Mon avis sur « The ape that understood the universe », de Steve Stewart-Williams

Le petit dernier dans la famille « vulgarisation de la psychologie évolutionnaire » s’appelle « The ape that understood the universe – how the mind and culture evolve » (Le primate qui comprenait l’univers – comment l’esprit et la culture évoluent), écrit par Steve Stewart-Williams, un chercheur que vous pouvez retrouver sur Twitter où il est assez actif. Le livre a été traduit en italien mais à ma connaissance pas en français, vous avez donc le choix entre anglais et italien.

Quand je dis « vulgarisation » c’est surtout vulgarisation des résultats, si vous cherchez quelque chose sur les méthodes et les concepts de la psycho évo il faudra chercher ailleurs (par exemple, dans ma série de vidéos, mais ce n’est qu’un exemple hein !).

Disons-le tout de suite, de façon générale c’est un très bon livre, clair et bien écrit, et une mise à jour attendue de L’animal moral de Wright sorti au début des années 90. Aussi dans un certain sens une mise à jour du Gène égoiste de Dawkins puisque beaucoup de thèmes lui sont communs.

L’auteur démarre le livre en adoptant le point de vue d’un extra-terrestre qui viendrait étudier l’humanité pour nous faire prendre conscience que beaucoup, beaucoup des comportements que nous trouvons très naturels et évidents (comme prendre soin des autres, ou même juste parler) sont en fait assez bizarres, tout du moins à questionner et à chercher à expliquer.

Le premier chapitre présente ensuite la perspective de l’évolution centrée sur le gène, qui vous vaudra quelques moments d’émerveillement si vous n’avez pas déjà lu Le gène égoïste.

Viennent ensuite quelques chapitres sur l’amour, la parentalité, la jalousie et le choix du partenaire sexuel, et les différences hommes-femmes qui vont avec. Ce sont les domaines d’expertise de l’auteur, et des domaines très étudiés en psycho évo historiquement. Ils découlent de l’application directe du programme de l’écologie comportementale (non-humaine) à l’humain, et ce sont des domaines pour lesquels on a beaucoup de données. Pour ma part, je trouve parfois qu’on les met un peu trop en avant : c’est une des raisons pour lesquelles je n’en parle quasiment pas dans ma série de vidéos, et que je cherche à casser cette image d’une « discipline obsédée par les différences homme-femme ». La psycho évo se préoccupe aussi de mémoire, religion, art, colère, bonheur, etc – aucune facette de notre cognition n’est épargnée !

Cela dit, si les sujets du sexe et de la parentalité vous intéressent, et que vous n’êtes pas dérangé·e par le politiquement incorrect en ce qui concerne les différences homme-femme, vous trouverez dans ce livre un super résumé de ce que donne l’application des théories évolutionnaires au comportement humain. Comme je vous l’avais moi-même expliqué sur ce blog il y a plus de dix ans quelques années (L’humain est-il un polygame refoulé ? Partie 1/3 : l’homme, ce parasite sexuel.), les mêmes théories qui nous permettent d’expliquer et prédire les comportements de centaines d’espèces animales nous permettent d’expliquer et prédire le comportement humain. En particulier, l’humain n’est ni une espèce complètement polygame, ni une espèce complètement monogame, ni une espèce où les mâles ne font aucun effort, ni une espèce où mâles et femelles ont exactement la même cognition. L’espèce humaine a ses spécificités, notamment dues au fait que le bébé humain est très dépendant de ses parents pendant plusieurs années après sa naissance.

J’apprécie particulièrement que l’auteur évoque sans se moquer les théories concurrentes de celles de la psycho évo pour expliquer ces différences hommes-femmes (qu’on pourrait appeler les théories du tout-culturel, et j’insiste sur le tout-culturel, car les théories évolutionnaires sont aussi des théories culturelles, mais pas du tout-culturel). À chaque fois, Stewart-Williams montre que les théories du tout-culturel font face à des difficultés importantes pour expliquer certaines données, difficultés résolues facilement en admettant que c’est l’évolution qui a façonné certaines de nos préférences.

Vient ensuite un chapitre sur l’altruisme et la coopération. Les principales hypothèses présentées pour expliquer ces aspects de notre psychologie sont : la sélection de parentèle, la réciprocité,  et la sélection de groupe, ce qui est parfaitement vrai. Mais étant donné que c’est ici mon domaine d’expertise, je vais me permettre une critique : je trouve dommage que la morale ne soit pas du tout abordée dans ce chapitre sur la coopération, alors que nombre d’auteurs la voient comme un élément central. Stewart-Williams évoque la morale comme étant un simple « signal coûteux », ou comme un sous-produit de la culture, passant sous silence un certain pan de la littérature, que je vous ai expliqué ici en détail :

Il me semble qu’en 2020, on pourrait donner un peu moins de temps de parole à la compétition d’algorithmes d’Axelrod (une série d’expériences rigolote ayant eu lieu dans les années 70 et déjà relatée dans Le gène égoïste) et un peu plus aux dernières théories coopératives de la morale.

Et le livre se termine avec un chapitre sur la culture et l’évolution culturelle. L’auteur reconnait l’existence de différentes théories pour expliquer la culture et présente la mémétique comme un « cadre unificateur » de toutes ces théories. Si j’ai bien compris, le mot « mémétique » est pour l’auteur un synonyme d’« évolution culturelle », mais il me semble que c’est un usage peu courant du terme (par exemple, Stewart-Williams inclut l’idée d’attracteurs culturels dans sa vision de la mémétique). « Mémétique » désigne généralement une des théories particulières cherchant à décrire l’évolution culturelle. On n’est plus dans mon domaine d’expertise, mais cette partie sur l’évolution culturelle m’a paru moins claire et convaincante que les autres. Si un expert en évolution culturelle passe par là, il pourra peut-être nous dire à quel point le champ a été bien résumé.

Ces quelques points de détail ne doivent pas faire oublier la qualité générale du livre en tant que livre de vulgarisation grand public. Si je devais résumer, je dirais que The ape that understood the universe est une bonne porte d’entrée dans le monde de la psychologie évolutionnaire, en particulier pour ceux qui s’intéressent aux sujets de la reproduction, de la coopération et de la culture. Il ne présente rien qui n’ait déjà été écrit ailleurs avant, mais constitue une mise à jour appréciable d’autres best-sellers, se donnant parfois des petits airs de Gène égoïste qui aurait choisi de s’attarder sur la question de la psychologie humaine spécifiquement.

Et quand vous aurez fini de lire ce livre, gardez donc en tête que la psycho évo fait plus qu’étudier la reproduction, la coopération et la culture, et que c’est également un programme de recherche ambitieux qui vise à réaliser la jonction entre sciences naturelles et sciences sociales, à la croisée des deux révolutions intellectuelles du XXe siècle qu’ont constituées la vision de l’évolution centrée sur le gène et la révolution cognitive. J’explique tout ça (et plein d’autres trucs encore, comme les méthodes ou les controverses du champ) en détail dans une série de vidéos dont le premier opus se trouve ci-dessous.

Enfin, si vous souhaitez acheter le livre de Stewart-Williams tout en aidant Homo Fabulus, vous pouvez utiliser ce lien d’affiliation (n’hésitez pas à faire vos courses en même temps) : https://amzn.to/2WDNv4t
Merci !

 

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