Début d’une longue série de vidéos sur la psychologie évolutionnaire, résultat de quelques mois de travail acharné dans mon canapé.
Je la recommande en particulier à tous les psychologues, sociologues, philosophes et autres humains qui vont passer leur temps sur Terre à s’étudier eux-mêmes.
J’essaye de présenter le programme de recherche de façon positive et non-défensive en premier. La discussion des critiques (dans un sens comme dans l’autre) viendra, mais dans un second temps seulement.
Transcription de la vidéo pour ceux qui préfèrent le texte :
En 1859, dans son célèbre ouvrage L’origine des espèces, Charles Darwin écrit cette petite phrase [deepfake] : « J’entrevois dans un avenir éloigné des routes ouvertes à des recherches encore bien plus importantes. La psychologie sera solidement établie sur une nouvelle base, c’est-à-dire sur l’acquisition nécessairement graduelle de
toutes les facultés et de toutes les aptitudes mentales, ce qui jettera une vive lumière sur l’origine de l’homme et sur son histoire. » 11. Darwin. L’origine Des Espèces (1859).
Darwin était apparemment très excité à l’idée d’appliquer la théorie de l’évolution à la cognition humaine, mais vous remarquerez qu’il a dit que ça ne pourrait se faire que « dans un avenir éloigné ». Et il a eu raison d’être aussi prudent, parce que vous savez ce qu’il aurait dit s’il était revenu un siècle plus tard, et qu’il avait jeté un oeil à l’état de la recherche sur le comportement humain dans les années 60 ?
[Re-Deepfake avec un accent british]
« Mais qu’est-ce que vous avez foutu pendant un siècle, you bloody bastards goddamit, I’ll make myself a cup of tea ».
[Générique]
La psychologie évolutionnaire, c’est un des programmes de recherche qui, un siècle et trente ans plus tard, se propose de relever le défi lancé par Darwin, c’est à dire d’utiliser la théorie de l’évolution pour mieux comprendre le comportement humain.
L’idée derrière ce défi est toute simple : 1/ on sait que les comportements sont produits par un cerveau. 2/ Le cerveau est de la matière biologique. 3/ La matière biologique est soumise aux lois de l’évolution, et à la sélection naturelle en particulier.
La conclusion, c’est qu’on doit pouvoir éclairer l’étude du comportement humain par la théorie de l’évolution, et par la sélection naturelle en particulier.
C’est d’autant plus normal de vouloir appliquer la théorie de l’évolution au comportement que le succès reproductif d’un organisme dépend énormément de ses comportements. Vous avez beau avoir les organes les plus sophistiqués qui soient, vous avez beau avoir un coeur, des poumons, un estomac et des yeux qui sont des prouesses d’ingéniérie et vous permettent de ne pas mourir sur place, si vous restez planté toute la journée sans adopter aucun comportement, vous n’allez pas faire long feu.
Beaucoup de nos organes sont d’ailleurs dépendants du cerveau pour bien fonctionner. Par exemple, la bipédie est autant une adaptation psychologique qu’anatomique : c’est très cool d’avoir deux jambes et un bassin adaptés à la marche debout, mais si vous n’avez pas aussi le logiciel qui permet de commander ces membres, vous n’irez pas très loin. Vous pouvez demander à n’importe quel roboticien qui a déjà essayé de construire un robot qui marche à quel point le logiciel est non seulement important mais en plus pas trivial du tout à construire. Et c’est pareil pour une quantité d’autres adaptations, autant psychologiques qu’anatomiques : c’est très cool d’avoir une bouche, mais si elle ne s’accompagne pas d’une envie de manger, elle ne va pas servir à grand-chose. C’est très cool d’avoir deux seins, mais s’ils ne s’accompagnent pas d’une envie d’allaiter ses bébés, ces protubérances ne servent à rien.
Donc au risque de dire des banalités, les chances de survie et de reproduction des êtres vivants sont extrêmement dépendantes du comportement qu’ils adoptent. Notre psychologie, comme celle de tous les animaux, a forcément été façonnée par la sélection naturelle, et il est intéressant d’étudier où, comment, pourquoi.
La psychologie évolutionnaire, c’est tout simplement une des approches qui se propose de faire ça. C’est l’approche qui se propose d’étudier les programmes cognitifs qu’on a dans la tête, ces programmes qui nous permettent de nous tenir debout, d’avoir envie de manger, d’avoir envie de boire, de prendre soin de nos enfants, mais aussi d’une quantité d’autres choses qui font toute notre vie mentale : parler, percevoir, mémoriser, aimer, se mettre en colère, être jaloux, être triste, comprendre les émotions des autres, produire des jugements moraux, raisonner, etc, etc.
Le but premier et historique de la psychologie évolutionnaire, c’est donc la recherche et l’étude de tous les programmes cognitifs qui composent notre esprit. On dit parfois que la psychologie évolutionnaire est à la recherche des « organes mentaux » qui constituent notre esprit. On a généralement tendance à considérer le cerveau comme un seul organe, mais d’un point de vue fonctionnel c’est une catégorisation trop grossière, le cerveau sachant faire plein de choses différentes qui n’ont pas grand-chose en commun. Il serait plus utile pour l’étudier de le sous-diviser en ses différents programmes cognitifs, c’est à dire en différents organes mentaux. Et comme pour les organes du corps, ces organes mentaux sont supposés être communs à toute l’espèce humaine. De la même façon qu’un humain né en France a les mêmes organes qu’un humain né au Kenya, parce que nous appartenons tous à la même espèce, la psychologie évolutionnaire postule qu’un humain né en France aura les mêmes programmes cognitifs qu’un humain né au Kenya, ou au Vietnam. On dit parfois de la psycho évo qu’elle étudie l’« unité mentale de l’humanité »22. Tooby, John & Cosmides, Leda. The Psychological Foundations of Culture (1992).. La psychologie évolutionnaire étudie ce qui rassemble tous les humains d’un point de vue cognitif.
Vous connaissez sûrement Gray’s anatomy, la série. Avant d’être une série, c’était le nom d’un bouquin d’anatomie, écrit au XIXe siècle mais qui reste encore une référence aujourd’hui pour les étudiants en médecine. Ce qui est génial avec ce bouquin, c’est que si vous l’ouvrez à n’importe quelle page, les connaissances que vous y trouvez sont applicables à n’importe quel humain sur Terre, à quelques exceptions près. Ça veut dire que si vous avez obtenu votre diplôme de médecine en France, vous pouvez partir à l’autre bout du monde et vous arriverez encore à soigner des personnes. Cela parce que nous faisons tous partie de la même espèce, et que le corps humain est composé des mêmes organes.
Par analogie, l’idée de la psycho évo c’est d’écrire le Gray’s Anatomy de la cognition humaine. Et la raison pour laquelle la théorie de l’évolution est importante pour écrire ce livre, c’est à cause de l’organisation fonctionnelle. Dans Gray’s anatomy, le corps humain est découpé en fonctions : le coeur sert à pomper le sang, les poumons à respirer, l’estomac à digérer, etc… De la même façon, l’esprit humain est aussi découpé en fonctions, des fonctions qui se sont révélées utiles au cours de l’évolution. C’est d’autant plus important d’avoir la théorie de l’évolution pour nous aider à trouver les organes de l’esprit que si dans le corps les organes sont facilement identifiables parce que délimités dans l’espace, dans l’esprit ce n’est pas aussi simple. Les organes de l’esprit sont des programmes immatériels, qui certes tournent sur le support matériel que sont les neurones, mais ces neurones se ressemblent tous plus ou moins anatomiquement parlant.
Pour nous aider à identifier ces programmes et étudier comment ils fonctionnent, on a donc besoin de la théorie de l’évolution. Faisons un petit jeu : expliquez-moi cet outil [photo d’un dénoyauteur]. Expliquez-moi comment fonctionnent chacune de ses parties, comment elles interagissent les unes avec les autres, et quelle est la fonction générale de l’engin. Un instrument de mesure ? Un instrument de torture ? Pas facile hein ? Et si maintenant je vous dis que c’est un dénoyauteur d’olives ? Est-ce que ça ne vous simplifie pas la découverte du fonctionnement de l’objet ? Maintenant, vous devriez être capable de me dire à quoi sert chacune des parties de cet objet : cette partie-là à tenir l’olive, celle-là à presser l’olive, celle-là à faire en sorte que le noyau tombe tout droit sans en mettre partout. L’idée importante derrière cet exemple, c’est que quand vous connaissez la fonction d’un objet, l’explication de son organisation et de son fonctionnement est grandement facilitée33. Pinker, Steven. How the Mind Works (1997)..
L’espoir de la psychologie évolutionnaire, c’est qu’on puisse faire pareil avec le cerveau, que la théorie de l’évolution puisse illuminer le fonctionnement du cerveau et faciliter sa compréhension, et qu’elle puisse nous aider à comprendre de nouveaux trucs de cet objet à première vue incroyablement complexe, un objet dont la compréhension est considérée par certains comme le plus gros défi pour la science du XXIe siècle.
[Entracte]
Si la psychologie évolutionnaire a mis plus d’un siècle à émerger après Darwin, ce n’est pas seulement à cause de la mauvaise volonté des chercheurs du XXe. C’est aussi parce que c’est seulement dans la seconde moitié du XXe siècle qu’ont eu lieu deux avancées scientifiques majeures. La première, c’est la vision de l’évolution centrée sur le gène, et la deuxième, c’est la vision du cerveau comme un système de traitement de l’information.
La vision de l’évolution centrée sur le gène, c’est la vision décrite par Richard Dawkins dans son livre Le gène égoïste44. Dawkins, Richard. Le gène égoïste (1976)., dont je vous recommande fortement la lecture si ce n’est pas déjà fait, je vous mets un lien en description. Dans ce bouquin, Dawkins popularise les travaux de quelques-uns des plus grands biologistes de l’évolution du XXe siècle, et en particulier William Hamilton, John Maynard Smith, Robert Trivers et George Williams. Sans entrer dans les détails, ces chercheurs ont énormément clarifié la théorie de l’évolution, précisé sa portée et montré que postuler que la sélection naturelle agit au niveau des gènes et non des individus ou des groupes permet de comprendre énormément de choses sur le vivant. Si vous avez été fasciné par ce qui est raconté dans Le gène égoïste, sachez que vous n’êtes pas les seuls : ces travaux ont eu un impact considérable sur les biologistes des années 60 et 70, qui se sont mis à appliquer ces nouvelles idées avec énormément de succès, succès qui continue encore aujourd’hui.
La deuxième révolution scientifique qui a lieu à peu près en même temps, voire un peu plus tôt dans les années 50-60, c’est la révolution cognitive. C’est le début de ce qui deviendra plus tard les sciences cognitives, un ensemble de disciplines assez disparates mais qui ont toutes en commun de considérer le cerveau comme un système de traitement de l’information. Sans trop entrer dans les détails à nouveau, avant cette révolution cognitive on n’étudiait pas vraiment le fonctionnement du cerveau, on le considérait comme une boîte noire, on savait pas trop ce qui s’y passait et certains pensaient même que ce n’était pas très important ce qui s’y passait. On disait, c’est juste de l’apprentissage, de l’association stimulus-réponse. Cette vision a aujourd’hui été remplacée par la vision qui voit le cerveau comme un système de traitement de l’information, et si cette vision nous est très naturelle à nous aujourd’hui c’est parce qu’on est en permanence entourés de machines qui font des calculs. Mais imaginez devoir étudier le cerveau sans avoir aucune idée de ce qu’est un ordinateur. Imaginez être dans les années 1930-40 et devoir étudier notre activité mentale sans savoir que des machines peuvent faire des calculs très sophistiqués à partir de règles très simples. Pas étonnant que ce qui se passait dans notre tête était considéré comme mystérieux. Ce n’est donc que plus tard, dans les années 50 – 60, avec les progrès de l’informatique théorique et l’aide de quelques résultats expérimentaux55. Chomsky, Noam. Syntactic Structures (1957)., 66. Harlow, Harry F.. Learning to Love (1971). que les sciences cognitives et leur paradigme de traitement de l’information s’est imposé.
Donc on a deux révolutions scientifiques dans la deuxième moitié du XXe siècle : la vision cognitive du cerveau, et la vision de l’évolution centrée sur le gène. Et là, au croisement de ces deux révolutions, qui est-ce qu’on trouve d’après vous ? Paf, la psychologie évolutionnaire. Dans les années 70-80, des chercheurs commencent à se demander ce que ça donnerait si on mettait ces deux révolutions ensemble. Ils se demandent si ça ne serait pas l’occasion d’enfin fusionner tous les programmes de recherche sur l’humain, de ne plus se contenter d’étudier l’humain dans des facs de sciences humaines d’un côté, dans des facs de psycho de l’autre, et dans des facs de biologie encore d’un autre, sans qu’il n’y ait jamais aucune communication entre ces champs. La psychologie évolutionnaire propose de mettre ensemble toutes ces disciplines, et de voir comment leurs différents points de vue peuvent se compléter pour nous aider à mieux comprendre l’humain. C’est quelque chose que j’ai essayé de mettre en évidence dans ma série sur la morale, que je vous recommande de regarder si ce n’est pas déjà fait, parce que je m’appuierai souvent dessus. On avait vu dans cette série que les travaux des philosophes complètent les travaux des primatologues, que ceux des anthropologues complètent ceux des biologistes, que ceux des biologistes complètent ceux des philosophes. Enfin bref, toutes les disciplines se complètent et après des dizaines d’années passées à disperser l’étude de l’humain dans des disciplines différentes, la psychologie évolutionnaire se dit que ce serait peut-être bien de commencer à décloisonner tout ça.
Comme le disent John Tooby et Leda Cosmides, deux des fondateurs de la psychologie évolutionnaire77. Tooby, John & Cosmides, Leda. The Theoretical Foundations of Evolutionary Psychology (2015). :
« Le but de la psychologie évolutionnaire est d’éradiquer les limites disciplinaires, et d’unifier les sciences évolutionnaires, génétiques, neurales, cognitives, psychologiques, comportementales et sociales, car l’idée que ce sont des disciplines différentes est un vestige sociologique de l’époque où elles ont été fondées. La réalité n’a pas de telles frontières. »
Et en effet, la réalité n’a pas de frontière. L’humain est un objet unique, un seul sujet d’étude qui ne doit pas, qui ne doit plus être divisé entre nature et culture, entre inné et acquis, entre gènes et environnement, entre sociologie et biologie. Voilà un des premiers aspects très importants de la psycho évo : son aspect intégratif, c’est à dire sa volonté de contribuer à unifier toutes les disciplines qui étudient l’humain.
Deuxième point important, la psychologie évolutionnaire s’intéresse à la cognition humaine dans son ensemble. Si vous aviez étudié la psychologie dans les années 70/80, on vous aurait surtout parlé de mémoire, de perception, d’intelligence et de personnalité88. Buss, David M. The Handbook of Evolutionary Psychology Vol. 1 (2016).. L’amour ? Inconnu au bataillon. La coopération, la morale, la conscience, l’empathie ? Tout ça n’était pas très étudié. L’attirance sexuelle, la jalousie, la nourriture ? Le statut, la dominance, l’amitié, le dégoût ? Pareil, des parents pauvres de la psychologie. Toutes ces choses qui sont centrales dans notre psychologie de la vie de tous les jours, l’amour, la morale, le sexe, l’amitié, la bouffe, n’étaient pas très étudiées. La psychologie évolutionnaire décide de s’emparer de ces sujets et affirme que s’ils sont si importants dans notre vie mentale, c’est pour une bonne raison. C’est parce qu’ils sont à mettre en lien avec des problèmes de survie et de reproduction importants auxquels ont été confrontés nos ancêtres pendant des centaines de milliers d’années. La psychologie évolutionnaire fait sortir de l’ombre certains sujets qui avaient été négligés jusque là au profit d’autres activités mentales supposées plus nobles comme l’intelligence ou la mémoire.
Enfin, dernier point notable, la psychologie évolutionnaire s’oppose à la tendance de croire qu’on a expliqué un phénomène simplement parce qu’on l’a décrit. Décrire n’est pas expliquer. Quand vous dites, par exemple, que les humains ont tendance à ne pas prendre en compte l’information qui va à l’encontre de leurs croyances parce qu’ils ont un biais de confirmation, vous avez l’impression d’avoir expliqué un truc, mais vous n’avez pas expliqué grand-chose. Vous n’avez fait que redécrire, vous n’avez fait que coller l’étiquette « biais de confirmation » sur un comportement. Ce qu’on voudrait vraiment savoir, c’est pourquoi l’humain a ce biais, et pourquoi il en a tant d’autres. La psycho évo propose d’aller au-delà des explications traditionnelles, de les approfondir, sans pour autant les remplacer.
Imaginez que quelqu’un essaie de vous expliquer ce qu’est une voiture, et que pour faire ça il ne fasse que vous parler de l’existence des différentes parties : la présence de quatre roues, d’un volant, de sièges, à un endroit se trouve un moteur, à un autre un embrayage, et à un autre une boîte de vitesse. Mais imaginez qu’à aucun moment cette personne ne vous explique à quoi servent ces différents éléments, pourquoi ils sont organisés d’une certaine façon et en quoi ils permettent tous ensemble d’assurer la fonction de la voiture, qui est de se déplacer. Ce serait une aberration. C’est pourtant quelque chose qui se pratiquait beaucoup en psychologie dans la deuxième moitié du XXe siècle, et que je croise encore souvent de nos jours.
La psychologie évolutionnaire essaie non seulement d’approfondir les explications, mais elle s’oppose aussi aux explications farfelues. Les explications, nous dit-elle, doivent être compatibles avec la théorie de l’évolution moderne. C’est à nouveau un point important, parce qu’à une certaine époque si vous vouliez postuler que la psychologie humaine avait pour but d’oeuvrer pour le bien de l’espèce, ou des trucs encore plus loufoques comme maximiser l’harmonie entre les êtres vivants et leur environnement, vous aviez le droit entre guillemets, puisque personne n’avait de toute façon de meilleure théorie. La psycho évo est venue rappeler qu’une très bonne théorie était maintenant disponible pour les psychologues, une théorie qui dit que le cerveau est un organe comme un autre évolué par sélection naturelle, et que la réplication du gène – et non celle de l’espèce par exemple – est au coeur de ce processus.
(J’en profite au passage pour dire que les prochaines vidéos risquent d’être chargées en langage finalistement ambigu, c’est à dire en langage qui pourrait laisser penser que la sélection naturelle a des intentions, ou que les organes ont évolué dans un but prédéfini. Évidemment il n’en est rien, mes explications reposent toujours sur de la sélection naturelle aveugle et sans causes finales, mais cela n’empêche pas pour autant d’utiliser des termes finalistes (en tout cas ça ne m’empêche pas moi) : je recommande très fortement à ceux qui ne l’ont pas déjà fait de regarder cette vidéo).
[Entracte]
Voilà ce qu’est la psychologie évolutionnaire en quelques mots. C’est le programme de recherche qui se propose de cartographier les organes de l’esprit humain, d’écrire le Gray’s anatomy de l’esprit, d’identifier les programmes cognitifs universels évolués par sélection naturelle, d’étudier toute la cognition humaine et pas seulement ses domaines les plus nobles, de faire tout ça en se basant sur deux des plus grosses révolutions scientifiques du XXe siècle, et de faire disparaître les limites disciplinaires dans lesquelles se sont enfermées des générations d’universitaires.
Est-ce que c’est pas génial comme programme de recherche ? Qui peut bien avoir des trucs à redire à ça, vous devez vous demander ? Haa mes chers abonnés, je reconnais bien là votre naïveté légendaire. La psychologie évolutionnaire est probablement une des disciplines scientifiques les plus controversées, encore plus que la géologie. En fait, je suis même prêt à parier que si vous en avez entendu parler avant moi, vous en avez entendu parler en mal. Je consacrerai donc un gros morceau de cette série de vidéos à venir à répondre aux critiques, mais je veux commencer par vous présenter la psycho évo de façon non défensive, de façon positive, parce que c’est un programme de recherche trop beau et trop important pour être présenté uniquement par le prisme de ceux qui la critiquent.
Série de vidéos, car oui j’ai prévu une bonne série pour vous expliquer tout ça en détail, pour l’instant j’envisage une dizaine de vidéos dont certaines devraient allègrement dépasser la demi-heure. Mais avant de démarrer, quelques mots de vocabulaire. Vous rencontrerez plus souvent la psychologie évolutionnaire sous le nom de psychologie évolutionniste ou évopsy. Ce sont deux termes que je n’aime pas beaucoup, le premier à cause du suffixe « iste » qui a une connotation militante et péjorative, et le deuxième car si évopsy est censé être l’abréviation de l’anglais « evolutionary psychology », je n’ai quasiment jamais entendu ce diminutif être utilisé en anglais, et puis ça sonne trop marketing, on a l’impression que c’est un mot créé pour rendre sexy quelque chose qui ne l’est pas assez. Mais la psycho évo n’est pas là pour être sexy, elle est là pour étudier l’humain, et c’est pour ça que personnellement je n’emploie jamais le terme evopsy. Je n’utiliserai que le terme « Psychologie évolutionnaire » ou son abréviation « Psycho évo », mais ne vous en faites pas je ne vous en voudrai pas si vous utilisez les autres mots, l’important c’est qu’on se comprenne.
Le deuxième point de vocabulaire c’est qu’on peut faire une distinction entre la psychologie évolutionnaire au sens strict et la psychologie évolutionnaire au sens large. La psycho évo au sens strict c’est celle que j’ai commencé à vous présenter, qui est née dans les années 80, et qui met la théorie de l’évolution au coeur de son programme de recherche, notamment pour générer des hypothèses de travail. La psychologie évolutionnaire au sens large reconnaît aussi l’importance de l’évolution pour expliquer le comportement mais sans réellement s’en servir au jour le jour. Je dirais que la majorité des chercheurs en sciences cognitives et neurosciences aujourd’hui sont des psychologues évolutionnaires au sens large. Il n’est pas rare par exemple lorsqu’ils présentent leurs travaux de les voir démarrer ou terminer avec une slide évolutionnaire, par exemple dans cette conf de Stanislas Dehaene, ou dans cette conf de linguistique que je regardais l’autre jour. Par contre, ces chercheurs ne vont pas directement utiliser la théorie de l’évolution pour générer des prédictions. Moi-même, avec une licence de biologie généraliste et un master de neurosciences, je suis plutôt un psychologue évolutionnaire au sens large à la base, mais ça ne me dérange pas de prendre la défense de la psychologie évolutionnaire au sens strict pour vous montrer que même celle-là, parfois présentée comme trop extrême, reste encore très pertinente.
Enfin, il existe d’autres disciplines qui font le lien entre comportement humain et évolution, comme la génétique comportementale, la génétique des populations, l’écologie comportementale ou la sociobiologie. Ces disciplines sont souvent confondues avec la psychologie évolutionnaire mais il existe des différences importantes que je vous expliquerai en cours de route.
Voilà le menu que je vous propose pour étudier tout ça. Dans un premier temps je vais vous présenter les concepts de base de la psychologie évolutionnaire, ses idées importantes, et son paradigme général. Ensuite on se concentrera sur un concept particulier et central en biologie de l’évolution, qui est le concept d’adaptation. Grosso modo, c’est la question de savoir comment les biologistes font pour identifier de la matière vivante qui a été façonnée par la sélection naturelle. On se fera ensuite une petite étude de cas en prenant comme exemple une adaptation psychologique particulière, je n’ai pas encore décidé laquelle, mais probablement le sens du dégoût. On regardera quels genres de données sont utilisés par les psychologues évolutionnaires quand ils avancent que le dégoût a évolué pour une raison bien précise. Arrivés à ce point il sera temps de se faire une petite FAQ qui abordera la plupart des questions que vous pourriez vous poser sur le sujet, et les idées reçues qui circulent parfois. De là on prendra un peu de recul pour évoquer des sujets plus métas. On parlera des problèmes éthiques que pose la psycho évo et les études évolutionnaires du comportement humain en général, on se demandera par exemple si ces recherches sont dangereuses et si oui, devrait-on s’empêcher de faire de la recherche là-dessus. On passera ensuite à la partie critique : on étudiera quelques-unes des critiques universitaires qui ont été faites à la psycho évo, et je vous dirai selon moi lesquelles sont pertinentes, et lesquelles sont à côté de la plaque. À l’inverse, la biologie et les sciences cognitives ne se sont pas gênées pour faire des reproches aux sciences sociales traditionnelles, et je vous présenterai ces reproches dans une vidéo dédiée. Enfin, on se fera un petit récapitulatif de toute la série et je donnerai des conseils à ceux qui veulent étudier la psychologie évolutionnaire en France.
J’espère que ce menu vous réjouit autant que moi. Je vous préviens que ça va encore être très dense, je vais être obligé d’aborder plein de concepts différents, à cause de la nature très interdisciplinaire du sujet et parce que la biologie de l’évolution et les sciences cognitives sont des disciplines assez peu vulgarisées. Mais le résultat devrait en valoir la peine, et puis certains d’entre vous m’ont dit qu’ils aimaient ça s’en prendre plein la tête, alors j’obtempère.
Dernière chose, cette série de vidéos sera relue par un groupe d’une trentaine de philosophes, biologistes, psychologues, sociologues et divers experts en comportement humain, un groupe que j’ai mis sur pied spécialement pour l’occasion. Tous ces chercheurs ne reliront pas chaque script à chaque fois, mais quelques-uns prennent toujours le temps de le faire, ce qui permettra de ne pas faire reposer la qualité de cette série sur mes seules compétences nécessairement limitées.
Je vous disais en début de vidéo qu’il a fallu attendre un siècle après la mort de Darwin pour commencer à appliquer la théorie de l’évolution au comportement humain. Pour la science, c’est quelque chose de dommageable, mais voyons le bon côté des choses : ça veut dire qu’il reste encore plein de découvertes à faire, plein de choses à comprendre, et que ces découvertes vont être faites en temps réel devant nous tout au long du XXIe siècle. On sera aux premières loges pour se délecter de tout ça, et encore mieux, certaines de ces découvertes vont être faites par vous, ceux d’entre vous qui décideront de se consacrer à la recherche sur le comportement humain. C’est une chance incroyable. Imaginez, on aurait tous pu naître au XXIVe siècle, quand la théorie de l’évolution aura déjà été appliquée à toutes les formes de vie connues et que les plus grandes découvertes auront déjà été faites. Pire, on aurait pu naître avant le XIXe siècle, et ne jamais avoir connaissance de l’idée de Darwin, « la meilleure idée que quelqu’un ait jamais eu » comme elle a été décrite99. Dennett, Daniel C.. Darwin’s Dangerous Idea – Evolution and the Meanings of Life (1995).. Mais non, non seulement on a la chance d’être nés après le XIXe siècle, mais également juste après que la théorie de l’évolution a commencé à être appliquée au cerveau humain. Alors réjouissons-nous, et j’espère que cette série sera utile pour vous aider à apprécier la portée des découvertes qui seront faites sous vos yeux tout au long du XXIe siècle.
Merci à Nomis, Gauthier P., John Doe, GRA, Cyrille Berne et aux 285 tipeurs qui me soutiennent, je voulais vous dire particulièrement merci cette fois parce que ça va faire plus de trois mois que je n’ai pas publié de vidéos, et pourtant je n’ai fait que bosser pour la chaîne pendant ce temps, à lire ou relire tout ce que je pouvais sur le sujet, non seulement les classiques de la psycho évo mais aussi ses critiques. Beaucoup de vidéastes ne se seraient pas permis une telle absence sur Youtube et se seraient mis la pression pour publier quelque chose, mais j’ai la chance de savoir, parce que beaucoup d’entre vous me l’ont dit, que la plupart d’entre vous n’en a pas grand-chose à faire de la quantité de vidéos que je produis ; c’est tout à votre honneur, mais ça mérite bien un remerciement. Les prochaines vidéos vont s’enchaîner bien plus vite.
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