La psychologie évolutionnaire, c’est quoi ? – PsychoEvo #1

Début d’une longue série de vidéos sur la psychologie évolutionnaire, résultat de quelques mois de travail acharné dans mon canapé :

Je la recommande en particulier à tous les psychologues, sociologues, philosophes et autres humains qui vont passer leur temps sur Terre à s’étudier eux-mêmes.

J’essaye de présenter le programme de recherche de façon positive et non-défensive en premier. La discussion des critiques (dans un sens comme dans l’autre) viendra, mais dans un second temps seulement.

Transcription de la vidéo pour ceux qui préfèrent le texte :

(Pour le référencement : psychologie évolutionniste, évopsy)

En 1859, dans son célèbre ouvrage L’origine des espèces, Charles Darwin écrit cette petite
phrase [deepfake] : « J’entrevois dans un avenir éloigné des routes ouvertes à des recherches
encore bien plus importantes. La psychologie sera solidement établie sur une nouvelle base,
c’est-à-dire sur l’acquisition nécessairement graduelle de toutes les facultés et de toutes les
aptitudes mentales, ce qui jettera une vive lumière sur l’origine de l’homme et sur son histoire.
» [1]

Darwin était apparemment très excité à l’idée d’appliquer la théorie de l’évolution à la
cognition humaine, mais vous remarquerez qu’il a dit que ça ne pourrait se faire que « dans
un avenir éloigné ». Et il a eu raison d’être aussi prudent, parce que vous savez ce qu’il aurait
dit s’il était revenu un siècle plus tard, et qu’il avait jeté un oeil à l’état de la recherche sur le
comportement humain dans les années 60 ?

« Mais qu’est-ce que vous avez foutu pendant un siècle,
you bloody bastards goddamit, I’ll make myself a cup of tea ».

La psychologie évolutionnaire, c’est un des programmes de recherche qui, un siècle et trente
ans plus tard, se propose de relever le défi lancé par Darwin, c’est à dire d’utiliser la théorie de
l’évolution pour mieux comprendre le comportement humain.

L’idée derrière ce défi est toute simple : 1/ on sait que les comportements sont produits par
un cerveau. 2/ Le cerveau est de la matière biologique. 3/ La matière biologique est soumise
aux lois de l’évolution, et à la sélection naturelle en particulier.
La conclusion, c’est qu’on doit pouvoir éclairer l’étude du comportement humain par la
théorie de l’évolution, et par la sélection naturelle en particulier.

C’est d’autant plus normal de vouloir appliquer la théorie de l’évolution au comportement
que le succès reproductif d’un organisme dépend énormément de ses comportements. Vous avez
beau avoir les organes les plus sophistiqués qui soient, vous avez beau avoir un coeur, des
poumons, un estomac et des yeux qui sont des prouesses d’ingéniérie et vous permettent de ne
pas mourir sur place, si vous restez planté toute la journée sans adopter aucun comportement,
vous n’allez pas faire long feu.

Beaucoup de nos organes sont d’ailleurs dépendants du cerveau pour bien fonctionner. Par
exemple, la bipédie est autant une adaptation psychologique qu’anatomique : c’est très cool
d’avoir deux jambes et un bassin adaptés à la marche debout, mais si vous n’avez pas aussi le
logiciel qui permet de commander ces membres, vous n’irez pas très loin. Vous pouvez demander
à n’importe quel roboticien qui a déjà essayé de construire un robot qui marche à quel point
le logiciel est non seulement important mais en plus pas trivial du tout à construire. Et c’est
pareil pour une quantité d’autres adaptations, autant psychologiques qu’anatomiques : c’est
très cool d’avoir une bouche, mais si elle ne s’accompagne pas d’une envie de manger, elle ne
va pas servir à grand-chose. C’est très cool d’avoir deux seins, mais s’ils ne s’accompagnent pas
d’une envie d’allaiter ses bébés, ces protubérances ne servent à rien.

Donc au risque de dire des banalités, les chances de survie et de reproduction des êtres
vivants sont extrêmement dépendantes du comportement qu’ils adoptent. Notre psychologie,
comme celle de tous les animaux, a forcément été façonnée par la sélection naturelle, et il est
intéressant d’étudier où, comment, pourquoi.

La psychologie évolutionnaire, c’est tout simplement une des approches qui se propose de
faire ça. C’est l’approche qui se propose d’étudier les programmes cognitifs qu’on a dans la tête,
ces programmes qui nous permettent de nous tenir debout, d’avoir envie de manger, d’avoir
envie de boire, de prendre soin de nos enfants, mais aussi d’une quantité d’autres choses qui font
toute notre vie mentale : parler, percevoir, mémoriser, aimer, se mettre en colère, être jaloux,
être triste, comprendre les émotions des autres, produire des jugements moraux, raisonner, etc,
etc.

Le but premier et historique de la psychologie évolutionnaire, c’est donc la recherche et
l’étude de tous les programmes cognitifs qui composent notre esprit. On dit parfois que la
psychologie évolutionnaire est à la recherche des « organes mentaux » qui constituent notre
esprit. On a généralement tendance à considérer le cerveau comme un seul organe, mais d’un
point de vue fonctionnel c’est une catégorisation trop grossière, le cerveau sachant faire plein de
choses différentes qui n’ont pas grand-chose en commun. Il serait plus utile pour l’étudier de le
sous-diviser en ses différents programmes cognitifs, c’est à dire en différents organes mentaux.
Et comme pour les organes du corps, ces organes mentaux sont supposés être communs à
toute l’espèce humaine. De la même façon qu’un humain né en France a les mêmes organes
qu’un humain né au Kenya, parce que nous appartenons tous à la même espèce, la psychologie
évolutionnaire postule qu’un humain né en France aura les mêmes programmes cognitifs qu’un
humain né au Kenya, ou au Vietnam. On dit parfois de la psycho évo qu’elle étudie l’« unité
mentale de l’humanité » [2]. La psychologie évolutionnaire étudie ce qui rassemble tous les
humains d’un point de vue cognitif.

Vous connaissez sûrement Gray’s anatomy, la série. Avant d’être une série, c’était le nom
d’un bouquin d’anatomie, écrit au XIXe siècle mais qui reste encore une référence aujourd’hui
pour les étudiants en médecine. Ce qui est génial avec ce bouquin, c’est que si vous l’ouvrez
à n’importe quelle page, les connaissances que vous y trouvez sont applicables à n’importe
quel humain sur Terre, à quelques exceptions près. Ça veut dire que si vous avez obtenu votre
diplôme de médecine en France, vous pouvez partir à l’autre bout du monde et vous arriverez
encore à soigner des personnes. Cela parce que nous faisons tous partie de la même espèce, et
que le corps humain est composé des mêmes organes.

Par analogie, l’idée de la psycho évo c’est d’écrire le Gray’s Anatomy de la cognition humaine.
Et la raison pour laquelle la théorie de l’évolution est importante pour écrire ce livre,
c’est à cause de l’organisation fonctionnelle. Dans Gray’s anatomy, le corps humain est découpé
en fonctions : le coeur sert à pomper le sang, les poumons à respirer, l’estomac à digérer,
etc… De la même façon, l’esprit humain est aussi découpé en fonctions, des fonctions qui se
sont révélées utiles au cours de l’évolution. C’est d’autant plus important d’avoir la théorie de
l’évolution pour nous aider à trouver les organes de l’esprit que si dans le corps les organes
sont facilement identifiables parce que délimités dans l’espace, dans l’esprit ce n’est pas aussi
simple. Les organes de l’esprit sont des programmes immatériels, qui certes tournent sur le
support matériel que sont les neurones, mais ces neurones se ressemblent tous plus ou moins
anatomiquement parlant.

Pour nous aider à identifier ces programmes et étudier comment ils fonctionnent, on a
donc besoin de la théorie de l’évolution. Faisons un petit jeu : expliquez-moi cet outil [photo
d’un dénoyauteur]. Expliquez-moi comment fonctionnent chacune de ses parties, comment elles
interagissent les unes avec les autres, et quelle est la fonction générale de l’engin. Un instrument
de mesure ? Un instrument de torture ? Pas facile hein ? Et si maintenant je vous dis que c’est
un dénoyauteur d’olives ? Est-ce que ça ne vous simplifie pas la découverte du fonctionnement
de l’objet ? Maintenant, vous devriez être capable de me dire à quoi sert chacune des parties de
cet objet : cette partie-là à tenir l’olive, celle-là à presser l’olive, celle-là à faire en sorte que le
noyau tombe tout droit sans en mettre partout. L’idée importante derrière cet exemple, c’est
que quand vous connaissez la fonction d’un objet, l’explication de son organisation et de son
fonctionnement est grandement facilitée [3].

L’espoir de la psychologie évolutionnaire, c’est qu’on puisse faire pareil avec le cerveau, que
la théorie de l’évolution puisse illuminer le fonctionnement du cerveau et faciliter sa compréhension,
et qu’elle puisse nous aider à comprendre de nouveaux trucs de cet objet à première vue
incroyablement complexe, un objet dont la compréhension est considérée par certains comme
le plus gros défi pour la science du XXIe siècle.

Si la psychologie évolutionnaire a mis plus d’un siècle à émerger après Darwin, ce n’est
pas seulement à cause de la mauvaise volonté des chercheurs du XXe. C’est aussi parce que
c’est seulement dans la seconde moitié du XXe siècle qu’ont eu lieu deux avancées scientifiques
majeures. La première, c’est la vision de l’évolution centrée sur le gène, et la deuxième, c’est la
vision du cerveau comme un système de traitement de l’information.

La vision de l’évolution centrée sur le gène, c’est la vision décrite par Richard Dawkins dans
son livre Le gène égoïste [4], qu’il faudra bien que je vous présente un jour, mais en attendant je vous recommande fortement sa lecture si ce n’est pas déjà fait, je vous mets un lien en description. Dans ce bouquin, Dawkins popularise les travaux de
quelques-uns des plus grands biologistes de l’évolution du XXe siècle, et en particulier William
Hamilton, John Maynard Smith, Robert Trivers et George Williams. Sans entrer dans les détails,
ces chercheurs ont énormément clarifié la théorie de l’évolution, précisé sa portée et montré que
postuler que la sélection naturelle agit au niveau des gènes et non des individus ou des groupes
permet de comprendre énormément de choses sur le vivant. Si vous avez été fasciné par ce qui
est raconté dans Le gène égoïste, sachez que vous n’êtes pas les seuls : ces travaux ont eu un
impact considérable sur les biologistes des années 60 et 70, qui se sont mis à appliquer ces
nouvelles idées avec énormément de succès, succès qui continue encore aujourd’hui.

La deuxième révolution scientifique qui a lieu à peu près en même temps, voire un peu plus
tôt dans les années 50-60, c’est la révolution cognitive. C’est le début de ce qui deviendra plus
tard les sciences cognitives, un ensemble de disciplines assez disparates mais qui ont toutes en
commun de considérer le cerveau comme un système de traitement de l’information. Sans trop
entrer dans les détails à nouveau, avant cette révolution cognitive on n’étudiait pas vraiment
le fonctionnement du cerveau, on le considérait comme une boîte noire, on savait pas trop
ce qui s’y passait et certains pensaient même que ce n’était pas très important ce qui s’y
passait. On disait, c’est juste de l’apprentissage, de l’association stimulus-réponse. Cette vision
a aujourd’hui été remplacée par la vision qui voit le cerveau comme un système de traitement
de l’information, et si cette vision nous est très naturelle à nous aujourd’hui c’est parce qu’on
est en permanence entourés de machines qui font des calculs. Mais imaginez devoir étudier le
cerveau sans avoir aucune idée de ce qu’est un ordinateur. Imaginez être dans les années 1930-40
et devoir étudier notre activité mentale sans savoir que des machines peuvent faire des calculs
très sophistiqués à partir de règles très simples. Pas étonnant que ce qui se passait dans notre
tête était considéré comme mystérieux. Ce n’est donc que plus tard, dans les années 50 – 60,
avec les progrès de l’informatique théorique et l’aide de quelques résultats expérimentaux [5, 6]
que les sciences cognitives et leur paradigme de traitement de l’information s’est imposé.

Donc on a deux révolutions scientifiques dans la deuxième moitié du XXe siècle : la vision
cognitive du cerveau, et la vision de l’évolution centrée sur le gène. Et là, au croisement de
ces deux révolutions, qui est-ce qu’on trouve d’après vous ? Paf, la psychologie évolutionnaire.
Dans les années 70-80, des chercheurs commencent à se demander ce que ça donnerait si on
mettait ces deux révolutions ensemble. Ils se demandent si ça ne serait pas l’occasion d’enfin
fusionner tous les programmes de recherche sur l’humain, de ne plus se contenter d’étudier
l’humain dans des facs de sciences humaines d’un côté, dans des facs de psycho de l’autre, et
dans des facs de biologie encore d’un autre, sans qu’il n’y ait jamais aucune communication entre
ces champs. La psychologie évolutionnaire propose de mettre ensemble toutes ces disciplines,
et de voir comment leurs différents points de vue peuvent se compléter pour nous aider à
mieux comprendre l’humain. C’est quelque chose que j’ai essayé de mettre en évidence dans
ma série sur la morale, que je vous recommande de regarder si ce n’est pas déjà fait, parce que
je m’appuierai souvent dessus. On avait vu dans cette série que les travaux des philosophes
complètent les travaux des primatologues, que ceux des anthropologues complètent ceux des
biologistes, que ceux des biologistes complètent ceux des philosophes. Enfin bref, toutes les
disciplines se complètent et après des dizaines d’années passées à disperser l’étude de l’humain
dans des disciplines différentes, la psychologie évolutionnaire se dit que ce serait peut-être bien
de commencer à décloisonner tout ça.

Comme le disent John Tooby et Leda Cosmides, deux des fondateurs de la psychologie
évolutionnaire [7] :

« Le but de la psychologie évolutionnaire est d’éradiquer les limites disciplinaires, et d’unifier
les sciences évolutionnaires, génétiques, neurales, cognitives, psychologiques, comportementales
et sociales, car l’idée que ce sont des disciplines différentes est un vestige sociologique de l’époque
où elles ont été fondées. La réalité n’a pas de telles frontières. »

Et en effet, la réalité n’a pas de frontière. L’humain est un objet unique, un seul sujet
d’étude qui ne doit pas, qui ne doit plus être divisé entre nature et culture, entre inné et acquis,
entre gènes et environnement, entre sociologie et biologie. Voilà un des premiers aspects très
importants de la psycho évo : son aspect intégratif, c’est à dire sa volonté de contribuer à unifier
toutes les disciplines qui étudient l’humain.

Deuxième point important, la psychologie évolutionnaire s’intéresse à la cognition humaine
dans son ensemble. Si vous aviez étudié la psychologie dans les années 70/80, on vous aurait
surtout parlé de mémoire, de perception, d’intelligence et de personnalité [8]. L’amour ? Inconnu
au bataillon. La coopération, la morale, la conscience, l’empathie ? Tout ça n’était pas très
étudié. L’attirance sexuelle, la jalousie, la nourriture ? Le statut, la dominance, l’amitié, le
dégoût ? Pareil, des parents pauvres de la psychologie. Toutes ces choses qui sont centrales
dans notre psychologie de la vie de tous les jours, l’amour, la morale, le sexe, l’amitié, la
bouffe, n’étaient pas très étudiées. La psychologie évolutionnaire décide de s’emparer de ces
sujets et affirme que s’ils sont si importants dans notre vie mentale, c’est pour une bonne
raison. C’est parce qu’ils sont à mettre en lien avec des problèmes de survie et de reproduction
importants auxquels ont été confrontés nos ancêtres pendant des centaines de milliers d’années.
La psychologie évolutionnaire fait sortir de l’ombre certains sujets qui avaient été négligés
jusque là au profit d’autres activités mentales supposées plus nobles comme l’intelligence ou la
mémoire.

Enfin, dernier point notable, la psychologie évolutionnaire s’oppose à la tendance de croire
qu’on a expliqué un phénomène simplement parce qu’on l’a décrit. Décrire n’est pas expliquer.
Quand vous dites, par exemple, que les humains ont tendance à ne pas prendre en compte l’information
qui va à l’encontre de leurs croyances parce qu’ils ont un biais de confirmation, vous
avez l’impression d’avoir expliqué un truc, mais vous n’avez pas expliqué grand-chose. Vous
n’avez fait que redécrire, vous n’avez fait que coller l’étiquette « biais de confirmation » sur un
comportement. Ce qu’on voudrait vraiment savoir, c’est pourquoi l’humain a ce biais, et pourquoi
il en a tant d’autres. La psycho évo propose d’aller au-delà des explications traditionnelles,
de les approfondir, sans pour autant les remplacer.

Imaginez que quelqu’un essaie de vous expliquer ce qu’est une voiture, et que pour faire ça
il ne fasse que vous parler de l’existence des différentes parties : la présence de quatre roues,
d’un volant, de sièges, à un endroit se trouve un moteur, à un autre un embrayage, et à un
autre une boîte de vitesse. Mais imaginez qu’à aucun moment cette personne ne vous explique
à quoi servent ces différents éléments, pourquoi ils sont organisés d’une certaine façon et en
quoi ils permettent tous ensemble d’assurer la fonction de la voiture, qui est de se déplacer. Ce
serait une aberration. C’est pourtant quelque chose qui se pratiquait beaucoup en psychologie
dans la deuxième moitié du XXe siècle, et que je croise encore souvent de nos jours.

La psychologie évolutionnaire essaie non seulement d’approfondir les explications, mais elle
s’oppose aussi aux explications farfelues. Les explications, nous dit-elle, doivent être compatibles
avec la théorie de l’évolution moderne. C’est à nouveau un point important, parce qu’à une
certaine époque si vous vouliez postuler que la psychologie humaine avait pour but d’oeuvrer
pour le bien de l’espèce, ou des trucs encore plus loufoques comme maximiser l’harmonie entre
les êtres vivants et leur environnement, vous aviez le droit entre guillemets, puisque personne
n’avait de toute façon de meilleure théorie. La psycho évo est venue rappeler qu’une très bonne
théorie était maintenant disponible pour les psychologues, une théorie qui dit que le cerveau
est un organe comme un autre évolué par sélection naturelle, et que la réplication du gène – et
non celle de l’espèce par exemple – est au coeur de ce processus.

(J’en profite au passage pour dire que les prochaines vidéos risquent d’être chargées en
langage finalistement ambigu, c’est à dire en langage qui pourrait laisser penser que la sélection
naturelle a des intentions, ou que les organes ont évolué dans un but prédéfini. Évidemment il
n’en est rien, mes explications reposent toujours sur de la sélection naturelle aveugle et sans
causes finales, mais cela n’empêche pas pour autant d’utiliser des termes finalistes (en tout cas
ça ne m’empêche pas moi) : je recommande très fortement à ceux qui ne l’ont pas déjà fait de
regarder cette vidéo).

Voilà ce qu’est la psychologie évolutionnaire en quelques mots. C’est le programme de recherche
qui se propose de cartographier les organes de l’esprit humain, d’écrire le Gray’s anatomy
de l’esprit, d’identifier les programmes cognitifs universels évolués par sélection naturelle,
d’étudier toute la cognition humaine et pas seulement ses domaines les plus nobles, de faire
tout ça en se basant sur deux des plus grosses révolutions scientifiques du XXe siècle, et de faire
disparaître les limites disciplinaires dans lesquelles se sont enfermées des générations d’universitaires.
Est-ce que c’est pas génial comme programme de recherche ? Qui peut bien avoir des trucs
à redire à ça, vous devez vous demander ? Haa mes chers abonnés, je reconnais bien là votre
naïveté légendaire. La psychologie évolutionnaire est probablement une des disciplines scientifiques
les plus controversées, encore plus que la géologie. En fait, je suis même prêt à parier que
si vous en avez entendu parler avant moi, vous en avez entendu parler en mal. Je consacrerai
donc un gros morceau de cette série de vidéos à venir à répondre aux critiques, mais je veux
commencer par vous présenter la psycho évo de façon non défensive, de façon positive, parce que
c’est un programme de recherche trop beau et trop important pour être présenté uniquement
par le prisme de ceux qui la critiquent.

Série de vidéos, car oui j’ai prévu une bonne série pour vous expliquer tout ça en détail,
pour l’instant j’envisage une dizaine de vidéos dont certaines devraient allègrement dépasser
la demi-heure. Mais avant de démarrer, quelques mots de vocabulaire. Vous rencontrerez plus
souvent la psychologie évolutionnaire sous le nom de psychologie évolutionniste ou évopsy. Ce
sont deux termes que je n’aime pas beaucoup, le premier à cause du suffixe « iste » qui a une
connotation militante et péjorative, et le deuxième car si évopsy est censé être l’abréviation de
l’anglais « evolutionary psychology », je n’ai quasiment jamais entendu ce diminutif être utilisé
en anglais, et puis ça sonne trop marketing, on a l’impression que c’est un mot créé pour rendre
sexy quelque chose qui ne l’est pas assez. Mais la psycho évo n’est pas là pour être sexy, elle
est là pour étudier l’humain, et c’est pour ça que personnellement je n’emploie jamais le terme
evopsy. Je n’utiliserai que le terme « Psychologie évolutionnaire » ou son abréviation « Psycho
évo », mais ne vous en faites pas je ne vous en voudrai pas si vous utilisez les autres mots,
l’important c’est qu’on se comprenne.

Le deuxième point de vocabulaire c’est qu’on peut faire une distinction entre la psychologie
évolutionnaire au sens strict et la psychologie évolutionnaire au sens large. La psycho évo au
sens strict c’est celle que j’ai commencé à vous présenter, qui est née dans les années 80, et
qui met la théorie de l’évolution au coeur de son programme de recherche, notamment pour
générer des hypothèses de travail. La psychologie évolutionnaire au sens large reconnaît aussi
l’importance de l’évolution pour expliquer le comportement mais sans réellement s’en servir
au jour le jour. Je dirais que la majorité des chercheurs en sciences cognitives et neurosciences
aujourd’hui sont des psychologues évolutionnaires au sens large. Il n’est pas rare par exemple
lorsqu’ils présentent leurs travaux de les voir démarrer ou terminer avec une slide évolutionnaire,
par exemple dans cette conf de Stanislas Dehaene, ou dans cette conf de linguistique que je
regardais l’autre jour. Par contre, ces chercheurs ne vont pas directement utiliser la théorie de
l’évolution pour générer des prédictions. Moi-même, avec une licence de biologie généraliste et
un master de neurosciences, je suis plutôt un psychologue évolutionnaire au sens large à la base,
mais ça ne me dérange pas de prendre la défense de la psychologie évolutionnaire au sens strict
pour vous montrer que même celle-là, parfois présentée comme trop extrême, reste encore très
pertinente.

Enfin, il existe d’autres disciplines qui font le lien entre comportement humain et évolution,
comme la génétique comportementale, la génétique des populations, l’écologie comportementale
ou la sociobiologie. Ces disciplines sont souvent confondues avec la psychologie évolutionnaire
mais il existe des différences importantes que je vous expliquerai en cours de route.
Voilà le menu que je vous propose pour étudier tout ça. Dans un premier temps je vais
vous présenter les concepts de base de la psychologie évolutionnaire, ses idées importantes,
et son paradigme général. Ensuite on se concentrera sur un concept particulier et central en
biologie de l’évolution, qui est le concept d’adaptation. Grosso modo, c’est la question de savoir
comment les biologistes font pour identifier de la matière vivante qui a été façonnée par la
sélection naturelle. On se fera ensuite une petite étude de cas en prenant comme exemple une
adaptation psychologique particulière, je n’ai pas encore décidé laquelle, mais probablement
le sens du dégoût. On regardera quels genres de données sont utilisés par les psychologues
évolutionnaires quand ils avancent que le dégoût a évolué pour une raison bien précise. Arrivés
à ce point il sera temps de se faire une petite FAQ qui abordera la plupart des questions que
vous pourriez vous poser sur le sujet, et les idées reçues qui circulent parfois. De là on prendra
un peu de recul pour évoquer des sujets plus métas. On parlera des problèmes éthiques que
pose la psycho évo et les études évolutionnaires du comportement humain en général, on se
demandera par exemple si ces recherches sont dangereuses et si oui, devrait-on s’empêcher de
faire de la recherche là-dessus. On passera ensuite à la partie critique : on étudiera quelques-unes
des critiques universitaires qui ont été faites à la psycho évo, et je vous dirai selon moi lesquelles
sont pertinentes, et lesquelles sont à côté de la plaque. À l’inverse, la biologie et les sciences
cognitives ne se sont pas gênées pour faire des reproches aux sciences sociales traditionnelles, et
je vous présenterai ces reproches dans une vidéo dédiée. Enfin, on se fera un petit récapitulatif de
toute la série et je donnerai des conseils à ceux qui veulent étudier la psychologie évolutionnaire
en France.

J’espère que ce menu vous réjouit autant que moi. Je vous préviens que ça va encore être
très dense, je vais être obligé d’aborder plein de concepts différents, à cause de la nature très
interdisciplinaire du sujet et parce que la biologie de l’évolution et les sciences cognitives sont
des disciplines assez peu vulgarisées. Mais le résultat devrait en valoir la peine, et puis certains
d’entre vous m’ont dit qu’ils aimaient ça s’en prendre plein la tête, alors j’obtempère.
Dernière chose, cette série de vidéos sera relue par un groupe d’une trentaine de philosophes,
biologistes, psychologues, sociologues et divers experts en comportement humain, un groupe que
j’ai mis sur pied spécialement pour l’occasion. Tous ces chercheurs ne reliront pas chaque script
à chaque fois, mais quelques-uns prennent toujours le temps de le faire, ce qui permettra de ne
pas faire reposer la qualité de cette série sur mes seules compétences nécessairement limitées.

Je vous disais en début de vidéo qu’il a fallu attendre un siècle après la mort de Darwin
pour commencer à appliquer la théorie de l’évolution au comportement humain. Pour la science,
c’est quelque chose de dommageable, mais voyons le bon côté des choses : ça veut dire qu’il
reste encore plein de découvertes à faire, plein de choses à comprendre, et que ces découvertes
vont être faites en temps réel devant nous tout au long du XXIe siècle. On sera aux premières
loges pour se délecter de tout ça, et encore mieux, certaines de ces découvertes vont être faites
par vous, ceux d’entre vous qui décideront de se consacrer à la recherche sur le comportement
humain. C’est une chance incroyable. Imaginez, on aurait tous pu naître au XXIVe siècle, quand
la théorie de l’évolution aura déjà été appliquée à toutes les formes de vie connues et que les plus
grandes découvertes auront déjà été faites. Pire, on aurait pu naître avant le XIXe siècle, et ne
jamais avoir connaissance de l’idée de Darwin, « la meilleure idée que quelqu’un ait jamais eu
» comme elle a été décrite [9]. Mais non, non seulement on a la chance d’être nés après le XIXe
siècle, mais également juste après que la théorie de l’évolution a commencé à être appliquée au
cerveau humain. Alors réjouissons-nous, et j’espère que cette série sera utile pour vous aider à
apprécier la portée des découvertes qui seront faites sous vos yeux tout au long du XXIe siècle.

Merci à Nomis, Gauthier P., John Doe, GRA, Cyrille Berne et aux 285 tipeurs qui me
soutiennent, je voulais vous dire particulièrement merci cette fois parce que ça va faire plus de
trois mois que je n’ai pas publié de vidéos, et pourtant je n’ai fait que bosser pour la chaîne
pendant ce temps, à lire ou relire tout ce que je pouvais sur le sujet, non seulement les classiques
de la psycho évo mais aussi ses critiques. Beaucoup de vidéastes ne se seraient pas permis une
telle absence sur Youtube et se seraient mis la pression pour publier quelque chose, mais j’ai la
chance de savoir, parce que beaucoup d’entre vous me l’ont dit, que la plupart d’entre vous n’en
a pas grand-chose à faire de la quantité de vidéos que je produis ; c’est tout à votre honneur,
mais ça mérite bien un remerciement. Les prochaines vidéos vont s’enchaîner bien plus vite.

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Commentaires

Une réponse à “La psychologie évolutionnaire, c’est quoi ? – PsychoEvo #1”

  1. Hâte de voir la suite. Mes travaux m’ont amené à me poser ce genre de questions :
    ” Il serait intéressant de chercher à savoir si les tempéraments se sont diversifiés au cours de l’évolution, amenant les espèces les plus récentes à user d’une gamme de tempéraments plus variés. Un rapport entre cette complexité et la quantité de pathologies / somatisations pourrait être investigué. ” [www.telgnos.fr]
    Je serais curieux de découvrir s’ils s’inscrivent, et dans quelle proportion, dans le registre de la psycho évo qui est effectivement assez mal renseignée sur la toile actuellement.

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