La gauche que je critique réagit et ce faisant, valide mes critiques

Comment a réagi la partie de la gauche que je critique dans ma dernière vidéo ? En retombant immédiatement dans les travers que je dénonce. Illustration avec ce fil, qui va me permettre de faire quelques rappels et vous montrer que je n’invente rien quand je dépeins cette gauche.

(Il est évident que vous comprendrez mieux de quoi je parle si vous lisez ce fil d’abord, mais je vais en faire de nombreuses captures.)

Tout d’abord, M. Naudé déforme ma pensée dès son premier tweet : il me qualifie d’ « héréditarien » sans plus de détails alors que je n’emploie *jamais* ce mot moi-même. Or, ce mot peut vouloir dire quelque chose de très banal comme quelque chose de très controversé : « la génétique aide à expliquer les traits humains » vs « les différences intergroupes sont en grande partie explicables par des gènes ». M. Naudé, par son emploi flou de ce terme, brouille d’entrée le débat et salit au passage ma réputation. Cette paresse dans les définitions se poursuit tout au long du fil. Par exemple, toute la biologie que je lis depuis les années 70 est «systémique» et «dynamique». Si M. Naudé emploie ces mots dans leur sens courant, il énonce une banalité acceptée depuis longtemps et partout. S’il emploie ces mots dans un sens particulier, il ferait mieux de les expliciter (et je lui recommande de le faire ailleurs que sur Twitter, peu propice aux nuances scientifiques). Ce n’est pas pour rien si je m’exprime dans des vidéos préparées pendant des mois.

Je suis aussi trop coutumier des tentatives de faire passer ces disciplines pour « à la traîne scientifiquement », quand ce qui est reproché est en fait pris en compte depuis des années. Des exemples en 2003, 2000, 1997 et 1985, extrait de https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/14599284/

Le name-dropping de jargon scientifique aide peut-être à séduire sur Twitter mais ne sert à rien dans un débat avec des pairs.

L’environnement “0” n’existe pas mais il existe un environnement statistique et historique sur lequel s’est appuyée la sélection naturelle pour construire des adaptations (sans un environnement un minimum constant, la sélection naturelle ne pourrait pas fonctionner). Pas vraiment l’endroit pour un cours, mais c’est par exemple développé dans cet article que je recommande quand on me dit que la psycho évo ne prend pas en compte [rayer la mention inutile – l’environnement / le développement / l’épigénétique / bla bla bla] : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/14599284/

Vous remarquez également dans cette affirmation de M. Naudé le travers classique de cette gauche : de l’affirmation « tout est interaction », il en conclut que « seul l’environnement compte », sans y voir pour le moins du monde une contradiction. Pourtant, il est facile de comprendre que même s’il y a toujours interaction, on ne peut pas toujours transformer FACILEMENT tous les traits de la même manière chez TOUT LE MONDE (exemple du bronzage dans ma vidéo).

De plus, il n’est pas possible de produire TOUS les environnements : certains nous sont inaccessibles, pour des raisons physiques, financières, éthiques… Enfin, tous les environnements n’ont pas le même effet sur tout le monde. Donc, se demander comme le fait M. Naudé « quels comportements voulons-nous produire », et, une fois cela fait, «quels environnements créer pour les atteindre », c’est vivre dans un monde fictif et idéalisé, caractéristique de cette gauche. Même si je suis d’accord avec M. Naudé qu’il faut se méfier des conservateurs qui pourraient faire passer des environnements simplement traditionnels pour impossibles à changer, la politique doit aussi nous faire demander « quels environnements sont possibles et efficaces ? ».

Le but de la gauche n’est pas de changer l’environnement. Le but de la gauche est de rendre le monde plus juste. Voilà un autre travers de la gauche représentée par M. Naudé : à force de s’arc-bouter sur des principes indépassables, elle en a oublié sa propre raison d’exister. Car si changer les environnements est effectivement un moyen d’atteindre ce but, prendre en compte les spécificités génétiques et interactions gènes/environnement en est un autre, qui ne doit pas être oublié par une gauche attachée à l’efficacité de ses actions (cf ma vidéo).

Par ailleurs, M. Naudé me corrige sur la valeur de la variance mais chaque affirmation que je fais est sourcée (dans ce cas https://www.nature.com/articles/s41588-022-01016-z) : je ne vois par contre aucune trace de référence chez lui

Je n’ai jamais dit que les effets « plus directs » étaient indépendants de l’environnement. Certains effets peuvent être « moins dépendants » sans être « indépendants ». Ce tweet est une nouvelle tentative de faire passer « l’autre camp » pour arriéré scientifiquement parlant.

Non, aucune contradiction. J’ai donné ma définition de « naturelle » dans la vidéo (allez la voir, cela ne vous prendra qu’une après-midi :) ), et cette définition s’accommode parfaitement de l’interactionnisme.

Une fois de plus, je l’invite à expliquer clairement en quoi la « neurodynamie » et la « biologie des systèmes » sont importants et non déjà pris en compte, plutôt que de les évoquer en passant. Nous chercheurs des domaines qu’il critique seront ravis de nous éduquer. En attendant, c’est au contraire M. Naudé qui semble ne pas tirer les conclusions de son interactionnisme (s’il se revendique ainsi) quand il affirme que la seule question importante est « quel environnement voulons-nous ? ». Les écrits de M. Naudé sont donc une énième manifestation du biais environnementaliste universitaire que j’évoque dans ma vidéo. Et je maintiens, comme d’autres avant moi, que ce biais non justifié scientifiquement et inutile politiquement discrédite les mouvements progressistes :

S’il m’avait lu attentivement, il aurait remarqué que je cite déjà des penseurs de gauche qui s’accommodent très bien de la notion de nature humaine. Cela existe en effet. Mais la nature humaine reste niée dans une grande partie de la gauche.

Sur les caricatures de la gauche, il est évident que ma vidéo en contient. Mais 1/ je caricature tout autant la droite, 2/ je l’avoue ouvertement en introduction 3/ je le justifie par l’impossibilité de présenter toutes les nuances politiques dans une vidéo déjà longue et 4/ je suis prudent dans mes termes tout au long de la vidéo (comme le montre son screenshot où je ne dis pas « la gauche » mais « certains à gauche »). Bref, j’avais anticipé ce que M. Naudé me reproche…

Ici encore, une lecture complète et attentive aurait permis de s’apercevoir que très rapidement je ne parle plus de « la gauche » mais de progrès social (comme le dit très clairement le titre de la section correspondante, « quand la biologie devient l’alliée du progrès social »). Car ce qui m’intéresse avant tout, c’est bien la façon dont ces recherches peuvent s’opposer à l’oppression *d’où qu’elle vienne*, de gauche comme de droite, les étiquettes et partis ne m’important pas en réalité.

À nouveau, une lecture attentive aurait fait réaliser à M. Naudé que les « catastrophes morales » dont je parle à ce moment sont les totalitarismes. Je ne nie aucunement (et reconnais ouvertement) que ces recherches sont parfois récupérées avec des conséquences dramatiques. Néanmoins, une fois l’émotion de ces événements passée, M. Naudé devrait nous préciser s’il pense qu’il faut arrêter de faire de la recherche dès qu’elle commence à être récupérée, et comment il s’y prendrait en pratique pour mesurer la dangerosité des récupérations. C’est là le coeur du problème ! Enfin, et peut-être surtout, laisser penser que ce sont les recherches en biologie du comportement qui expliquent la montée actuelle du fascisme me semble être d’une profonde naïveté politico-historique.

De nouveau ici deux schémas de pensée typiques de cette gauche : 1/ être convaincue que se poser certaines questions revient à « faire le jeu de l’extrême-droite » ; et donc les éluder complètement, alors qu’il serait tellement facile d’y répondre sans danger ; 2/ penser que « la science » a répondu à ces questions alors que ce sont avant tout des questions morales, sur lesquelles la science ne peut trancher (et c’est précisément pour cela qu’on peut y répondre sans danger). Je le répète : c’est avoir des convictions antiracistes et antisexistes bien fragiles que de penser qu’elles pourraient être remises en question par des découvertes en sciences naturelles.

Ici illustration du mélange des genres de certains universitaires. Quand votre définition de l’environnement est « le régime raciste et sexiste d’accumulation du capital », il est évident que vous avez troqué depuis longtemps votre casquette de biologiste pour celle de militant. Et pourtant, il y a fort à parier que nous soyons proches d’être d’accord sur le fond. Le mérite est en effet une notion très discutable, je le dis clairement dans la vidéo, mais je ne sens pas le besoin d’enrober ce propos de mots-clés gauchistes pour le rendre plus pertinent.

Ici, illustration de ma conclusion : cette gauche pense être LA gauche. Pourtant, il ne s’agit que d’UNE gauche, qui n’a de radicale que son incapacité à se remettre en question. (et perso, je ne me suis jamais plaint de ne pas être considéré de gauche, leur avis m’importe peu). Cette sortie illustre aussi la connivence de cette pensée de gauche avec la pensée de droite : M. Naudé a l’air de penser qu’il y aurait nécessairement des implications politiques désastreuses si on montrait que le mérite est en partie dépendant des gènes. Et sur le fond, ce que dit Harden, c’est que l’existence d’inégalités génétiques est un argument *supplémentaire* pour convaincre les gens que la notion de mérite est douteuse. Cela ne vient aucunement remettre en question les arguments auxquels M. Naudé est attaché.

Plusieurs choses. D’abord, ce n’est pas seulement moi qui reconnais ces différences, mais un certain nombre de féministes (Hrdy, Smuts, Vandermassen, Wilson, etc). Il est étonnant que M. Naudé ne prenne pas la peine de les citer et de les discuter sérieusement.

Ensuite, je ne me « réjouis » pas de ces différences H/F. Il s’agit simplement pour moi d’une information sur le monde, qui n’est pas intrinsèquement bonne ou mauvaise comme lui semble le penser (autre illustration que cette gauche est incapable de distinguer faits et valeurs).

De plus, M. Naudé semble penser qu’une origine «politique» empêcherait une origine biologique. C’est la tragique dichotomie nature/culture qui refait surface et qui montre que son acceptation de l’interactionnisme vole en éclats dès que le sujet devient un tantinet politique.

Enfin, M. Naudé se fera sûrement un plaisir de nous donner ses sources qui « ont expliqué que » ces préférences sont politiques, ce qui nous permettra de nous rendre compte du niveau de preuve qui le satisfait sur ces sujets.

TLDR, M. Naudé fait du jargon-dropping pour décrédibiliser facilement, reste flou dans l’emploi de nombreux termes, se dit interactionniste mais pense que la génétique peut être ignorée, me fait des reproches que je prends déjà en compte, pense représenter La Gauche alors qu’il ne représente qu’une gauche, et passe sous silence les travaux de nombreuses féministes qui ont le malheur de ne pas penser comme lui. Alors qu’il prétend corriger ma vidéo, il l’illustre parfaitement en retombant dans les travers que j’y dénonce ! Il peut donc continuer à m’accuser de faire le jeu de l’extrême-droite, je continuerai à lui renvoyer ses accusations au visage. Nous voilà bien avancés !

En parlant d’avancer, il est remarquable que M. Naudé ne trouve pas un seul point positif à mentionner sur 2h38 de vidéo. Évidemment, ce serait naïf de penser qu’un militant reconnaîtra des points positifs à l’ « ennemi » après l’avoir combattu pendant des années.

Ceux qui font de l’histoire des sciences savent aussi que les M. Naudé existaient déjà dans les années 70, et que peu importe le nombre de réponses qui leur ont été apportées, ils n’ont pas changé d’avis, convaincus par avance de représenter la Vraie Gauche et la Vraie Science (voir extraits de ce livre ici) :

Pourtant, comme je le dis dans la vidéo, les disciplines qu’il attaque ont eu un succès empirique considérable ces 50 dernières années, et nos connaissances dans le domaine ont explosé *en parallèle du progrès social*. Mais jamais ils ne se remettent en question. Las ! C’est pour cela que personnellement, j’ai depuis longtemps abandonné l’idée de parler à cette gauche, pour me focaliser sur le dialogue avec la majorité qui cherche à se faire un avis. C’est à elle que ma dernière vidéo (et cet article) s’adresse.

Nous n’avons besoin ni de l’extrême droite ni de cette gauche pour construire des mondes meilleurs. Et au vu des nombreux retours positifs que j’ai depuis un mois, cette approche commence à porter ses fruits. Il est réconfortant de voir que de moins en moins de monde va se montrer dupe des manoeuvres de cette gauche, de ses raccourcis, de ses exagérations, de ses imprécisions, de ses obsessions. Et si jamais M. Naudé a raison que cette vision des choses commence à prendre de plus en plus de place à gauche, peut-être devrait-il envisager que c’est parce qu’elle dit des choses sensées.

Merci donc pour le rappel de faire de la pub pour le livre «The genetic lottery» de Kathryn Page Harden, pour l’instant seulement en anglais mais qui sortira bientôt traduit en français aux éditions Arènes.

Et si vous préférez un truc plus généraliste (qui ne parle pas que de génétique comportementale) et écrit par un ptit gars du coin, je suis en pleine campagne de financement participatif pour mon propre livre : https://fr.ulule.com/livre-homofabulus

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