est parce qu’elle est en premier lieu intéressée par la compréhension du fonctionnement de notre cerveau [17]. C’est très important de comprendre ça. Le but explicatif premier, c’est la compréhension de ce que fait notre cerveau. Postuler des fonctions n’est qu’un moyen pour parvenir à cette fin.

Reprenons l’exemple du dégoût. Quand la psycho évo postule que la fonction du dégoût c’est de nous tenir éloignés des pathogènes, elle ne considère pas qu’elle a terminé là son travail. C’est sûr que postuler cette fonction nous permet déjà de comprendre plein de trucs, par exemple pourquoi on est dégoûtés par les aliments avariés, les excréments ou les liquides corporels, qui sont tous porteurs de pathogènes. On le savait déjà qu’on est dégoûtés par ça, mais ça prend maintenant tout son sens avec une hypothèse fonctionnelle. Mais le plus important, c’est que cette hypothèse fonctionnelle permet aussi de faire des prédictions et donc de découvrir de nouvelles choses. Par exemple, on avait vu que pour être un outil de lutte performant contre les pathogènes, un sens du dégoût devrait s’activer différemment chez les hommes et les femmes. Prédiction qui s’est avérée confirmée [18, 19]. On avait vu que pour être efficace, un sens du dégoût devrait être connecté avec notre système immunitaire classique. Prédiction qui a été confirmée [20, 21]. On avait vu que si le dégoût avait vraiment une fonction prophylactique, alors les personnes les plus facilement dégoûtées devraient aussi être les moins contaminées. À nouveau, prédiction confirmée [22]. Dans les sociétés traditionnelles, ceux qui sont le plus facilement dégoûtés sont aussi ceux qui ont le moins de marqueurs de réponse immunitaire. Tout ça, c’est de la connaissance sur notre psychologie et sur l’humain en général qui n’a pu être produite qu’en postulant des fonctions. Personne n’aurait jamais pensé à aller tester toutes ces choses sinon. Voilà un des gros points forts de l’analyse de correspondance design-fonction. Non seulement elle donne du sens à des choses qu’on savait déjà, mais elle nous permet d’apprendre de nouvelles choses. Elle a un pouvoir heuristique important.

90% du boulot des chercheurs en psycho évo, ce n’est donc pas de spéculer sur la fonction d’un comportement, mais d’aller tester empiriquement les prédictions de cette fonction. La psycho évo est une discipline très empirique. Si vous ouvrez un article de psycho évo au hasard, vous avez 90% de chances de tomber sur un article qui récolte des données, qui teste les prédictions de ses hypothèses, pas un article qui fait de la spéculation sur une fonction. Comme le dit le philosophe de la biologie Edouard Machery [23], en psycho évo, « les hypothèses ne sont pas seulement générées, elles sont aussi testées ».

Je répète, parce que c’est un point hyper-important. Le but premier de la psycho évo, c’est pas de trouver la fonction évolutionnaire de nos mécanismes cognitifs. Le but premier de la psycho évo, c’est de découvrir des choses qu’on ignorait sur notre psychologie. Donc y’a rien de spéculatif là-dedans. Soit on va trouver des choses, soit on va rien trouver. Ceux qui accusent la psycho évo de faire de la spéculation n’ont tout simplement pas compris son objectif. Après, est-ce que cette stratégie de passer par la fonction pour découvrir du design va marcher, c’est une autre question. Mais c’est une question empirique, pas une démarche spéculative.

Mais attendez je vous ai pas encore parlé du meilleur. Dans toutes les disciplines classiques qui font de l’analyse de correspondance design-fonction, comme en psychologie ou neurosciences, on part toujours d’abord du design pour postuler une fonction, et ensuite revenir faire des prédictions sur le design. Le problème quand on fait ça, c’est qu’on est limité par ce qu’on observe. On est limité par le design qu’on observe. Or une énorme partie du design de notre cerveau est cachée. Une grosse partie de notre activité mentale est inconsciente et échappe donc à notre introspection. Il y a énormément de design qu’on ne peut pas observer, et donc, si on ne peut pas l’observer, on ne peut pas faire de rétro-ingéniérie dessus. Et c’est là que la psycho évo devient vraiment intéressante. La psycho évo nous dit, « hé mais en fait, il existe un autre moyen de postuler des fonctions, c’est de passer par la théorie de l’évolution. On n’est pas obligé de partir du design observable. »

En quelque sorte, c’est comme si la psycho évo disait au cerveau : « alors comme ça, cerveau, tu te laisses pas facilement étudier? Tu nous caches une grande partie de ton design? Hé bien peu importe, on va quand même découvrir ce design en empruntant un chemin détourné. Parce qu’on connait la raison pour laquelle tu as été créé. Tu es une machine à augmenter les chances de survie et de reproduction. On connaît un très grand nombre de problèmes de survie et de reproduction que tu as dû résoudre au cours du passé. Connaissant tous ces problèmes, on peut se mettre à la recherche du design nécessaire pour les résoudre ». Voilà une des grosses forces de la psycho évo. Elle n’a pas besoin de toujours partir du design pour déduire une fonction et ensuite revenir au design. Elle peut directement partir de la fonction, grâce à la théorie de l’évolution, pour ensuite aller tester l’existence d’un design. Comme le cerveau est une machine ultra-complexe qui ne se laisse pas facilement étudier, on utilise un moyen détourné pour découvrir son design. Plutôt malin non?

C’est exactement ça que voulaient dire les fondateurs de la psycho évo dans les années 90 quand ils écrivaient [24] :

« Étant donné qu’on connaît si peu de choses sur le cerveau humain et l’architecture cognitive, ce dont les chercheurs ont désespérément besoin c’est d’outils théoriques puissants qui puissent les aider à créer des expériences pour rechercher plus efficacement […] du design qui n’aurait pas encore été observé. »

Ou comme le disait le grand biologiste de l’évolution George Williams dès les années 60 [6] :

« Est-ce si déraisonnable de penser que notre compréhension de l’esprit humain sera grandement aidée par la connaissance de la raison pour laquelle il a été créé? »

En résumé, dire que la psycho évo ne fait que de la spéculation est à la fois faux et injuste. C’est faux d’abord parce les hypothèses sur la fonction sont bien testables, par une analyse de correspondance design / fonction. C’est faux aussi parce que postuler des fonctions n’a jamais été le coeur de métier de la psycho évo. Son coeur de métier c’est de découvrir expérimentalement de nouvelles choses sur l’esprit humain, et postuler des fonctions n’est qu’un moyen de parvenir à cette fin. Et c’est injuste parce que cette stratégie est exactement la même que celle déjà utilisée en biologie, psychologie, neurosciences, philosophie, ingéniérie, programmation, et dans tous les domaines où ça a du sens de parler de fonction.

La prochaine fois qu’à la télé vous entendrez dire que « les antilopes font des bonds pour montrer aux prédateurs que ça sert à rien de leur courir après », n’en concluez pas qu’il s’agit de spéculation. Concluez simplement que le présentateur a oublié de vous présenter les données qui vont à l’appui de cette hypothèse. Et le mot « hypothèse » est le bon mot, pas le mot « spéculation », ni le mot « just-so story ». Comme toute hypothèse, elle peut être bien étayée ou mal étayée, mais il n’y aucune raison d’utiliser des termes péjoratifs pour la désigner.

1.2 Les quatre causes de Tinbergen

Je vais vous faire un petit schéma qui j’espère va clarifier encore un peu plus tout ça. Ce schéma, on le doit à Nikolaas Tinbergen, un biologiste néerlandais qui a reçu le prix Nobel de physiologie et médecine dans les années 70, pour ses travaux fondateurs en éthologie. Et dans ces travaux, il nous dit que face à un comportement donné, il y a quatre façons de l’étudier [25]. Prenons le dégoût comme exemple. Vous observez que les humains sont dégoûtés par certains stimuli. Vous vous demandez pourquoi. Et là, il y a quatre types de réponses que vous pouvez apporter. [schéma]

Vous pouvez d’abord dire que si les humains ressentent du dégoût, c’est parce qu’ils ont dans la tête des mécanismes cognitifs qui leur font ressentir cette émotion. Dans ce cas, vous vous intéressez à la causalité immédiate de ce comportement. Mais vous pouvez aussi dire que s’ils éprouvent du dégoût, c’est parce qu’ils ont développé au cours de leur enfance une capacité à éprouver du dégoût. Dans ce cas vous vous intéressez à la causalité un peu plus lointaine, à la causalité du développement. Mais vous pouvez aussi remonter encore la chaîne de causalité et vous intéresser à l’évolution, c’est à dire à la succession de mutations et d’embranchements qui ont conduit notre espèce à avoir la capacité de développer pendant l’enfance un sens du dégoût. Et enfin, vous pouvez vous intéresser à la *raison* pour laquelle notre espèce a acquis cette capacité. Dans ce cas vous discuterez de fonction, de la raison pour laquelle le dégoût a augmenté les chances de survie ou de reproduction de nos ancêtres.

Voilà donc quatre façons différentes de répondre à la même question « pourquoi ressentonsnous du dégoût? » : 1/ parce que on a des mécanismes cognitifs qui nous font ressentir ça 2/ parce que notre développement pendant l’enfance a abouti à la mise en place de ces mécanismes 3/ parce que ces mécanismes sont apparus au cours de l’évolution 4/ parce que ces mécanismes ont augmenté nos chances de survie ou de reproduction au cours de l’évolution.

On peut donc faire la distinction entre 1/ causes immédiates 2/ causes développementales 3/ causes évolutionnaires 4/ causes fonctionnelles. Bien sûr, ces causes ne sont pas mutuellement exclusives. Il n’y en a pas une qui est plus « vraie » qu’une autre, elles sont toutes complémentaires, et même si elles peuvent être étudiées séparément, il existe des liens entre toutes. Si je vous présente cette classification, c’est pas pour introduire des fausse dichotomies, mais parce qu’elle aide à clarifier le travail que fait la psycho évo. La psycho évo, comme son nom l’indique, s’intéresse en premier lieu à la psychologie, et donc aux causes immédiates, qui se trouvent ici. Le but premier de la psycho évo, c’est de pouvoir découvrir la façon dont nos programmes cognitifs fonctionne, de découvrir leur design. Et le pari qu’elle fait, c’est que cette étude du design sera facilitée par des considérations sur la fonction, parce qu’il existe un lien étroit entre fonction et design. C’est tout. La psycho évo, c’est juste ça. Ce sont des gens qui pensent qu’on arrivera plus facilement à étudier et cartographier nos programmes mentaux en se préoccupant de fonction [17]. Si vous avez compris ça, vous avez tout compris. Et si vous avez compris ça, vous allez comprendre pourquoi énormément de critiques méthodologiques qu’on adresse à la psycho évo ne sont pas pertinentes.

1.3 Les comportements ne se fossilisent pas

Une critique qu’on entend parfois, c’est que comme les comportements ne se fossilisent pas, il est impossible de retracer leur évolution comme peuvent le faire les paléoanthropologues avec les squelettes. Pour prouver que « le dégoût a évolué parce qu’il permettait d’éviter les pathogènes », il faudrait une machine à remonter dans le temps, et donc le programme de recherche de la psycho évo est condamné par avance.

Sauf que la psycho évo n’étudie pas le passé, et qu’elle s’en fiche donc que les comportements ne se fossilisent pas. La psycho évo n’étudie pas le passé, elle étudie le présent, son objet d’étude c’est le cerveau humain d’aujourd’hui et pas celui de nos ancêtres. Sur le schéma de Tinbergen, le passé se trouve ici, alors que la psycho évo étudie ce qui se trouve là. Dit de façon différente, la psycho évo n’étudie pas le processus de la sélection naturelle, elle étudie les produits de la sélection naturelle. Pour deviner que notre oeil a comme fonction de récupérer des rayons lumineux, vous n’avez pas besoin d’avoir accès aux yeux fossilisés de tous nos ancêtres. Vous pouvez juste étudier son design. Pour deviner qu’un mug sert à boire, vous n’avez pas besoin d’avoir accès à tous les prototypes de mugs qui ont été construits avant d’obtenir le produit final. Vous pouvez juste étudier le design du produit final. C’est la même chose pour les comportements ou les programmes cognitifs. Pour deviner les fonctions des comportements ou des programmes cognitifs, pas besoin de retourner dans le passé ou d’avoir accès à des collections de fossiles.

Et en fait c’est un raisonnement très comparable à celui qui est utilisé dans d’autres disciplines qui étudient le passé. Quand le cosmologue dit « il y a eu un Big Bang il y a 14 milliards d’années », on pourrait aussi dire qu’il fait de la spéculation, parce que qu’on a pas de machine à remonter le temps pour revenir aux premiers moments de l’univers. Sauf que cette hypothèse sur ce qu’il s’est passé autrefois fait des prédictions sur ce qu’on devrait retrouver aujourd’hui. S’il y a eu un Big Bang, alors on devrait retrouver aujourd’hui la présence de ce qu’on appelle un fond diffus cosmologique. C’est une prédiction sur le présent qui peut parfaitement être testée. Le biologiste de l’évolution fait pareil, il dit, « si la sélection naturelle a façonné ce trait pour telle raison, alors je devrais retrouver tel design aujourd’hui ».

Au passage, « les comportements ne se fossilisent pas », c’est pas complètement vrai. Les comportements ne se fossilisent pas directement, mais les comportements laissent des traces dans le monde, et on peut étudier ces traces. Étudier quand sont apparues les premières peintures rupestres nous donne une idée de quand sont apparues certaines capacités cognitives liées à l’art ou à la culture. Étudier les restes d’os mangés par nos ancêtres permet d’estimer la taille des animaux qu’ils chassaient et donc nous donne une idée de leurs capacités à coopérer. Étudier les restes de silex taillés par nos ancêtres permet de deviner que l’attirance pour les cailloux est un mal profond qui ronge l’espèce humaine depuis la nuit des temps. Y’a plein de choses qu’on peut deviner sur les comportements de nos ancêtres en étudiant les traces qu’ils ont laissées, et il existe même un champ dédié qu’on appelle l’« archéologie cognitive » qui vise précisément à essayer de deviner des choses sur l’évolution de notre psychologie à partir de restes archéologiques [26].

1.4 La psycho évo ne compte pas les bébés

Autre critique qu’on entend parfois, c’est que la psycho évo serait défaillante parce qu’elle ne montre jamais qu’un comportement donné augmente les chances de survie ou de reproduction. Pour pouvoir montrer que le dégoût est une adaptation, il faudrait commencer par montrer qu’être dégoûté permet de faire plus de bébés, ce qui n’est jamais fait.

Alors d’abord c’est pas complètement vrai que c’est jamais fait, mais quand c’est fait on va généralement utiliser des mesures indirectes de survie ou de reproduction plutôt que d’aller compter les bébés directement. Par exemple pour montrer que le dégoût augmente les chances de survie on va mesurer des taux d’infection, des marqueurs de réponse immunitaire, et ce sont ces marqueurs qui seront considérés comme une mesure indirecte des chances de survie [22].

Par contre c’est vrai que c’est pas un truc que fait souvent la psycho évo. Mais ce n’est pas non plus très grave, à nouveau parce que c’est une question orthogonale à celle qui intéresse la psycho évo. Dans la classification de Tinbergen, la question des chances de survie se trouve ici, au niveau de la fonction. Montrer qu’un comportement augmente les chances de survie est un des moyens de montrer qu’il s’agit d’une adaptation, mais il existe un autre moyen, qui consiste à montrer que ce comportement a un certain design. C’est ce 2e moyen qu’a choisi d’exploiter la psycho évo.

Et on peut refaire le parallèle avec l’oeil. Pour montrer que l’oeil est une adaptation, vous n’avez pas besoin de montrer que la possession d’un oeil augmente les chances de survie. Vous pouvez le faire si vous voulez, c’est une des façons de le faire, mais c’est pas obligatoire, l’analyse de design vous fournit déjà beaucoup d’informations sur la fonction.

1.5 La psycho évo oublie d’étudier les gènes

Autre critique parfois entendue, la psycho évo négligerait l’étude des gènes. Avant de pouvoir montrer qu’un comportement est adaptatif, il faudrait pouvoir montrer que des gènes se trouvent derrière ce comportement. Et, rajouteront certains, il faudrait aussi vérifier que la fréquence de ces gènes a augmenté au cours du temps.

Alors les gènes ne sont pas mentionnés dans la classification de Tinbergen, ce qui est probablement normal pour une classification qui date des années 60. Si on devait les rajouter, je pense qu’on pourrait les placer, ici, ici et là. Parce que les gènes interviennent à différents endroits : ils expliquent à la fois l’existence de nos programmes cognitifs, leur développement, et leur évolution.
Mais une fois de plus, l’étude des gènes n’est pas utile pour découvrir du design. Pour deviner la fonction de l’oeil, ça ne vous avance à rien de connaître les gènes qui codent pour les différentes parties de l’oeil. Et si vous les connaissiez, ça ne vous permettrait pas de faire de prédictions sur le design, qui est le but premier de la psycho évo.

D’ailleurs, vous remarquerez que Darwin a développé la théorie de l’évolution à une époque où on avait aucune idée de l’existence des gènes. Plus précisément, c’est six ans *après* la publication de L’origine des espèces que Mendel, le moine qui faisait des expériences sur des petits pois entre deux prières, a publié ses travaux sur l’hérédité. Mais cette ignorance de l’existence des gènes n’a pas empêché Darwin de parler d’adaptations, et d’écrire tout un bouquin pour expliquer leur origine, précisément parce que la mise en évidence d’un design peut se passer de l’identification de gènes.

Maintenant, ça ne veut pas dire que l’étude génétique des adaptations soit inintéressante en soi. Cette étude est notamment faite par deux disciplines dont on a pas encore parlé et avec lesquelles on confond souvent la psycho évo, donc je vais vous en toucher deux mots. Ces deux disciplines s’appellent la génétique comportementale et la génétique des populations.

La génétique comportementale c’est l’étude de comment les gènes et l’environnement interagissent pour produire nos comportements. Si vous avez entendu parler des études de jumeaux, ou des études d’adoption, qui permettent de déterminer à quel point les différences de comportements sont plutôt dues à des différences de gènes ou des différences d’environnement, ce sont des études qui viennent de la génétique comportementale.

C’est aussi de génétique comportementale dont il est question dans tous les articles dont le titre ressemble à « on a trouvé le gène de ». « On a trouvé le gène de l’intelligence », « on a trouvé le gène de l’homosexualité », etc. Bon ce sont des titres racoleurs bien sûr, en pratique il est rare qu’un seul gène soit impliqué dans des comportements complexes, et puis ce qu’on met en évidence généralement ce sont de simples corrélations, pas des causalités. C’est à dire qu’on va séquencer le génome de milliers de gens, et en même temps on leur fait faire des tests cognitifs, et on regarde ensuite si les personnes qui obtiennent de très bons scores à un test ont plus de chances de posséder un certain gène, ce qui laisserait penser qu’il existe une association entre les deux. Et bien sûr, quand ces tests cognitifs concernent l’intelligence ou les préférences sexuelles, ces recherches deviennent tout de suite très controversées, peut-être encore plus que celles en psycho évo.

Et la 2e discipline qui se préoccupe beaucoup de gènes et d’évolution humaine, c’est la génétique des populations. Elle elle étudie plutôt la distribution des gènes et des allèles, et pourquoi certains gènes se sont répandus dans certaines populations. Elle va aussi essayer de découvrir des choses sur notre histoire évolutive rien qu’en analysant nos gènes : par exemple on peut essayer de deviner où et quand il y a eu des migrations humaines, ou quelle population a souffert de quelle maladie. C’est une discipline qui est aussi très intéressante, et qui peut aussi rapidement devenir sensible politiquement parlant, quand elle montre que des populations humaines différentes n’ont pas exactement les mêmes gènes ou les mêmes allèles.

J’en dis pas plus sur ces deux disciplines, je voulais juste souligner que si votre petit kink c’est l’étude des gènes, c’est vers ces disciplines que vous pouvez vous tourner plus que la psycho évo.

En tout cas, j’espère que vous comprenez maintenant pourquoi beaucoup de critiques méthodologiques faites à la psycho évo ne sont pas pertinentes. Une fois qu’on a compris que la psycho évo était focalisée sur l’étude des *produits* de la sélection naturelle et pas du processus de la sélection naturelle, qu’elle était focalisée sur l’étude de la psychologie des humains d’aujourd’hui et pas la psychologie de ceux d’il y a 500 000 ans, énormément de critiques méthodologiques qu’on lui adresse deviennent non pertinentes.
Même si ça peut surprendre qu’une science qui se revendique « évolutionnaire » ne parle pas du tout de gènes et ne fasse pas de phylogénies, c’est justifié quand on se rappelle que la psycho évo se préoccupe de psychologie avant tout. La psycho évo est une science psychologique avant d’être une science évolutionnaire. C’est une science dont le but premier est d’étudier la psychologie, mais qui pense que faire des considérations évolutionnaires l’aidera dans cette entreprise.

1.6 Quelques limites de l’analyse de design

Maintenant, une fois qu’on a dit tout ça, on peut quand même reconnaître des limites à l’analyse de correspondance design-fonction.

1.6.1 Design simple

D’abord, cette analyse sera peu convaincante quand le design est très simple. Défendre l’hypothèse que l’oeil est une adaptation c’est facile, parce que l’oeil est un objet complexe constitué d’une multitude de bidules qui interagissent avec une foule de trucs, donc vous allez pouvoir montrer de plein de façon différentes qu’il y a de l’efficacité, de la précision, de la complémentarité et de la parcimonie dans un oeil. Par contre, pour prouver qu’une protéine est une adaptation par exemple, parfois le seul argument que vous aurez c’est que cette protéine est très forte pour effectuer une certaine fonction. C’est aussi du design dans un sens, mais du design limité. En psycho évo, c’est pareil. Il y a des traits complexes comme le dégoût qui se prêtent bien à une analyse design/fonction, et il y a des traits plus simples qui s’y prêtent moins.

1.6.2 Subjectivité

Ensuite, il existe toujours une part de subjectivité dans l’analyse de correspondance designfonction. Tout le monde ne sera pas toujours convaincu par les mêmes arguments pour accepter une certaine fonction, et tout le monde ne va pas demander le même niveau de preuve [27]. Si vous avez des amis, vous pouvez leur proposer un jour d’aller vous balader dans une brocante. Vous verrez que vous aurez tout de suite beaucoup moins d’amis, mais avec ceux qui vous auront suivi, vous pourrez jouer à un petit jeu. Amusez-vous à deviner la fonction d’outils inconnus utilisés par nos arrière-arrière-grands-parents. Vous verrez que pour certains objets vous tomberez tous d’accord, mais pour d’autres vous aurez des avis différents. Dans les vidéos de Nota bene, on se rend bien compte que faire de la rétro-ingéniérie est parfois facile [https ://www.youtube.com/watch?v=U8dQnQyCjQ4 2’19], et parfois moins facile. [https ://www.youtube.com/watch?v=AOgqNF9KzIY 1’28]. C’est pareil en biologie de l’évolution et en psychologie évolutionnaire. Parfois la fonction d’un programme cognitif sera bien évidente pour tout le monde, et parfois beaucoup moins. Même après des années de recherche différents chercheurs pourront avoir des avis différents. C’est le cas par exemple pour la morale. On a pas encore réussi à rétro-ingéniérer complètement la morale, à cracker complétement son code, à deviner sa fonction à partir de son design. Même si on a encore fait des progrès dont il faudra que je vous reparle bientôt.

Et il n’existe pas non plus de critère qui nous permettrait de dire à l’avance, « tiens le jour où on aura réuni tant d’indices de design on pourra accepter cette fonction ». Si j’essaie de vous convaincre qu’un oeil sert à voir, et que j’essaie de faire ça juste en vous disant que l’oeil a un trou sur un côté qui laisse passer la lumière, vous allez trouver ça un peu léger comme argument. Mais si je rajoute que l’oeil contient aussi un diaphragme qui contrôle la quantité de lumière qui entre, une lentille qui fait converger les rayons sur un plan, et que ce plan est tapissé de cellules photosensibles, à un moment donné, y a un truc qui va faire « clic » dans votre tête et vous allez basculer du côté des convaincus.

Ça a l’air pas très scientifique cette façon de procéder, on préfèrerait qu’il y ait un nombre précis de critères pré-établis pour pouvoir parler d’adaptation, mais en fait cette imprécision est très courante en science. Très souvent, il n’existe pas de règle pour décider à partir de quel moment une théorie ou une hypothèse doit être tenue comme vraie. Les scientifiques utilisent des règles tacites, jamais inculquées, sur ce qui compte comme niveau de preuve suffisant. Même les fameuses p values, dont on se sert souvent pour décider si un chercheur a trouvé quelque chose, sont des mesures de probabilité, pas des mesures de certitude, et des mesures de probabilité interprétées différemment en fonction des disciplines. C’est toujours au final à l’appréciation de chaque scientifique de décider du niveau de preuve qui est important pour lui.

1.6.3 Certitudes

Yen a aussi souvent qui sont chagrinés par le fait qu’on ne peut jamais sûrs à 100% de la fonction évolutionnaire d’un trait. Mais c’est aussi quelque chose de très courant en science. La majeure partie du temps, les scientifiques se contentent de faire ce qu’on appelle de « l’inférence à la meilleure explication », aussi appelé « raisonnement abductif » en philosophie des sciences [28]. Le raisonnement abductif, c’est tout simplement accepter la meilleure explication à défaut de pouvoir connaître la bonne. Même si on a pas de preuve flagrante, on se range derrière l’hypothèse la mieux étayée. Alors, oui, peut-être qu’on ne sera jamais sûrs à 100% que le dégoût a évolué pour nous tenir éloignés des pathogènes. Mais on ne sera jamais sûrs non plus à 100% que la personne qui a créé ce mug l’a fait pour transporter des boissons chaudes. Ça n’empêche pas d’établir des degrés de croyance sur la base de faisceaux d’indices. C’est ce que vous faites dans la vie de tous les jours, et c’est ce qui est fait également dans le domaine de la justice. En justice aussi on aimerait bien avoir tout le temps des preuves flagrantes de culpabilité, mais à défaut on se base aussi sur des faisceaux d’indices. Si on envoie des personnes en prison sur la base de faisceaux d’indices, ça paraît pas non plus délirant qu’en science on accepte certaines hypothèses sur la base de faisceaux d’indices.

Pour le critère de falsifiabilité, ou de réfutabilité, c’est un peu pareil. On a souvent tendance à l’ériger en critère déterminant de ce qu’est une bonne science, mais son importance est souvent exagérée. Ce n’est pas parce qu’on fait une expérience qui ne confirme pas nos prédictions qu’on va abandonner tout de suite notre hypothèse. Monsieur Phi vous avait déjà parlé de cette vision naïve du critère de réfutabilité sur sa chaîne [29] (https ://www.youtube.com/watch?v=SXLHijQeYok 4’46). Si vous êtes chercheur en sécurité informatique, et que vous pensez que le morceau de code que vous avez devant les yeux est un virus dont le but est d’effacer tous les fichiers sur un disque dur, vous n’allez pas changer d’avis tout de suite au premier test qui infirme votre hypothèse. Vous allez faire plusieurs tests avant de changer d’avis. Pour les scientifiques, c’est pareil.

Comme le disent les psychologues Timothy Ketelaar et Bruce Ellis [30] :

« L’accusation que les hypothèses et théories évolutionnaires sont non-falsifiables est injustifiée et prend racine dans une vision Popperienne couramment acceptée, bien que fausse, sur la façon dont la science fonctionne. La théorie évolutionnaire moderne remplit les critères lakatosiens de « progressivité », sur la base de sa capacité à digérer des anomalies apparentes et générer de nouvelles prédictions et explications. »

On reproche aussi parfois aux sciences évolutionnaires de générer trop d’hypothèses. Par exemple, pour expliquer l’existence de la défense du narval, on a supposé qu’elle pouvait servir à chasser, à se défendre contre les prédateurs, à percevoir l’environnement, à séduire des femelles ou à faire peur aux autres mâles. Cette prolifération d’hypothèses peut donner une impression de spéculation mais c’est pourtant quelque chose de très courant en science. Envisager plein d’hypothèses différentes est très courant, l’important, c’est qu’elles puissent être testées. Et c’est pas non plus bizarre de changer d’hypothèse si les prédictions d’une première n’ont pas été confirmées. Tous les plus grands philosophes des sciences ont insisté pour dire qu’il n’y avait pas les faits d’un côté, et les théories de l’autre, mais que les deux se modifiaient et se co-construisaient au cours du temps. Si vous essayez de deviner la fonction d’un objet ancien, vous serez amené à envisager différentes hypothèses successivement, et il n’y a rien de mal à ça.

La multiplication des hypothèses est même plutôt un bon signe, parce que ça veut dire que plein de chercheurs ont des idées différentes sur la question, et donc qu’ils scruteront attentivement les hypothèses des autres, parce qu’ils n’auront pas envie que la leur soit prouvée fausse. C’est comme en paléontologie par exemple, quand un chercheur déclare qu’il a découvert une nouvelle espèce, cette affirmation va ensuite être minutieusement étudiée par tous ses collègues. En psycho évo c’est pareil, l’annonce de la découverte d’une adaptation sera souvent scrutée avec minutie par d’autres chercheurs. C’est quelque chose de sain la présence de nombreuses hypothèses, tant qu’elles peuvent être testées, et abandonnées au besoin.

1.6.4 Fragmentation

Autre limite des analyses de correspondance design-fonction, c’est que pour les faire correctement, il faut considérer un design dans son ensemble. Or, dans un article scientifique, on se focalise souvent sur un aspect du design en particulier. On fragmente l’étude du design dans différents articles. Par exemple dans le cas du dégoût, on va d’un côté tester la prédiction que les femmes sont plus facilement dégoûtées que les hommes, d’un autre côté tester qu’il existe une certaine universalité dans l’expression du dégoût, d’un autre côté tester que le dégoût est lié à notre système immunitaire classique, etc. Dans chaque article, si la prédiction est confirmée, les chercheurs diront que leur hypothèse est supportée. Mais évidemment, pour vous qui lisez chaque article séparément, vous allez trouver que c’est pas très convaincant, qu’on ne peut pas affirmer que le dégoût a évolué pour nous tenir éloignés des pathogènes sur la base d’une seule expérience. Exactement comme si j’essayais de vous convaincre qu’un mug sert à transporter des boissons chaudes uniquement sur la base du fait que c’est un objet creux. Ca serait pas très convaincant.

C’est pareil pour les articles en psycho évo : pris séparément, aucun n’est très convaincant. L’analyse de design ne devient réellement convaincante qu’en amassant les preuves de design, mais ça ne peut pas se faire dans des articles isolés. Il faut attendre que les chercheurs fassent des revues de la littérature, qui ne sont faites que tous les 5 à 10 ans. Donc essayez de garder ça en tête la prochaine fois que vous lirez un article de psycho évo qui étudie un aspect spécifique d’une adaptation : pour décider de la plausibilité d’une adaptation, vous ne pouvez pas vous baser sur des articles isolés. L’analyse de correspondance design-fonction est par nature un travail de synthèse. Et n’oubliez pas non plus que la psycho évo est née il y a tout juste 30 ans. Quand on la compare à d’autres sciences, c’est une science qui met encore des couches. Donc il faut lui laisser du temps pour travailler, et pour confirmer ses hypothèses. Émettre une hypothèse ça prend 30 secondes, mais la tester ça peut prendre 30 ans. Je suis sûr que parmi vous se trouve un paquet de trentenaires qui n’ont encore rien foutu de leur vie, alors n’en demandez pas trop à la psycho évo qui a le même âge que vous.

Et n’oubliez pas non plus qu’en psycho évo, les résultats se retrouvent discutés dans l’espace public bien plus rapidement que dans n’importe quelle science, parce qu’il sont politiquement sensibles. En physique ou en chimie, les hypothèses et les théories ont le temps de maturer tranquillement pendant plusieurs années ou dizaines d’années avant d’être exposées au grand public, parce que les hypothèses sur le comportement des quarks et des cations n’ont aucune implication sociétale directe. Personne ne va les disséquer à peine sortis des fourneaux. En psycho évo, parce qu’on touche au domaine de l’humain, et même de la nature humaine, qui est un sujet très sensible, les études sont très vite partagées, commentées et disséquées sur la voie publique, avant même que les chercheurs n’aient eu le temps d’étayer leurs hypothèses.

Et je termine cette petite parenthèse sur les niveaux de preuve avec un point qui me paraît très important mais qui est rarement discuté. Si vous connaissez un peu les débats autour du bayésiannisme, vous savez que pour évaluer la crédibilité d’une hypothèse, il faut normalement prendre en compte le degré de croyance *a priori* que vous aviez en cette hypothèse. C’est à dire qu’avant même d’avoir entendu les arguments à l’appui d’une certaine hypothèse, vous devriez évaluer à quel point vous trouvez cette hypothèse surprenante. Et cette évaluation est importante parce qu’elle conditionne la qualité et la quantité des preuves qui devront être produites pour vous convaincre. Comme le dit l’adage, « une affirmation extraordinaire nécessite une preuve extraordinaire ». Donc plus une hypothèse vous paraît surprenante a priori, plus vous devez demander de preuves de sa véracité. Et ça c’est un point extrêmement important pour comprendre tous les débats épistémologiques en psycho évo, parce que des chercheurs issus de disciplines différentes auront des a priori extrêmement différents sur les origines des comportements. Et je dis bien *extrêmement* différents. Comme je vous le disais dans le dernier épisode, et comme on le reverra plus tard, il y a des champs entiers des sciences sociales qui pensent que nos comportements sont majoritairement dûs à l’environnement, et que les gènes ou l’évolution n’ont quasiment pas de pertinence pour les expliquer. Rappelez-vous de Francis Crick, Jacques Monod et une cinquantaine de scientifiques qui sont obligés de publier dans les années 70 un communiqué pour dénoncer l’ « environnementalisme orthodoxe » qui règne dans les universités, et les pressions exercées sur ceux qui osent avancer des explications génétiques des comportements [31].

Donc pour toutes les personnes qui pensent que l’éducation, la culture et l’environnement sont tout ce qui importe pour expliquer les comportements, dire que les comportements sont évolués ou ont des bases génétiques constitue une affirmation extraordinaire, et elles vont donc demander des preuves extraordinaires. Alors que pour un biologiste qui considère que tous les traits sont le résultat d’une interaction entre des gènes et un environnement, et que c’est pas parce qu’un comportement a été appris que l’évolution n’a plus son mot à dire pour l’expliquer, l’hypothèse que nos comportements ou nos programmes cognitifs sont évolués n’est pas si extraordinaire que ça; en fait, elle est même banale.

Là où je veux en venir, c’est que parce qu’ils n’ont pas les mêmes a priori sur le monde, des chercheurs issus de disciplines différentes ne demanderont pas les mêmes niveaux de preuve pour être convaincus par une même hypothèse évolutive ou adaptative [32]. Et si on fait souvent reposer la charge de la preuve sur les biologistes, en fait, on pourrait très bien la renverser. Parce que l’affirmation extraordinaire pour un biologiste, c’est de dire que nos comportements ne sont qu’un produit de notre environnement, plutôt qu’un produit de notre environnement ET de nos gènes. Dans cette perspective, ça ne serait plus aux biologistes de prouver qu’il existe des bases biologiques aux comportements, ça serait aux sciences sociales de prouver qu’il n’y en a pas.

Donc vous voyez, c’est encore une question de philo des sciences intéressante : quelle doit être l’hypothèse qui doit être considérée comme l’hypothèse par défaut, et l’hypothèse qui doit faire ses preuves? On a souvent tendance à considérer que c’est à la psycho évo de faire ses preuves, mais rien ne justifie intrinsèquement cet état. C’est un état probablement dû à une particularité historique, au fait que la psycho évo a débarqué en dernier dans l’histoire des sciences, et qu’elle a débarqué dans un climat intellectuel où l’environnementalisme régnait sans partage. Dit autrement, la supposée insuffisance des niveaux de preuve en psycho évo n’est peut-être pas tant le reflet de problèmes méthodologiques internes que le reflet d’une distance intellectuelle importante qui la sépare de ses critiques. Comme le dit le philosophe Harmon Holcomb [28] :

« quand on a du mal à être convaincu, ce n’est pas seulement à cause de lacunes dans les preuves, mais parce qu’il faudrait une quantité énorme de preuves pour convaincre, étant donné les présupposés ».

1.7 La psycho évo est trop adaptationniste

Un autre problème auquel il faut faire gaffe quand on fait de l’analyse de correspondance design-fonction c’est qu’on peut avoir tendance à voir des fonctions partout. C’est pour ça que j’avais ironiquement intitulé ma vidéo sur les adaptations « le nez a évolué pour porter des lunettes ». J’aurais pu l’appeler aussi « les oreilles ont évolué pour porter des boucles d’oreille », ou pourquoi pas, « le nombril a évolué pour porter les baies ramassées par nos ancêtres après une journée de cueillette »[33].

Et c’est vrai qu’il faut faire attention à ne pas voir des adaptations partout, parce que les êtres vivants ne sont pas constitués que d’adaptations. Dans cette même vidéo sur les lunettes, on avait vu qu’à part être une adaptation, un trait pouvait être un sous-produit d’adaptation ou le résultat de « bruit ». Les adaptations sont les produits de la sélection naturelle, les traits qui ont évolué parce qu’ils augmentaient les chances de survie, et qu’on peut reconnaître à leur design. L’oeil, le coeur, le poumon, tous les organes et tissus spécialisés, la plupart des choses que vous avez apprises à l’école comme ayant une fonction dans notre corps, ce sont des adaptations.
Les sous-produits sont les traits qui sont liés à une adaptation mais qui n’augmentent pas directement les chances de survie. Un sous-produit est un trait qui a fait du stop avec une adaptation, si vous voulez. Le nombril, par exemple, c’est un sous-produit, il n’a pas de fonction en soi, il n’augmente pas les chances de survie en soi, il n’a pas évolué pour une bonne raison, il est simplement la conséquence indirecte d’un autre truc qui lui sert à quelque chose, en l’ocurrence la conséquence indirecte du cordon ombilical qui sert à nourrir le foetus. La couleur de votre sang c’est aussi un sous-produit : le fait que votre sang soit rouge n’augmente pas les chances de survie en soi, c’est simplement la conséquence indirecte de la présence d’hémoglobine dans votre sang, qui elle augmente les chances de survie.
Et enfin, troisième catégorie de traits, les produits du hasard, ou comme les appellent les ingénieurs, le bruit. Le bruit concerne tous les traits qui ne sont ni des adaptations ni des sousproduits, les traits qui ont été conservés parce qu’ils étaient le résultat de mutations neutres ou de contraintes développementales et historiques diverses. Par exemple, une protéine qui prend une configuration plutôt qu’une autre sans que ça ne change sa fonction, ça pourrait être considéré comme du bruit. Un vestige d’ancienne adaptation, comme l’os du coccyx, ça pourrait aussi être considéré comme du « bruit ». L’os du coccyx ne sert plus à rien aujourd’hui, et n’est pas lié à une adaptation utile aujourd’hui, c’est simplement la relique d’une époque où nos ancêtres avaient encore une queue. L’appendice, cette petite merdouille qui donne l’appendicite quand elle s’enflamme, est aussi un vestige de tube digestif d’herbivore. Ces traits sont présents chez nous aujourd’hui uniquement en vertu d’une certaine histoire évolutive, mais ils ne servent plus à rien, ils sont aussi inutiles que du beurre doux sur la table d’un breton, donc on peut les considérer comme du bruit. Ce sont des traits qui pourraient être supprimés sans grande conséquence par un ingénieur qui chercherait à optimiser notre corps.

Et tout être vivant possède ces trois types de traits : adaptations, sous-produits, et bruit. Et parce que ces trois types de traits existent, on a parfois reproché aux biologistes d’être trop adaptationnistes, c’est à dire de trop se focaliser sur les adaptations, et d’essayer de trouver des avantages de survie et de reproduction à tout ce qu’ils observent [6, 34]. Un peu comme si un extraterrestre qui découvre un humain pour la première fois se mettait à chercher la fonction du nombril, à se demander en quoi avoir un nombril augmente les chances de survie. Ça serait complètement débile.

De la même façon, on reproche parfois à la psycho évo de perdre son temps à chercher de l’utilité à nos comportements. Peut-être que le sens du dégoût n’a pas évolué pour nous tenir éloignés des pathogènes. Peut-être qu’il a évolué par hasard. Peut-être qu’il a évolué à cause d’une contrainte x ou y inconnue. Peut-être que c’est un sous-produit de quelque chose d’autre.

Sauf que, c’est pas pour le plaisir de spéculer que la pensée adaptationniste est très présente en biologie. Le programme adaptationniste est présent pour de bonnes raisons, parce que c’est lui qui permet le plus d’avancer, c’est lui qui permet de comprendre le plus de choses sur le monde, et de faire le plus de prédictions testables. Toujours pour la même raison sur laquelle insiste la psycho évo : postuler une fonction fait immédiatement des prédictions sur le design, et donc on peut avancer plus rapidement dans la cartographie d’un design en passant par la fonction.

Et parce que la présence de ce design peut toujours être vérifiée, c’est pas grave si vous attribuez une fonction à quelque chose qui n’en a pas. Un extraterrestre qui penserait que le nombril est une adaptation se tromperait, mais il s’en rendrait compte très vite dès qu’il commencerait à tester ses hypothèses. Si vous postulez que le nombril sert à purifier le sang ou à récolter des rayons lumineux par exemple, vous irez chercher le design correspondant et vous rendrez vite compte qu’il n’existe pas. En d’autres termes, c’est pas vraiment coûteux de faire des hypothèses adaptatives. Si les hypothèses sont fausses, les prédictions ne seront pas confirmées, c’est tout ce qu’on risque. Etre trop adaptationniste n’est dangereux que si vous pensez que les hypothèses adaptatives ne peuvent pas être testées, ce qui est une idée reçue.

À l’inverse, si vous faites d’emblée l’hypothèse qu’un trait est le fruit du hasard ou du « bruit », là c’est beaucoup plus embêtant parce que cette hypothèse ne fait quasiment aucune prédiction. Presque par définition, le hasard ne laisse pas de traces. Mettez cette vidéo en pause deux secondes et essayez d’imaginer des façons de tester l’hypothèse que l’oeil est apparu par hasard. Vous allez pas en trouver beaucoup. Dire que quelque chose est du « bruit », ou vient du « hasard », de contraintes historiques x ou y, c’est donc extrêmement spéculatif, beaucoup plus spéculatif que dire que quelque chose a évolué pour une certaine raison. Et c’est donc amusant que ceux qui ont historiquement accusé la psycho évo de raconter des « just-so stories », des histoires pour enfant qu’on ne peut pas tester [1, 3, 35] ne se sont pas rendus compte qu’ils faisaient exactement la même chose et même pire en insistant sur l’importance des autres explications [36-38]. C’est justement le programme adaptationniste qui permet d’être le moins spéculatif, parce que c’est celui qui fait le plus de prédictions, à cause du lien entre la fonction et le design [39, 40]. Le hasard lui ne va jamais créer de design, il a a même plutôt tendance à le détruire, à cause de la seconde loi de la thermodynamique.

Donc comme le dit le biologiste et philosophe Ernst Mayr [41] :

« La question adaptationniste, « Quelle est la fonction d’une structure ou d’un organe donné? », a été depuis des siècles la base de chaque avancée en physiologie. Si nous n’avions pas eu le programme adaptationniste, on ne connaîtrait probablement toujours pas la fonction du thymus, de la rate, de l’hypophyse ou de la glande pinéale. La question de Harvey, « pourquoi y a-t-il des valves dans les veines » fut une avancée majeure dans sa découverte de la circulation du sang. »

Le Harvey dont il parle c’est William Harvey, un docteur anglais du 18e siècle qui a découvert la fonction du coeur et des veines. Si Harvey avait pensé que le coeur et les veines étaient là par hasard, jamais il n’aurait découvert leur fonction, parce que le hasard ne fait pas de prédictions testables.

Regardez cet escargot là. Il s’appelle l’escargot des bois, et si sa tronche vous dit quelque chose, c’est normal, c’est parce que vous pouvez le croiser quand vous faites votre jogging en forêt ou le long du périphérique. Certains de ces escargots ont la coquetterie de porter deux bandes sur leur coquille plutôt qu’une seule. À première vue, on pourrait se dire que ce nombre de bandes n’a aucune importance pour l’escargot, qu’avoir une ou deux bandes n’est qu’un produit du hasard et que ça n’impacte certainement pas ses chances de survie. Un biologiste qui viendrait postuler qu’avoir deux bandes augmente les chances de survie se ferait moquer de la même façon qu’un psychologue qui postule que le dégoût a évolué pour nous tenir éloignés des pathogènes. Et pourtant, on s’est rendu compte que le nombre de bandes était bien sous sélection, c’est à dire qu’il impactait les chances de survie, parce que les oiseaux chassent les escargots sur la base d’une certaine représentation mentale des coquilles qui inclue le nombre de bandes [42]. Incroyable non? Le nombre de bandes des escargots est probablement bien une adaptation.

À tous ceux qui pensent qu’on a tort de voir de la fonction partout, je vous invite fortement à ouvrir n’importe quel bouquin sur le comportement, la physiologie ou l’anatomie du monde vivant, et à vous rendre compte par vous-mêmes que la nature est souvent optimisée jusque dans des recoins qu’on aurait jamais imaginé.

De façon générale, imaginez où on en serait dans notre compréhension du vivant si on avait d’emblée décidé que les couleurs des fleurs ne servent à rien? Que les abeilles dansent juste pour le plaisir? Que les mouettes enlèvent les coquilles d’oeufs de leur nid parce que leurs ancêtres ont toujours fait comme ça? On aurait une connaissance du vivant extrêmement superficielle sans le programme de recherche adaptationniste.

Et en fait, aujourd’hui encore il est probable qu’on passe à côté de découvertes importantes à cause d’un défaut de pensée adaptationniste. Je vous ai dit il y a deux secondes que l’appendice est souvent considéré comme un exemple de « vestige », un trait dans notre corps qui ne sert plus à rien, qui est juste là parce qu’il était présent chez de lointains ancêtres herbivores. Mais certains biologistes pensent qu’il pourrait toujours avoir une fonction aujourd’hui, la fonction de conserver des bactéries utiles qui pourront recoloniser l’intestin après une grosse diarrhée. Comme l’écrit le biologiste Marc-André Sélosse [43] :

« Convaincu a priori du caractère vestigial et facultatif de l’appendice, personne n’a vraiment recherché son rôle, ni même les conséquences de l’appendicectomie. […] On suppose qu’au temps où les diarrhées étaient plus fréquentes, l’appendice, diverticule isolé de ces brusques flux, servait à ré-inoculer rapidement l’intestin en souches favorables : une sorte de restaurateur écologique après perturbation. […] Les rôles de l’appendice et leur probable lien au microbiote restent largement à explorer. »

Donc encore un exemple qui montre non pas les dangers d’être trop adaptationniste, mais les dangers de ne pas l’être assez. Et remarquez que cette hypothèse sur la fonction de l’appendice n’est pas spéculative, elle fait immédiatement des prédictions qu’on peut tester. Par exemple, on pourrait regarder si les gens à qui on a retiré l’appendice mettent plus de temps à récupérer d’une grosse diarrhée, ou s’ils ont plus de chance de développer certaines maladies liées au système digestif.

Alors c’est certain que la pensée adaptationniste a des limites, et qu’elle nous amènera parfois à voir de la fonction là où il n’y en a pas. Mais il faut contrebalancer cette limite avec les inconvénients du manque de pensée adaptationniste. Et quand on fait ce travail de comparaison, force est de constater que comme le dit Richard Dawkins, « l’histoire semble être du côté des adaptationnistes » [44].
Enfin, même si les hypothèses du hasard et des sous-produits ne sont généralement pas celles qu’on considère en premier en psycho évo, on sait les envisager lorsqu’elle ont l’air d’être nécessaires. Par exemple, les troubles mentaux, la schizophrénie ou les troubles bipolaires, sont en psycho évo expliqués par l’hypothèse du bruit. On ne cherche pas d’utilité au fait d’être shizophrène ou bipolaire, les troubles mentaux sont principalement expliqués en terme de mutations qui viennent détruire des adaptations fonctionnelles [45]. Il y a quelques troubles pour lesquels on se demande s’ils ne seraient pas des adaptations [46], mais sinon généralement c’est pas l’hypothèse par défaut [40].

Quant à l’hypothèse du sous-produit, elle est aussi envisagée en biologie de l’évolution et en psycho évo. Mais pour montrer qu’un trait est un sous-produit, vous devez montrer qu’il y a une autre adaptation qui permet de mieux l’expliquer, donc on retombe sur des hypothèses adaptatives. Si vous dites que le nombril est un sous-produit, vous devez dire un sous-produit de quoi, vous devez montrer la présence d’une autre adaptation qui l’explique plus parcimonieusement. Et en psycho évo, l’hypothèse du sous-produit n’est pas du tout négligée puisqu’elle tient la corde pour expliquer des choses aussi importantes que la religion, l’art, l’écriture ou le racisme [47-50]. Pour l’art et la religion je vous en ai parlé dans cette vidéo si ça vous intéresse [vidéo].

Et ce qui est incroyable quand on accuse la psycho évo d’être trop adaptationniste, c’est que par rapport à d’autres disciplines évolutionnaires qui sont passées avant elles, comme la sociobiologie, la psycho évo est moins adaptationniste, entre autres parce qu’elle insiste sur le concept d’exécution d’adaptation. Les humains sont des exécuteurs d’adaptations avant d’être des maximisateurs de fitness, ce qui fait qu’en psycho évo, on n’a pas de mal à envisager que plein de nos comportements ne soient pas adaptatifs. On est pas tout le temps en train de se dire, tiens si ici les humains aiment manger du poulet et là-bas du boeuf, c’est sûrement pour une bonne raison évolutionnaire. C’est pareil pour tout ce qui est culturel, les goûts pour la musique, les mythes et traditions, etc, en psycho évo on est pas en train de chercher en permanence pourquoi tel ou tel comportement particulier augmente les chances de survie, on cherche à expliquer avant tout les programmes cognitifs qui produisent ces comportements.

Et les principaux représentants de la psycho évo ont depuis le début insisté pour dire qu’il n’y avait pas que les adaptations dans la vie. Tooby et Cosmides écrivent en 1992 [51] : « En plus des adaptations, le processus évolutionnaire produit couramment deux autres issues visibles dans le design des organismes 1/ des sous-produits d’adaptation et 2/ des effets aléatoires ». Steven Pinker écrit en 1998 [48] : « les organismes ne peuvent être compris que comme des interactions entre adaptations, sous-produits, et bruit ». David Buss écrit en 1998 [52] : « Le processus évolutionnaire produit trois produits : des traits sélectionnés, des sous-produits de traits sélectionnés, et un résidu de bruit ». Malgré toutes ces précautions, malgré le fait que la psycho évo soit depuis le début pluraliste dans ses explications, on continue de la caricaturer comme étant trop adaptationniste. Je vous avais dit dans la dernière vidéo que beaucoup des critiques adressées à la psycho évo me semblent être des critiques en premier lieu adressées à la sociobiologie par des gens qui n’ont pas compris que la psycho évo faisait les choses différemment. La critique sur le programme adaptationniste me semble être un exemple parfait de cette confusion.

Remarquez enfin que si on donne la priorité aux hypothèses adaptatives, c’est pas parce que les adaptations sont plus nombreuses. C’est possible, et même en fait quasiment sûr, qu’il existe plus de sous-produits et de produits du hasard qu’il existe d’adaptations dans le monde vivant. Par exemple, la couleur de chacun de vos organes est un sous-produit. Si vos os sont blancs, et que votre sang est rouge, c’est pas parce que ces couleurs augmentent vos chances de survie. Ce sont des conséquences indirectes de la présence de calcium et d’hémoglobine qui eux augmentent vos chances de survie. Dans un sens, on peut donc dire que la couleur de chacun de vos organes est un sous-produit, et qu’il existe potentiellement une infinité d’autres traits qui peuvent être considérés comme des sous-produits. Si on donne la priorité aux hypothèses adaptatives, c’est d’une part parce que comme on l’a vu elles ont une force heuristique, elles nous permettent de découvrir des choses, et d’autre part parce que l’existence de design dans l’univers est ce qui a toujours fasciné les humains. Trouver du hasard ou des contraintes dans notre univers, c’est pas très étonnant. Trouver du design, ça ça nous en bouche en coin. C’est comme trouver de la bière sans alcool dans le frigo d’un breton. Et c’est bien parce que l’existence de design est très suprenante que ça a été un argument majeur en faveur de l’existence de Dieu jusqu’à ce que Darwin débarque avec ses gros sabots victoriens.

Tout ce que je dis là paraît peut-être évident à certains d’entre vous. Y’en a sûrement un paquet d’entre vous qui sont déjà convaincus que penser le vivant en terme de fonction est la chose la plus évidente à faire. Après tout, c’est comme ça qu’on vous a toujours enseigné la biologie à l’école. Vous devez trouver que je passe un peu trop de temps là-dessus. Mais vous devez savoir que si je fais ça, c’est parce que dans le monde universitaire, certains chercheurs ont cherché pendant longtemps à jeter le discrédit sur ce programme adaptationniste, et que ces chercheurs continuent à avoir une influence importante dans certains milieux.

Parmi ces chercheurs, les plus connus sont sûrement Stephen Jay Gould et Richard Lewontin. Lewontin vous le connaissez probablement pas, mais Gould vous en avez peut-être déjà entendu parler parce qu’il a écrit plein de bouquins à succès. Ce sont ces chercheurs et une poignée d’autres qui ont très largement contribué à diffuser l’idée que le programme adaptationniste n’avait aucune bonne raison d’être, que les hypothèses adaptatives n’étaient pas testables, et que la biologie de l’évolution ne faisait que de la spéculation. Le terme de « just-so story » par exemple utilisé pour dénigrer les hypothèses adaptatives, ça vient d’eux. La présentation des chercheurs en biologie comme des personnes qui croiraient que « le nez a évolué pour porter des lunettes », ça vient d’eux. La présentation des chercheurs en biologie comme des personnes qui croiraient que dans la nature, « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes », ça vient d’eux. Leur plus célèbre article sur le sujet a été cité plus de 10 000 fois, et c’est cet article que tous les détracteurs de la psycho évo se plaisent à ressortir à la moindre occasion [34].

Mais vous devez savoir qu’au sein de la biologie de l’évolution, ces deux monsieurs ont un statut très controversé. Certains chercheurs leur reprochent d’avoir fait beaucoup de mal à la biologie de l’évolution en diffusant des idées marginales, en ayant recours à la rhétorique pour convaincre, en déformant les idées de leurs opposants, et en mélangeant régulièrement le politique avec le scientifique [24, 37, 53-57].

Cet article extrêmement cité par exemple, si vous le lisiez vous verriez qu’il est principalement basé sur de la rhétorique [57]. C’est aussi un article qui passe complètement sous silence les travaux d’un autre biologiste qui avait travaillé dix ans plus tôt sur le même sujet et qui, plutôt que de ne faire que se plaindre des limites du programme adaptationniste, avait aussi proposé des solutions [6]. Pour ces raisons, beaucoup de chercheurs considèrent cet article comme au mieux surcôté, au pire malhonnête [40, 53, 57-61].

Et certains chercheurs font même carrément porter à Gould et Lewontin la responsabilité de l’antipathie pour les approches évolutionnaires du comportement qui existe aujourd’hui en sciences sociales [37]. Et c’est vrai que les chercheurs issus des sciences sociales, très souvent quand ils veulent justifier leur rejet des approches évolutionnaires, ils citent les travaux de Gould et Lewontin. Beaucoup de chercheurs en sciences sociales qui ont cherché à se former en biologie de l’évolution l’ont fait en lisant du Gould et du Lewontin, ce qui fait qu’ils ont une vision très déformée du domaine.

Enfin, vous devez savoir que de la politique se cache derrière les critiques sur l’adaptationnisme. Jusqu’ici j’ai essayé de vous présenter ce débat en me concentrant sur les aspects scientifiques, parce que je ne veux pas avoir l’air de décrédibiliser facilement les critiques. Mais d’un autre côté, vous n’auriez pas une vision complète du sujet si je ne mentionnais pas les liens avec la politique, liens que les protagonistes reconnaissent eux-mêmes. Mais de quels liens s’agit-il? Quel est le lien entre adaptation et politique?

Le lien, c’est qu’à chaque fois que vous supposez que quelque chose est une adaptation, vous montrez en quelque sorte que la nature est bien faite [53, 55, 57, 58, 62]. Une adaptation, ça augmente les chances de survie, et ça présente souvent un design comme on l’a vu, ça présente l’apparence de quelque chose qui est bien fait. Donc c’est connecté avec l’idée que la nature est bien faite. Et c’est là qu’apparaît le politique, parce que si la nature est bien faite, certains pourraient se demander, pourquoi vouloir la changer? C’est pour ça que certains se battent contre l’adaptationnisme : à chaque fois que vous montrez que quelque chose est une adaptation, vous montrez que la nature est bien faite, et donc ça pourrait encourager certains à défendre le statu quo en politique, à soutenir des politiques conservatrices.

Cette préoccupation est transparente dans les écrits des anti-adaptationnistes, comme quand ils écrivent en 1975 que [63] :

« [pour les adaptationnistes], ce qui existe est adaptatif, ce qui est adaptatif est bon, donc ce qui existe est bon ».

ou encore

[64] : « C’est une politique profondément conservatrice, pas une compréhension de la théorie moderne de l’évolution, qui amène à voir l’opération de la sélection naturelle dans chaque aspect de l’organisation sociale humaine ».

Et bien sûr ces préoccupations sont d’autant plus fortes que vous étudiez des traits néfastes socialement. Si vous commencez à dire que l’agressivité humaine pourrait être une adaptation par exemple, c’est à dire qu’elle n’est pas là par hasard mais qu’elle a évolué pour de bonnes raisons, ça pourrait conduire à accepter socialement l’agressivité – en tout cas c’est ce que pensent certains [57, 62]. Et ce n’est donc pas un hasard si cet article ultra cité sur les défauts du programme adaptationniste est sorti juste après l’émergence d’une discipline qui voulait appliquer le programme adaptationniste à l’humain. Et ce n’est pas non plus un hasard si la psycho évo se récupère les mêmes critiques.

Je m’arrête là pour la parenthèse politico-historique, je reviendrai dessus dans la prochaine vidéo, retenez simplement qu’il y a des connexions entre les critiques sur l’adaptationnisme et la politique.

Pour résumer sur la partie purement scientifique, peut-on accuser la psycho évo d’être trop adaptationniste? Hé bien si vous voulez dire par là qu’elle ne considère jamais aucune autre hypothèse que les adaptations, c’est certainement faux. La psycho évo considère l’hypothèse du bruit et des sous-produits quand c’est nécessaire, et elle le fait beaucoup plus souvent que la sociobiologie ne le faisait avant elle. Par contre, si vous voulez dire par là qu’elle donne la *priorité* aux hypothèses adaptatives, alors dans ce cas c’est tout à fait exact. Mais elle le fait pour de bonnes raisons : parce que l’adaptationnisme a toujours permis de découvrir plein de choses en biologie, que c’est une heuristique particulièrement fertile, et que c’est une heuristique qui fait des prédictions testables, contrairement aux hypothèses alternatives qui sont bien plus spéculatives.

1.8 La psycho évo pense que toutes les adaptations sont parfaites

Selon certaines critiques, en psycho évo, on penserait que les adaptations sont toujours parfaites. Par exemple, quand un psychologue évolutionnaire postule l’existence d’un programme cognitif pour nous tenir éloignés des pathogènes, il postulerait en même temps que ce programme serait parfaitement optimisé par la sélection naturelle, qu’il réagirait à tous les pathogènes connus, ou qu’il nous ferait adopter le bon comportement à chaque fois.

Or, comme je vous l’expliquais toujours dans cette même vidéo qu’il faut vraiment que vous alliez voir si ce n’est pas encore fait [vidéo], on trouve rarement de perfection dans la nature. Pour la simple et bonne raison que la sélection naturelle optimise toujours *sous contrainte*, que ces contraintes soient historiques, développementales ou matérielles. Les êtres vivants n’ont pas à leur disposition une quantité infinie de matière ou d’énergie, donc quand la sélection naturelle produit des adaptations, ces adaptations sont tout le temps des compromis. Un exemple classique dont je vous avais parlé c’est celui du nerf qui passe par le coeur pour aller du cerveau au cou. C’est pas un chemin optimisé, mais c’est le chemin auquel a abouti l’évolution. Parce qu’on se rend compte en étudiant le vivant que la sélection naturelle a souvent abouti à des solutions imparfaites, on dit parfois qu’elle fait du bricolage plus que de l’ingéniérie.

Et il arrive que certaines personnes reprochent à la psycho évo d’ignorer ce point et de penser que les êtres vivants sont toujours parfaitement adaptés. Mais cette critique est une fois de plus émise par des gens qui sont soit ignorants soit malhonnêtes, parce que dès le départ les psychologues évolutionnaires ont insisté pour dire que la nature n’est pas parfaite. Et pour vous le prouver, je vais simplement vous lire un extrait du texte fondateur de la psycho évo qui a été écrit il y a trente ans déjà, et que les détracteurs de la psycho évo feraient bien de lire [51] :

« Les chercheurs en sciences comportementales doivent savoir que les machines fonctionnelles organiques [c’est à dire, les êtres vivants] sont très différentes des systèmes que les ingénieurs humains construisent en planifiant et en anticipant. Les ingénieurs humains peuvent démarrer d’un tableau vierge, et construire des systèmes de zéro pour exécuter proprement une fonction, en utilisant des matériaux choisis spécialement pour la tâche en question. Les êtres vivants eux sont plus comme le célèbre bâteau toujours en mer. Ce bâteau ne peut jamais retourner en cale sèche pour une révision majeure ; toutes ses améliorations doivent être faites planche par planche, pour que le bâteau ne coule pas pendant sa modification. Au cours de l’évolution, les designs successifs sont toujours construits par modification des structures préexistantes – des structures liées entre elles (au moins à court terme) par de complexes couplages développementaux. »

Ce passage montre bien que la psycho évo a conscience que la sélection naturelle a souvent les mains liées. Mais ça n’empêche pas non plus d’aller plus loin :

« Et pourtant, ces limites à court terme n’empêchent pas l’émergence d’adaptations psychologiques et physiologiques organisées qui font preuve d’une fonctionnalité extrême – meilleure, en fait, que celle que des ingénieurs humains auront réussi à obtenir dans la plupart des cas. Ceci est possible car le processus évolutionnaire opère sur de très grands nombres d’individus et sur des périodes de temps gigantesques, la sélection naturelle remontant la pente sans relâche. »

Par « remonter la pente », les auteurs font ici référence à la diminution locale d’entropie dont je vous ai déjà parlé [vidéo]. La sélection naturelle « remonte la pente » dans le sens qu’elle s’oppose localement à l’augmentation d’entropie de l’univers.

« Pour anthropomorphiser, la sélection naturelle obtient ses résultats en « bricolant », accumulant de fréquentes petites modifications indépendantes sur de vastes périodes. Ces modifications en chaîne doivent donc être nombreuses pour arriver à une solution sophistiquée ou un mécanisme fonctionnel. Le fait que ces modifications soient générées aléatoirement – et que la sélection est toujours limitée à n’importe quel moment à choisir parmi ce nombre d’alternatives fini – veut dire que le processus évolutionnaire peut parfois « négliger » ou « passer à côté » d’une solution spécifique qui aurait été évidente pour un ingénieur humain, simplement parce que les mutations correctes n’ont pas eu lieu.

Mais le fait que l’évolution ne soit pas un processus « intelligent » est à double tranchant. C’est précisément parce que les modifications sont générées aléatoirement que les solutions adaptatives ne sont pas limitées par l’intelligence finie de n’importe quel ingénieur. Par conséquent, l’évolution peut trouver de subtiles solutions que seul un ingénieur superhumain et omniscient aurait pu avoir trouvé. »

Donc voilà, pour résumer, effectivement la sélection naturelle n’est pas parfaite, et effectivement elle fait parfois du bricolage, et effectivement elle est basée sur du hasard, mais c’est précisément parce qu’elle est basée sur du hasard et qu’elle opère sur des échelles de temps énormes qu’elle peut générer des designs qui n’ont jamais été égalés par nos meilleurs ingénieurs. Et ce sont ces designs que l’on peut essayer de repérer dans la nature.

1.9 L’environnement ancestral n’est pas connu

Toutes les critiques qu’on a vues jusqu’ici ont été adressées en premier à la biologie de l’évolution avant d’être adressées à la psycho évo. C’est la biologie de l’évolution qui a été la première accusée d’être trop spéculative, trop adaptationniste, ou d’oublier d’étudier les gènes [3, 6, 34]. La psycho évo n’a fait que se récupérer ces critiques quand elle est apparue dans les années 80-90. C’est un point qu’on oublie souvent donc j’insiste un peu dessus. Si vous pensez toujours, après ce que je viens de vous expliquer, que ces critiques sont pertinentes et fatales, vous allez entraîner dans votre chute bien plus que la psycho évo. Mais il existe aussi quelques critiques méthodologiques qui sont plus spécifiques à la psycho évo et auxquelles on va s’intéresser maintenant.

Vous vous rappelez peut-être qu’un concept important en psycho évo, c’est celui d’environnement ancestral. L’environnement ancestral, c’est l’environnement dans lequel ont évolué nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, par opposition à l’environnement moderne dans lequel on vit aujourd’hui. Et c’est un concept important parce que c’est à cet environnement ancestral que notre cognition est adaptée. Si vous voulez comprendre notre cognition actuelle, vous devez vous intéresser aux problèmes de survie et de reproduction que nos ancêtres ont eu dans cet environnement ancestral, pas à nos problèmes de survie et de reproduction aujourd’hui.

En fait, l’environnement ancestral est important pour expliquer les comportements de toutes les espèces. Pour expliquer pourquoi les papillons de nuit viennent se cramer les ailes sur nos lampes en été, vous devez vous rappeler qu’ils ont évolué dans un environnement qui ne comportait pas de telles lampes. Ces papillons ne sont certainement pas en train de maximiser leur fitness en se brûlant les ailes, mais comme on dit en psycho évo, « les êtres vivants ne sont pas des maximisateurs de fitness, ce sont des exécuteurs d’adaptation ». En se jetant sur votre lampe, les papillons sont en train d’exécuter leurs adaptations, les programmes cognitifs qui leur permettent de faire de la navigation spatiale et qui ont évolué pour être efficaces dans un environnement où la seule lumière la nuit est celle de la lune. La notion d’environnement ancestral est donc importante pour n’importe quelle espèce, mais elle est encore plus importante pour l’espèce humaine, parce que notre environnement à nous a énormément changé depuis 10 000 ans.

Mais le problème, c’est que cet environnement ancestral n’est que partiellement connu [5]. En particulier, on connaît peu l’organisation sociale et les modes de vie de nos ancêtres chasseurscueilleurs. On les infère le plus souvent sur la base de données paléontologiques partielles et sur la base d’études des sociétés de chasseurs-cueilleurs qui subsistent encore aujourd’hui, sans que l’on soit bien sûr que ces sociétés d’aujourd’hui ressemblent à celles d’autrefois. Du coup, la critique est toute trouvée : si on ne peut pas connaître avec précision l’environnement passé, on ne peut pas deviner les problèmes de survie auxquels ont été confrontés nos ancêtres, et donc on ne peut pas passer par la fonction pour deviner le design [65, 66].

Alors y’a plusieurs façons de répondre à cette critique. La première, c’est de dire simplement que ne pas disposer d’informations complètes n’a jamais été un problème critique en science. Toutes les sciences travaillent avec des informations partielles sur le monde, ça ne les empêche pas d’avancer. Surtout que même s’il y a plein de choses qu’on ignore sur l’environnement ancestral, il y a aussi plein de choses qu’on sait et qui ont de quoi tenir occupés les chercheurs pendant des dizaines d’années. Parce que la psycho évo n’a pas besoin d’un niveau de détail élevé pour commencer à travailler. Par exemple, rien que savoir qu’on a évolué dans un environnement où des pathogènes était présents, ce que personne ne va remettre en question, nous permet de travailler sur l’existence d’un programme cognitif chargé de nous faire éviter ces pathogènes. Rien que savoir que c’était les femmes qui tombaient enceinte et pas les hommes, ce que personne n’ira remettre en question, est à l’origine de centaines de publications en psycho évo [67]. Et y’a encore plein d’autres choses qu’on sait sur l’environnement de nos ancêtres. On sait que les longueurs d’onde importantes à discriminer étaient les mêmes qu’aujourd’hui; on sait qu’il y avait des prédateurs et qu’il fallait s’en défendre; qu’il y avait des serpents et des araignées dangereuses; que notre espèce était composée de deux sexes; que chacun de ces sexes devait choisir un partenaire avec qui se reproduire; que si une personne se reproduisait avec un partenaire trop proche génétiquement, ses enfants allaient avoir des problèmes; que les bébés naissaient sans défense et qu’il fallait s’en occuper pendant des années avant qu’ils ne soient autonomes; que l’humain avait besoin de se nourrir pour vivre; que certaines nourritures étaient plus énergétiques que d’autres; que certaines nourritures étaient plus dures à se procurer que d’autres. Toutes ces caractéristiques environnementales et des centaines d’autres, triviales pour plein de chercheurs, sont au contraire intéressantes pour un psychologue évolutionnaire [40, 67]. On n’a pas besoin de récupérer la vidéo d’une GoPro montée sur la tête de l’homme de Tautavel pour commencer à faire de la psycho évo.

Et la deuxième façon de répondre à cette critique, c’est de dire que l’environnement ancestral c’est plus un concept important qu’un point méthodologique critique. L’environnement ancestral, c’est surtout important pour comprendre qu’il faut pas s’attendre à ce que nos comportements soient toujours optimisés dans notre vie de tous les jours. Faut pas s’étonner que les humains fassent des choses maladaptées comme fumer trois paquets de clopes par jour ou étudier la géologie, de la même façon qu’il faut pas s’étonner que les papillons de nuit se crament les ailes sur nos lampes. Et faut pas s’étonner si on ne se met pas à la recherche de programmes cognitifs dont la fonction est de nous faire éviter les voitures par exemple. Les voitures sont des objets qui sont aujourd’hui très dangereux, mais qui n’existaient pas dans notre environnement ancestral, donc notre psychologie n’a pas pu évolué de réponse à ces objets.

Et même si on se trompait sur l’environnement ancestral, la seule chose qu’on risque c’est que nos hypothèses ne soient pas confirmées. Puisque comme on l’a vu, la psycho évo finit toujours par tester ses prédictions, si elle se trompait sur une fonction, elle finira par s’en rendre compte. Ce serait grave de se tromper sur l’environnement ancestral uniquement si les hypothèses sur le design n’étaient pas testées ensuite.

Enfin, je rappelle que l’environnement ancestral ne fait pas référence à un lieu et une époque précise; il s’agit plus d’un environnement statistique, une moyenne de toutes les pressions de sélection qui se sont exercées sur l’humain au cours des dernières centaines de milliers d’années. Même si les pathogènes auxquels on est exposés aujourd’hui ne sont pas exactement les mêmes que ceux d’il y a 300 000 ans, il existe toujours une régularité statistique qui est la présence dans notre environnement de micro-organismes qui essaient de rentrer dans notre corps et qui sont identifiables par des protéines qu’ils portent à leur surface.

1.10 La psycho évo est WEIRD

Quand elle teste ses prédictions, la psycho évo s’appuie souvent sur des expériences faites sur des occidentaux, et en particulier des occidentaux âgés de 18 à 25 ans, recrutés sur des campus d’université, et des campus d’université en Europe et Amérique du nord.
Non seulement cette population ne représente qu’une toute petite tranche de la population mondiale, mais elle a en plus l’inconvénient d’être très particulière comparée à toutes les populations du monde. Y’a même un acronyme qui est utilisé dans le monde universitaire pour la désigner, c’est l’acronyme WEIRD. WEIRD est l’acronyme de Western, Educated, Industrialized, Rich and Democratic, en français, Occidentales, Eduquées, Industrialisées, Riches et Démocratiques [68]. Et pour ceux qui n’ont pas tout retenu des cours de Mme Cupoftea au collège, WEIRD est aussi un jeu de mots puisque ça veut dire « bizarre » en anglais. Les occidentaux seraient bizarres, anthropologiquement parlant.

Et ça c’est un problème pour la psycho évo. Vous vous rappelez peut-être que la psycho évo postule qu’il existe une cognition humaine universelle, que tous les humains ont dans la tête les mêmes programmes cognitifs de la même manière qu’ils ont dans le corps les mêmes organes. Elle s’est donnée précisément comme objectif de découvrir cette cognition universelle, qu’elle assimile parfois à une « nature humaine ». Mais avant de parler de nature humaine, il faudrait peut-être s’assurer que ces programmes sont effectivement universels, et pour ça il faudrait faire des expériences dans des populations variées. Impossible de dire que le dégoût est un programme cognitif universel si on n’a fait que des expériences à Paris-Saclay pour l’étudier. Ça serait la même chose que de conclure que tous les chercheurs passent leur temps à faire la sieste sur la base de l’étude d’un seul échantillon de géologues.

Cette critique sur la faible diversité des échantillons est valable, et les chercheurs en psycho évo reconnaissent sa pertinence. Ça sera toujours important, en psycho évo comme en science en général, d’avoir des échantillons les plus représentatifs possibles, a fortiori quand l’objectif est d’étudier ce qui est universel dans la cognition humaine.

Mais cette critique est quand même à nuancer sur plusieurs points. D’abord, les chercheurs en psycho évo sont pas débiles et n’ont pas eu besoin d’attendre qu’on leur fasse la remarque pour essayer de diversifier leurs échantillons. Par exemple, dès les années 80, les chercheurs qui travaillaient sur les différences homme/femme sont allés tester leurs prédictions dans 37 cultures différentes [69]. Et parce qu’ils trouvaient qu’ils pouvaient faire mieux et que c’est toujours bon de répliquer les résultats, ils ont refait la même expérience en 2020 dans 45 pays différents [70]. Les chercheurs en psycho évo ont fait partie des premiers psychologues à essayer de diversifier leurs échantillons, précisément parce qu’ils étaient à la recherche d’une cognition universelle [71-74].

Et justement, il faut remarquer que cette critique n’est pas spécifique à la psycho évo. Elle est aussi valable pour toute la psychologie et les neurosciences, et pourtant ces disciplines semblent beaucoup moins sujettes à ces critiques. Lorsqu’un neuroscientifique français publie ses résultats, personne ne lui dit, « c’est cool, mais tu as juste découvert quelque chose sur le cerveau des Français, maintenant tu dois aller refaire ton expérience sur tous les continents du monde avant de conclure quoi que ce soit sur le cerveau en général ». Et en fait, le problème n’est pas restreint à l’étude du cerveau. En biologie aussi on généralise souvent à l’espèce à partir d’observations obtenues sur une population particulière [75]. Même s’ils n’ont fait des observations que sur les moineaux de Bretagne, les biologistes écriront souvent leur article en parlant « des moineaux en général ». C’est pas un défaut fatal, ça montre juste que la science est contrainte et que les chercheurs font ce qu’ils peuvent avec les moyens dont ils disposent. Ce problème de nonreprésentativité des échantillons vient principalement de contraintes matérielles ou financières.

C’est déjà extrêmement compliqué et coûteux de faire des expériences en France quand on habite en France, mais alors quand il faut répliquer une expérience dans des dizaines de cultures différentes je vous raconte pas le bordel que c’est. Généralement, ce genre d’entreprise demande la collaboration de plein de chercheurs qui travaillent ensemble pendant des années. Je vous montre ici par exemple la liste des co-auteurs d’un article qui a répliqué la même expérience dans 45 pays [70]. Donc la faible diversité des échantillons c’est pas un problème de mauvaise volonté, ni un problème insurmontable. Ça montre juste que c’est dur de faire de la science, et qu’on démarre par les expériences les plus faciles à faire.

Et enfin, il faut se méfier de cet acronyme WEIRD, parce qu’il est devenu très utilisé mais n’a jamais été vraiment justifié [76]. Les chercheurs qui l’ont créé n’ont jamais dit pourquoi ils avaient choisi ces cinq dimensions, pourquoi être occidental, éduqué, industrialisé, riche et démocratique seraient des caractéristiques bizarres, et pourquoi être ingénieur, géologue ou breton ne seraient pas inclus dedans, alors que moi c’est à ça que j’aurais pensé tout de suite. En fait, derrière cet acronyme il y a déjà des suppositions faites sur ce qui est ou pas dans la nature humaine, sur ce qui est « bizarre ou pas ». Or c’est précisément ce qu’on cherche à déterminer ce qui bizarre ou pas en faisant ces expériences.

Mis à part ces nuances, la critique de la faible diversité des échantillons est quand même valide, et aujourd’hui les articles de psycho évo qui sont publiés dans les meilleurs journaux sont généralement ceux qui ont fait l’effort d’aller tester leurs hypothèses dans des sociétés différentes, qui incluent notamment des sociétés de chasseurs-cueilleurs [77-79].

1.11 La psycho évo est trop « modulariste »

Je ne sais pas si vous vous rappelez, dans la toute première vidéo de cette série je vous avais dit qu’un concept important en psycho évo c’est celui de « spécialisation fonctionnelle ». C’est l’idée que le cerveau humain est constitué d’un ensemble de petits programmes qui sont chacun spécialisés dans la réalisation d’une fonction particulière, par opposition à un cerveau qui serait constitué de 2-3 programmes généralistes qui savent faire plein de choses différentes. Je vous avais dit que c’était une idée bien soutenue théoriquement et empiriquement.

Théoriquement, parce qu’on voit pas bien à quoi ressemblerait une pression de sélection qui permet de faire évoluer des programmes généralistes. Dans notre corps, on a pas un organe qui sait tout faire, on a des organes spécialisés pour réaliser chacun une tâche précise. Et c’est tout à fait normal, parce que l’émergence d’un trait dans un organisme se fait en général en réaction à un problème bien spécifique. Au cours de notre histoire évolutive ont existé des pressions de sélection pour faire circuler le sang, pour extraire de l’oxygène de l’air, pour détoxifier la nourriture, etc.. En réponse à ces pressions de sélection spécifiques, on a évolué des organes bien spécifiques qui résolvent chacun un de ces problèmes.

Si on poursuit ce raisonnement, on peut donc penser que notre psychologie sera organisée pour résoudre des problèmes bien précis. Qu’on aura pas une capacité générale à raisonner, mais plein de capacités spécialisées pour raisonner sur des domaines bien précis. Qu’est-ce que ça pourrait bien être une pression de sélection qui nous pousse à développer une capacité à raisonner en général? ou une capacité à apprendre en général? C’est très difficile à concevoir. C’est un peu comme si je vous mettais devant une feuille blanche et que je vous disais de me concevoir un robot qui est capable de « survivre ». Vous allez me dire, ça veut rien dire « survivre » : survivre à quoi, survivre à quels problèmes, survivre à quel type d’environnement.

Et la spécialisation fonctionnelle est aussi bien étayée empiriquement, parce qu’on observe de la spécialisation fonctionnelle partout, dès qu’on cherche à créer des systèmes efficaces. Nos voitures, nos machines à laver et nos ordinateurs sont des assemblages de composants spécialisés. Nos programmes informatiques sont des agrégats de morceaux de code spécialisés. Notre corps est composé d’organes spécialisés. Et notre cerveau se décompose aussi en fonctions spécialisées, qui ne se remarquent pas forcément en première inspection mais apparaissent de façon claire quand certaines zones du cerveau sont détruites. Je vous ai déjà parlé de la perte de la capacité d’associer un visage à une personne, ou de la perte de la capacité à comprendre que notre propre corps nous appartient [vidéos], mais ce ne sont que deux exemples parmi des centaines d’autres.

Pour toutes ces raisons, la spécialisation fonctionnelle de l’esprit est une idée pas vraiment controversée en sciences cognitives. En psycho évo on insiste encore plus dessus à cause de la place centrale qu’occupent les fonctions dans l’analyse de correspondance design/fonction. Si le cerveau n’était pas spécialisé fonctionnellement, ça n’aurait aucun intérêt de se mettre à la recherche de « programmes cognitifs qui nous font éviter les pathogènes » par exemple.

Et ces fonctions, la psycho évo postule qu’elles sont nombreuses, très nombreuses même : parce que le cerveau humain a été confronté à des centaines de problèmes de survie et de reproduction au cours de l’évolution, et que chacun de ces problèmes peut être lui-même décomposé en dizaines ou centaines de sous-problèmes, il est possible que le cerveau humain se compose de milliers, peut-être de dizaines de milliers de programmes cognitifs spécialisés, en fonction de comment vous les découpez. C’est ce qu’on appelle « l’hypothèse de modularité massive », car on assimile ces petites spécialisations fonctionnelles à des « modules ».

Et c’est là que ça commence à se tartiner la gueule entre chercheurs. Accrochez-vous, ça devient un peu technique. Le problème quand on emploie le mot « module », c’est que c’est un mot qui est associé à certains débats en sciences cognitives des années 80. Dans ces débats, les « modules » avaient des propriétés particulières, l’une des plus importantes étant l’encapsulation. Un module est encapsulé s’il peut fonctionner avec très peu d’informations, et en particulier s’il peut fonctionner sans se faire influencer par l’information venant d’autres modules [80]. Par exemple, quand vous voulez savoir si un lion se trouve devant vous, vous avez besoin d’un système qui travaille très vite et qui ne se laisse pas influencer par ce qui se passe ailleurs dans le cerveau pour vous donner une réponse. Une certaine partie des programmes cognitifs qui constituent notre système visuel est donc probablement encapsulée. C’est ce qui expliquerait que vous soyez sujets à des illusions d’optique même en sachant pertinemment que ce sont des illusions. Quand vous voyez ces deux lignes, même si vous savez qu’elles n’ont pas la même longueur, vous ne pouvez pas changer cette perception. Vous ne pouvez pas choisir de ne pas voir cette illusion, et ça c’est probablement parce que les programmes cognitifs qui font le travail de perception des longueurs sont encapsulés, qu’ils sont immunisés contre l’avis d’autres programmes cognitifs.

Cette propriété d’encapsulation est donc très utile parfois, mais beaucoup moins utile dans d’autres situations. Quand vous cherchez à savoir si vous devez croire quelqu’un qui vous dit qu’il y a un breton caché dans les buissons devant vous, vous devez prendre en compte ce que vous voyez effectivement, mais vous devez aussi prendre en compte à quel point vous avez l’habitude de croiser des bretons à cet endroit, et à quel point la personne qui vous dit ça a l’habitude d’essayer de vous faire peur pour rien. Donc vous mobilisez votre perception immédiate, votre mémoire épisodique et votre mémoire sémantique pour décider de la crédibilité de cette information. Ça veut dire que les programmes cognitifs qui font ce boulot de décider de la véracité d’une information ne sont probablement pas encapsulés, ou en tout cas beaucoup moins que ceux qui nous font percevoir le monde.

Et on en arrive à la controverse. Pour les gens qui ont développé ces théories dans les années 80-90, on ne donne le nom de module qu’à des programmes cognitifs encapsulés. C’est une de leurs propriétés fondamentales. Donc si vous dites que l’esprit est massivement modulaire, vous postulez en même temps que l’esprit est massivement encapsulé. Or, on vient de le voir, c’est pas possible que l’esprit soit massivement encapsulé, parce qu’on a plein de programmes cognitifs qui ne fonctionnent pas comme ça, qui ont besoin d’information qui vient d’ailleurs pour fonctionner. Certains philosophes de l’esprit, dont le plus connu est Jerry Fodor, ont donc été très critiques de la notion de « modularité massive » défendue par la psycho évo [81]. Si tous les programmes cognitifs étaient des modules, s’ils étaient tous encapsulés, un cerveau ne pourrait pas fonctionner.

Le problème, c’est que tout ça repose sur un malentendu. Quand la psycho évo emploie le terme de « module », elle ne lui donne pas du tout le même sens que celui de Fodor, et en particulier elle ne lui donne pas ce sens d’encapsulé [82]. Pour la psycho évo, la seule notion importante dans le concept de module, c’est la notion de « spécialisation fonctionnelle » [83]. C’est ça un module pour la psycho évo : c’est une spécialisation fonctionnelle. Et ces spécialisations fonctionnelles peuvent être encapsulées ou non. Le programme cognitif qui nous sert à décider s’il faut croire « qu’il y a un breton caché devant nous » n’est pas encapsulé mais il reste spécialisé, il est spécialisé dans l’évaluation d’affirmations, ou dans la formation de croyance.

Pour résumer, la psycho évo a postulé historiquement que le cerveau humain était massivement modulaire, et ça n’a pas plu à certains philosophes pour qui le mot « modularité » est nécessairement associé à certaines propriétés, et notamment à l’encapsulation. Mais ce débat est basé sur un malentendu, et à cause de ça vous entendrez de moins en moins souvent les psychologues évolutionnaires utiliser le mot « module », pour se concentrer sur l’expression « spécialisation fonctionnelle », moins controversée.

1.12 La psycho évo ne postule aucun programme généraliste

Ceci étant dit, il y a d’autres débats sur la façon dont notre esprit est organisé qui sont moins basés sur des malentendus et donc beaucoup plus intéressants [84, 85]. Un de ces débats dont je voudrais vous parler c’est celui sur la « spécificité du domaine ». La question c’est de savoir si les programmes cognitifs qui tournent dans notre tête, tout en restant spécialisés, ont un domaine d’application restreint ou étendu. Mais la réponse est souvent loin d’être évidente, parce que dépendante du niveau de description adopté. Par exemple, le correcteur d’orthographe qui corrige vos fautes sur ordinateur, est-ce que c’est un mécanisme au domaine large ou au domaine restreint? Hé bien on pourrait défendre les deux. Domaine large parce qu’il peut corriger toutes les phrases possibles et imaginables que vous décideriez d’écrire. Mais domaine restreint parce qu’il ne peut corriger que du texte, pas des images, et encore du texte dans une certaine langue, avec un vocabulaire limité, etc.

Autre exemple plus cognitif : on a dans la tête des programmes spécialisés pour détecter les visages. Mais est-ce que les visages doivent être considérés comme un domaine large ou restreint? Tout dépend de la façon dont vous les décrivez. Si vous décrivez un visage comme la réunion de yeux, d’un nez, d’une bouche, de sourcils, tous disposés selon une configuration bien précise, c’est ultra spécifique. Mais si vous décrivez un visage comme un ensemble de trois formes géométriques disposées en triangle inversé, c’est beaucoup plus large. Or, il semblerait que la sélection naturelle soit plutôt partie sur cette deuxième description. La preuve, c’est qu’on detecte aussi des visages dans le ciel, dans les arbres, dans le café, et dès que trois formes géométriques sont disposées en triangle inversé. Et quand on y réfléchit, ça a beaucoup de sens pour la sélection naturelle d’être tombée sur cette définition abstraite des visages, parce que les triangles inversés sont très rares dans la nature. Si vous cherchez à construire un robot dont l’attention serait captée par les visages, ça serait un moyen très simple et efficace pour faire ça que de repérer les stimuli disposés en triangle inversé, plutôt que d’essayer de reconnaître des yeux, un nez, des oreilles, des rides, et toutes les composantes d’un visage. Voilà pourquoi les questions sur la spécificité du domaine sont pas encore résolues et assez compliquées. La psycho évo a plutôt tendance à penser que les domaines de nos programmes cognitifs seront restreints. Mais tout dépend du niveau de description qu’on adopte pour décrire ces domaines.

Je sais que pour certains d’entre vous, c’est assez dur à gober que notre cognition soit composée de milliers de programmes spécialisés au domaine restreint et pas de quelques programmes généralistes. Intuitivement, quand on s’introspecte, on a pas l’impression d’être constitués d’une multiplicité de fonctions. On a pas l’impression d’avoir plusieurs capacités d’apprentissage, plusieurs capacités de raisonner, plusieurs capacités de mémoriser. Mais ça c’est pas un très bon argument. Une grosse partie de notre activité mentale étant inconsciente, vous ne pouvez pas vous baser sur votre introspection pour décider de la structure de l’esprit. C’est pas parce que vous avez une expérience unifiée de votre vie mentale que cette vie mentale n’est pas en fait morcelée. Un peu comme quand vous conduisez une voiture. Vous avez une expérience unifiée de la conduite, vous n’avez pas l’impression de faire des milliers de choses en même temps, mais c’est uniquement parce que vous n’interagissez qu’avec la partie émergée d’une voiture. En coulisse il y a des milliers de fonctions au domaine restreint qui s’exécutent pour permettre à votre voiture d’avancer.

Et puis la 2e raison pour laquelle les idées de spécialisation fonctionnelle et de spécificité du domaine sont résistées, c’est qu’historiquement beaucoup de psychologues ont travaillé sur des procédures d’apprentissage ou de raisonnement généralistes. Par exemple l’apprentissage bayésien, le conditionnement opérant, ou même simplement les procédures logiques du type «
Si P alors Q », ce sont des façon d’apprendre généralistes, qui sont indépendantes du contenu. Vous pouvez faire apprendre à un robot n’importe quoi en utilisant la formule de Bayes, vous n’êtes pas restreints à faire de l’apprentissage des visages par exemple.
Et c’est vrai que ce sont des procédures d’apprentissage généralistes, mais la question c’est, dans notre cerveau, ces méthodes généralistes fonctionnent-elles de façon indépendante ou sontelles à chaque fois implantées à l’intérieur de fonctions spécialisées? Par exemple, on pourrait très bien imaginer qu’on apprenne à reconnaître les visages par apprentissage bayésien, mais que cet apprentissage se fasse toujours à l’intérieur d’une fonction qui va décider des données pertinentes pour mettre à jour les probabilités. La formule de Bayes, il faut la nourrir de données pertinentes, il faut lui donner des objectifs sur quoi apprendre, et pour expliquer ça il est probable que vous ayez toujours besoin d’avoir recours à l’idée de spécialisation fonctionnelle et de spécificité du domaine.

Dans un sens, ce que propose la psycho évo, et pour jouer sur votre corde sensible de geek, c’est tout simplement l’application de la philosophie Unix à l’esprit humain. « Écrire des programmes qui ne font qu’une chose et qui la font bien », comme dirait Doug McIlroy. On spécialise, on crée des programmes au domaine restreint, parce que c’est la façon la plus logique de créer un système performant. Après rien n’interdit de réutiliser ces programmes simples dans d’autres programmes plus compliqués. L’idée c’est juste de dire que si la spécialisation fonctionnelle et la spécificité du domaine se retrouvent déjà dans des domaines aussi variés que l’ingéniérie, la programmation, ou l’anatomie humaine, quelles raisons avons-nous de penser que ça serait différent pour l’esprit humain?

1.13 La critique la plus pertinente pour moi.

Je vais terminer avec une critique méthodologique qui est pour moi la plus importante que vous puissiez faire à la psycho évo, et que pourtant j’entends assez peu. Je vous ai déjà dit que pour moi, la psycho évo est plus une façon de penser qu’une discipline à part entière, parce qu’une fois que des prédictions sur le design du cerveau auront été faites, elles seront testées avec les méthodes d’autres disciplines, que ce soit la psychologie, l’anthropologie, l’éthologie, la biologie moléculaire, etc. Le problème, c’est que toutes ces disciplines traversent depuis dix ans une « crise de réplicabilité » qui nous amène à remettre en question une grande partie de leurs résultats [86-89]. C’est vraiment une crise très importante, dont je pense que beaucoup de gens n’ont pas pris la mesure. Dans le monde de la vulgarisation y’a quelques personnes qui en ont déjà parlé mais je trouve qu’on en a pas fait encore assez, donc je vous en parlerai sûrement un jour. Si vous pensez que cette crise est grave, c’est que vous sous-estimez probablement la situation. En tout cas, ce que cette crise veut dire, c’est qu’une partie des résultats de la psycho évo est probablement à mettre à la poubelle. Une partie des prédictions que l’on croyait avoir confirmées n’ont en fait pas du tout été confirmées. Voilà pour moi la raison principale pour laquelle vous devez vous méfier de la psycho évo : pas à cause de son programme adaptationniste, pas à cause de sa supposée spéculation, pas à cause de la faible diversité de ses échantillons, mais parce que ses prédictions ont pour l’instant surtout été testées avec des méthodes peu
robustes.

Alors évidemment, une fois de plus, ce n’est pas une critique spécifique à la psycho évo. La crise de réplicabilité touche la psychologie en général, les sciences sociales en général, une grosse partie de la biologie et très certainement une partie de la physique et la chimie, même si on a moins de données sur ces disciplines. Mais ça ne change rien au fait que si la psycho évo veut continuer à convaincre en tant que programme de recherche capable de produire de la connaissance, elle devra comme toutes ces autres disciplines séparer le bon grain de l’ivraie dans les résultats déjà obtenus.

1.14 Résumé

Vidéo presque terminée, je vous propose de vous résumer tout ça, de reparler un peu de philo des sciences, et de conclure. Commençons par résumer.

La critique méthodologique que vous entendrez le plus souvent sur la psycho évo concerne son soit-disant caractère spéculatif.
La psycho évo ne fait pourtant rien d’autre que de l’analyse de correspondance designfonction, une méthode déjà largement utilisée en psychologie, neurosciences, biologie, ingéniérie, programmation, et dans toutes les disciplines où ça a du sens de parler de fonction. Comparée à la psychologie non évolutionnaire, l’originalité de la psycho évo tient en deux points principaux. D’abord, elle se limite à postuler des fonctions compatibles avec la théorie de l’évolution, plutôt que de laisser libre cours à l’imagination des chercheurs. Et ensuite, elle utilise beaucoup plus souvent la stratégie de partir de la fonction pour deviner du design, plutôt que partir du design pour deviner une fonction et revenir ensuite au design. C’est d’autant plus important de pouvoir faire ça qu’une énorme partie du design du cerveau est cachée, et que si on devait toujours commencer par faire de la rétro-ingéniérie classique, on serait très vite limités dans ce qu’on peut étudier. En partant de la fonction pour aller vers le design, on contourne ce problème, et l’espoir est d’accélérer ainsi le processus de cartographie du cerveau. Bien sûr, pour faire ça vous avez besoin d’une théorie qui explique l’existence de fonctions dans le monde vivant, et c’est précisément ce que fait la théorie de l’évolution. C’est pour ça que la psycho évo a le mot « évolutionnaire » dans son nom.

Maintenant, une fois qu’on a dit ça, il ne faut pas oublier que la psycho évo a toujours le mot « psychologie » dans son nom, et cette psychologie reste le sujet d’étude central. La psycho évo n’étudie pas l’évolution de notre psychologie dans le passé, elle étudie notre psychologie aujourd’hui. Si elle en vient parfois à « spéculer » sur des fonctions évolutionnaires, ça n’est jamais une fin en soi mais un simple moyen de découvrir du design aujourd’hui. Ceux qui reprochent à la psycho évo son caractère spéculatif ont donc une très mauvaise compréhension de ce qu’elle est, parce que soit la psycho évo découvre du design, soit elle n’en découvre pas, mais dans tous les cas c’est une question qui sera tranchée empiriquement. C’est la chose la plus importante que vous devez retenir de cette vidéo : loin d’être un champ théorique qui spécule sur le passé, la psycho évo est un champ empirique qui teste des prédictions sur la façon dont notre psychologie fonctionne aujourd’hui.

Une fois que vous avez compris ça, beaucoup de critiques tombent d’elles-mêmes. Bien que faire des phylogénies, des études de fertilité et de gènes soit intéressant scientifiquement parlant, ces études n’aideront en rien la découverte de design. Et le fait que les comportements ne se fossilisent pas n’est pas non plus un problème, car la psycho évo n’étudie pas le processus de sélection naturelle, elle étudie les produits de la sélection naturelle.

Cela dit, l’analyse de correspondance design/fonction comporte des limites. Elle contient toujours une part de subjectivité. Elle aboutit très rarement à des certitudes. On doit souvent se contenter de faire de l’inférence à la meilleure explication, sur la base de faisceaux d’indices plutôt que de véritables preuves. Cette analyse est aussi peu convaincante pour des traits au design simple et quand elle est morcelée dans plusieurs articles. Et ce caractère peu convaincant peut être renforcé par le jeune âge du champ et par le fait que ses hypothèses sont très rapidement disséquées sur la place publique. Mais ces limites sont tout simplement ça, des limites, pas des critiques fatales, et pas non plus des limites spécifiques à la psycho évo.

La deuxième grosse critique méthodologique souvent faite à la psycho évo, c’est qu’elle serait trop adaptationniste, c’est à dire qu’elle penserait que tous les comportements sont des adaptations, des produits de la sélection naturelle. Pourtant, la psycho évo est *la* discipline qui a historiquement insisté pour dire que l’évolution produisait, en plus des adaptations, des maladaptations, des sous-produits et du bruit. Si la psycho évo met quand même l’adaptationnisme au coeur de son programme de recherche, c’est à nouveau parce que ce qui l’intéresse en premier c’est de découvrir du design. Postuler des fonctions permet de découvrir du design, alors que postuler que quelque chose a évolué par hasard ou par contrainte ne fait pas ou peu de prédictions. Postuler beaucoup de fonctions n’est pas très grave car ces fonctions font des prédictions qui seront toujours testées. À l’inverse, postuler trop peu de fonctions peut faire passer à côté de découvertes intéressantes. Enfin, on a vu que les critiques sur l’adaptationnisme sont liées à des préoccupations politiques, parce qu’à chaque fois que vous prouvez l’existence d’une adaptation, vous montrez que la nature est bien faite, ce qui pourrait servir d’argument à des politiques conservatrices qui souhaiteraient maintenir le statu quo.

Contrairement à ce qu’on lui fait parfois dire, la psycho évo a parfaitement conscience qu’adaptation ne rime pas toujours avec perfection, mais ça ne remet pas en cause la démarche adaptationniste. Le fait que l’environnement ancestral soit mal connu n’est pas non plus une critique fatale, car même avec une description grossière de l’environnement ancestral, la psycho évo aurait de quoi travailler pendant des dizaines d’années. Les critiques sur la faible diversité des échantillons et la non-réplicabilité des résultats ne sont pas non plus insurmontables, et elles sont valables pour toutes les sciences. Enfin, la critique sur la vision modulaire de l’esprit provient principalement d’un malentendu sur la définition des « modules ». Par « massivement modulaire », la psycho évo veut dire que le cerveau est « massivement spécialisé fonctionnellement », ce qui n’est pas vraiment controversé.

Voilà pour le résumé. Pour vous qui entendez ces critiques pour la première fois, vous devez vous dire que ça fait quand même beaucoup, et que dans le tas il doit quand même bien y en avoir une ou deux qui tient la route. C’est exactement l’effet qui est recherché. Les critiques de la psycho évo ont cherché à donner l’impression d’un champ miné par les problèmes, en employant la stratégie du millefeuille argumentatif. Pourtant, quand on prend ces critiques une par une, on se rend compte qu’elles n’ont rien d’impressionnant. Les 2/3 sont basées sur des malentendus ou des incompréhensions, et le tiers restant concerne des critiques légitimes mais qui sont déjà prises en compte en interne et pas du tout fatales.

Maintenant vous vous dites peut-être, pourquoi est-ce que les psychologues évolutionnaires ne prennent pas le temps de dissiper ces malentendus, comme je viens de le faire aujourd’hui? Hé bien figurez-vous que c’est ce qu’ils font depuis 30 ans. Malheureusement, comme le raconte le psychologue évolutionnaire Robert Kurzban, qui a passé un certain nombre d’années de sa vie à essayer de dissiper ces malentendus [33] :

« Les discussions ont toutes la même forme : les critiques affirment que les psychologues évolutionnaires ont tort de penser que le comportement est génétiquement déterminé, que chaque aspect d’un organisme est une adaptation, et qu’on peut déduire ce qui doit être de ce qui est. Les psychologues évolutionnaires répondent qu’ils n’ont jamais dit tout ça, et documentent les endroits où ils ont dit précisément l’inverse. Les critiques répondent en disant que les psychologues évolutionnaires ont tort de penser que le comportement est génétiquement déterminé, que chaque aspect d’un organisme est une adaptation, et qu’on peut déduire ce qui doit être de ce qui est. »

En gros, les critiques n’écoutent pas ce qu’on leur répond. Les psychologues évolutionnaires ont beau se défendre et essayer de rectifier les malentendus, ils ne sont jamais écoutés. Et je peux témoigner que c’est bien le cas, parce que moi encore en 2022 je suis obligé de rectifier exactement les mêmes malentendus que ceux qui étaient déjà rectifiés il y a 20 ans, malentendus aussi souvent véhiculés par des universitaires dont c’est pourtant le boulot de se tenir informés. Comme le dit le même Robert Kurzban [90], « les critiques préfèrent fabriquer les points de vue des psychologues évolutionnaires, et attaquer ces positions fantasmées ».

L’empilement de critiques permet aussi de créer une mission impossible pour la psycho évo. À en croire certaines personnes, pour montrer que quelque chose est une adaptation, il faudrait :

– montrer l’existence d’un design
– montrer que ce design est universel
– montrer que ce design augmente les chances de survie ou de reproduction
– montrer qu’il augmentait aussi les chances de survie ou de reproduction il y a 100 000 ans
– connaître tous les gènes sont derrière ce design
– montrer que ces gènes ont augmenté en fréquence ces derniers milliers d’années connaître précisément l’environnement dans lequel ces gènes ont augmenté en fréquence
– etc, etc

Non seulement ces personnes n’ont aucune autorité pour décider de « ce qui est une preuve suffisante d’adaptation », mais s’il fallait avoir la même exigence en terme de niveau de preuve dans toutes les disciplines, aucun scientifique n’aurait jamais commencé à faire de la science. Et c’est précisément le but recherché : en empilant les critiques, en mettant la barre très haut d’emblée, on décourage toute vélléité d’étudier les comportements dans une approche évolutionnaire.

Et c’est un point important sur lequel je voudrais insister. Si tout ce que je vous ai raconté aujourd’hui n’a pas fait bouger vos crédences sur la pertinence des méthodes en psycho évo pour produire de la connaissance, ça ne me dérange pas du tout. Vous avez le droit d’être extrêmement exigeant dans vos critères de ce qu’est une bonne science, vous avez le droit de penser que passer par la fonction pour découvrir du design est une stratégie vouée à l’échec, et vous avez le droit de penser que l’analyse de correspondance design-fonction ne permet pas de produire des niveaux de preuve élevés. Vous avez le droit de penser tout ça, mais dans ce cas, n’oubliez pas d’être aussi exigeants envers toutes les autres sciences, et notamment toutes les autres sciences du comportement. Parce qu’évidemment, la psycho évo n’est pas la seule science à proposer des explications des comportements. Les sciences sociales traditionnelles sont aussi dans le même business, or ces sciences sociales sont loins d’être épargnées par les problèmes méthodologiques.

Et pourtant, vous ne verrez jamais une personne qui critique la psycho évo accompagner sa critique d’une évaluation aussi sévère des niveaux de preuves en sciences sociales traditionnelles. Si ces personnes étaient réellement motivées par des considérations épistémologiques, par la recherche de la Vérité avec un grand V, c’est pourtant ce à quoi on s’attendrait. Les mérites des explications de la psycho évo devraient toujours s’évaluer par rapport aux mérites des autres explications disponibles. La question ne devrait pas être « cette hypothèse de psycho évo estelle vraie? », mais « quel est le niveau de preuve de cette hypothèse comparé aux niveaux de preuve des autres hypothèses en compétition? ». Et bien sûr, quand on se pose cette question, on retombe sur la question des a priori dont on a déjà parlé. À qui incombe la charge de la preuve va fortement dépendre de vos a priori sur un sujet, et en particulier de votre formation universitaire.

Tout ça pour dire que si vous voulez être particulièrement exigeants sur vos critères de ce qu’est une bonne science, allez-y. Mais appliquez les mêmes critères à toutes les sciences. Et je vise en particulier en disant ça une certaine branche du scepticisme français qui a tendance à avoir le scepticisme asymétrique, et à appliquer sa pensée critique uniquement aux approches évolutionnaires du comportement, comme si les autres approches reposaient sur des bases irréprochables et avaient établi un corpus de connaissances qu’on ne peut plus remettre en question.

J’aimerais aussi revenir un instant sur l’importance de la théorie de l’évolution en psychologie.

Pour certains philosophes des sciences, comme Thomas Kuhn, une science mature se reconnaît à la présence d’un paradigme [91]. C’est quelque chose d’assez difficile à définir, mais un paradigme se caractérise par un ensemble de lois fondamentales, de théories, de méta-théories et de façons de travailler qui permettent aux chercheurs de coordonner leur action et diriger leurs travaux. Or, les sciences sociales sont célèbres pour manquer de tels paradigmes [92, 93].

Prenons rien que l’exemple de la psychologie. En psychologie, les chercheurs se plaignent depuis longtemps d’un manque de théorie pour structurer leur discipline, déjà Freud se plaignait de ça [94-96]. Et le manque de théorie ça a des conséquences. Ça a comme conséquence que les hypothèses fusent dans tous les sens et donnent l’impression d’un champ sans unité, un champ où un courant de pensée en chasse un autre non pas parce qu’il nous fait comprendre plus de choses sur le monde, mais simplement parce qu’il est devenu plus à la mode. Et c’est pour ça que bien que ça va faire deux siècles que la psychologie s’est établie en tant que science, encore en 2019 des papiers sortent pour s’alarmer du manque de théorie ou de paradigme dans le champ [97].

Or, même si ce n’est pas son but premier, la psychologie évolutionnaire fait précisément ça, réintroduire de la théorie dans un champ qui en manque cruellement. Et elle n’introduit pas n’importe quelle théorie, elle introduit la théorie la plus puissante qu’on possède pour expliquer l’organisation de la matière vivante, une théorie qui n’a plus à faire ses preuves, et une théorie sur laquelle repose déjà l’intégralité des sciences biologiques. Donc si vous êtes d’accord avec Thomas Kuhn pour dire qu’une bonne science doit être guidée par un paradigme, ou a minima par des fondations théoriques solides, la psychologie évolutionnaire fait partie des sciences sociales qui répondent le mieux à ce critère [98].

Mais peut-être que vous en avez rien à battre des paradigmes et que vous pensez comme Imre Lakatos que la meilleure indication du mérite d’un programme de recherche, c’est sa capacité à nous faire découvrir des nouvelles choses sur le monde [99]. Peu importe les débats sur l’adaptationnisme, l’environnement ancestral et la modularité, la seule question importante serait : qu’est-ce que la psycho évo nous a permis de comprendre de nouveau sur le monde depuis qu’elle existe? Quel est le succès empirique de la psycho évo?
Alors avant de répondre à cette question, je voudrais juste faire remarquer que cette insistance sur la nécessité de découvrir de nouvelles choses n’est pas indépassable. C’est vrai qu’on la retrouve souvent comme un critère de bonne science en philo des sciences, mais peut-être que c’est dû au fait que beaucoup de philosophes des sciences ont eu une formation en physique à la base. Or en physique, il est beaucoup plus facile d’être surpris et d’apprendre des choses nouvelles, parce que la vie des quarks, des électrons et des ondes lumineuses ne nous est pas familière. En sciences sociales au contraire, que ce soit en sociologie ou en psychologie, on étudie un domaine qui nous est déjà très familier. Notre vie mentale et notre vie sociale nous sont déjà très familières, donc il sera souvent plus dur d’être surpris et d’apprendre des choses nouvelles et étonnantes. Peut-être qu’en sciences sociales, il faut déjà s’estimer heureux quand une théorie nous permet d’expliquer parcimonieusement plein de choses qu’on savait déjà, et de considérer les cas où on apprend des nouvelles choses comme des cerises sur le gâteau. Aparté terminé. Revenons à la question, quel est le succès empirique des approches évolutionnaires du comportement?

On peut commencer par la sociobiologie, l’ancêtre de la psycho évo pour laquelle on a plus de recul. Comme la psycho évo, la sociobiologie s’est faite démontée par les critiques dès son apparition dans les années 70. Elle s’est faite traiter de pseudoscience, Gould avec sa finesse habituelle l’a qualifiée de « darwinisme en carton » [100], et on lui a adressé tous les reproches classiques faits aux sciences évolutionnaires : d’être spéculative, trop adaptationniste, déterministe, réductionniste, etc. Si vous êtes passé par les bancs d’une fac de sciences sociales, et qu’on vous a parlé de cette discipline, on vous l’a sûrement présentée comme une discipline défaillante et dangereuse, et pour ces raisons maintenant morte et enterrée.

Mais vous serez surpris d’apprendre que non seulement la sociobiologie n’est pas morte, mais certains biologistes la considèrent comme un des plus grands triomphes scientifiques du XXe siècle [101]. Depuis l’apparition de la sociobiologie dans les années 70, la recherche dans ce domaine a explosé, ses travaux sont régulièrement publiés dans les meilleurs journaux scientifiques, certaines de ses théories centrales comme la sélection de parentèle ont donné lieu à des milliers de confirmations empiriques, et elle est enseignée aujourd’hui dans tous les départements de biologie, même si on préfère parfois lui donner le nom d’écologie comportementale ou d’éthologie [67]. Encore mieux, le livre fondateur de la Sociobiologie, qui avait lancé le champ dans les années 70, a été élu en 1989 par les éthologues le « livre le plus important de tous les temps sur le comportement animal », devant le livre de Darwin « L’expression des émotions chez l’homme et les animaux ». Pourtant, dans le même temps, aucun des critiques de la sociobiologie n’a changé d’avis. Tous ceux qui pensaient que c’était une pseudoscience dans les années 70 pensent toujours que c’est une pseudoscience, ce qui amène des chercheurs à se demander « ce qu’il aurait fallu comme preuve pour qu’ils reconnaissent qu’ils s’étaient trompés » [102].

Et ça c’est juste pour la sociobiologie. La psychologie évolutionnaire, c’est censée être une version améliorée de la sociobiologie, ou en tout cas une version qui essaie d’être moins naïve sur les aspects psychologiques, sur le lien qui existe entre les gènes et les comportements.

Et il semblerait que la psycho évo prenne exactement le même chemin du succès que la sociobiologie. Bien qu’elle soit encore sévèrement critiquée par certains, la psycho évo n’a eu de cesse depuis les années 90 de remplir des livres entiers de choses qu’on ignorait sur l’esprit humain, que seule sa stratégie épistémique d’analyse de correspondance design / fonction lui a permis de découvrir [103]. Pour vous en rendre compte il faudrait vous taper des pavés de psycho évo et les comparer à ce qu’on savait sur l’esprit humain dans les années 80, ce qui n’est pas donné à tout le monde, mais sinon vous pouvez aussi écouter l’avis du philosophe de la biologie David Hull [104] :

« Malgré toute leur grossièreté et manque de sophistication, les psychologues évolutionnaires continuent de produire livre après livre, article après article, à la fois populaires et techniques ».

Et il disait ça en l’an 2000, après seulement dix années de psycho évo, alors imaginez ce qu’il dirait aujourd’hui 30 ans après.
Et ces articles ne sont pas publiés dans des journaux obscurs. Comme la sociobiologie, la psycho évo publie dans les meilleurs journaux scientifiques. Là ça sera très facile pour vous d’aller regarder sur les sites web des psychologues évolutionnaires dans quels types de journaux ils publient. Par exemple ici sur le site des fondateurs de la psycho évo, vous avez des papiers publiés dans PNAS, qui est souvent considéré comme le 3e meilleur journal scientifique au monde après Science et Nature. Les psychologues évolutionnaires publient dans les mêmes journaux que tout le monde, ils sont reviewés par les mêmes scientifiques que tout le monde, et c’est tout à fait normal, parce que comme on l’a vu ils n’ont pas de méthodes particulières. Ils ont juste une façon particulière de générer des prédictions, ce que personne ne peut leur reprocher tant que ces prédictions sont testées.

Et il y a encore d’autres signes de ce succès. Au moment-même où je commençais à écrire le script cette vidéo, les fondateurs de la psycho évo John Tooby et Leda Cosmides étaient à Paris pour recevoir le prix Jean Nicod, un prix du CNRS décerné à des chercheurs dont le travail a permis d’éclairer le fonctionnement de l’esprit, et qui est d’habitude plutôt remis à des philosophes de l’esprit [105]. La pensée évolutionnaire fait aussi des émules dans d’autres disciplines, puisqu’on fait maintenant de la médecine évolutionnaire, de l’anthropologie évolutionnaire, des neurosciences évolutionnaires, des politiques publiques évolutionnaires et même des études littéraires évolutionnaires. La psycho évo commence aussi doucement à s’infiltrer dans le grand public, même si on ne la présente pas toujours sous ce nom. Par exemple, quand Hygiène mentale raconte ça dans le Vortex [106] : [extrait https ://youtu.be/nUJqRXGwhHI?t=241] il est en train de faire de la psycho évo.

Donc on a parcouru énormément de chemin depuis le début des années 90. Si certains d’entre vous sont en train de faire des études de biologie de l’évolution ou de sciences cognitives aujourd’hui, vous ne vous en rendez sûrement pas compte, mais on revient de très très loin. Toutes les théories qu’on vous présente aujourd’hui comme relativement consensuelles, comme la sélection de parentèle, l’investissement parental ou la réciprocité, étaient considérées comme de la spéculation sociobiologique à deux balles il n’y a encore pas si longtemps. Le philosophe Daniel Dennett témoigne du « niveau d’hostilité et d’ignorance sur l’évolution qui était exprimé sans la moindre hésitation par d’éminents chercheurs en sciences cognitives » dans les années 90 [62]. Aujourd’hui, une bonne partie des sciences n’est plus hostile à la psycho évo. Ça ne veut pas dire qu’elle est universellement acceptée, mais elle est au moins débattue comme une approche comme une autre, ce qui est déjà une avancée appréciable.

Par contre, la psycho évo reste encore très critiquée dans certains milieux et par certaines personnes, et c’est bien pour ça que j’ai voulu faire cette vidéo aujourd’hui. Je vous ai dit que j’étais encore confronté en 2022 aux mêmes critiques que celles auxquelles répondaient mes collègues il y a 20 ou 30 ans, ce qui est parfois assez décourageant. Ces critiques sont très présentes sur les réseaux sociaux évidemment, mais aussi dans une partie du milieu universitaire. Par exemple, en 2020 la philosophe Subrena Smith se demandait encore si la psychologie évolutionnaire était ne serait-ce que « possible » [107]. C’est intéressant que 30 années de découvertes en psycho évo ne lui aient pas suggéré une réponse évidente. On se retrouve exactement dans la même situation qu’avec la sociobiologie : on est en face d’une science dont le succès empirique depuis 30 ans est loin d’être négligeable, mais ça n’a l’air d’avoir aucune espèce d’importance pour les critiques. Il est vrai que tant qu’on pinaille sur des questions de définitions et de méthodes, et qu’on se demande si la psychologie évolutionnaire est « possible en théorie », on n’a pas besoin de se confronter à ce qu’elle produit en pratique.

En tout cas, ce genre de réaction fait dire à d’autres philosophes comme le philosophe Harmon Holcomb que les critiques ne sont pas réellement intéressées par les questions méthodologiques [28] :

« avant, je pensais que présenter les critiques comme des anti-évolution révélait une incapacité à prendre les problèmes méthodologiques au sérieux. Mais aujourd’hui, les données sont bien plus nombreuses que dans les années 70, et pourtant les accusations de spéculation continuent, […] ce qui suggère que l’accusation ne se préoccupe pas réellement de niveau de preuve. »

Mais qu’est-ce qui peut bien préoccuper les critiques de la psycho évo si ce n’est le niveau de preuves? Qu’est-ce qui explique qu’on lui prodigue toujours un traitement de faveur? Pourquoi ses méthodes sont passées au peigne fin et pas celles des autres disciplines? Pourquoi on fait comme si certaines critiques étaient dévastatrices alors qu’elles sont partagées avec beaucoup d’autres sciences? Pourquoi bien qu’elle ait expliqué de nombreuses fois qu’elle n’était ni réductionniste, ni déterministe, ni intéressée par l’étude du passé, on continue à l’accuser d’être réductionniste, déterministe et de ne pas pouvoir étudier le passé? Pourquoi, comme le disent les psychologues Martin Daly et Margo Wilson, les critiques de la psycho évo ne sont « pas seulement sceptiques mais aussi en colère »? Pourquoi leur scepticisme « semble motivé par autre chose qu’une recherche humble de la vérité? » [108]. Comment expliquer que les psychologues évolutionnaires soient toujours, selon les mots de Richard Dawkins, « accablés d’une charge anormale de scepticisme et d’une hostilité a priori »? [32]? Pourquoi, comme le dit le psychologue Robert Wright, il existe une « niche de marché anti-psycho-évo » où des personnes font la queue pour cracher sur une vision caricaturale et fantasmée du champ? Pourquoi malgré des décennies de découvertes empiriques et de publications dans les meilleurs journaux scientifiques, des philosophes continuent de se demander en 2020 si la psychologie évolutionnaire est ne serait-ce que « possible »? Pourquoi on qualifie les méthodes de la psycho évo de « spéculatives » alors que ce sont les mêmes méthodes que celles utilisées dans toutes les disciplines où ça a du sens de parler de fonction? Et pourquoi, humiliation suprême, si vous twittez que la psychologie évolutionnaire est une pseudoscience, vous allez récolter beaucoup plus de likes que si vous twittez que la géologie est une pseudoscience?

La seule chose qui peut expliquer ces traitements de faveur, c’est la seule chose qui distingue la psycho évo de toutes ces autres disciplines : le caractère politiquement sensible de ses résultats.

Vous pouvez parler de l’évolution du comportement des fourmis autant que vous voulez, vous pouvez faire toutes les hypothèses adaptatives sur la cognition des lézards que vous voulez, on vous laissera toujours tranquille, parce que personne n’en a rien à battre de la cognition des fourmis et des lézards. Par contre, dès que vous allez commencer à raconter des choses sur la psychologie humaine, et en particulier sur la « nature humaine », vous allez attirer beaucoup plus l’attention. Tout simplement parce que comme le savent tous les étudiants en science politique, les théories sur la nature humaine servent souvent de base à des idéologies politiques. Si la psycho évo provoque des réactions épidermiques, si elle est scrutée plus que n’importe quelle discipline, si on lui applique en permanence un traitement de faveur, c’est bien par peur de ce que ses résultats peuvent impliquer au niveau politique.

Comme le dit le psychologue Steven Pinker [109] :

« Personne ne peut s’expliquer les controverses qui touchent l’esprit, le cerveau, les gènes et l’évolution, s’il ne comprend pas qu’elles suivent d’anciennes lignes de faille politiques. »

Bien que j’ai essayé le plus longtemps possible de séparer les questions scientifiques et politiques, je suis arrivé au bout de ce qu’il m’est possible de faire. Si vous voulez vraiment comprendre les critiques du champ, vous devez comprendre les enjeux politiques, idéologiques et éthiques qui se cachent derrière. C’est à ces enjeux que sera entièrement consacrée ma prochaine vidéo, dans laquelle je vous parlerai ouvertement de toutes ces questions. C’est quelque chose que je n’ai encore jamais fait et que je ne ferai peut-être plus jamais, alors si le sujet vous intéresse, ne ratez pas cette vidéo.

Et n’hésitez pas à me soutenir sur utip et tipee, comme le font Abby, Antoine, Kainangel, Rémi.c et batmac, parce que vos dons sont ma seule source de financement et que sans eux, ces vidéos n’existeraient tout simplement pas. Et ça, c’est pas de la spéculation.

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