Je voudrais revenir sur un billet publié il y a quelques temps sur Science étonnante, et intitulé « Le libre arbitre existe-t-il ? ». Pour résumer, des expériences de neurosciences montrent que l’on peut détecter une activité cérébrale permettant de prédire la décision que va prendre un sujet AVANT MEME que ce sujet ait conscience de la décision qu’il a prise !
David de Science étonnante semble être plutôt en partie confiant dans l’existence d’un libre-arbitre, ou cherche en tout cas à le défendre : « une manière de se rassurer c’est de considérer », « Si demain on me démontre que dans le fait de choisir sa femme, on met en jeu des processus cérébraux dans lesquels la conscience ne joue qu’un rôle annexe et inutile, et que l’on peut rapprocher de ceux des réflexes, ça m’affecterait un peu quand même ! »
L’article a appelé de nombreux commentaires et la majorité d’entre eux fait remarquer que ces expériences ne remettent pas forcément en cause la notion de libre-arbitre. Je commentais moi-même que (mmh une auto-citation faut que je surveille les chevilles) « Le libre-arbitre est toujours là dans le sens où si tu n’avais pas décidé de faire ce que l’expérimentateur te dit tu n’aurais pas appuyé sur le bouton ! », ou que « pour beaucoup de décisions il est certainement possible de modifier une décision une fois qu’on en a pris conscience ». En cela je me rapprochais de la position défendue par Xochipilli qui conclut sur la conscience qu’
« elle reste pourtant le maître du jeu grâce à trois compétences:
- en amont […] elle planifie et focalise tous les processus [inconscients] selon la stratégie qu’elle s’est choisie. Grâce à elle on peut décider par avance ce qu’on veut faire, comment on va le faire et s’y tenir.
- en aval (en tant qu’arbitre du match) elle réprime, censure, inhibe tout ce qui n’est pas cohérent avec cette stratégie. Ce veto mental évite, une fois dans l’action, de se laisser distraire comme mon chat dès qu’il voit une mouche au-dessus de sa tête.
- après le match c’est le seul porte-parole autorisé à commenter le match. »
Oui mais voilà, ma position a évolué depuis, notamment depuis la lecture d’une publication d’Anthony R. Cashmore, et pour avoir suivi les discussions du « Moving Naturalism Forward », un atelier de discussion s’étant tenu à l’automne dernier sur ces sujets, réunissant quelques-uns des esprits les plus brillants que cette planète comporte (entre autres Dawkins, Dan Dennett, Jerry Coyne, Steven Weinberg…). L’idée que je veux transmettre dans ce billet se résume en une phrase :
L’inexistence du libre-arbitre n’a pas besoin d’être prouvée empiriquement.
WTF?
Ce que ça veut dire ? Que la preuve de son inexistence peut être faite juste en raisonnant (et a déjà été faite depuis longtemps) !
L’idée est toute simple : la biologie est entièrement gouvernée par une sainte trinité « Gènes, Environnement et Stochasticité ». Qu’on le veuille ou non, quand on prend une décision, ce n’est que le résultat de l’activité électrique de neurones, construits par des gènes, influencés par un environnement (au sens large), éventuellement soumis à des processus stochastiques (mouvement des molécules, mutations, etc…). En y réfléchissant bien, la chaîne de causalité dans le monde vivant est belle et bien constituée de ces trois éléments-là uniquement. Or ces trois éléments sont inappropriés pour expliquer le libre-arbitre : je ne peux pas être tenu pour responsable de mes gènes, ni de mon environnement, et encore moins de la stochasticité dans l’univers…
Le problème est vieux comme les grecs, et je suis certain que l’humain y avait pensé avant même ces premières traces écrites. C’est le problème de la chaîne de causalité :
« Si tous les mouvements sont toujours interconnectés, les nouveaux procédant des anciens dans un ordre déterminé – si les atomes ne font jamais d’écart pour créer un mouvement nouveau qui cassera le cadre de la destinée, la séquence ininterrompue de causes et d’effets – quelle est la source du libre-arbitre que possèdent les êtres vivants sur Terre ? »
Pour sauver le libre-arbitre, il y a deux solutions : postuler l’existence d’un ou des dieux comme le font les grecs, pour expliquer que les atomes puissent parfois « s’écarter de leur trajectoire ». Ou postuler, comme le fait Descartes, qu’il existe une autre substance, l’âme, le libre-arbitre, qui ne soit pas soumise aux lois de la physique et la chimie. Mais évidemment ces deux explications sont irrecevables d’un point de vue scientifique (ou tout du moins n’ont pas encore été prouvées :) ).
Une définition du libre-arbitre
Pour clarifier la discussion arrivés à ce point, je poserais cette définition du libre-arbitre (piquée à Cashmore) :
« Le libre-arbitre est défini comme la croyance selon laquelle il existe une partie du comportement biologique qui soit la conséquence de quelque chose d’autre que les inévitables influences de l’histoire génétique et environnementale d’un individu, et des possibles lois stochastiques de la nature ».
Même si on peut se défendre que les expériences de neurosciences remettent en cause la notion de libre-arbitre, comme Xochipilli et moi-même l’avions fait à l’époque, en postulant que la conscience permet d’orienter a priori l’activité neurale ou la contrôler à posteriori, ça ne nous dispense pas de répondre à la question : d’où vient cette conscience ? Quelles sont ses causes ? Si l’activité consciente détermine l’activité inconsciente, qui détermine l’activité consciente ?
Un petit schéma pour récapituler le problème, et j’en aurais bientôt fini. On peut envisager trois grandes façons de considérer les liens libre-arbitre/conscience/inconscient (schéma à nouveau piqué à Cashmore, c’est pas ma faute j’ai pas de libre-arbitre) :
[poll id= »4″]
Et si vous choisissez la réponse A, je vous invite aussi à indiquer dans les commentaires votre vision du monde qui m’intéresse :)
Une conscience spectatrice, pour quoi faire ?
Reste une question, posée par Rita Carter, que l’on peut poser si on accepte le modèle C :
« Si le libre-arbitre est une illusion et chacune de nos actions est déterminée par des processus cognitifs inconscients en réponse à des stimuli externes, pourquoi nos cerveaux s’embêteraient-ils à nous faire penser autrement ? »
Il existe quelques hypothèses d’explication en terme d’avantage adaptatif : par exemple, étant donné l’aspect social extrêmement important de notre espèce, une illusion de libre-arbitre permettrait de nous donner un sens apparent de la responsabilité, qui nous pousserait à nous conduire de façon convenable envers les autres. Ou encore, avoir l’impression d’être à la barre dans son cerveau et de savoir ce qui s’y passe permettrait de mieux justifier ses décisions et comportements, et convaincre les autres du bien-fondé de ses actions.
Une dernière chose, l’argument compatibiliste (qui dit que l’existence du libre-arbitre est compatible avec le déterminisme en biologie) est souvent revenu dans les commentaires sur Science étonnante. Cet argument, c’est que même si nous sommes entièrement déterminés, uniquement le produit de nos gènes et notre environnement, nous sommes quand même responsables car c’est notre cerveau qui prend les décisions. Pour moi, cette posture consiste simplement à changer la définition du libre-arbitre pour qu’elle ne soit plus problématique.
En effet, les vrais gens, pas ceux que vous rencontrez sur des blogs de science, appellent libre-arbitre l’idée que rétrospectivement, on aurait très bien pu se comporter d’une autre façon qu’on ne l’a fait. Mais dire cela c’est se contenter de penser « j’aurais pu faire autrement » sans s’être vraiment comporté autrement… Or il n’y a aucune façon de vérifier que l’on aurait effectivement pu se comporter autrement. C’est vraiment ce sentiment de choix conscient que les gens appellent libre-arbitre, pas le fait que ce soit MON cerveau et pas celui d’un autre qui a pris la décision, et le compatibilisme qui repose sur cette idée ne me paraît donc pas faire avancer le schmilblick !
En conclusion, si je devais répondre à la crainte de David, de manière un peu provocative, je dirais qu’effectivement, quand tu as choisi ta femme tu n’étais pas aux commandes. Aux commandes était la somme des événements s’étant passé dans ta vie jusqu’à cet instant présent, influençant le fonctionnement de tes neurones codés génétiquement et soumis à des processus stochastiques, le tout ayant fait penché la balance en faveur de cette femme-là plutôt que d’une autre à ce moment précis. Même si l’on acceptait le fait que ta conscience ait joué un rôle actif dans cette décision, cela n’empêcherait pas de devoir répondre à la question : cette conscience sort-elle de nulle part et si non qu’est-ce qui la cause ?
Si tu acceptes que nous ne sommes que des robots de viande et que le monde est déterministe, comment peux-tu encore penser que le libre-arbitre existe ?
Laisser un commentaire